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Islande-Belgique: piège en haute mer (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la victoire des Diables rouges en Ligue des Nations face à l’Islande (1-2).

Subir trois leçons suffit-il pour en tirer? Sur sa pelouse froide et bondissante de Reykjavik, alliée de circonstance, l’Islande est mieux préparée que quiconque pour faire déjouer la Belgique de Roberto Martinez. Depuis le coup de sifflet final du Mondial russe, les Scandinaves ont déjà croisé trois fois la route des Diables. Et puisque l’adage veut qu’on apprend de ses défaites, les dix buts encaissés en 270 minutes ont forcément permis aux Vikings d’explorer le jeu belge dans ses moindres recoins.

Alors, quand le numéro un mondial se présente aux confins de l’Europe sans qu’Eden Hazard, Kevin De Bruyne ou Dries Mertens ne descende de l’avion, la mission locale semble plus abordable que jamais. Privée de ses trois éléments les plus aptes à faire la différence face à un adversaire retranché sur ses remparts, la Belgique ne s’étonne pas de voir son hôte lui laisser les honneurs de la possession. Depuis trois ans, seules la Moldavie, Andorre et l’Indonésie ont eu l’opportunité de voir les équipiers de Birkir Bjarnason mettre le rythme avec le ballon.

Parce qu’elle connaît son sujet, l’Islande se déploie dans un 5-3-2 qui embouteille l’axe du terrain. Sur tous les chemins qui doivent mener à Rom’, les hommes du nord placent une sentinelle. Les voies du but sont impraticables, parce qu’elles obligent à slalomer entre les corps. Quand Yannick Carrasco tente la première incursion nationale dans la surface adverse, ils sont huit Islandais attroupés dans leurs seize mètres. Si subir sans se déconcentrer est un art, les locaux se préparent à réaliser un chef d’oeuvre.

ROM’ ET LES DRIBBLEURS

Pour contourner l’organisation scandinave, Roberto Martinez flanque Romelu Lukaku d’un escadron de dribbleurs. À gauche, le sélectionneur associe les solos de Carrasco, dans le couloir au départ mais entre les lignes à l’arrivée aux débordements de Jérémy Doku, qui donne largeur et profondeur au système belge. Du côté droit, il mise sur le corps élastique de Leandro Trossard. L’idée est simple: si on enlève une brique du mur adverse, il faudra qu’il se reconstruise, mais toujours en laissant un trou quelque part. En pratique, Trossard est plus télégénique qu’efficace, et ses déhanchés n’ouvrent jamais de brèche (aucun dribble réussi), alors que les percées à la dynamite de Doku (huit dribbles réussis sur les douze belges de la soirée) se cantonnent souvent au couloir, et ne pénètrent jamais le mur d’Islande.

Emprisonné entre les lignes défensives, Lukaku s’éveille à distance. Au bout du round d’observation, Toby Alderweireld comprend que les étapes intermédiaires sont superflues, et alerte directement son capitaine d’un soir, tandis que Doku et Trossard collent la craie pour étirer la défense adverse. Puisque les défenseurs centraux excentrés couvrent les couloirs et prévoient de bloquer les routes habituelles de la possession belge, le défenseur des Spurs choisit la voie des airs. Parachuté dans les pieds d’un Lukaku placé face au but par un contrôle agressif et un rebond heureux, le ballon allume le marquoir. Comme souvent, la Belgique se facilite la vie en transformant son premier tir en ouverture du score.

Le refrain de toujours semble prêt à se réciter, quand une perte de balle de Trossard en pleine chorégraphie de relance dérègle la musique d’une victoire sans histoires. Déjà parti danser aux frontières du hors-jeu, Carrasco doit faire marche arrière, mais n’arrive que sur les talons de Birkir Saevarsson, servi sur un plateau par Runar Sigurjonsson pour dévorer les filets de Simon Mignolet. Tout est à refaire.

FACE AU MUR

La Belgique reprend sa recherche méthodique de la brèche, mais l’iceberg islandais ne se désunit toujours pas. Les Diables explorent la voie des airs, quand un corner aboutit indirectement sur le front de Dedryck Boyata, qui offre à Axel Witsel une volée hors-cadre, puis transforment le flanc gauche en piste de break-dance, lançant alternativement Doku et Carrasco tenter le one-man-show au coeur de l’arène. Le second parvient à isoler Trossard à l’entrée de la surface, mais le tir du Limbourgeois rebondit sur le mur bleu. Dans le sillage de la demi-heure, Alderweireld tente une frappe à distance teintée de désespoir, résumé de l’impuissance de ces Diables privés de leurs génies de l’espace.

Laissé à la manoeuvre par un Witsel conservateur, Youri Tielemans tente plus qu’il ne réussit. C’est pourtant lui qui, au bout de deux nouvelles charges de Carrasco dans la pocket zone, puis de Doku dans le couloir, sert Lukaku à la louche au-dessus de la défense islandaise. Sur sept tentatives de jouer dans le dos de l’arrière-garde locale, le playmaker de Leicester n’en réussira que deux. Celle-ci vaut cependant trois points, vu qu’elle offre un penalty et un doublé à Big Rom’, présent pour porter la nation sur ses épaules de colosse en l’absence des patrons habituels du jeu noir-jaune-rouge. Les Diables reprennent les rênes, et ne lâchent plus la bride: les deux seuls tirs islandais des cinquante dernières minutes seront sans danger.

LE BLOC D’ISLANDE

Pourtant aux commandes, les Belges restent à la gestion du rythme. L’Islande veut un football saccadé, et ne tombe pas dans le piège diabolique, qui abandonne un peu de ballon à l’heure de jeu pour confier 48% de possession aux locaux pendant un quart d’heure, au coeur d’un match où ils auront oscillé entre 24 et 40% le reste du temps. Sans se désorganiser, les Scandinaves catapultent méthodiquement des ballons dans le couloir gauche belge, mais ne surprennent jamais le véloce Jason Denayer, rapidement épaulé par Timothy Castagne que Martinez envoie sur la pelouse à la place de Doku, après avoir troqué Trossard pour Hans Vanaken.

Moins esthétique, mais plus mobile que l’homme en forme de Brighton, le double Soulier d’or voyage en largeur pour s’associer avec le reste de l’équipe. En 35 minutes, il reçoit presque autant de passes (31) que Trossard en une heure (34), sans parvenir à être plus dangereux. Le rythme plus élevé du jeu belge ne suffit pas à désorganiser la studieuse Islande, impressionnante dans sa leçon de concentration défensive. Disciplinée à l’extrême, sans doute trop pour vraiment rêver de revenir autrement que sur une phase arrêtée tombée du ciel.

Quand on passe par les airs, mieux vaut tenter de surmonter Thomas Meunier. Débordé par une phase arrêtée, l’ancien Parisien surprend même Bjarnason pour l’un des derniers frissons de la soirée. Un slalom étourdissant mais conclu hors-cadre de Carrasco, et deux corners islandais plus tard, le coup de sifflet final renvoie la Belgique au sommet de son groupe au bout d’une trêve chahutée par des états de forme souvent époumonés. Des 270 minutes belges d’octobre, on pourra choisir de retenir que les Diables n’ont cadré que six fois, ou que cela leur aura suffi pour marquer quatre buts.

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