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Jordi Condom (Seraing): « Une idée de jeu, ça dépend toujours de la qualité de ton groupe »

Que peut-on attendre du coach qui accompagne les Métallos pour leur retour improbable en D1A? Que verra-t-on exactement sur la pelouse? Un jeu pétillant comme il l’a prôné à Eupen et comme Emilio Ferrera l’a fait la saison dernière? Plongée dans les pensées foot de Jordi Condom.

« Je suis un enfant du Barça », nous lâche Jordi Condom en février 2017. Il est alors T1 d’Eupen, l’homme qui a fait monter le club en D1A. Il évoque dans le détail son passé chez le géant catalan, ses années à La Masia et la façon dont ça a influencé ses conceptions du jeu. Il compare ses joueurs à des gamins qu’il a entraînés en Espagne: « C’est comme si on travaillait avec des enfants, il faut toujours tout leur rappeler pendant le match. » Et au cours de cette longue conversation fort axée sur la tactique et ses grands principes d’entraînement et de jeu, il mentionne l’aspect purement humain de son boulot: « À partir du moment où des joueurs font partie d’un projet, on ne va pas les tuer pour une erreur. On les encourage, ils doivent apprendre. Si tu ne te trompes pas, tu n’apprends pas. Je ne vais pas sortir un joueur en première mi-temps parce qu’il a fait un mauvais choix. Parce que là, je le tue. C’est comme si je te demande d’aller parler dans une salle de spectacle remplie et je te reprends le micro dès que tu bégaies. Non, on ne fait pas ça. Tu t’es trompé, ce n’est pas grave: recommence. Corrige-toi, et continue. »

Après l’annonce du départ d’ Emilio Ferrera, l’homme qui a transformé en montant surprise une équipe visant simplement le maintien, la direction de Seraing n’a pas cherché bien longtemps. Jordi Condom était libre. Après son premier long passage à Eupen, comme adjoint puis entraîneur principal, il s’était égaré à Roulers et au Qatar, puis il était rentré au Kehrweg, cette fois dans le costume de directeur sportif. Clairement, au bout de la saison passée, alors qu’il était en fin de contrat, il a eu envie de changer de crèmerie. Et de retrouver un banc. On a évoqué un nouveau bail d’entraîneur principal des Pandas, mais il ne l’a pas envisagé. On sent dans son discours que son expérience de directeur sportif lui laisse un goût de trop peu. Le fait que « les intérêts économiques et télévisuels aient pris le dessus sur la santé des joueurs », comme il l’a expliqué récemment dans La Dernière Heure, le fait d’avoir dû gérer des footballeurs « qui restent des êtres humains, n’ont pas eu de vacances et n’ont pas pu rentrer chez eux pour les fêtes », comme il le dit dans la même interview, tout ça l’a usé lui aussi. « Psychologiquement, on a fini par payer tout ça », conclut l’Espagnol.

ADN et style espagnols

C’est la deuxième fois déjà qu’il sent qu’il doit quitter Eupen pour se refaire une santé et une motivation. Il avait été écarté en novembre 2017 et remplacé par Claude Makélélé, faute de résultats, à un moment où l’équipe était tout en fond de classement. À l’époque, la direction lui avait proposé de rester dans une fonction hybride: adjoint du directeur sportif Josep Colomer et superviseur des Espoirs. Il avait refusé, avec cette justification: « On ne misait plus sur moi, la motivation n’aurait pas été là. C’était aussi une question de fierté. Il était temps de prendre une direction différente. »

Jordi Condom a les mêmes objectifs qu’Emilio Ferrera il y a un an, mais un étage plus haut: une saison tranquille devant déboucher sur le maintien. « Tout ce qui viendrait en plus serait du bonus. » Et il va continuer à travailler selon ses méthodes: « J’ai un ADN qui est le style espagnol et j’aime améliorer des jeunes joueurs. » Sa mission à Seraing aura des points communs avec ce qu’il a fait à Eupen. À nouveau, il va devoir travailler avec des jeunes formés ailleurs et qui sont chez nous pour vraiment commencer leur parcours pro. Il a fait ça au Kehrweg avec des joueurs venus de l’Académie Aspire, il doit maintenant le faire avec des gars arrivés de Metz notamment. Des footballeurs sans expérience du haut niveau, pas habitués à disputer des matches à enjeu, pas rodés aux stades garnis et aux obligations médiatiques. Tous des aspects du professionnalisme que Condom doit leur faire découvrir.

On en revient à la longue interview qu’il nous avait accordée quand il entraînait les Pandas. Il disait notamment ceci: « Il faut se rendre compte qu’à la différence des autres jeunes, qui viennent d’académies affiliées directement à un club, nos joueurs n’ont jamais disputé une compétition. Ils ne sont pas passés par les U17, U19, U21 où on joue chaque semaine pour des points. Chez nous, Lazare, Ocansey ou Onyekuru, ils n’avaient jamais joué de championnat. Seulement des tournois, parfois espacés d’un mois. Les trois points, gagner un championnat, monter ou descendre, ils ne connaissaient pas. Ils n’avaient jamais joué devant des supporters. Ni devant la presse, qui valorise tes matches avec des points. Il n’avait jamais été question de perdre ton poste de titulaire si tu ne prestais pas, ou de jouer avec des gars dont c’est le métier depuis des années. Nos jeunes commettent des erreurs, qui sont les erreurs de joueurs qui manquent d’expérience. »

Jordi Condom:
Jordi Condom: « Je suis un enfant du Barça. »© BELGAIMAGE

Avec Eupen, 177 buts marqués en 103 matches

Faire progresser ces jeunes, les lancer dans le grand bain, ça a toujours été son truc. Il cherche à faire tout ça en soignant les résultats, mais aussi le spectacle. Plusieurs fois, il a déclaré qu’il préférait gagner 4-3 que 1-0. C’est exactement la philosophie que le duo Emilio Ferrera -Marc Grosjean a prônée en première partie de saison passée à Seraing. Ils savaient que leur équipe avait peu de chances de ne pas encaisser, alors elle mettait le paquet pour marquer au moins un but en plus que l’adversaire. Ça nous a valu, pendant plusieurs semaines, des scores improbables. Et des victoires avec un homme qui n’arrêtait pas de se mettre en évidence: Georges Mikautadze. Le prototype du joueur qui n’en avait pas encore touché une chez les pros, mais qui a su profiter d’une seule saison dans notre D1B pour exploser et être logiquement rappelé par son club, le FC Metz.

Après cette première partie de championnat avec des buts qui tombaient à la pelle, Emilio Ferrera a resserré les boulons derrière et Seraing a continué à beaucoup gagner, mais sur des scores plus classiques. Comme lui, Condom n’est pas aveugle ou idiot, il aime le beau jeu, mais apprécie encore plus des résultats. En 2017, dans L’Avenir, dans la foulée de son limogeage, il se réjouissait de son oeuvre à Eupen: « On a fait des bons résultats, on a amené un vent de fraîcheur et une nouvelle mentalité dans le football belge. De mon côté, je me suis très bien adapté à la Belgique. La Pro League, ça m’a captivé, même si ça m’a donné quelques cheveux blancs. » Son bilan chiffré avec ce club parle en tout cas pour lui. Quarante victoires en 103 matches pour une moyenne de 1,41 point par rencontre. Et surtout, dans ces 103 matches, Eupen a marqué 177 buts (et en a encaissé 174). Un goal-average positif donc pour un Petit Poucet de notre foot, et une plume au chapeau du Catalan. « On n’a pas souvent gardé le zéro derrière, mais on a beaucoup marqué », rappelle-t-il pour solidifier son bilan aux yeux des sceptiques.

« Si tu n’as pas de centimètres, tu n’as pas de centimètres… »

Question suivante: dispose-t-il des joueurs indispensables pour que Seraing vive une saison tranquille tout en soignant régulièrement le spectacle? Il y a un départ qui fera d’office mal. Georges Mikautadze a facturé 22 buts et deux assists en 24 matches la saison dernière, sans oublier un apport XXL dans les matches pour la montée contre Waasland-Beveren. Il est donc rentré en Lorraine. Seraing perd aussi Iebe Swers, un défenseur qui a énormément joué et fait partie de l’équipe type de D1B. En plus de Danijel Milicevic et Olivier Werner, pour ainsi dire les deux seuls joueurs avec un vrai vécu chez les pros et qui arrêtent. On ne peut donc pas parler de saignée dans l’équipe de la saison passée. « Quand je lis que beaucoup de joueurs importants sont partis, je ne suis pas d’accord », nous dit Emilio Ferrera. Et il revient sur le départ du Franco-Marocain Brahim Sabaouni, qui a disputé 22 matches. « Ils n’ont pas voulu le prolonger parce qu’ils ne croient pas en lui, pour moi c’est incompréhensible. »

« Une idée de jeu, ça dépend toujours des joueurs que tu as dans ton groupe », nous dit Jordi Condom. Il aime évoquer son passé à La Masia, la philosophie du Barça, rappeler que s’il le pouvait, il ferait jouer son équipe de cette façon, mais qu’il n’a pas nécessairement les armes pour le faire. Il s’adapte. Par exemple, à Eupen, il ne misait pas du tout sur le jeu en hauteur. « Je peux demander à mes joueurs de disputer des ballons en hauteur, mais je sais que ça ne donnera rien. Donc, on essaie de jouer le plus au sol possible, c’est une question de logique. Dans le jeu, la taille n’est pas un critère si important, ça n’influence pas tellement notre jeu parce qu’on tente d’avoir la possession le plus loin possible de notre but. Mais sur les phases arrêtées, ça nous pose un problème. On tente d’être inventifs, d’améliorer ça, mais au final, c’est difficile parce que si tu n’as pas de centimètres, tu n’as pas de centimètres. » Il conclut cet entretien technico-tactique par un imparable: « Nous, on est bons avec le ballon. »

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