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« J’aime rêver mais je reste réaliste »

Laszlo Bölöni devra-t-il lutter contre la relégation avec l’Antwerp, ou pourra-t-il placer la barre plus haut?

« Les gars, il nous manque deux ballons. » Alors que Stallone Limbombe chante Habiba et que son coéquipier Geoffry Hairemans plaisante, les autres joueurs partent à la recherche des ballons égarés dans les fourrés qui jouxtent le centre d’entraînement de Doorwerth, aux Pays-Bas, où l’Antwerp se prépare pour la nouvelle saison.

C’était mardi, deuxième journée de stage dans ce complexe que l’Antwerp partage avec l’équipe nationale suédoise féminine. Nous étions à dix jours du coup d’envoi de la Jupiler Pro League et, dans la périphérie d’Arnhem, les néo-promus effectuaient les derniers réglages. Un entraînement physique et deux matches amicaux au programme : un à huis clos, contre le Cercle Bruges, et un autre contre Saint-Trond.

L'Antwerp a peaufiné sa préparation à Doorwerth, aux Pays-Bas. Mais avec un groupe loin d'être complet.
L’Antwerp a peaufiné sa préparation à Doorwerth, aux Pays-Bas. Mais avec un groupe loin d’être complet.© BELGAIMAGE

Ce sont les premiers adversaires d’un certain niveau que l’Antwerp affrontait au cours d’une préparation essentiellement axée sur des entraînements intensifs. Ceux-ci ont laissé des traces : on s’en est aperçu contre le Cercle, qui a entamé sa préparation au même moment que les Anversois mais est apparu beaucoup plus frais. Mais ce travail physique était indispensable, car le dernier match officiel du Great Old remonte au 11 mars, il y a près de quatre mois.

Faris Haroun, déjà présent la saison dernière : « Après la fin du championnat, nous nous sommes encore entraînés pendant un mois et demi et avons disputé quelques matches amicaux, mais ceux-ci n’ont rien de comparable avec des matches à enjeu. Il faudrait autoriser le champion de D1B à participer aux play-offs II. C’est pour compenser ce manque d’intensité que l’accent a surtout été mis sur le physique pendant la préparation. D’autant que la D1A est encore d’un niveau plus élevé que la D1B, il faudra donc être très affûté. »

Le retour de Bolat

Que pouvons-nous espérer de l’Antwerp après 13 ans passés dans l’enfer de la D2 et de la D1B ? Les attentes sont grandes, avec un dirigeant très puissant sur le plan financier (Paul Gheysens), un responsable sportif qui a déjà fait ses preuves dans le passé (Luciano D’Onofrio) et un entraîneur qui ne manque pas d’expérience (Laszlo Bölöni).

Après le match contre le Cercle, José Jeunechamps (qui était encore le T1 du Standard en mars et a désormais intégré le staff technique des Vert et Noir brugeois) n’a pas caché son admiration pour le coach roumain. « Un entraîneur de très haut niveau, mais aussi un homme qui cultive des valeurs. Un vrai professionnel. »

Le gardien Sinan Bolat a l'occasion de se relancer, à près de 29 ans.
Le gardien Sinan Bolat a l’occasion de se relancer, à près de 29 ans.© BELGAIMAGE

Sur le terrain, on aperçoit une autre vieille connaissance de Bölöni et de D’Onofrio : Sinan Bolat. Il y a dix ans, Logan Bailly et lui étaient les deux grands espoirs du RC Genk, des garçons pour qui le ciel était la limite. Cette saison, le premier défendra les buts de l’Antwerp et le second ceux de Mouscron, après des expériences à l’étranger qui ne leur ont pas apporté ce qu’ils en espéraient. Bolat évoquera peut-être plus tard les raisons de son échec à Bruges, mais pour l’instant, ce n’est pas le moment.

Bolat : « D’abord, je veux répondre avec les mains et les pieds. Depuis janvier, j’ai joué tous les matches, et je me suis entraîné durant tout l’été. Je suis arrivé en cours de préparation. Les matches amicaux doivent me permettre de retrouver le rythme. J’ai adhéré à un projet de trois ans. » Il veut surtout ne pas avoir de regrets, ajoute-t-il. Être ambitieux, c’est aussi repousser ses limites. Voir où se situe son plafond. Et donc, tenter sa chance à Porto. Il aurait peut-être dû se rendre compte plus tôt qu’il s’était engagé dans une voie de garage, mais le contrat était attractif. Un homme doit aussi songer à son avenir.

« Depuis 2013, je n’ai joué que 49 matches. C’est beaucoup trop peu, je le concède. Mais lorsque Porto vous fait une proposition, c’est difficile de refuser. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Certains ne veulent pas ou n’osent pas fixer la barre plus haut. J’ai essayé, voilà. Aujourd’hui, je suis de retour en Belgique. Sans regret. »

Des chantiers tous azimuts

L’entraînement dispensé en fin d’après-midi se révèle surtout tactique. Il est axé sur la construction depuis l’arrière, sur la reconversion offensive. Toujours au départ d’un 4-3-3. Bölöni arrête régulièrement le jeu pour apporter des corrections. Et il n’est pas avare d’explications : pourquoi procéder de cette manière, pourquoi ce choix, pourquoi se positionner à tel endroit, pourquoi ne pas utiliser le gardien ?

Après une demi-heure, Ivo Rodrigues fait son apparition sur le terrain. Bölöni le salue : « Hmmm… Belles chaussures ! » Mais le Portugais a aussi amené ses chaussures de football et effectue quelques tours de terrain, histoire de se remettre en jambes après un vol de deux heures depuis le Portugal et un long trajet en voiture pour rejoindre Arnhem. Rodrigues est le nouveau flanc gauche. En fait, il est droitier, mais comme José Izquierdo, il préfère évoluer à gauche afin de rentrer dans le jeu. Du matériel, récemment livré à Anvers, arrive également.

Dans le football moderne, il n’y a plus de place pour la sédentarisation. Haroun en a fait l’expérience. « Personne n’aime quitter un club, mais si celui-ci veut être compétitif, il se doit d’attirer des renforts. La saison dernière, nous avions une bonne équipe, mais pour jouer en D1A, il faut de la concurrence. Faire confiance à l’équipe qui a assuré la promotion ? Certaines équipes ont tenté le pari et l’ont gagné, d’autres ont apporté de nombreuses modifications et se sont également maintenues. Ou pas. C’est difficile à évaluer. »

Cette grande équipe en devenir qu’est l’Antwerp a entamé une véritable métamorphose à la mi-mai. Le stade a été modernisé, des moyens ont été investis dans l’académie de jeunes, un nouveau centre d’entraînement verra bientôt le jour. Et aussi une nouvelle équipe… Haroun : « Tout cela prend du temps, mais il faut passer par là. Dans trois ou quatre mois, lorsque les travaux seront terminés, nous pourrons nous entraîner dans les meilleures conditions. D’ici là, il faudra prendre son mal en patience. Mais je préfère m’entraîner sur un chantier et affronter Anderlecht vendredi, que me retrouver de nouveau face à une équipe de D1B. »

Encore du pain sur la planche

D’autant qu’à l’avenir, il sera de plus en plus difficile de s’extraire de la D1B. La saison dernière, le Cercle militait encore en bas de classement et a eu du mal à se sauver, mais cette saison, les Brugeois joueront probablement les premiers rôles. Un noyau large, un staff étoffé, la rigueur flamande couplée au talent et au savoir-faire de Monaco, et un attaquant brésilien très prometteur. Retenez bien son nom : Crysan. Il accuse encore un retard sur le plan physique, mais si l’on en croit les suiveurs du Cercle, il est appelé à devenir le meilleur buteur de D1B. Un vrai talent. »

Laszlo Bölöni avec son assistant, Wim De Decker. Les deux hommes veulent refaire de l'Antwerp un club pleinement compétitif en D1A.
Laszlo Bölöni avec son assistant, Wim De Decker. Les deux hommes veulent refaire de l’Antwerp un club pleinement compétitif en D1A.© BELGAIMAGE

Du côté de l’Antwerp, c’est Rodrigues qui impressionne grâce à un éclair de génie, et surtout Dylan Batubinsika, qui joue à droite en défense centrale. C’est un Espoir français d’origine congolaise, âgé de 21 ans, comme on en trouve en quantité dans l’Hexagone : une vraie bête. Grand, fort, physiquement armé pour une compétition aussi rugueuse que le championnat de Belgique. Il est originaire de la banlieue parisienne et a été formé au PSG. En plus de sa grande taille, il a une détente phénoménale. Il est parfois un peu nonchalant à la relance, mais c’est un diamant brut. Nous sommes curieux de voir si Bölöni réussira à le polir et à lui apporter la finesse technique, comme il l’avait fait avec Elaquim Mangala.

Bolat, Batubinsika, Bölöni : les trois B attireront immanquablement les regards cette saison. Tout comme, peut-être, Rodrigues, même si Bölöni avoue mal le connaître. C’est, en effet, D’Onofrio qui se charge du recrutement. Bölöni : « Parfois, il me demande : regarde celui-là, qu’en penses-tu ? Il me demande toujours mon avis, mais je sais que je peux lui faire confiance. »

Bölöni peut aussi proposer des noms lui-même, bien sûr. Est-il satisfait de la préparation, jusqu’ici ? « Attention aux questions que vous me posez », rétorque-t-il. « On m’a demandé de rester positif » (il rit). « Alors, oui, je suis très satisfait. J’ai découvert un groupe très ouvert, prêt à travailler. Les joueurs sont à l’écoute. »

Rendez-vous en novembre

Mais ce groupe a-t-il le niveau ? Bölöni hésite, réfléchit et finit par répondre : « Je pense que nous avons encore besoin de renforts. Mais c’est le cas de toutes les équipes. Qu’avons-nous déjà ? Cinq ou six garçons… Deux jeunes milieux de terrain, un jeune défenseur central, un gardien. Plus Rodrigues à présent. Il y a encore du pain sur la planche. »

L’équipe définitive, la découvrira-t-on fin août ? Bölöni : « Peut-être même plus tard, en novembre, lorsque les joueurs se seront adaptés au chocolat belge, au championnat, au pays. Je ne reproche rien à personne. Je sais que les meilleurs footballeurs du monde ne viennent pas jouer en Belgique, et encore moins à l’Antwerp. Ils vont dans les grands championnats, ou dans des pays qui paient bien, comme la Russie, le Qatar ou la Chine. Il est logique que l’on commette des erreurs dans le recrutement, mais en réalité, nous ne pouvons pas nous tromper. »

PAR PETER T’KINT À DOORWERTH

De l’atelier à l’usine

Laszlo Bölöni a suffisamment d’expérience pour comprendre qu’il doit rester en phase avec la réalité. Il ne veut pas entendre parler d’une lutte contre la relégation, même s’il concède que l’équipe pourrait y être mêlée dans les conditions actuelles. Bölöni : « Mais ce n’est pas mon ambition, ni celle du club. Je veux gagner le championnat. C’est ce que mon coeur me dit. Mais ma raison me pousse à me taire, sinon les journalistes écriront tout et n’importe quoi.

J’ai ma fierté, mais je suis assez adulte pour ne pas perdre la réalité de vue. Pour réaliser mon rêve, il y a encore du travail. L’Antwerp est encore une équipe qui se cherche, qui doit devenir plus professionnelle. Lorsque j’ai commencé ma carrière d’entraîneur, le football était encore un atelier où l’on faisait du bricolage. Aujourd’hui, c’est une gigantesque usine, une industrie qui fait appel à la science, qui consacre des budgets importants pour un centre de formation.

L’Antwerp doit s’adapter et se lancer également dans ce processus. Le club doit se stabiliser à la fois sur le plan sportif et technique, moderniser son école des jeunes, son stade. Si l’on veut tout faire en même temps, ce sera compliqué. À ceux qui voudraient nous donner des conseils, je réponds : réfléchissons avec la tête, pas avec le coeur. Nous devons travailler intelligemment, pas de manière impulsive.

Ceci dit, nous n’allons pas lutter contre la relégation ! Je place la barre plus haut. Le championnat débute vendredi et j’essaierai de masquer nos points faibles. J’ai envie de briller. Mais c’est valable pour toute l’équipe, pas uniquement par moi. Nous, les entraîneurs, avons pour mission de rendre nos joueurs meilleurs, mais je ne peux pas leur donner le talent de Cristiano Ronaldo, ni même celui de Raphaël Varane, de Ricardo Quaresma ou de Mario Jardel qui m’a inscrit 42 buts en une saison. Ce serait plus facile si nous avions des joueurs pareils, mais nous n’en avons pas. »

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