© EMILIEN HOFMAN

Habay, ou la querelle des anciens et des modernes

Petite commune du sud de la Province de Luxembourg, Habay peut se targuer de posséder deux clubs dans les divisions nationales du football belge. Problème : la réussite de l’un coïncide pour le moment avec les revers de l’autre.

Plutôt prosaïque, le centre d’Habay ne dégage pas un charme inouï. Un saut hors de la butte de cette commune de 8000 habitants suffit néanmoins pour assister au déploiement sans pudeur de la beauté gaumaise. Au nord, les bois d’Habay-la-Neuve entourent la voie sacrée, cette allée qui aurait inspiré le poète humaniste italien Pétrarque au XIVe siècle.

À l’ouest, Habay-la-Vieille table plutôt sur les étendues vertes et les méandres de la Rulles pour attirer le touriste. Voisins, ces deux villages ont suggéré le nom de Louvain-la-Neuve. Pour beaucoup, la raison de leur propre distinction reste pourtant un mystère.

Selon Pol Guillaume, le président du club de football d’Habay-la- Vieille, paradoxalement dénommé la Royale Jeunesse Sportive Habaysienne (RJSH), son patelin est bel et bien le plus ancien : Mageroy, son site archéologique datant du Ier siècle, en est la preuve. Mais du côté d’Habay-la-Neuve, on répond que le vestige du lieu-dit LeChâtelet remonte à la même époque.

Quoi qu’il en soit, lors de la fusion des communes en 1977, c’est Habay-la-Neuve qui a tout englobé pour former l’épicentre du coin. Depuis quelques mois, la ville existe même à l’échelon national grâce à son équipe de foot.

Chauds derbys

Sur les hauteurs du quartier des Carrosses, le terrain du Royal Sporting Club de Habay-la-Neuve (RSCH) a bonne mine.  » Mais il ne faut pas se leurrer, ça sera autre chose dans trois jours.  » Le ton assuré de Thierry Mathieu atteste de l’expérience du vice-président du club, membre du comité depuis dix ans.  » Ce n’est pas facile d’entretenir cette pelouse. Depuis qu’on est en D3A, je suis régulièrement en contact avec les membres de cercles liégeois. Quand il pleut chez eux, ils n’en reviennent pas qu’on puisse avoir dix centimètres de neige ici.  »

Malgré le climat et à l’heure où la concurrence des chaînes de télévision vide les stades régionaux, Habay-la-Neuve peut toutefois se vanter de susciter un intérêt local constant.  » Il n’y a pas plus de comitards depuis qu’on est en D3A « , assure néanmoins Véronique Barchon, l’épouse de Thierry, qui tient absolument à mettre en valeur le travail de tous les bénévoles présents.

 » Ce comité est tellement uni qu’il constitue une deuxième formation hors des terrains.  » Une belle manière de rendre hommage à l’équipe première du club, qui découvre le niveau national sept ans après sa voisine. Ayant vécu dans les deux villages, Thierry Mathieu a porté la vareuse de la Royale Jeunesse Sportive Habaysienne et du Royal Sporting Club de Habay-la-Neuve.  » À mon époque, il y avait une grosse rivalité entre les deux clubs, qui étaient en P2. Je me souviens de quelques derbys bien chauds.  »

Ric et rac

Dans la buvette d’Habay-la-Vieille, Pol Guillaume a la mémoire plus courte. Peut-être par prudence.  » Ca ne sert à rien que je sorte un 6-0 si mes voisins me renvoient un 0-8 dans la foulée « , rigole-t-il.  » Mais lors de notre dernier affrontement, il y avait bien 200 spectateurs. Une assistance dont beaucoup de clubs de D3A rêveraient.  »

En 2010, c’est pas moins de 700 personnes que Pol Guillaume voit débarquer le long du terrain de la rue du Bua lors de la réception du RFC Liège, en Promotion D.  » C’était la folie « , assure-t-il.  » Présente lors du match, la police nous a imposé des consignes de sécurité. C’était la première fois. Heureusement d’ailleurs, parce qu’il y a eu des bagarres.  »

L’espace de deux saisons, la RJSH a ainsi eu la chance d’affronter des noms tels que le Léo Uccle, le RFC Seraing ou encore l’UR Namur. C’est l’arrivée de l’ancien Virtonnais Lionel Zanini qui a déclenché le processus. Alors que le club stagnait en P2 depuis 25 ans, le joueur-entraîneur est parvenu à insuffler un véritable esprit d’équipe.

 » On était ric et rac, mais les gars l’ont suivi et on s’est retrouvé pour la première fois en P1. On a fait quelques transferts pour tenir le rang, ce qui nous a permis de terminer 3es, 2es puis champions. Quel souvenir, la Promotion…  »

Quaquirans et Tchantchans

Malgré quelques coups d’éclat, dont une victoire chez le leader La Calamine lors de la première saison, les Quaquirans retrouvent néanmoins la P1 en 2012. Zanini prend alors congé du club, d’autres joueurs l’imitent et Habay-la-Vieille retombe directement en P2.

En mode mineur depuis des années, les Tchantchans – surnom des joueurs d’Habay-la-Neuve – débutent alors leur ascension. Revenus de l’Excelsior Virton où ils ont suivi leur écolage, huit gars du coin ont décidé de faire vivre une belle histoire au club de leur village.

 » La mayonnaise a rapidement pris et on rêve toujours les yeux ouverts après avoir empoché la Coupe de la Province, la P1 et obtenu notre ticket pour le niveau national. Le tout avec des joueurs d’ici « , insiste Thierry. Une réussite qui tranche avec les difficultés des voisins, revenus à leurs habitudes en P2. Mais qui ne frustre guère Pol Guillaume.  » Ils sont passés par là aussi. Maintenant, j’avoue qu’il y avait quelque chose d’agréable dans le fait de représenter la commune à travers le pays. Ca me manque, parfois.  »

L’écart de deux divisions entre la RJSH et le RSCH a, depuis longtemps, tempéré la rivalité. Mais pas le sentiment d’appartenance.  » Les habitants d’Habay-la-Vieille ne viennent pas spécialement au stade parce qu’on est en Division 3A « , explique Thierry Mathieu.  » Les vieux de la vieille ne quittent pas facilement leur village. C’est normal.  »

Pour sceller une association pacifique, les deux comités ont formé il y a une quinzaine d’années une commission de jeunes pour répartir les enfants entre les clubs. Si du côté d’Habay-la-Vieille, certains regrettent que l’associé n’hésite pas à venir piquer les meilleurs éléments, les dirigeants tchantchans répondent que l’afflux des jeunes dépend du niveau des équipes A.  » Quand Habay-la-Vieille était en Promotion, ils avaient plus de succès : les parents recherchent toujours la meilleure qualité « , conclut Véronique Barchon.

Synthétique et reconstruction

À niveaux différents, projets divergents. Pour contrer les problèmes de remise de matchs, le comité d’Habay-la-Neuve a ainsi rentré un dossier pour obtenir un terrain synthétique et améliorer ses infrastructures. Du côté d’Habay-la-Vieille, il s’agit désormais de rebâtir progressivement une équipe pour ambitionner la P1 dans les cinq ans.

 » La Promotion ? Quand on y est allé, on s’est dit que ça serait la dernière fois « , soupire Pol Guillaume.  » Maintenant, si ça nous pique de nouveau…  » Le président l’assure : même si l’existence des deux clubs permet de se tenir en haleine, son but n’est pas de passer à tout prix devant ses voisins. Les textes de seigneurie de la région s’en sont déjà chargés. Les plus récents remontent en effet à 1267, les plus anciens à 1220. Et viennent d’Habay-la-Vieille. À jamais les premiers.

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