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Grèce-Belgique : un Diable au pied du mur

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges à Athènes, synonyme de qualification pour la Coupe du monde.

Si vous avez séché les cours d’histoire de l’Antiquité, il y aura toujours eu des blockbusters hollywoodiens pour vous le rappeler : les Grecs sont rusés quand ils attaquent, et héroïques quand ils défendent. Et parce que le football,  » c’est la guerre sans les tirs « , comme l’écrivait George Orwell, les enfants d’Athènes ont transposé leur art militaire sur les terrains. C’est devant leur rectangle que les Hellènes ont écrit la page la plus folle de l’histoire du football européen, en 2004. Impossible, donc, d’imaginer autre chose qu’une organisation défensive sans faille pour les héritiers de Leonidas et de Zagorakis. Même quand elle doit gagner, la Grèce pense à défendre. Parce que c’est ce qu’elle fait de mieux. La partition défensive de la bande à Manolas contre les Diables était, une nouvelle fois, un chef d’oeuvre du genre.

L’intention est claire dès le coup d’envoi, donné par des locaux qui hésitent longtemps avant d’amener le ballon de l’autre côté de la ligne médiane. La Grèce est déjà prête à défendre, et elle le fait dans un 4-4-2 qui se transforme en 6-3-1 quand Fortounis abandonne Donis seul en pointe et que les deux ailiers rejoignent leur défense pour prendre en charge les montées en ligne de Thomas Meunier et Yannick Carrasco.

Pour ramener la qualification d’Athènes, Roberto Martinez joue la montre. Son onze sent la prudence, avec le retour de Kevin De Bruyne un cran plus haut, pour associer Mousa Dembélé et Marouane Fellaini devant la défense. Le duo doit à la fois limiter les pertes de balle faciles, et priver les Grecs d’ouvertures pour construire leurs contres.

La qualification est au bout du déplacement le plus périlleux de la campagne, comme en Croatie quatre ans plus tôt. La différence, c’est qu’il n’y aura plus de cadeau local pour mettre rapidement les Belges sur la voie du succès.

UN PLAN MAL EXÉCUTÉ

Mousa Dembélé.
Mousa Dembélé.© BELGA

Comme souvent, le premier frisson du match part des pieds de Carrasco, un dribble, puis une passe en profondeur pour Dries Mertens, qui trouve le mauvais côté du petit filet. Positionné dans le rôle d’Eden Hazard, le Napolitain doit parfois appuyer sur pause et choisir la bonne solution dos au but ou à l’arrêt, autant de missions qui ont toujours semblé trop ambitieuses pour son style spontané.

Incapable de créer des situations avantageuses en trouvant Mertens ou De Bruyne dos au jeu, immédiatement mis sous pression par l’agressivité des Grecs dans leurs trente derniers mètres, la Belgique doit s’en remettre à Fellaini et Dembélé pour trouver une brèche dans l’imposante muraille locale. Big Mo s’écarte sur les côtés pour jouer les relayeurs sans risques, et abandonne la mission aux pieds de Mousa, l’homme dont la montée avait déverrouillé le match aller. Mais les conduites de balle de Dembélé sont éteintes par des Hellènes agressifs, et la Belgique se retrouve presque à courir après le ballon parce qu’elle manque de justesse technique pour le garder. Donis profite d’une première perte de balle du milieu des Spurs et des jambes encore endormies de Thomas Vermaelen pour alerter Courtois, qui doit même sortir le grand jeu après 18 minutes pour sortir un missile téléguidé vers sa lucarne. Et si l’absence la plus marquante de la soirée défensive belge était celle d’Axel Witsel ?

La Belgique souffre. Pas parce que son plan est mauvais, mais parce qu’elle l’exécute mal. Les appels  » gratuits  » sont rares. Dans ce pays de dribbleurs, tout le monde veut le ballon dans les pieds, et personne ne tente donc d’ouvrir le peu de profondeur concédé par nos hôtes. En face, les Grecs récitent leur partition à merveille. Ils sont souvent sept dans le rectangle quand les Belges s’apprêtent à centrer, et les folies individuelles du seul Fortounis suffisent à déboussoler un milieu belge qui doit multiplier les fautes.

Bloquée hors du rectangle grec, la Belgique tente de trouver la faille à distance : Vertonghen et Alderweireld trouvent le gardien à la demi-heure, premier signe que la lumière pourrait venir de leurs pieds.

LA FAILLE GRECQUE

Yannick Carrasco.
Yannick Carrasco.© BELGA

Car si le plan belge souffre de la fébrilité de Dembélé, qui voit rapidement jaune en seconde période, celui des Grecs a une faille : puisque les ailiers doivent poursuivre Carrasco et Meunier, plus personne ne peut se mettre sur la route de Toby et Jan. Capitaine d’un soir, le gaucher en profite pour s’inviter à hauteur de sa ligne médiane à vingt minutes du terme, et catapulte le ballon au fond des filets suite à une circulation enfin plus fluide et un bon décalage trouvé par Dembélé. Certains crient au hold-up noir-jaune-rouge. Un rien excessif, quand on constate que les Hellènes n’ont cadré qu’un seul tir avant l’ouverture du score belge ?

C’est la fin d’une histoire de septante minutes qui n’aura jamais vu la Belgique amener le danger jusqu’au rectangle adverse sauf quand Carrasco, quelques instants après avoir provoqué le premier carton jaune grec de la soirée, dépose dans les seize mètres un centre que Meunier n’est pas loin de couper victorieusement.

La suite devrait ouvrir des espaces profitables aux Belges, mais ce sont les Grecs qui répondent, profitant du mal récurrent des défenses à trois : le passage à quatre quand l’adversaire part sur un côté. Meunier arrive trop tard pour gêner le centreur à droite, et Carrasco est dépassé par Zeca à gauche, qui balance magnifiquement le ballon dans le coin du but d’un Courtois impuissant. Sur le banc, Roberto Martinez confie les clés du dernier quart d’heure à Eden Hazard.

MARTINEZ ET L’HISTOIRE

Roberto Martinez.
Roberto Martinez.© BELGA

Eden transforme le match, rien que par sa présence. La Grèce semble déboussolée, et Mertens – replacé à droite, où son jeu demande moins de réflexion – lance une déviation spontanée dans la course de Meunier, dont le centre millimétré finit au fond, via le front de Romelu Lukaku. Si les pieds de Big Rom’ nous font parfois douter, sa force mentale est digne des sommets qu’il convoite. Son premier ballon exploitable finit au fond, et envoie les Diables en Russie.

Le nouveau striker des Red Devils aurait pu faire décoller son compteur, si les poings du gardien grec ou le tacle désespéré d’un impressionnant Manolas ne s’étaient pas dressés sur sa route vers les filets. Mais la plus belle occasion de la fin de rencontre est inévitablement celle de Dries Mertens, qui gâche un quatre contre un en servant mal Hazard, avant de frapper sur le portier local un ballon bien recyclé par Eden.

Certaines questions méritent d’être posées. Surtout celle-ci : pourquoi avoir sorti Mertens ET De Bruyne de leur position de prédilection ? Devant sa défense, Roberto Martinez a opté pour la sécurité dès que la qualité de l’adversaire incitait à la prudence, plaçant son milieu le plus créatif un cran plus haut. Peut-on tenter de le comprendre ?

Il y a peut-être une piste. Celle qui rappelle qu’en 2014, l’Allemagne a conquis la planète en associant Philipp Lahm (puis Sami Khedira à partir des quarts de finale) et Bastian Schweinsteiger devant son quatre arrière, avec Toni Kroos en numéro 10. Quatre ans plus tôt, la Roja avait endormi la concurrence avec sa possession défensive, articulée autour de Xabi Alonso et de Sergio Busquets, avec le conservateur Xavi derrière l’attaquant de pointe. Cela fait longtemps que les Coupes du monde se gagnent avec une calculatrice.

Par Guillaume Gautier

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