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Il y a 20 ans, la Belgique faisait douter le grand Brésil: flash-back tactique sur un duel qui avait marqué les esprits

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Voyage dans le temps, pour analyser les moments historiques du football belge. Le 17 juin 2002, au Japon, quand les Diables tiennent tête au futur champion du monde. Cela fait 20 ans, jour pour jour.

« Les Belges, je les connais. Ils vont sûrement jouer à onze derrière. » Les mots de Rivaldo sont mal choisis. Car s’il est évident que les Diables rouges, sortis du groupe H au bout d’un succès épique face à la Russie, ne mettront pas le pied sur le ballon pour promener le Brésil, les Belges ne font pas honneur à leur réputation défensive depuis l’atterrissage au Japon. Seuls le Paraguay et les États-Unis ont fait pire que leurs cinq buts encaissés en trois matches, parmi les invités des huitièmes de finale.

De l’autre côté du terrain, les coéquipiers de Marc Wilmots, auteur de trois des six buts belges lors de la phase de poules, ont présenté de bien meilleurs arguments. L’Allemagne, l’Espagne et le Brésil sont les uniques sélections à avoir fait trembler les filets plus souvent que les Diables de Robert Waseige.

Puisque ce Brésil aime tant attaquer, la Belgique décide de le forcer à défendre.

La Belgique peut-elle se permettre de s’emmurer dans sa surface pendant une heure et demie? La question mérite d’autant plus d’être posée que Glen De Boeck doit déclarer forfait, contraignant son sélectionneur à former une paire centrale inédite, où le milieu de terrain Timmy Simons s’installe aux côtés du jeune Daniel Van Buyten en charnière. Tout ça pour faire face au Brésil, ses quatre étoiles et ses quatre R. Ronaldinho, Rivaldo et Ronaldo font trembler les défenses, alimentés par les débordements du TGV Roberto Carlos, qui a installé ses rails dans le couloir gauche.

LE PLAN DE WASEIGE

Puisque le Brésil de Luiz Felipe Scolari aime tant attaquer, la Belgique décide de le forcer à défendre. Avec les recettes appréciées par Waseige au soir du succès face à la Russie: « Aujourd’hui, on a retrouvé le jeu à la Belge, qui cherche souvent la profondeur sans tomber dans les travers des longs ballons aériens. »

La recette du Mage de Rocourt s’applique dès les premières secondes, quand Van Buyten empêche une première fois le Brésil de pousser les portes de la surface belge. La sortie de défense est verticale, mais propre, et finit dans les pieds de Wilmots, qui ouvre vers un Mbo Mpenza envoyé en duel avec Roberto Carlos. L’ailier droit des Diables tente le lob, et force Marcos à concéder un premier corner.

Le Brésil aime attaquer sur son côté gauche, mais tout le monde semble le déserter à l’heure de défendre. Le scénario du match idéal s’écrit donc sur le même flanc pour les deux équipes.

« Roberto Carlos, je vais tenter de le faire courir un maximum derrière moi », affirmait un Mbo plein de culot à l’heure de préfacer le rendez-vous historique avec la Seleção. « Comme les Brésiliens jouent avec une défense à trois et deux flancs qui pistonnent, ça va l’obliger à venir me chercher constamment. » La profondeur dans les couloirs reste le meilleur moyen de contrarier une défense à trois.

Aligné au sommet du 4-4-1-1 belge, soutenu par un Wilmots qui combine brassard de capitaine et liberté de mouvement, Gert Verheyen sublime le plan national en s’installant dans la zone de Lucio, récent finaliste de la Ligue des Champions avec Leverkusen et maillon gauche du triangle défensif brésilien. En l’empêchant de défendre sur Mpenza, il oblige Roberto Carlos à reculer. Arrière droit belge, Jacky Peeters en profite pour avancer dans un espace où les offensifs brésiliens aiment se retrouver lors des offensives, mais qu’ils désertent tous ensemble à l’heure de défendre.

LES PIEDS DU BRÉSIL ET LES MÉNINGES DE GERT

Loin de la symphonie collective de ses plus belles années, le Brésil a les airs d’un spectacle de rue, où tous les talents se mettent en cercle et admirent des chorégraphies individuelles étalées à tour de rôle. Seules les conduites de balle tranchantes et les orientations savantes d’Edmilson semblent fournir une cohérence tactique à l’ensemble, sans créer autant de danger que les percussions de Ronaldinho ou les appels en profondeur de Ronaldo, principales menaces sur le ciel belge. Au bout d’un quart d’heure, seul un coup franc de Roberto Carlos au bout d’une faute d’Yves Vanderhaeghe, parfois isolé pour endiguer les assauts axiaux des étoiles auriverdes, a vraiment menacé les cages diaboliques.

Si la postérité retient les prestations de Mpenza et Wilmots, le véritable cerveau du plan belge est Gert Verheyen.

De l’autre côté de la pelouse de Kobe, Verheyen désoriente le Brésil. Le Brugeois récite une gamme de mouvements parfaits, à base de décrochages hors de portée de la défense pendant que Wilmots concentre l’attention de Gilberto Silva. Gert gagne tous ses duels face à l’immense Lucio, ouvre des espaces à Mpenza, et sert toujours d’appui à la relance de ses partenaires pour permettre à son équipe de franchir le rond central et à Walem ou Wilmots de recevoir le ballon face au jeu. Quand Mpenza aspire Roberto Carlos, Verheyen plonge dans son dos. Quand il l’emmène dans la profondeur, le Blauw en Zwart fait jouer Jacky Peeters.

C’est sur l’un de ces mouvements que la Belgique croit défier l’histoire, peu après la demi-heure. Verheyen domine Lucio à la chute d’un long coup de botte de Geert De Vlieger, et arrache le deuxième ballon pour l’offrir à Johan Walem. Esseulé sur la droite par l’appel de Mbo, Jacky Peeters dépose un centre sur le front de Wilmots, qui surmonte Roque Junior et place dans le coin du but. L’arbitre juge le duel illicite, et refuse d’envoyer coup de tête du capitaine belge secouer le marquoir.

LE DANGER AURIVERDE

Ces quelques paragraphes reflètent l’histoire d’une Belgique dominante incontestée, restée dans les mémoires nationales comme bafouée par le futur champion du monde. Ce serait négliger que lorsque l’homme en noir renvoie les joueurs au vestiaire, la Belgique a frappé trois fois, contre neuf tentatives pour les Brésiliens.

Au fil des minutes, le talent brésilien prend le dessus sur le plan et le courage des Diables.

Pourtant bien rassemblés en perte de balle, laissant Gilberto Silva et ses trois défenseurs à l’extérieur du bloc, les Diables souffrent face au dynamisme offensif des génies sud-américains plus alimentés par le jeu long que par de fines mises en scène collectives. Peu après le quart d’heure, Ronnie avait fait danser la défense belge avant d’isoler Ronaldo, dont la tentative de frappe enroulée en lucarne échouait de peu. Cinq minutes plus tard, Vanderhaeghe avait déjà vu jaune en stoppant un solo de Ronaldinho, quelques instants après un débordement de Ronaldo conclu par un audacieux ciseau de Rivaldo.

La souffrance belge augmente au fur et à mesure de l’approche du retour aux vestiaires. Ronaldo appuie sur l’accélérateur pour semer Simons et Van Buyten, mais De Vlieger jaillit in extremis. Le futur Ballon d’or est encore dangereux à la réception d’un centre de Rivaldo, lancé sur ce côté gauche où s’accumulent les actions, alors que Ronaldinho et Roberto Carlos déclenchent deux frappes brûlantes dans le money-time.

L’HEURE DE WILLY

Remonté sur le terrain, et probablement remonté tout court, Marc Wilmots prend les clés du match. En quinze minutes, il offre aux Belges autant de frappes qu’au cours de la première période, alors qu’un tir à distance de Rivaldo est la seule secousse brésilienne. Aux portes de la retraite internationale, comme Verheyen et Walem, Willy joue avec l’expérience et l’audace invoquées par les circonstances.

La sortie de Juninho a ouvert des espaces au coeur du jeu, là où aucun des trois « R » du Brésil ne semble disposé à courir plus que les autres.

Un coup franc lointain et contré donne le coup d’envoi du quart d’heure du Taureau. Un jeu en triangle de Walem et Verheyen, toujours insaisissable et intelligent entre les lignes, avec Nico Van Kerckhoven débarque finalement dans les pieds de Wilmots, qui force Marcos à détendre son mètre 90 jusqu’au coin de son but. Cinq minutes plus tard, le gardien brésilien apparaît une fois de plus au bout d’un crochet et d’un tir du gauche de Willy, alerté par un centre de l’intenable Mpenza.

La Belgique s’est installée, et le plan de Scolari, qui a lancé Denilson sur l’aile gauche et envoyé Ronaldinho à droite pour compenser la sortie de Juninho Paulista, semble surtout avoir affecté l’axe du jeu, où Juni multipliait les courses pour éviter de rendre trop risqués les absences défensives des trois R. Pour la première fois depuis le coup d’envoi, et même si Roberto Carlos peut désormais entièrement se consacrer à la défense sur Mpenza pendant que Denilson monopolise Peeters, le match semble vraiment tourner en faveur des Diables.

L’HEURE DES GÉNIES

La rencontre bascule au croisement de deux génies. Servi sur la droite, Ronaldinho fouette un centre de l’extérieur du pied qui semble destiné à l’infiltration de Denilson. Rivaldo place sa poitrine sur la trajectoire, pendant que le nouveau venu s’encastre dans Simons, et libère le numéro 10 brésilien. La pureté de l’enchaînement, à l’entrée de la surface, est à peine contrariée par le pied de Simons, qui aide juste le ballon à prendre De Vlieger à contre-pied.

Conscient que l’espace est désormais dans l’axe, et qu’il doit courir après le score, Waseige invite Wesley Sonck sur la pelouse à la place de Peeters. Mpenza devient arrière latéral, et Verheyen s’installe entre les lignes côté droit, pour ouvrir un peu plus l’espace à Wilmots et Walem au coeur du jeu. Le petit gaucher envoie Bart Goor face au but, mais le front de l’ailier arrive trop tard pour surprendre Marcos.

C’est dans un couloir droit dégagé, presque abandonné par l’histoire de la rencontre, que les besogneux de la Seleção font définitivement basculer le match.

Malmené tactiquement, malgré l’absence de frappes cadrées belges depuis près de vingt minutes, Scolari envoie Kleberson renforcer l’axe et déserte le côté droit en rappelant Ronaldinho vers le banc. C’est dans ce couloir dégagé, presque abandonné par l’histoire de la rencontre, que le nouveau venu jaillit au bout d’une passe de Van Kerckhoven vers Vanderhaeghe interceptée par Gilberto Silva. À trois contre deux, le contre assassin a des allures de crime parfait. Les besogneux de la Seleção s’associent pour offrir à Ronaldo son cinquième but du tournoi, claqué entre les jambes de Geert De Vlieger.

« La Belgique a joué l’un des meilleurs matches de son histoire », osera fièrement l’homme fort de l’Union belge Jan Peeters au bout des nonante minutes. La revanche devra attendre dix-huit ans. Ce jour-là, à Kazan, Roberto Martinez regardera le Brésil dans les yeux, et cherchera la profondeur dans le dos de son arrière gauche. Avec un air de déjà-vu.

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