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Jeu rugueux et fish and chips: le foot anglais vu par les Britanniques d’Ostende

Le week-end prochain, les stars de Premier League débarquent à Louvain pour y affronter les Diables rouges. Mais à quoi ressemble le foot british dans les divisions inférieures. On en parle avec l’Anglais Toby Sibbick, le Nord-Irlandais Cameron McGeehan et l’Écossais Jack Hendry.

Londres n’est qu’à trois heures de voiture et Glasgow à une heure d’avion, mais Toby Sibbick (21 ans), Cameron McGeehan (25 ans) et Jack Hendry (25 ans) n’ont pas encore eu le temps de rentrer chez eux. Le coronavirus et la quarantaine obligatoire compliquent les voyages. Sibbick, l’arrière droit, attend toujours ses premières minutes de jeu en Jupiler Pro League. Les deux autres ont déjà eu l’occasion de se montrer et de marquer. Leur point commun? Ils ont tous les trois évolué dans les divisions inférieures du football britannique, loin du faste de la Premier League. Ça ressemble à quoi, au fait?

CAMERON MCGEEHAN: C’est la même chose que pour les jeunes Belges: il est très difficile de percer dans un grand club. C’est pourquoi Norwich City m’a prêté à Luton Town, qui évoluait alors en Conference League, le cinquième échelon. J’y ai été transféré définitivement lorsque nous sommes montés. C’était abrupt. D’une semaine à l’autre, je suis passé du confort des équipes d’âge à un football d’hommes: des longs ballons, des duels, du physique. Les gars se demandaient comment ils allaient rembourser l’emprunt de leur maison. J’ai été confronté à la réalité de la vie, mais ça m’a endurci. J’y ai rencontré de bons joueurs aussi, des gars qui avaient joué plus haut, mais qui étaient redescendus de quelques échelons pour l’une ou l’autre raison. Nous jouions parfois devant 10.000 personnes. Il faut dire que Luton, puis Portsmouth, étaient des clubs traditionnels, avec un noyau dur de supporters. Dans les moments difficiles, ça aide.

Je suis un défenseur et à Wimbledon, l’entraîneur préférait systématiquement aligner des joueurs plus âgés, même si les jeunes me semblaient meilleurs. »

Toby Sibbick

JACK HENDRY: Quand Wigan Athletic est venu me chercher à Partick Thistle, en Écosse, j’ai constaté que c’était plus dur chez les seniors. J’aurais pu aller en U23 à Everton, mais j’ai préféré une place en équipe première à Wigan. Je me suis un peu surestimé, car physiquement, je n’étais pas prêt. Mais je ne pouvais pas le savoir. J’espérais jouer en Premier League. En Écosse, il n’y a que deux grands clubs: le Celtic et les Rangers. Ils ne s’intéressaient pas à moi. Wigan m’a observé et m’a prêté à Shrewsbury Town, puis à Milton Keynes Dons. Une bonne école pour un défenseur central, car j’affrontais des armoires à glace.

Toby Sibbick
Toby Sibbick© NICK DECOMBEL

 » La clef du succès, c’est de rester fort mentalement  »

Comment réagit-on lorsqu’on apprend qu’on va être prêté?

HENDRY : Si on est fort mentalement, on se dit que c’est l’occasion d’acquérir de l’expérience et de progresser. On ne doit pas perdre confiance en soi. Certains coaches ne vous apprécient pas, d’autres bien. C’est ceux-là qu’il faut chercher. J’ai joué de grands matches avec le Celtic par la suite, mais les plus difficiles, c’était en League One (D3). Parce que j’avais encore beaucoup à apprendre. À ce niveau, beaucoup d’équipes balancent des longs ballons en espérant remporter le deuxième duel. À Wigan, j’étais encore jeune et pas assez costaud, j’étais systématiquement battu. C’était dur, mais ça m’a aidé.

Plus on joue haut, plus on joue au football, plus on a le ballon, plus on construit.  »

Cameron McGeehan

Un défenseur peut donc y apprendre beaucoup de choses. Mais que peut faire un médian quand tous les ballons passent au-dessus de sa tête?

MCGEEHAN : Je suis aussi parfois tombé sur des équipes qui jouaient au sol. Comme dit Jack, c’est surtout une question de mentalité. Il faut rester serein. J’ai effectivement l’impression que, plus on joue haut, plus on joue au football, plus on a le ballon, plus on construit.

HENDRY: Pour un défenseur, le problème, c’est l’âge, même à ce niveau. Tu nages ou tu coules et le train ne passe pas 36 fois. Les clubs de Championship ou de League One préfèrent les défenseurs expérimentés. Dans l’entrejeu, ils opteront plus facilement pour un jeune, car ils savent qu’il y a une défense derrière lui. Mais quand un jeune défenseur commet une erreur, on remet tout ça sur le compte de son âge. La clef du succès, c’est de rester fort mentalement.

MCGEEHAN : Ne vous y trompez pas: la pression est énorme. Dans un bon club, on ne joue pas. Alors, on est prêté à un plus petit club. On pense qu’on va jouer, mais quid si on échoue? Pour quelque raison que ce soit: l’âge, la concurrence, les choix de l’entraîneur… Alors, les gens disent que, même à ce niveau, on ne joue pas. Faut-il encore descendre d’un échelon? C’est beaucoup de pression sur les épaules d’un jeune.

HENDRY : Andy Townsend, qui a pris part à deux Coupes du monde avec l’Irlande et a joué pendant des années au plus haut niveau, a dit un jour que les matches les plus difficiles de sa carrière étaient ceux dans les divisions inférieures. À cause de l’engagement physique et du ballon qui partait dans tous les sens. Plus on joue haut, plus il y a de structure. Plus on descend, plus ça se rentre dedans. Mais ça aide à progresser.

D’accord, Toby?

TOBY SIBBICK: Oui. Ma carrière a épousé une courbe bizarre jusqu’ici puisque, jusqu’à l’âge de seize ans, je n’avais jamais fait partie d’un véritable centre de formation. J’avais souvent été testé, mais jamais repris. Puis Wimbledon est arrivé, et un an plus tard, je débutais en équipe première. C’était plus dur dans les divisions inférieures. Je suis un défenseur et l’entraîneur préférait systématiquement aligner des joueurs plus âgés, même si les jeunes me semblaient meilleurs. Finalement, je suis quand même arrivé en équipe première et j’ai joué tous les matches de fin janvier à juin. C’est ainsi que j’ai été repéré par Barnsley. J’y ai entamé la saison en Championship, puis j’ai été écarté et prêté à Hearts, en Écosse, où je suis tombé malade, après quelques semaines. Puis il y a eu la pandémie… Et me voici… Je suis un peu le vilain petit canard du football, dans le sens où j’ai joué quelques séries de matches, mais jamais une saison complète. Je n’ai donc pas encore le rythme.

Cameron McGeehan
Cameron McGeehan© NICK DECOMBEL

 » En Angleterre, nous avons beaucoup de possibilités de reclassement  »

Ici, les jeunes joueurs prêtés reviennent rarement.

MCGEEHAN : C’est vrai? En Angleterre, c’est différent. Un joueur qui n’est pas en équipe première à 18 ans demande à être prêté. Personne ne veut jouer en réserves, c’est une bulle dont on veut sortir.

HENDRY : Est-ce que ce n’est pas dû au fait qu’en Belgique, la base de la pyramide est étroite? Il n’y a que deux divisions professionnelles. En Angleterre, nous avons beaucoup de possibilités de reclassement.

Avant, il arrivait même qu’en Angleterre, on prête des joueurs pour un mois.

MCGEEHAN : Ce n’est plus permis.

Les stades de League One et de League Two ont l’air pas mal.

MCGEEHAN : ( il acquiesce) C’est vrai: le Stadium of Light de Sunderland, Fratton Park à Portsmouth, c’est top. Même des clubs dont on entend à peine parler ont des stades très corrects, pouvant accueillir 10.000 personnes. Mais il y a aussi Accrington, il faut voir ça!

HENDRY : Peu de pays ont une infrastructure comparable à la nôtre. Sauf l’Allemagne, peut-être.

MCGEEHAN : Le plus cool, à ce niveau, c’est l’ambiance. De petits stades bien garnis, des fans très proches du terrain et passionnés.

Ça se voit dans le documentaire sur Sunderland, où on joue jusqu’à la mort.

( En choeur) Oui, fantastique. C’est vraiment ça qu’on veut dire.

Comment se passent les déplacements?

SIBBICK : Wimbledon, mon ancien club, est géré par les fans. Ils ne veulent pas le vendre. C’est un club qui a une grande histoire, mais peu d’argent. Nous nous déplacions souvent en car. Quand c’était loin, nous partions la veille et nous logions à l’hôtel, puis nous revenions en pleine nuit.

MCGEEHAN : Lorsque j’étais à Portsmouth, nous nous déplacions souvent en train, et quand c’était très loin, nous prenions l’avion. Mais c’était parfois long. On se disait:  » un mardi soir à Carlisle…  » ( il soupire) Cinq heures de bus! C’était un beau déplacement.

HENDRY : Dans le nord, on se disait:  » Plymouth away!  » Ça aussi, c’en était un beau!

MCGEEHAN : Grimsby away! Avec des fish and chips dans le car au retour.

HENDRY : Ah oui, nous aussi, en rentrant de Southend!

MCGEEHAN : Ici, à ce niveau, c’est plus sain.

Et en Écosse? Nous sommes un jour allé voir Peterhead – Rangers. Une belle expérience.

HENDRY : ( surpris) Vraiment, vous avez aimé? Ça pue le poisson, là-bas, non? En Écosse, les distances ne sont pas trop importantes, sauf si on va à Aberdeen ou à Ross County. Il y a moins de variétés. On affronte la même équipe quatre fois par an, parfois cinq, si on joue aussi en Coupe. On a des points de repère, mais c’est répétitif.

 » En Angleterre, un joueur de Championship peut mettre beaucoup d’argent de côté  »

Quels sont les salaires dans les divisions inférieures? Les joueurs sont-ils vraiment pros ou doivent-ils avoir un job d’appoint?

SIBBICK : Ce n’est pas mal du tout. Les jeunes ne sont pas très bien payés, mais les plus âgés gagnent bien leur vie. Même en Conference. On parle de 2.000 livres (2.200 euros, ndlr) par semaine.

HENDRY : Wigan venait de descendre et avait reçu des parachute payments ( une indemnité pour amenuiser les effets de la relégation, ndlr). Certains joueurs gagnaient plusieurs dizaines de milliers de livres par semaine. C’était beaucoup d’argent à ce niveau. Dans les divisions inférieures, il y a ce qu’on appelle des géants endormis, qui payent très bien. Sunderland, Ipswich… Maintenant, on a introduit un plafond salarial, mais je ne sais pas très bien comment ça fonctionne.

Les divisions inférieures anglaises, c’est une bonne école pour un défenseur central, car j’affrontais des armoires à glace.  »

Jack Hendry

MCGEEHAN : En Conference, on peut gagner un bon millier de livres (1.100 euros, ndlr) par semaine. Brut. En League Two, entre 1.600 et 2.200 euros par semaine. En League One, de 2.200 à 5.500 euros par semaine. Mais il y a des exceptions. Proportionnellement aux salaires de Premier League, ce n’est rien du tout, mais si on compare avec les salaires du commun des mortels, c’est beaucoup d’argent.

HENDRY : Celui qui peut faire carrière en Championship peut mettre beaucoup d’argent de côté. Peut-être plus que celui qui jouerait en D1 dans un autre pays.

C’est pour ça que les joueurs ne quittent pas facilement l’Angleterre?

MCGEEHAN : Mais est-ce qu’on pense à eux? Moi, j’ai toujours voulu partir, mais je pense que peu de jeunes Anglais reçoivent leur chance. Si Barnsley n’avait pas racheté Ostende, je ne crois pas qu’on aurait pensé à moi.

Peut-être les clubs belges pensent-ils que vous êtes trop chers?

MCGEEHAN : C’est peut-être une partie de l’explication. Mais je crois que c’est aussi une question d’opportunités. Je pense que beaucoup de jeunes Anglais aimeraient jouer en Belgique. Ce n’est pas si loin.

HENDRY : Je pense qu’en quittant la Belgique, j’aurai évolué comme joueur et comme homme. C’est un autre pays, un football qui me convient. Ça peut m’ouvrir des portes. En Angleterre, j’étais comme dans une bulle. Et en tant qu’Écossais, j’étais peu respecté.

SIBBICK : J’ai eu des propositions en Angleterre, mais on n’a pas tous les jours la chance de rencontrer des équipes qui évoluent en Ligue des Champions ou en Europa League. Jadon Sancho nous a montré la voie, il a prouvé qu’on pouvait faire carrière dans un autre pays.

 » Au Celtic, j’ai joué dans l’axe avec Boyata, mais j’avais besoin d’air  »

Mais ici aussi, vous devez vous battre pour votre place.

SIBBICK : On n’est jamais sûr de rien. Même quand on vient d’Angleterre.

HENDRY : C’est pareil partout. Dans la vie aussi. Il faut se battre pour y arriver.

Quitte à se retrouver à Melbourne, comme vous la saison dernière?

HENDRY : Je jouais au Celtic et la pression était énorme: il fallait gagner tous les matches, je ne pouvais plus sortir en rue sans être accosté. J’ai fait un grand pas en arrière en allant jouer à l’autre bout du monde, mais j’avais besoin de calme, de me vider la tête, de me concentrer uniquement sur le football. Au Celtic, j’ai joué dans l’axe avec Boyata. C’était bien, mais pas tout le temps. J’avais besoin d’air. Malheureusement, je me suis très vite blessé au genou, puis il y a eu la pandémie et tout s’est arrêté. Je n’ai donc pas découvert le pays comme je l’aurais voulu, mais ce fut une belle expérience. Comme celle-ci.

MCGEEHAN : J’aime bien votre football. Le jeu est plus structuré qu’en Angleterre. Dommage que les stades soient vides, ça retire une partie du plaisir. J’ai entendu dire beaucoup de bien du Standard et son stade est superbe, avec des fans très proches du terrain. Malheureusement, ils n’étaient pas là.

HENDRY : Avec le coronavirus, c’est bizarre, car quand on est à l’étranger, on aimerait profiter de chaque moment.

MCGEEHAN : L’avantage, c’est qu’on n’a pas le mal du pays. Car là non plus, il ne se passe rien.

Jack Hendry
Jack Hendry© NICK DECOMBEL

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