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Immersion dans le stage espagnol des Zèbres

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Exilés dans le calme de la verdoyante banlieue de Valence, les Zèbres ont tout mis en oeuvre pour confirmer leur début de saison d’exception. Plongée dans les traces de l’étonnant dauphin du championnat.

La route vers le calme est parfois plus courte qu’attendue. En quittant l’agitation de Valence, sur une autoroute dont les deux voies sont séparées par un long fossé aride qui ressemble à un fleuve asséché par l’éternel soleil du sud, il faut moins de trente minutes pour rejoindre l’hôtel Parador El Saler, confiné au coeur du parc naturel de l’Albufera. Bondée quand les chaleurs de l’été envoient les gens jusqu’aux plages, la route abandonne rapidement les klaxons citadins pour laisser place au chant des oiseaux, qui trouvent refuge sous le soleil valencien quand l’hiver s’invite sur le Vieux Continent et attirent avec eux les amateurs d’ornithologie, visiblement certains de trouver leur bonheur dans l’Albufera.

Ce groupe avait envie d’entendre que personne ne va partir en janvier, ils veulent tous aller au bout ensemble.  » Mehdi Bayat

À l’arrière de l’imposant complexe hôtelier, posé comme un bunker entre la plage et la forêt, les oiseaux rares sont ceux qui crient en français. Tout au long de la semaine, des Zèbres en crampons troublent la quiétude que viennent chercher les retraités anglais qui profitent de la météo clémente et du célèbre parcours dix-huit trous qui sert de ligne d’horizon à l’hôtel. Les hommes de Karim Belhocine jettent les bases d’un deuxième tour qu’ils espèrent voir se terminer avec l’Europe en poche et le sourire aux lèvres.

Entre travail et décontraction, l'ambiance était au beau fixe lors du stage espagnol des Zèbres.
Entre travail et décontraction, l’ambiance était au beau fixe lors du stage espagnol des Zèbres.© BELGA

 » On a bien travaillé « , résume laconiquement le coach des Carolos à l’heure de faire le bilan de la semaine espagnole. Il faut dire qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. À tel point que le jeudi, quand ils sont félicités de leur bonne séance matinale par un après-midi de libre, seuls quelques audacieux tentent l’aller-retour jusqu’à Valence. D’autres, comme les gardiens Nicolas Penneteau et Rémi Descamps, préfèrent troquer les gants pour les clubs et faire un tour sur les greens, tandis que certains s’aventurent même dans la salle de fitness en quête d’heures supplémentaires.

Le calme a un prix. Celui d’un déplacement jusqu’à Benidorm, à une heure et demie de route, pour trouver un match amical face à Cologne en début de semaine, avant de scruter en vain les équipes éliminées dès les premiers tours de la Copa del Rey, espérant y trouver un challenger pour peaufiner les plans collectifs avant le déplacement à Eupen. La quête de Mehdi Bayat ayant finalement échoué, c’est par une triple dose de trente minutes de match à onze contre onze sur l’unique terrain du complexe hôtelier que les Zèbres concluent leur aventure espagnole.

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L’OMNIPRÉSENT MONSIEUR MEHDI

Karim Belhocine ne lâche pas Ken Nkuba. Lancé dans le grand bain de la D1 par Felice Mazzù la saison dernière, en montant au jeu à la place de Cristophe Diandy à l’occasion d’un déplacement à Gand, l’ailier court après du temps de jeu depuis ce 26 octobre 2018, et a dû se contenter d’une demi-heure face à Eupen au bout de la phase classique. Depuis, plus rien. Même pas une minute dans les premiers tours de Croky Cup pour le gamin de 17 ans, qui impressionne toujours par ses qualités de percussion, mais peine à se montrer efficace et à briller dans les premières secondes qui suivent une récupération ou une perte de balle, cheval de bataille de son nouveau coach.

Tout comme Malick Keita, incapable de saisir sa chance suite à la blessure de Diandy et la suspension de Marco Ilaimaharitra malgré le peu de crédit dont semble bénéficier Gaëtan Hendrickx, Nkuba paraît sur le point de se faire griller la politesse par Anthony Descotte, qui a bondi des U18 au stage hivernal des pros en l’espace de quelques mois. Le jeune Hennuyer, insuffisant dans le jeu en combinaisons à Anderlecht, se régale désormais dans les reconversions zébrées, au point d’avoir manqué de peu ses premières minutes en D1A face à Ostende juste avant la trêve. Sans l’énième alerte lancée par les adducteurs d’Ilaimaharitra, Descotte aurait vécu son baptême du feu, à seize ans à peine. Une récompense qui, comme pour Nkuba, reste parfois sans lendemain immédiat. Surtout sur les flancs, là où la concurrence fait rage dans le noyau des Zèbres.

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 » La plus grande force de Charleroi, ça a toujours été la gestion du vestiaire « , explique un Mehdi Bayat qui a posé son jean et son sourire dans les sofas du lobby de l’hôtel, au bord d’une baie vitrée qui donne une vue imprenable sur la pelouse sautillante du Parador. Conscient qu’il existe un surnombre à certaines positions, et que plusieurs mercatos seront nécessaires pour faire les ajustements indispensables à l’équilibre de son noyau, l’administrateur-délégué du Sporting semble pourtant disposé au statu quo dans le sens des départs cet hiver :  » Ce groupe avait envie d’entendre que personne ne va partir en janvier, ils veulent tous aller au bout ensemble.  »

Ce discours, Mehdi l’a répété à maintes reprises au cours de son séjour espagnol. Le président de la Fédé est l’un des rares dirigeants de club à ne pas quitter ses troupes d’une semelle lors de leur stage hivernal, traînant généralement au bord du terrain d’entraînement, ballon au pied et téléphone à l’oreille. Souvent absent lors des derniers stages des siens, il a décidé de consacrer une semaine entière à ses hommes, rassurés par sa présence.

Entre les séances, il prend la peine de s’asseoir avec chacun des membres de son équipe et du staff, pour faire le point sur leur situation personnelle au sein du club. Une routine qui lui permet de parler beaucoup, et aussi d’écouter quand Penneteau ou Kaveh Rezaei monopolisent le crachoir. Fort de son expérience à Bruges, le buteur iranien n’hésite pas à glisser l’un ou l’autre conseil tiré de son vécu dans la Venise du Nord pour tenter d’améliorer le quotidien carolo.

LEÇON D’AMBIANCE

 » Avoir la culture de Charleroi, c’est extrêmement important « , glisse l’homme fort des Zèbres. À plusieurs reprises, déjà, Mehdi Bayat a mis un terme à des négociations parce qu’il sentait que les joueurs convoités ne partageaient pas l’enthousiasme contagieux des membres du projet carolo. Désireux d’expliquer ses plans dans les moindres détails, l’administrateur-délégué n’aime pas ceux qui font la sourde oreille, et la mauvaise expérience vécue avec le talentueux et capricieux Sotiris Ninis a encore renforcé ses convictions sur le sujet. Charleroi doit conserver ses spécificités et sa chaleur, résumées en une anecdote par son patron :  » La relation entre Shamar Nicholson et Mamadou Fall est incroyable. Les mecs ne comprennent rien à ce que l’autre raconte, mais ils sont toujours fourrés ensemble.  »

Je n’aime pas quand on ne fait pas tout à 100%, c’est dans ma nature.  » Karim Belhocine

Quand un Jamaïcain à l’anglais chantant et un Sénégalais au français hésitant ne se quittent pas d’une semelle, c’est bien qu’il se passe quelque chose de spécial. Entre la sagesse de Nicolas Penneteau, le côté rassembleur de Massimo Bruno et l’ambiance incarnée par le sourire inaltérable de Nurio, le vestiaire respire la sérénité.  » Au niveau de l’ambiance, c’est une cuvée exceptionnelle « , ose Mehdi Bayat, argument confirmé çà et là par les membres du groupe carolo.  » Je leur dis souvent que j’aurais aimé pouvoir être encore joueur, pour vivre de l’intérieur cet esprit de groupe « , ajoute Karim Belhocine. Parfois, en tendant bien l’oreille, on entend même le rire du taciturne Ryota Morioka.

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Même les Iraniens, pourtant en petite communauté dans le vestiaire, n’hésitent pas à se mêler au reste d’un groupe où les clans ne semblent pas à l’ordre du jour. Et une fois sur le terrain, les hommes semblent liés par un objectif commun : prendre leur revanche sur une carrière qui ne leur a pas toujours fait de cadeaux.

LA REVANCHE DES JOUEURS

Chacun a son histoire, et toutes se ressemblent.  » Beaucoup de joueurs sont animés par l’envie de réussir, ou par celle de revenir dans le parcours « , résume Karim Belhocine à l’heure de tirer le portrait-robot de son groupe.  » Ce sont des mecs qui se battent toujours jusqu’au bout.  » Une énergie en partie transmise par leur nouvel entraîneur, qui a enfin reçu officiellement sa chance à la tête d’une équipe de D1 après des expériences particulières à Courtrai puis à Anderlecht.  » Karim me marque par son engagement et par son côté revanchard « , pointe Mehdi Bayat, finalement tout heureux d’avoir fait un choix qui ne lui semblait pourtant pas évident quelques mois plus tôt.

En une vingtaine de matches à la tête des Zèbres, le coach franco-algérien est parvenu à remettre les joueurs au centre du projet.  » Pour moi, l’un des points de départ, ça a été de leur faire prendre conscience de leur qualité, de leur permettre d’avoir confiance en ce qu’ils savent faire sur un terrain « , signale Belhocine, toujours prompt à s’effacer quand les lauriers débarquent, pour laisser ses joueurs les récolter. Un changement radical de perspective, dans un club dont l’entraîneur était devenu au fil des ans la star principale, à coups de Mazzù time et de succès souvent éclatants face à plusieurs ténors du championnat.

Photo de famille pour le groupe carolo.
Photo de famille pour le groupe carolo.  » Ce sont des mecs qui se battent toujours jusqu’au bout « , estime le coach Karim Belhocine.© belgaimage

Karim Belhocine a transféré le pouvoir dans les pieds de ses hommes. Il leur avait déjà dit avant de recevoir Genk, pour l’un des matches-référence du premier tour carolo. En face, c’était le champion en titre, mais c’était surtout Felice Mazzù. Et le nouveau coach du Sporting ne s’était pas privé pour rappeler à ses joueurs que les résultats des années précédentes étaient au moins autant les leurs que ceux de leur entraîneur.

LA MÉTHODE KARIM

 » La stabilité avait été annoncée en début de saison. Le sang neuf, c’est dans le staff qu’on a décidé de l’injecter « , explique Mehdi Bayat en désignant du regard Cédric Berthelin et Frank Defays, nouveaux venus sur le banc carolo cette saison. Le Français et le Namurois ont rapidement trouvé leurs marques, après une période d’adaptation qui a vu Belhocine prendre seul les choses en mains. Sur le terrain, c’est encore le coach principal qui donne de la voix, très impliqué dans des séances souvent orientées vers la recherche de la verticalité, pour parfaire la recette qui fait de Charleroi l’équipe la plus performante en contre-attaque cette saison.

L’omniprésence sur le terrain d’entraînement n’empêche pas l’ancien défenseur de prêter une oreille très attentive aux recommandations de son staff. Amateur des méthodes d’ Hein Vanhaezebrouck en matière de préparation physique, Karim Belhocine a toujours été dans le peloton de tête quand il fallait faire parler les jambes en tant que joueur. Au Standard, il avait mis un terme aux éclats de rire, survenus quand il avait débarqué pour un test physique avec une paire de Lacoste aux pieds, en écrasant largement la concurrence à la course. À El Saler, sur les conseils de ses adjoints et de son préparateur physique Philippe Simonin, reconnu pour son travail dans le Pays Noir depuis plusieurs saisons, il a baissé l’intensité initialement prévue pour ne pas faire rôtir ses hommes sous le soleil hivernal de Valence.

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 » Je n’aime pas quand on ne fait pas tout à 100%, c’est dans ma nature « , sourit le coach.  » J’étais comme ça quand j’étais joueur, et j’aime que mes joueurs soient pareils.  » Même si Ryota Morioka semble souvent marcher sur la pelouse, le Japonais avale les kilomètres. Les données GPS ne trompent pas. Et Charleroi sait qu’il ne peut pas se mentir.

La phrase de Nicolas Penneteau, prononcée au cours de la saison dernière, reste plus que jamais d’application :  » Il faut qu’on comprenne tous que Charleroi ne peut pas se permettre d’être à 90% sur un match, parce qu’on n’a pas la qualité supérieure qui permet parfois de gagner sur un éclair de génie. Cette marge de manoeuvre, on ne l’a pas. Quand on est vraiment un ton en-dessous, on peut jouer le maintien. Par contre, quand on est à 100%, on peut battre n’importe qui. « 

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