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Junya Ito : l’étoile montante de Genk

Si le RC Genk enlève le titre, il le devra en grande partie au Japonais Junya Ito (26 ans), à nouveau dans tous les bons coups contre Bruges et auteur d’un assist. Parfait inconnu il y a deux mois, il étale sa maestria de semaine en semaine.Comment Genk s’y prend-il pour dénicher de telles perles ?

Dimitri de Condé, le directeur technique de Genk, a-t-il une baguette magique, qui lui permet de sortir, d’un coup, un nouveau talent pour le club limbourgeois ? Il sourit quand on lui pose la question. Non, il n’en a pas. Il a simplement une base de données, Wyscout, un instinct sûr et une équipe de scouting bien rodée, dirigée par son bras droit, Dirk Schoofs.

Malgré tout, un transfert est toujours un pari, insiste-t-il.  » Ces derniers temps, tout s’est bien mis mais parfois, nous enrôlons un footballeur qui n’émerge pas ou du moins pas immédiatement. Certains ont besoin d’un temps d’adaptation plus long que d’autres.  »

L’histoire de Junya Ito illustre parfaitement les méthodes de travail de Genk. De Condé et Schoofs ont remarqué l’ailier droit japonais de Kashiwa Reysol il y a un an et demi. Ils ont relevé deux atouts : vitesse et jeu direct.

 » Dans un championnat aussi fermé que le belge, la vitesse des flancs est cruciale pour démanteler une défense comme pour jouer en contre « , remarque De Condé.  » Il n’est pas difficile de trouver des footballeurs rapides mais il est moins évident d’en dénicher qui soient capables de conserver leur lecture du jeu quand ils arrivent à toute vitesse dans la zone de vérité. Ito garde la tête droite et trouve des solutions dans ce secteur. C’est fantastique.  »

Il y a un an, en prévision du départ de Thomas Buffel, Genk cherchait des renforts pour le flanc et avait demandé ses conditions au club d’Ito mais De Condé avait rapidement compris que le transfert était impossible, le club étant impliqué dans la lutte pour le maintien.

Ito était un des rares points positifs à Kashiwa Reysol, fondé par Hitachi, qui le soutient toujours, même si, en 1992, le club a été rebaptisé par l’adjonction de deux mots espagnols, rey (roi) et sol (soleil).

L’opiniâtreté de Dimitri de Condé

Si De Condé a une qualité importante, en plus de son instinct, c’est son opiniâtreté. Quand il détecte un talent, il n’hésite pas à téléphoner jusqu’à ce que quelqu’un réponde. Il ne harcèle pas ses interlocuteurs mais il est insistant.

 » Les joueurs sont généralement agréablement surpris en apprenant que je continue à les suivre « , a-t-il déclaré il y a quelques semaines encore, pour expliquer le succès de son approche.

 » Nous avons suivi Ito semaine après semaine sur Wyscout et nous avons envoyé un scout à plusieurs reprises au Japon. Cet hiver, un autre ailier, Edon Zhegrova, est parti, et il nous fallait un remplaçant.  »

La situation du joueur avait aussi changé.  » Kashiwa Reysol avait été relégué et, du coup, le transfert était envisageable. Faire jouer un international en division deux ne se faisait pas. Il ne l’a d’ailleurs pas fait.

Nous n’avons pas transféré un footballeur de D2 comme on l’a suggéré ici et là. La saison venait de s’achever et Ito a quitté son équipe avant qu’elle n’entame sa saison à un étage inférieur.  »

Genk n’a finalement discerné qu’un obstacle majeur, qui a suscité ses doutes.  » Nous en avons discuté tous ensemble, la direction, le scouting, le staff technique. Tout le monde était favorable au transfert mais la langue posait problème.

Ito ne parle pas anglais. On trouve facilement des gens qui parlent les principales langues du monde à Genk : espagnol, italien portugais, turc, arabe, mais peu maîtrisent le japonais. Nous avons finalement trouvé quelqu’un qui le parle et qui assiste à tous les entraînements tout en aidant Ito en dehors du terrain.  »

Junya Ito et l’effet de surprise

Le timing n’était pas idéal non plus. Le transfert a été conclu début février alors que le championnat avait repris.  » Nous préférons enrôler les joueurs en été pour qu’ils puissent participer à la préparation, sans tomber comme un cheveu dans la soupe.  »

Ito l’a fait et tout est allé très vite. Son transfert a été annoncé le 11 février alors qu’il disputait la finale de la Coupe d’Asie, perdue contre le Qatar. Le 21 février, il a été titularisé au match retour des seizièmes de finale d’Europa League contre le Slavia Prague. Le Japonais a joué un excellent match mais son début a été éclipsé par l’élimination de Genk et le feuilleton Alejandro Pozuelo, qui faisait la une.

Trois jours plus tard, il effectuait ses débuts en Jupiler Pro League, en relayant Leandro Trossard contre l’Antwerp. Deux journées plus tard, il était déjà titulaire, contre Lokeren, mais il ne délivra sa carte de visite que lors du premier match de PO2 contre Anderlecht, en offrant la victoire à Genk.

 » Il devient de plus en plus important « , signale Philippe Clement après la victoire contre Gand et une nouvelle superbe prestation d’Ito, toutefois éclipsée par l’exclusion de Ruslan Malinovskyi.

Dimitri De Condé reconnaît être parfois surpris.  » Nous nous attendions à ce qu’il joue dès cette saison mais qu’il devienne titulaire en PO1 et qu’en plus, il soit brillant ? Non. Je n’imaginais pas non plus qu’il soit aussi rapide ballon au pied. Il fait mal à tous ses adversaires, y compris aux grandes équipes. Il n’est pourtant pas évident de prendre trois hommes de vitesse en championnat de Belgique.  »

Ito profite peut-être de l’effet de surprise. Ses adversaires ne le connaissent pas encore et n’ont donc pas encore trouvé de parade tactique. De Condé ne pense pas que ce soit si facile.  » On peut assigner un homme à un footballeur axial comme Pozuelo mais c’est plus difficile sur un ailier qui réalise des actions avec ou sans ballon. Si on le suit et qu’il se retourne pour sprinter en profondeur, on est vu, compte tenu de sa vélocité.  »

Un universitaire devenu footeux sur le tard

Le Japonais ne doit travailler qu’un aspect : la langue.  » S’il parvient à mieux communiquer avec l’entraîneur et ses coéquipiers, il pourra investir cette énergie dans d’autres choses.  »

L’ailier droit n’est pas perdu à Genk, même s’il y est seul.  » On n’a pas le sentiment d’avoir affaire à un bleu « , relève le directeur technique.  » Il possède une personnalité plus forte que son physique n’en donne l’impression. Il ne le clame pas sur tous les toits mais il sait ce qu’il veut. Il a de l’assurance.  »

Genk a loué Ito pour deux ans, avec option. Ne s’est-il jamais étonné qu’Ito, qui a fêté ses 26 ans début mars, ait émigré aussi tard en Europe ? Il a intégré l’équipe première de son club à un âge avancé, achevant ses études universitaires tout en jouant en division deux.

Il n’a signé son premier contrat professionnel en J-League qu’en 2016 et a été titulaire à Kashiwa pendant trois ans.  » Quand nous nous sommes manifestés, des rumeurs faisaient état de l’intérêt de clubs moyens de Bundesliga mais je peux imaginer qu’ils aient eu les mêmes réticences que nous par rapport à son problème linguistique et à son intégration. Ces clubs ont donc hésité alors que nous avons insisté. « 

 » Le niveau universitaire est très élevé  »

Le transfert d’ Andrés Iniesta en J-League a incité le journal sportif catalan Panenka à publier un reportage sur le football au Pays du Soleil Levant. Selon Toru Nakata, qui réside aux Pays-Bas depuis vingt ans, le niveau du championnat de football universitaire est très élevé. Nakata a bavardé avec Ito à Genk il y a quelques semaines.

Nakata :  » Il n’est pas inhabituel pour un Japonais de rester longtemps au pays. Les équipes universitaires sont fortes. Peut-être pas assez pour passer directement en championnat de Belgique mais quand même… À la place des scouts belges, je suivrais ces matches. Ils sont vraiment bons, surtout les finales.  »

Un journaliste de Panenka a été le premier à interroger Ito sur le sol européen. En route pour Genk, dans le cadre de sa présentation officielle, le joueur confirme que la saison de Kashima a été très difficile.  » L’équipe a été rétrogradée et j’ai commencé à comprendre que je devrais émigrer pour poursuivre ma progression. Heureusement, après de longues négociations, nous sommes parvenus à trouver un accord avec le leader du championnat de Belgique. Je pense que les dirigeants des clubs belges ont l’esprit très ouvert et regardent aussi ce qui se passe au Japon, surtout après le Mondial. Je pense qu’après les huitièmes de finale contre mon pays, ils ont réalisé que le niveau de notre football était élevé.  »

Guttierez s’est montré curieux de la pression suscitée par les attentes de Genk. Ito l’a détrompé.  » Jouer au football est ce qu’il y a de plus facile et de plus amusant pour moi. Et je peux le faire ici comme au Japon. Bien sûr, comme c’est mon premier séjour en Europe, je vais devoir m’adapter. J’en ai discuté avec mes coéquipiers en équipe nationale et ils m’ont dit en choeur que je ne devais pas laisser passer cette chance. On ne trouve nulle part ailleurs autant de compétitivité qu’en Europe. À mes yeux, tous les footballeurs japonais devraient se lancer dans cette aventure car elle est enrichissante à tous points de vue, sportivement et culturellement.  »

Durant le dîner suivant sa présentation officielle, Ito parle des habitudes alimentaires japonaises. Il vient de disputer la Coupe d’Asie, avec Yuto Nagatomo. L’arrière gauche de 32 ans de Galatasaray semble avoir inspiré ses jeunes collègues internationaux. Ito confie à Guttierez :  » Vous saviez qu’il ne mange que du poisson, des légumes et des hydrates de carbone ? Pas de viande. C’est un modèle. Il est sérieux et travailleur. Il en fait toujours plus que ce qu’on lui demande à l’entraînement. Il surveille son alimentation, ses heures de sommeil… Il est donc en pleine forme et peut tenir encore longtemps parmi l’élite absolue.  »

Ito réfléchit aussi à l’influence de la culture locale sur un joueur.  » Les Japonais sont très travailleurs. Notre société n’accepte pas la tricherie ni l’irresponsabilité. On retrouve ces valeurs dans le football. Je suis ainsi fait. Droit. Jusqu’à présent, cette attitude m’a toujours permis d’atteindre mes objectifs.  »

Le footballeur joue comme l’homme : droit devant. Ito a commencé à jouer au football à sept ans, dans l’équipe de son école.  » Mais jamais je n’ai songé à en faire ma carrière. Ce n’était qu’un loisir. Ce n’est que plus tard, pendant mes études, que j’ai été repris dans l’équipe universitaire de Kanagawa.  » Et ce championnat, comme le dit Toru Nakata, est très relevée.  » Comparable aux compétitions américaines pour étudiants.  »

Ses parents l’ont encouragé à poursuivre ses études, malgré son talent sportif. Ito :  » C’est comme ça au Japon. Le père détermine la voie que suivent les enfants. Il voulait que j’aie une alternative au cas où ma carrière sportive ne se déroulerait pas bien. Il m’a autorisé à passer professionnel à condition que j’achève d’abord mes études. Ensuite, j’ai pu me consacrer au football.  »

Mais pourquoi s’expatrier en Europe s’il peut gagner davantage au Japon ? Ito est franc :  » Pour moi-même. C’est un défi personnel. Je veux progresser, devenir un joueur d’élite. Ce n’est possible qu’en Europe. En plus, il est difficile de se maintenir en équipe nationale quand on joue au Japon. Ça a également joué un rôle dans ma décision.  »

Que peut-il apporter à la Belgique ?  » Certainement pas ma force ni ma taille. Mais mon endurance, ma vitesse, ma technique et mon labeur. C’est pour ça qu’ici, la plupart des Japonais sont des médians ou des extérieurs. Pas des défenseurs centraux, à quelques exceptions près comme Takehiro Tomiyasu, qui excelle à Saint-Trond.  »

Par Geert Foutré et Peter T’Kint

Le Japonais est en passe de remplacer son compatriote Takayuki Suzuki dans les coeurs à Genk.
Le Japonais est en passe de remplacer son compatriote Takayuki Suzuki dans les coeurs à Genk.© belgaimage

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