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Henrotay, l’ami des puissants

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Introduit au fil des ans dans le cercle du pouvoir, Christophe Henrotay était devenu un acteur important du grand marché mondial, dissimulé à l’ombre luxueuse du Rocher.

Son nom glisse parfois de la bouche des puissants. L’une des rares occasions de mettre en lumière un homme qui est parvenu à faire la distinction parfaite entre une existence tape-à-l’oeil sur le Rocher monégasque et une image médiatique abritée des projecteurs. Même quand il s’agit de s’afficher dans les tribunes de Sclessin, à l’occasion d’un match amical anonyme entre le Japon et le Mali disputé dans les premières heures du printemps 2018, il laisse son bras droit Christophe Cheniaux s’installer aux côtés de Mogi Bayat, Emilio Ferrera et Herman Van Holsbeeck.

Avec le temps, je connais les endroits-clés pour faire des affaires. En définitive, c’est ça être puissant.  » Christophe Henrotay

Au moment de se confier sur les amitiés que lui aura laissées ce milieu sans pitié, l’ancien manager d’Anderlecht laisse filtrer son nom :  » Je sais que si je devais avoir un problème dans ma vie, je pourrais compter sur Mogi et Mehdi Bayat, Christophe Henrotay et Laurent Denis.  » À l’exception du président de la Fédération, les amis d’Herman s’étaient ainsi retrouvés dans un jet au-dessus de la Manche, en compagnie d’un Henry Onyekuru qu’ils emmenaient signer un contrat à Everton assorti d’un prêt dans la foulée à Anderlecht. Le trio avait coupé l’herbe sous le pied de Luciano D’Onofrio, désireux d’attirer le buteur nigérian à Anvers via un transfert au PSG.

Pour emmener Henry chez les Toffees, puis à l’ouest de Bruxelles, les relations d’Henrotay avec Bill Kenwright, le CEO d’Everton, étaient un atout majeur.  » Je considère Bill comme mon grand-père « , avait un jour confié Henrotay, intime du club des rives de la Mersey depuis une dizaine d’années, quand il emmenait le manager de l’époque David Moyes dans les tribunes de Sclessin pour découvrir les premiers exploits d’un géant répondant au nom de Marouane Fellaini.

Toujours plus intime avec les décideurs d’Everton, où il avait notamment emmené Kevin Mirallas ou Joseph Yobo, Christophe Henrotay laisse ici filtrer l’esquisse de sa marque de fabrique : un portefeuille de joueurs limité, et des collaborateurs séduits par cet entregent qui lui a permis de s’introduire dans des clubs au portefeuille important. Le tout résumé par une nouvelle formule signée Herman Van Holsbeeck :  » Bayat et Henrotay, ce sont surtout des gens que j’utilise pour bien vendre.  »

RELATIONS PUBLIQUES

Le carnet d’adresses d’Henrotay fait gagner des millions à Anderlecht. Youri Tielemans casse les records nationaux en partant à Monaco, où Henrotay a noué des contacts étroits avec le vice-président Vadim Vasilyev, contre 25 millions d’euros. Douze mois plus tard, il voit Leander Dendoncker lui filer sous le nez au profit d’un agent néerlandais. Lors des marchés précédents, le nom de Dendoncker avait pourtant été associé aux clubs d’Everton ou de l’Atlético Madrid, là où Henrotay a également ses entrées depuis les séjours de Thibaut Courtois et Yannick Carrasco dans la capitale espagnole.

 » Le président Gil Marín est un ami « , confie l’agent au détour d’une interview accordée sur le Rocher, voici deux ans. Dans sa friendlist, Christophe glisse aussi les noms de Roman Abramovich et Marina Granovskaïa, détenteurs du pouvoir à Chelsea ; de Ioannis Vrentzos, CEO de l’Olympiacos ; ou d’Alisher Ousmanov, milliardaire ouzbek et actionnaire important d’Arsenal.

Christophe Henrotay et son premier client, Big Dan. Les deux resteront à tout jamais liés.
Christophe Henrotay et son premier client, Big Dan. Les deux resteront à tout jamais liés.© BELGAIMAGE

 » Avec le temps, je connais les endroits-clés pour faire des affaires. En définitive, c’est ça être puissant « , détaille Henrotay.  » Connaître les bons endroits, y être introduit, développer un réseau qui permet d’atteindre la personne que l’on souhaite.  » Quand Adriano Galliani (ancien CEO du Milan) le voit entrer dans son restaurant favori, il invite volontiers le Belge à sa table.

Attablé aux meilleures adresses monégasques, il alterne les rendez-vous avec agents et dirigeants. Face à lui, on voit parfois Ahmet Bulut, grand manitou des agents turcs et notamment responsable des intérêts d’Arda Turan. Quand le milieu de terrain avait quitté l’Atlético pour le Barça, son remplaçant chez les Colchoneros était Carrasco, sorti du portefeuille d’Henrotay.

Sur son vélo, acheté dans la boutique de Philippe Gilbert, il avale les kilomètres en compagnie de Didier Frenay tout en tentant d’élaborer un deal envoyant Ivan Perisic en Chine pour faire revenir Carrasco en Europe. Les affaires ne s’arrêtent jamais, dans cet univers parallèle où un verre partagé bien après les douze coups de minuit peut être le coup d’envoi d’une amitié qui génère des millions.

MAUVE ET ROUCHE

De passage à Monaco à l’occasion de la vente de Tielemans, Herman Van Holsbeeck a tout le loisir de constater la puissance de son ami. Sur le yacht d’Ousmanov, au large de la Sardaigne, il lui présente notamment Farhad Moshiri, le propriétaire d’Everton. Quelques semaines plus tard, Roger Vanden Stock mandate Henrotay afin de trouver un acheteur pour son RSCA, avec une juteuse commission à la clé s’il parvient à dénicher l’oiseau rare. Henrotay tente un coup de sonde chez Ousmanov, et empoche tout de même une commission pour sa participation – et la montée des enchères ? – malgré la victoire finale de Marc Coucke.

Il n’y a pas plus mesquin que le milieu du foot. Il est très facile de passer la frontière de la légalité.  » Christophe Henrotay

Quelques années plus tôt, c’est encore grâce à son interminable répertoire que Christophe Henrotay soufflait à l’oreille d’un autre dirigeant influent du pays. Ami de Bruno Venanzi, qu’il guide lorsqu’il s’apprête à prendre le pouvoir à Sclessin, Henrotay tire les ficelles en coulisses pendant que son meilleur ami et client de toujours Daniel Van Buyten joue les conseillers officiels. Les deux hommes étaient liés depuis que Christophe s’était rendu à Froidchapelle dans la Jaguar prêtée par son père Roger pour convaincre Big Dan de devenir son premier client.

À Liège, Henrotay ramène Olivier Renard, met la main sur les meilleurs jeunes de l’Académie et insiste pour que Jérôme Déom monte au jeu lors d’une rencontre de play-offs 2, peu de temps après avoir scellé un accord avec le jeune milieu de terrain.  » Plusieurs parents de joueurs étaient invités en tribune d’honneur ce jour-là, comme par hasard « , explique Axel Lawarée, pour lever le voile sur un spectacle de marionnettes aux ficelles un peu grosses.

 » Pour obtenir un bon contrat, il fallait être dans le bon réseau « , renchérit Christophe Dessy, ancien directeur de l’Académie, à l’heure d’expliquer l’absence d’opportunité liégeoise pour le talentueux Landry Dimata, parti exploser du côté d’Ostende.

Éjecté de la table des décideurs liégeois en même temps que Big Dan suite aux conséquences rocambolesques du transfert avorté d’Ishak Belfodil à Everton, Henrotay reste toujours sollicité à l’occasion, comme quand il rencontre Michel Preud’homme, Renard et Venanzi à la fin de la saison 2017-2018 pour tenter de ficeler la venue de Chancel Mbemba à Sclessin.

Les conséquences d’un milieu où les coups bas sont légion, et où les meilleurs parviennent à en faire abstraction.  » Si demain un de mes joueurs veut signer chez Jorge (Mendes, ndlr), il va m’appeler et on va trouver un arrangement « , explique Henrotay à l’heure de dépeindre les lois du marché. Au décompte final, tout le monde a assez d’argent sur son compte en banque.

LA GROSSE COMMISSION

Henrotay n’a que faire des rivalités. Entre agents, ou entre Liégeois et Bruxellois. Pendant qu’Anderlecht affronte Tottenham en Europa League à l’automne 2015, il emmène Venanzi et Van Buyten à la rencontre de Daniel Levy (président des Spurs) et de Michael Emenalo (directeur technique de Chelsea). Il n’hésite pas non plus à inciter Van Holsbeeck à contacter directement le président du Standard pour attirer Trebel au Parc Astrid, quelques heures après avoir communiqué spontanément le prix du milieu de terrain français par message à Michel Louwagie.

Lors des premiers instants de 2014, il tente également d’amener Michy Batshuayi à Bruxelles via Everton, s’attirant la colère foudroyante de Roland Duchâtelet et une place sur la liste noire de l’ancien président des Rouches. Michy lui file finalement entre les doigts, et manque le Mondial brésilien dans la foulée. Une non-sélection que certains iront jusqu’à attribuer à la main occulte d’Henrotay, parfois considéré comme le véritable patron des Diables de l’époque.

La rancune n’existe pas quand les affaires charrient des millions. Malgré plusieurs frictions avec D’Onofrio (datant de l’époque Fellaini, subtilisé par Luciano juste avant son départ pour Everton), c’est le bras droit d’Henrotay qui accompagnait Mirallas lors de sa récente présentation sous le maillot de l’Antwerp. Avec, forcément, une commission à la clé. Sans doute loin de l’ampleur que celles versées par Anderlecht lors des départs de Mbemba et Aleksandar Mitrovic à Newcastle, qui ont aujourd’hui rattrapé Henrotay

 » Des commissions extraordinaires ont été données pour des transferts extraordinaires « , s’était alors justifié Herman Van Holsbeeck. Apparemment, certaines d’entre elles auraient échappé au cadre légal. Une autre loi du milieu, décrite par l’agent dès 2011, dans une interview qui prend des airs d’avertissement quelques années plus tard :  » Il n’y a pas plus mesquin que le milieu du foot. Il est très facile de passer la frontière de la légalité.

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