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Jonathan Legear sans langue de bois: « J’ai été hué à Anderlecht, au Standard et à peu près partout en Belgique, ça fait partie du jeu »

Tout fraîchement débarqué à Visé, Jonathan Legear achèvera sa carrière dans l’ombre de la D1 Amateurs. Un choix moins surprenant qu’il n’y paraît pour un joueur qui avait fini par se lasser du football professionnel.

Cela ressemble à une interview bilan. À un dernier état des lieux d’un bail cédé trop tôt. À 32 ans, Jonathan Legear aurait pu s’accrocher à un dernier gros contrat rémunérateur en Turquie ou tenter une dernière pige en D1A chez nous, mais a préféré le cocon visétois aux rêves d’un dernier sursaut. Une décision en forme de conclusion d’une carrière sans vrai fil conducteur. Décrié, moqué, brocardé par certains, l’homme n’est pas aigri. Simplement heureux de refermer petit à petit un chapitre agité pour en ouvrir un autre. Qu’il promet plus apaisé. Forcément.

Jonathan, qu’est-ce qui vous a poussé cet hiver à dire adieu au professionnalisme en quittant la Turquie pour Visé ?

JONATHAN LEGEAR : Attention, j’ai beau jouer en D1 Amateurs, je suis toujours professionnel. On est quinze dans ce cas à Visé. Et l’envie du club est de faire grandir ce chiffre dès la saison prochaine. Mais la raison pour laquelle j’ai privilégié Visé à d’autres clubs, peut-être plus cotés, c’est parce que j’avais deux priorités : profiter un maximum de ma famille et ne plus passer mes journées sur la route. Qu’on soit clair, j’avais encore l’envie d’évoluer en D1A, mais à quel prix ? Entre un contrat de six mois à Courtrai, Beveren ou Ostende, avec les trois heures de route quotidiennes qui vont avec, et Visé, j’ai vite fait mon choix. Sinon, Saint-Trond me tentait bien, mais je n’ai pas eu de retour. Donc, j’ai signé à Visé. Ce n’est peut-être pas le meilleur choix sportif, mais le plus raisonné. Celui qui me permet de déjà me projeter dans mon après-carrière, que ce soit en tant que directeur sportif ou manager. Ici, j’ai envie de me donner le temps d’apprendre. Et à court terme, de reprendre du plaisir sur le terrain.

Entre un contrat de six mois à Courtrai, Beveren ou Ostende, avec les trois heures de route quotidiennes qui vont avec, et Visé, j’ai vite fait mon choix.  »

 » En Turquie, quand tu n’es pas repris, tu n’existes plus  »

Quel bilan tirez-vous de votre dernière aventure à l’étranger, à Adana Demirspor, en D2 turque ?

LEGEAR : J’étais bien en Turquie. J’ai fait une bonne préparation, j’ai joué tous les matches amicaux de pré-saison, j’ai même porté le brassard à deux reprises. Je pensais que j’étais parti pour faire une grosse saison. Et puis, le premier match de championnat arrive et je ne suis pas repris. Le deuxième, je suis dans le groupe, mais je ne rentre pas. Et ainsi de suite. Et le problème là-bas, c’est que quand tu n’es pas repris, tu n’existes plus. Il n’y a aucun suivi individualisé. À Adana, j’étais au coeur du football business. Avec, à chaque mercato, des arrivées massives de joueurs. Le tout sans aucune vision globale. J’en suis une preuve vivante. À un moment donné, on s’est retrouvé à douze étrangers, sachant que le règlement n’autorise qu’à en inscrire six sur la feuille de match. Cela n’avait pas de sens, mais c’est inhérent au football turc. Il faut s’imaginer qu’Adana, c’est un club qui fonctionne sans directeur sportif. Les gens qui font les transferts ne connaissent pas le football. Ils pensent juste au business. Et moi, ce football-là, je crois qu’aujourd’hui, j’en ai fait le tour.

Jonathan Legear sans langue de bois:
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Comment vous retrouvez-vous à signer là-bas du coup ?

LEGEAR : L’offre était intéressante. On me proposait quand même de gagner deux à trois fois mieux va vie qu’à Saint-Trond. Et puis, il s’agissait aussi d’un contrat FIFA de deux ans et demi. Le projet était sympa aussi. Et en soi, je rejoignais la cinquième plus grosse ville de Turquie. Humainement, je n’ai d’ailleurs pas été déçu, c’est une des plus belles expériences que j’ai vécues. Et puis, j’avais pris mes renseignements. Je savais que le président Murat Sancak, un proche d’Erdogan, était un gars sérieux. Qu’il n’y aurait donc pas d’embrouille. Que le club payerait à temps et qu’il y avait une vraie volonté de rejoindre la D1 à court terme. Ce que je ne savais pas, on y revient, c’est que le club transférait à tour de bras, sans vraiment cibler les joueurs achetés. Mais clairement, un club pareil, avec les moyens qui sont les leurs, si demain ils ont quelqu’un qui arrive avec une politique sportive, ça peut grandir très vite.

J’ai été hué à Anderlecht, au Standard et à peu près partout ailleurs en Belgique. Ça fait partie du jeu.

 » En Tchétchénie, on se serait cru à Liège dans les années 1940  »

En Belgique, la rumeur court selon laquelle, c’est Marc Brys qui vous aurait quelque peu dégoûté du milieu du football professionnel. Est-elle fondée ?

LEGEAR : Ce n’est pas lui tout seul le problème, mais c’est vrai qu’à Saint-Trond, j’avais l’impression d’avoir trouvé la bonne formule avec Jonas De Roeck, un ancien joueur qui avait compris qu’avec mes antécédents, il fallait me concocter un programme adapté. On travaillait aussi en bonne entente avec Eddy Rob, aujourd’hui préparateur physique à Bruges. C’est ce qui m’a permis d’enchaîner trente matches sans grosse blessure cette saison-là ( en 2017-2018, ndlr). C’est vrai que l’arrivée de Marc Brys a changé la donne. Lui, c’est un ancien policier. Un super coach, tactiquement super pointilleux, et un vrai bouloteur, mais sa méthode d’entraînement ne me convenait pas. Et puis, la vérité, c’est que l’offre de l’Antwerp est arrivée au même moment. Böloni me voulait, Luciano D’Onofrio me voulait, le club me voulait, mais Saint-Trond était trop gourmand. Et moi, dans le même temps, je me faisais réveiller à trois heures du matin pour aller courir en stage avec Brys. J’ai eu du mal à accepter que le transfert ne se fasse pas et à partir de là, les relations se sont refroidies. Je l’avoue, j’étais frustré et je n’ai peut-être pas toujours été très courtois avec le club. Je voulais forcer mon départ. Et finalement, le club a accepté de me laisser partir gratuitement en Turquie six mois plus tard.

Le grand classique dans les divisions inférieures, c’est de se payer les anciens pros qui débarquent en fin de carrière en pensant qu’ils vont se balader. Vous n’avez pas peur de prendre des coups en D1 Amateur s?

LEGEAR : J’ai l’habitude d’être le pestiféré donc ça va, je suis rompu à l’exercice ( rires). J’ai été hué à Anderlecht, au Standard et à peu près partout ailleurs en Belgique. Ça fait partie du jeu. Évidemment, en D1 Amateurs, ça joue un peu moins au football, c’est un peu plus agressif. C’est à moi de faire en sorte d’être un peu plus malin que les autres pour éviter les duels.

Dans le passé, on vous souvent reproché certains choix de carrière. Principalement celui de rejoindre le Terek Grozny en 2011 à l’époque où vous marchiez sur l’eau à Anderlecht et en équipe nationale. Ce qu’on sait moins, c’est que votre compagne finissait alors ses études de traduction russe-anglais. Ça a pu jouer dans votre décision de rejoindre la Russie ?

LEGEAR : Honnêtement, non. Mais oui, ma compagne suivait alors ses études d’interprète. C’était un avantage pour nous qu’elle parle la langue. Mais cela ne faisait pas l’objet d’un compromis familial. Ma femme m’aurait suivi, peu importe où j’aurais signé. Un an plus tôt, Anderlecht avait reçu une offre du Dinamo Moscou. Tout le monde en Belgique me disait de ne pas y aller. Que j’allais foutre ma carrière en l’air. Mais ma femme et moi-même étions au contraire très enthousiastes à l’idée d’aller vivre à Moscou. On a même été visiter la ville. On était sous le charme, mais j’ai fini par céder devant l’insistance de certains qui me disaient de ne pas y aller. Un an plus tard, pourtant, je signais en Tchétchénie, à Grozny. Je vivais à Kislovodsk. Un village paumé au milieu de nulle part. On se serait cru à Liège dans les années ’40. Là, je peux vous dire que j’ai regretté d’avoir écouté certaines personnes un an plus tôt. Le jour même où je suis arrivé là-bas, je voulais rentrer à Anderlecht. Pourtant, tout le monde dans l’entourage du club était vraiment top, mais au niveau de la qualité de vie, c’était difficile. Je vivais à Bruxelles, on venait d’inaugurer Neerpede, je venais d’être meilleur buteur d’Europa League, j’étais Diable rouge. Et d’un coup, je me retrouvais là-bas. Sans repère. Sans rien. J’ai souffert.

 » On a critiqué mon hygiène de vie, mais je n’étais pourtant pas pire que les autres « , affirme Jonathan Legear.© BELGAIMAGE – CHRISOPHE KETELS

 » Moyes voulait que je signe à Everton  »

Deux mois plus tôt, vous disputez sans doute le meilleur match de votre carrière contre l’Autriche. Le fameux 4-4 où Leekens vous aligne à la place d’Eden Hazard. C’est le climax de votre carrière ça ?

LEGEAR : Oui clairement. Le soir même, dans la foulée du match, j’avais eu la visite de David Moyes à l’hôtel. Il voulait que je signe à Everton. Malheureusement pour moi, quelques jours plus tard, je me blesse et je loupe les deux mois et demi suivants. Et à l’hiver, au moment de monnayer mon transfert, Anderlecht voulait cinq millions d’euros. Trop pour Everton. Le seul club disposé à s’aligner, c’était le Terek.

Vous avez toujours été fragile musculairement. Ce qui a parfois freiné quelques candidats acquéreurs. La faute à quoi ?

LEGEAR : On a critiqué mon hygiène de vie, mais je n’étais pourtant pas pire que les autres. On a dit que si j’étais blessé, c’est parce que je n’étais pas professionnel. Rien n’est plus faux. Par contre, comme 80% des footballeurs de mon âge, je profitais de la vie. C’est vrai, peut-être que si je n’étais sorti qu’une fois par semaine au lieu de trois à une certaine époque, j’aurais évité certaines blessures. Le problème, c’est que mon corps encaissait moins bien que d’autres. Et puis, les vraies questions : que se serait-il passé si je n’avais pas dû attendre mes 25 ans pour jouer avec des semelles adéquates ? Si on avait vu plus tôt que mes nombreuses déchirures musculaires s’expliquaient par un taux anormal d’acidité dans les muscles ? Que j’avais des problèmes de dos parce que mes vertèbres se tassaient ?

Que se serait-il passé si je n’avais pas dû attendre mes 25 ans pour jouer avec des semelles adéquates ?  » Jonathan Legear

Vous n’êtes jamais vraiment revenu sur les raisons de cet accident de la route du 7 octobre 2012. On imagine pourtant aisément qu’il y a du avoir un avant et un après ?

LEGEAR : Ça a été une prise de conscience. Pour ma famille, pour mes proches, je me suis juré de changer. Je ne vis pas avec le passé, mais je n’oublie pas. J’ai fait du mal aux miens ce jour-là. Dans l’ensemble, j’espère avoir fait plus de bonnes choses que de mauvaises choses dans ma vie, mais je n’oublie pas cet épisode-là. Je l’assumerai toujours. Parce que bien sûr que ça m’a marqué en tant qu’homme. Bien sûr que ma vie a changé après cela. Dans mes choix de tous les jours par exemple. La mauvaise image que me colle le grand public me poursuit. Je pense être quelqu’un de fort, mais quand je suis en famille le week-end, je privilégie d’aller à Maastricht, à Aix-la-Chapelle, à Dusseldorf. Là-bas, je suis tranquille, on ne me dévisage pas.

 » J’ai vécu mes plus belles années au Standard  »

Le jeune Antoine Colassin a inscrit son premier but pour Anderlecht lors de sa première titularisation en D1 contre Bruges le 19 janvier dernier. Vous êtes, depuis l’an 2000, avec Francis Amuzu, l’un des deux seuls Anderlechtois à avoir réussi pareil exploit. Qu’est-ce que le gamin de 17 ans qui marque son premier but avec les mauves le 11 septembre 2004 contre Ostende avait dans la tête ?

JONATHAN LEGEAR : Je sortais de l’innocence. Entre 1997 et 2002, au Standard, j’ai vécu mes plus belles années. Le foot business commençait déjà pour nous, mais on ne s’en rendait pas compte. On se vantait de jouer dans les plus gros clubs, mais c’était bon enfant. Cette période pour moi, c’était les trajets en car avec les copains, les matches du dimanche. L’innocence en plein. Avec Kevin Mirallas, Sébastien Pocognoli, Jordan Remacle, Réginal Goreux. C’était une belle période. Puis arrive ce transfert à Anderlecht. Un changement de vie pour moi. D’autant que je venais de me mettre en couple avec ma compagne. Du jour au lendemain, on ne se voyait plus qu’une fois par semaine. Ça a été dur pour mes proches dans l’ensemble. Ce but contre Ostende, ça a donc été une récompense pour toute ma famille. Pour leur sacrifice. Quelques années avant, mon père, qui avait plus de trente ans, avait passé son permis de conduire uniquement pour pouvoir me conduire au Standard quatre fois par semaine. Quand j’ai signé à Anderlecht à seize ans, mon père a fait 150.000 kilomètres sur un an et demi de temps. Il était monteur en charpente, ma mère responsable d’un café. Forcément, quand on vient d’un milieu ouvrier, une carrière comme la mienne bouscule un peu le schéma familial. Le fait de réussir, c’était important.

En 2004, à l’époque où vous débarquez en équipe première à Anderlecht, il y a des personnalités comme Zitka, Zetterberg, Vanderhaeghe, Kompany, Doll ou Jestrovic. Avoir autant de fortes têtes à gérer dans un vestiaire, ça ne doit pas être évident pour un jeune qui débute…

LEGEAR : Je n’osais pas rater une passe à l’entraînement ! C’était terrible, on n’avait pas le droit à l’erreur. Les rares jeunes qui recevaient leur chance débarquaient sur la pointe des pieds. On osait à peine se faire remarquer. Et quand on ratait un contrôle, on se faisait gueuler dessus par Zetterberg. Lui, c’était le pire ( rires). C’est sans doute l’image du joueur le plus sévère sur le terrain que j’ai connu. Il ne pardonnait rien, aucun déchet.

Dans le vestiaire de l’époque, il y avait un autre petit jeune de votre âge en la personne d’Anthony Vanden Borre. Quinze ans plus tard, que pensez-vous de son retour à Anderlecht ?

LEGEAR : Je crois qu’il peut se réimposer. J’ai été à peu près dans le même cas que lui à une époque. Moi aussi, j’ai eu des périodes où je ne jouais plus. Du temps de l’Olympiacos, de Malines, de Blackpool. J’étais toujours sous contrat quelque part, mais on m’empêchait de m’entraîner. On m’a fait miroiter des choses et au final, je me suis retrouvé pendant près d’un an sans m’entraîner collectivement. J’aurais pu sombrer, mais tous les jours, j’allais courir dans mon coin. Je me tenais prêt au cas où. Et ça a porté ses fruits. C’est pareil pour Anthony.

Jonathan Legear sans langue de bois:
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 » Suárez à tout jamais le meilleur !  »

Votre meilleur coéquipier ?

JONATHAN LEGEAR : Matias Suárez sur le terrain. Il avait une classe folle, ça reste de loin le meilleur joueur avec qui j’ai eu la chance de jouer. En dehors du terrain, j’ai toujours eu d’excellents rapports avec Guillaume Gillet ou Jorge Teixeira. Avec Silvio Proto aussi.

Le meilleur entraîneur ?

LEGEAR : Franky Vercauteren.

Le match le plus abouti ?

LEGEAR : Il y en a quelques-uns ( rires). Celui à Amsterdam contre l’Ajax en Europa League ( 1-3, le 17 septembre 2009, ndlr) ou celui contre Bilbao quelques semaines plus tard (4 -0, le 25 février 2010, ndlr). Il y a les test-matches contre le Standard aussi en mai 2009, même si l’issue sera moins heureuse (1 -1-, 0-1, ndlr). Mais si je dois faire un choix, je dirais quand même le 4-4 contre l’Autriche ( le 12 octobre 2010 en qualification pour l’EURO 2012, ndlr).

Votre plus beau but ?

LEGEAR : Le missile contre Bilbao, juste devant mon coup franc des 30 mètres contre Hambourg.

Le moins bon match ?

LEGEAR : Au Lierse je crois. Un piteux match nul avec Anderlecht. Ce jour-là, même mes amis me chambraient. Ils me disaient que j’avais le niveau de la troisième provinciale.

Le pire coéquipier ?

LEGEAR : Footballistiquement, il y en a eu quelques-uns dont je me demandais ce qu’ils faisaient là. Mais je n’ai pas envie de citer de nom… Bon, ou alors quelqu’un qui ne lira de toute façon jamais cet interview. Prenons, le petit arrière gauche qui jouait à Anderlecht. Un Brésilien. Triguinho voilà !

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