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Georges Mikautadze: « J’ai croisé Messi, Henry et Ronaldo, les yeux dans les yeux »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Georges Mikautadze explique pourquoi il a les yeux légèrement bridés, pourquoi l’Olympique Lyonnais l’a toujours fait rêver, comment il a été le meilleur buteur de D1B. Et du monde, carrément.

Un city-trip à Metz. C’était un peu ça, l’été de Georges Mikautadze. L’homme qui avait explosé après seulement dix minutes la saison passée en D1B. Un premier but sur la pelouse de Lommel, quatre au total ce jour-là. Puis ça ne s’est plus arrêté. Au final, le trophée de meilleur buteur de la série et un rôle XXL dans la montée de Seraing. Logique, donc, que son prêt n’ait pas été prolongé et qu’il soit rentré chez les grand frère messin. Objectif: se faire un nom en Ligue 1.

Il va encore devoir patienter. Après quatre journées du championnat français, son compteur restait bloqué à une seule minute de jeu. Et donc, retour à Seraing dans les dernières heures du mercato, pour une nouvelle location. On s’attend à rencontrer un footballeur meurtri, peut-être frustré. Erreur. On a face un nous un gars toujours au taquet, persuadé que son éclosion dans l’Hexagone est simplement postposée. Pas remise en question. Georges II se confie et va au bout des choses.

Tu as vite recommencé à marquer ici. C’est aussi simple en D1A qu’en D1B?

GEORGES MIKAUTADZE: Je ne suis pas surpris, je sais de quoi je suis capable. Je suis un buteur et je sais que si j’ai des occasions, il y en a qui finiront au fond. Il y a une différence de niveau entre la D1A et la D1B, clairement, les équipes sont mieux en place, on perd moins de ballons, l’intensité est plus haute, les erreurs se paient plus souvent cash. Mais bon, ce n’est pas un fossé non plus. Je n’ai pas débarqué dans un monde complètement différent. Je me suis vite adapté. Ce n’est pas un problème, j’avais aussi dû le faire l’année passée. Quand tu joues quatre fois contre chaque équipe, on finit par te connaître, on sait comment t’empêcher de jouer. Donc, j’avais aussi dû modifier un peu mon jeu pour continuer à surprendre. Pas de souci.

Notre défaite improbable à l’Union nous a cassés, ça nous suit encore. »

Georges Mikautadze

Et puis l’Union prouve aussi que la différence de niveau n’est pas énorme entre la D1B et la D1A… Son parcours t’étonne?

MIKAUTADZE: C’est une superbe équipe. Et tout leur réussit. C’est un état de grâce.

« Être le meilleur buteur du monde… Tu n’imagines pas la fierté »

Tu as connu ça il y a un an. Des triplés, un quadruplé, quinze buts en neuf matches. Comment tu l’as vécu? On se sent invincible dans des moments pareils?

MIKAUTADZE: C’était incroyable. La sensation que tout nous réussissait, particulièrement moi. Quand le championnat a commencé, on visait simplement le maintien. Puis quand on a vu où on était vers le mois de décembre, on s’est dit qu’on ne pouvait pas continuer à jouer petit bras et on a commencé à parler de la montée.

Un moment, tu as été le meilleur buteur de tous les championnats professionnels dans le monde.

MIKAUTADZE: Oui, je l’ai lu. Même si c’est anecdotique, tu n’imagines pas la fierté.

C’est quand même plus compliqué cette saison, pour toi et pour l’équipe. J’ai l’impression que votre défaite dans votre match fou à l’Union vous a déstabilisés, non?

MIKAUTADZE: Oui, si tu veux savoir, ça nous a cassés! On ne doit jamais perdre ce match. On mène 0-2 à la mi-temps, ils ont un exclu, il ne peut plus rien nous arriver. Il ne doit plus rien nous arriver. Après une claque pareille, il faut savoir se relever. Pas simple.

Comment tu expliques votre effondrement?

MIKAUTADZE: En première mi-temps, on a joué au foot, joué au ballon. Et donc on a eu des occasions. En deuxième, il aurait suffi de continuer à faire tourner. À onze contre dix, d’autres occasions seraient forcément venues parce qu’ils auraient fini par craquer. Je ne sais pas si on était trop sereins en remontant sur le terrain. Eux, en tout cas, ils étaient déterminés. Le public poussait. On était tous perdus. On n’arrivait plus à garder le ballon, ils récupéraient tout. C’est ce qui peut arriver quand tu n’es pas habitué à jouer des gros matches.

« On a perdu un gros match au Beerschot, mais il n’y a pas mort d’homme »

Ça manque à Seraing, un public qui met la pression!

MIKAUTADZE: C’est clair que ça peut jouer un rôle quand l’équipe est en difficulté. On a aussi été victimes de ça à l’Antwerp. Encore un gros match qu’on ne devait jamais perdre. On menait à un quart d’heure de la fin, on devait faire tourner. Ce sont des choses qu’on doit apprendre à mettre en place.

Encore un autre rendez-vous raté: au Beerschot. Parce que le scénario de l’Union était encore dans les têtes?

MIKAUTADZE: Oui, sans doute, je te répète que notre deuxième mi-temps catastrophique à l’Union nous a cassés. Il faut vite se relever après des désillusions pareilles, mais on n’a pas réussi à le faire. Quand on va au Beerschot, on sait que ça va être compliqué parce qu’on sait qu’ils considèrent ce match comme celui qu’ils doivent gagner à tout prix. Et eux aussi, ils ont un public qui pousse. On a été fébriles, on a fait des erreurs qui se sont payées cash, ça nous a mis dans le pétrin. Au lieu de sortir la tête de l’eau après leur premier but, on s’est enfoncés encore un peu plus. Mais le Beerschot est toujours derrière nous au classement, il n’y a pas mort d’homme! On va continuer à bosser et on sait qu’une mauvaise passe, ce n’est pas éternel.

Emilio Ferrera et Marc Grosjean disent que tu sais « tout faire ». Il ne te manque vraiment rien?

MIKAUTADZE: Au niveau offensif, je trouve que je suis bien avec mes stats. Mais je dois m’améliorer dans le travail défensif. Et apprendre à garder un peu mieux le ballon. C’est parfois compliqué pour moi, je ne fais qu’un mètre septante-six, alors j’ai parfois du mal avec les défenseurs grands et costauds. Quand un long ballon arrive et que ça se joue sur un duel aérien, je ne suis pas nécessairement à l’aise.

Tu as été surpris par le départ d’Emilio Ferrera?

MIKAUTADZE: Il ne nous avait parlé de rien, mais j’ai compris qu’il avait décidé de partir parce qu’il avait accompli sa mission. Il a fait monter Seraing alors que personne ne s’y attendait et il a fait progresser tous les joueurs, même ceux qui jouaient rarement.

Entre lui et toi, ça a parfois été un peu électrique, non?

MIKAUTADZE: Je dirais qu’il avait certaines exigences… Dans le premier match, je mets quatre buts contre Lommel. Au match suivant, contre Deinze, je marque encore une fois. Puis on joue Westerlo et je ne score pas. Là, il m’appelle dans son bureau et il me dit: « Tu n’as pas été bon, ce n’est pas parce que tu as mis cinq buts en deux matches que tu ne vas pas venir t’asseoir près de moi sur le banc. » Il me dit ça comme ça après un seul match sans but! Il voulait qu’on soit continuellement à cent pour cent. Il m’a aussi apporté ça, la faculté d’être toujours au maximum, de ne jamais me relâcher. Il sait être très dur, il parle beaucoup, il crie beaucoup. Certains joueurs avaient peur de lui. Mais le jour où tu comprends qu’il t’engueule pour ton bien, ton avis change. Après la fameuse conversation dans son bureau, je me suis remis à marquer beaucoup, neuf fois en quatre matches. Il m’a encore convoqué plus tard dans la saison. J’avais fait trois matches sans but puis j’avais pris une carte rouge. Il m’a dit: « Ça ne va plus, tu as intérêt à te reprendre vite. » Et je me suis vite repris!

Emilio Ferrera m’a dit: Ce n’est pas parce que tu as mis cinq buts en deux matches que tu ne vas pas venir t’asseoir près de moi sur le banc. »

Georges Mikautadze

« J’ai forcé les choses pour revenir à Seraing »

Ta vie en Ligue 1, c’est sept minutes contre Nice avant ton premier prêt à Seraing, puis une minute contre Lille au début de cette saison. Tu pourras toujours dire que tu as joué dans le championnat de France, mais bon…

MIKAUTADZE: Évidemment que ça ne me suffit pas. Pour moi, pour pouvoir dire que j’ai été un joueur de Ligue 1, je devrai y faire au minimum une saison complète.

Pourquoi tu ne t’es pas accroché à Metz cet été? Tu as peut-être manqué de répondant, de force mentale, non?

MIKAUTADZE: J’ai compris que je n’aurais probablement pas beaucoup de temps de jeu. Ça avait bien commencé, j’avais fait une bonne préparation. J’étais dans l’équipe pour un gros match amical contre Nancy et j’avais marqué. Puis ça s’est gâté. Plus les matches s’enchaînaient, moins j’étais utilisé. Je jouais plutôt les deuxième mi-temps avec ceux qui n’étaient pas considérés comme des titulaires en puissance. Quand le championnat a commencé, je ne me suis pas dit que j’allais être dans l’équipe de base, mais je misais sur un quart d’heure ou vingt minutes minimum dans la plupart des matches. À la première journée, je suis monté pour une minute contre Lille. Pour le match suivant, à Nantes, l’entraîneur ne m’a même pas envoyé à l’échauffement alors qu’on était menés. Après ça, il y a eu deux matches où je n’ai pas été repris. On arrivait à la fin du mois d’août, il fallait que je prenne une décision. Frédéric Antonetti m’a dit que ma chance viendrait, mais que je devrais peut-être attendre deux, trois ou quatre mois. Pour moi, ce n’était pas une option. Je n’avais pas de temps à perdre. Je savais que si je restais aussi longtemps sans jouer, je n’aurais plus de rythme. Je sortais d’une toute grosse saison. OK, c’était la D1B mais j’avais quand même prouvé que je savais marquer des buts. Là, le discours du coach ne collait plus à ce qu’il m’avait dit après la montée avec Seraing. Il m’avait expliqué qu’il allait me faire confiance, que j’allais jouer, il l’avait confirmé dans la presse.

Georges Mikautadze:
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Qui a pris la décision de ce nouveau prêt?

MIKAUTADZE: J’ai un peu forcé les choses. J’ai passé un coup de fil à Marc Grosjean, je lui ai demandé ce qu’il pensait d’un retour éventuel. Il était chaud, Jordi Condom aussi. À ce moment-là, Antonetti m’a pris dans son bureau, il avait appris qu’il était question d’un départ. Il voulait savoir d’où ça venait, je lui ai expliqué que j’avais pris moi-même l’initiative. Il m’a répété que ma chance allait peut-être venir à Metz, mais moi je ne pouvais plus attendre. Je voulais redevenir utile à une équipe. Il l’a compris.

« J’agitais la bâche de l’UEFA aux matches de Lyon en Ligue des Champions »

Mentalement, ça n’a pas été compliqué? Tu reviens un peu à la case départ.

MIKAUTADZE: Je ne vois pas les choses comme ça. Ce n’est pas comme si j’étais revenu en D1B.

Comment tu t’étais retrouvé à Metz alors que tu viens de la région lyonnaise?

MIKAUTADZE: Moi, je me serais bien vu à l’Olympique Lyonnais! J’y ai passé pas mal de temps, entre sept et quinze ans. Jusqu’au jour où ils m’ont annoncé qu’ils ne me conservaient pas. Une déception énorme. C’était mon club de coeur. Mais j’étais décidément trop petit. À quatorze ans, je devais faire un mètre quarante, j’étais aussi tout maigre, je n’avais pas de physique. Ils m’ont dit que ce serait mieux pour moi d’aller chercher du temps de jeu dans un plus petit club. Je suis allé à Saint-Priest, tout près de Lyon. Youri Djorkaeff et Nabil Fekir sont passés par là. Metz m’a repéré dans un match qu’on a gagné, où j’ai marqué deux buts. Contre Lyon…

L’entraîneur de Metz voulait que je patiente, pour moi ce n’était pas une option. »

Georges Mikautadze

Et tu en rêves encore…

MIKAUTADZE: J’ai tellement de souvenirs forts là-bas. J’étais au club quand ils ont été champions de France, quand ils sont allés en demi-finale de la Ligue des Champions, contre le Bayern. On était convoqués pour agiter la bâche de l’UEFA au centre du terrain avant les matches, j’ai fait ça contre Barcelone, contre le Real. J’ai croisé Lionel Messi, Thierry Henry, Cristiano Ronaldo, les yeux dans les yeux! Je suis monté une fois sur le terrain avec les joueurs, je donnais la main à Jérémy Toulalan. J’étais au stade quand Juninho a marqué son fameux coup franc contre le Barça. Tout ça, c’est gravé à vie, évidemment. On avait une chouette bande, et dans l’équipe avec laquelle j’ai fait mes années à Lyon, près d’un joueur sur deux est devenu professionnel. Maxence Caqueret est aujourd’hui titulaire à l’Olympique Lyonnais, Amine Gouiri est à Nice, Pierre Kalulu à l’AC Milan.

Georges Mikautadze:
Georges Mikautadze: « À Metz, je n’avais pas de temps à perdre. Je sortais d’une toute grosse saison. OK, c’était la D1B mais j’avais quand même prouvé que je savais marquer des buts. »© BELGAIMAGE / CHRISTOPHE KETELS

« Mes parents nous ont mis en sécurité en France »

Georges Mikautadze a été repris pour la première fois en équipe nationale géorgienne en mars dernier. Entre-temps, il enchaîne les matches. Il y a eu pas mal de défaites sur la route, mais ça lui a déjà donné l’occasion d’affronter des gros cubes comme la Suède, l’Espagne, les Pays-Bas. Et de débloquer son compteur face à la Roumanie. Tout ça en ayant débarqué dans un noyau où il ne connaissait personne. Pour sa première, il est monté au jeu en fin de rencontre face à la Suède. Il a… failli affronter Zlatan Ibrahimovic, mais le géant a quitté le terrain juste au moment où Mikautadze y pénétrait.

GEORGES MIKAUTADZE: Le seul nom que je connaissais, c’était Willy Sagnol, le coach. C’est lui qui m’a appelé pour me proposer de jouer avec la Géorgie. Il y avait déjà eu quelques contacts avec la Fédération quelques mois plus tôt, mais j’avais répondu que je préférais me concentrer sur la saison avec Seraing. Après le coup de fil de Sagnol, j’ai discuté de ça à tête reposée avec mes agents et ma famille. On en a conclu que c’était le bon moment pour y aller.

Tu as quels liens avec la Géorgie?

MIKAUTADZE: Je suis né à Lyon, mais j’y suis allé quelques fois dans ma jeunesse, mes deux parents sont Géorgiens et on parlait tout le temps cette langue à la maison.

Comment ils étaient arrivés en France?

MIKAUTADZE: C’est une longue histoire. Pour résumer, je dirais qu’ils ont fui la Géorgie à cause du conflit avec la Russie. C’était une question de sécurité. Ils ont fait ce choix pour eux et pour les enfants qu’ils allaient avoir. Ça n’a pas été simple au début, ils ne parlaient pas français, ils n’avaient pas de travail. Ils se sont bien adaptés alors que les cultures sont assez différentes au départ. Quand tu arrives en Géorgie, tu n’es pas loin de l’Asie. J’ai un air un peu de là… Mes yeux légèrement bridés, ça s’explique.

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