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Genk ou le bal des bleus: voici pourquoi on ne parle plus de Pozuelo au Racing

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Privé de son professeur de salsa, le Racing Genk a dû apprendre de nouvelles chorégraphies pour continuer à faire danser la concurrence. En piste pour comprendre le nouveau rythme des Limbourgeois.

Tout avait fini par tourner autour d’un seul homme. Même la possession rigoureuse et les triangles permanents d’ Albert Stuivenberg n’avaient pu éclipser l’emprise d’Alejandro Pozuelo sur le jeu de Genk. Le coach néerlandais l’avait confessé, un soir de défaite à Malines qui avait coûté cher à son Racing dans la course aux play-offs 1 :  » Si Pozuelo ne peut pas faire parler sa créativité, c’est difficile pour nous d’être performants.  »

La possession haute, ambitieuse et sans concession entraîne irrémédiablement un problème, parce qu’aucun système de jeu n’est parfait. En enfermant l’adversaire dans ses trente derniers mètres, tout en conservant un ou deux défenseurs en couverture, l’équipe qui a le ballon se retrouve à attaquer à huit ou neuf contre dix, sur une surface tellement restreinte que les espaces n’existent plus. C’est là que la créativité de Pozuelo était essentielle, pour transformer une possession gargantuesque en occasions à la pelle.

Blessé lors des play-offs 2, l’Espagnol avait manqué le début de saison, entre un retour de blessure et une forme physique insuffisante. Sans le Pozo des grandes heures, les Limbourgeois étaient déboussolés. En 18 matches, ils avaient marqué 24 fois, mais un seul de ces buts était venu d’une combinaison rapide. Trop mécanique et prévisible, le jeu de Genk s’égarait sur les flancs, multipliant les centres à l’arrêt face à des défenseurs accumulés dans leur surface.

Philippe Clement est arrivé, et a convaincu ses hommes de changer de plan. Moins de ballon et plus d’espace, puisque c’est ce dernier qui gouverne l’idée du football que le nouveau coach partageait avec Michel Preud’homme lors de leur séjour commun à Bruges. Sur les 32 buts marqués sous les ordres de Clement la saison dernière, 12 sont venus d’une attaque rapide (combinaison axiale ou contre-attaque).

DOMINER SANS POZUELO

Genk était en lévitation. Tous les prétextes étaient bons pour envoyer un ballon au fond des filets : un sprint d’ Ally Samatta, un dribble génial de Pozuelo, une frappe enroulée de Leandro Trossard, un coup franc de Ruslan Malinovskyi ou un coup de tête de Sébastien Dewaest. L’arsenal est trop complet pour être arrêté. Avec autant de qualités individuelles différentes, le choix d’un plan défensif pour restreindre la portée d’une arme augmente inévitablement la puissance d’une autre. Fermer les espaces ne suffit pas quand Pozuelo peut en inventer à tout moment.

Je retrouve chez Clement les accents placés par Emilio Ferrera à OHL. « Leandro Trossard

Le doute vient avec le départ de l’Espagnol pour Toronto. Il se matérialise au Bosuil, quand Sinan Bolat verrouille ses filets et replace indirectement Bruges dans le sillage de Genk. Les Limbourgeois ont eu le ballon (56% de possession), mais n’ont créé que peu de danger (0,83 expected goals, soit moins d’un but potentiellement marqué au vu des occasions sur l’ensemble du match). Le Racing empile malgré tout douze points sur quinze au bout du premier tour du sprint final, mais le plan a visiblement changé.

Ally Samatta, l'atout profondeur de Philippe Clement.
Ally Samatta, l’atout profondeur de Philippe Clement.© belgaimage

Mis à part au Bosuil, Genk n’a plus mis le pied sur le ballon. Avec 47,4% de possession moyenne, les hommes de Philippe Clement ne devancent que l’Antwerp en termes de contrôle du ballon. Moins de possession, et plus d’occasions : loin des 0,83 expected goals du voyage anversois, les quatre autres rencontres sont conclues entre 1,60 et 3,17 xG.

PRESSER POUR MIEUX RÉGNER

Pour faire oublier Pozuelo, Clement voyage entre Michel Preud’homme et Jürgen Klopp. De l’Allemand, il retient que  » le pressing est le meilleur meneur de jeu du monde « , et installe donc les courses agressives de Bryan Heynen pour compléter son triangle autour du rond central.

De son ancien mentor, il retient les parties d’échecs contre les Buffalos d’Hein Vanhaezebrouck, auxquels MPH avait finalement imposé sa loi en installant un marquage quasi individuel et des duels sur tout le terrain. Clement va même plus loin que Preud’homme, profitant des qualités défensives de Dewaest et Jhon Lucumi pour jouer homme contre homme derrière :  » Michel et moi, nous avions beaucoup de points communs, mais aussi un certain nombre de différences « , souligne Clement.  » Je suis, par exemple, plus aventureux que lui dans ma manière de jouer.  »

Ruslan Malinovskyi est devenu la clé de voûte de Genk pour s’installer de l’autre côté de la ligne médiane.

À l’occasion d’un duel de haut vol contre les Brugeois d’Ivan Leko, Genk obtient son meilleur score de pressing des PO1 : le PPDA (soit passes allowed per defensive action) des Limbourgeois pointe à 5,0. Ce qui signifie qu’en moyenne, au bout de cinq passes brugeoises, le ballon est revenu dans les pieds du Racing.

C’est d’ailleurs avec une récupération haute dans le camp des Blauw en Zwart, après une passe imprécise d’un Stefano Denswil envoyé vers son pied droit, que Leandro Trossard ouvre le score face aux Brugeois. Un cas de figure déjà observé pour faire sauter le verrou anderlechtois, quand une relance de Thomas Didillon a fini par un but de Joakim Maehle au bout d’un pressing réussi.

L’APPARITION D’ITO

Dans une telle symphonie d’individualités, la suite de l’équation résolue par Philippe Clement est forcément une histoire d’hommes. Celle d’une symbiose instantanée entre les qualités de Ruslan Malinovskyi et celles de Junya Ito, par exemple. Le Japonais, débarqué cet hiver, a rapidement pris le rôle dévolu à Dieumerci Ndongala, que l’ancien Carolo décrivait en ces termes :  » Je suis devenu beaucoup plus performant dans mon jeu sans ballon, je crée des espaces pour mes coéquipiers.  »

Plus véloce que le Congolais, Ito effraie forcément les défenseurs adverses, rarement rapides sur les pelouses belges. La réaction naturelle les amène donc à reculer, réduisant l’espace entre eux et leur but, et donc les chances d’être débordés par la vitesse du Japonais. Un réflexe qui augmente automatiquement l’écart entre la défense et le milieu, et offre donc une bouteille d’oxygène à Malinovskyi.

Avec une vitesse d’exécution moins affûtée que celle de Pozuelo, l’Ukrainien profite de ce temps supplémentaire pour installer son pied gauche un peu plus près du but adverse sans subir une pression démesurée à la réception du ballon. Souvent, le maître à jouer des Limbourgeois s’installe donc à la pointe droite du triangle contrôlé par Sander Berge, pour y emmener l’essentiel du jeu du Racing.

Sur les cinq premiers matches des play-offs, Malinovskyi a eu l’occasion de démontrer qu’il était devenu la nouvelle référence de Genk en possession. Avec 197 passes reçues, il devance largement Trossard (130) dans un module qui s’articule en 3-4-3 pour poser le jeu : Berge décroche entre les centraux, Maehle et Jere Uronen dévorent leur couloir, et envoient Ito et Trossard un peu plus à l’intérieur du jeu, pour concentrer l’attention des défenseurs et laisser de l’espace à Malinovskyi.

Parfois, c’est même immédiatement Danny Vukovic qui alerte l’Ukrainien, profitant de son excellent timing aérien (méconnu jusqu’ici) quand l’adversaire se fait trop insistant au pressing. Le numéro 18 du Racing est devenu la clé de voûte de Genk pour s’installer de l’autre côté de la ligne médiane.

LES CLÉS DU PREMIER BUT

Malgré tout, l’absence de Pozuelo se fait toujours ressentir. Depuis son départ, Genk n’a plus jamais marqué au terme d’une combinaison rapide. Une clé qui lui permettait souvent de déverrouiller le résultat, avant de faire parler ses qualités exceptionnelles en transition. L’ouverture du score, jamais trouvée au Bosuil, est donc le principal problème découlant de la perte de l’Espagnol.

Pour prendre le large au marquoir, Genk a donc dû explorer d’autres pistes. À trois reprises (sur sept fois où le Racing a pris l’avantage), les Limbourgeois ont pu compter sur une faute de main de l’adversaire bombardée au fond des filets par Malinovskyi depuis le point de penalty.

Par deux fois, c’est Leandro Trossard qui a mis le destin des hommes en bleu au bout de son pied droit, trouvant l’ouverture depuis l’extérieur de la surface.  » Je veux que mes joueurs aient la liberté de tenter des choses compliquées « , justifie Clément.  » Si on essaie uniquement des gestes dont on est sûr à 200% qu’ils vont réussir, on ne fait pas la différence.  »

Une fois la différence faite, Genk se retrouve en terrain connu. Depuis le début des play-offs, 44% de leurs possessions durent moins de cinq secondes.  » Clement demande un football direct, offensif. Un ballon qui arrive vite devant « , raconte Ally Samatta, principale menace du Limbourg quand les espaces s’agrandissent.

Entre les pics en profondeur de Samatta et Ito et les décrochages de Malinovskyi et Trossard, Genk use des méthodes indirectement transmises par Emilio Ferrera, par l’intermédiaire de Preud’homme.  » Je retrouve chez Clement les accents placés par Emilio Ferrera à OHL « , confirme Leandro Trossard.  » Ils exercent beaucoup les automatismes entre les joueurs qui décrochent et ceux qui vont en profondeur.  »

C’est l’histoire d’un football où les courses comptent plus que le ballon dans la quête de l’espace. D’un groupe de joueurs bourrés de talent, capables de transformer la moindre brèche offerte par l’adversaire en occasion de but. D’un jeu parfaitement maîtrisé, lancé au sprint vers le titre de champion.

Arrivé cet hiver, Junya Ito (ici au duel avec Simen Jukleröd) force les défenses à reculer, ce qui offre de l'espace à Ruslan Malinovskyi.
Arrivé cet hiver, Junya Ito (ici au duel avec Simen Jukleröd) force les défenses à reculer, ce qui offre de l’espace à Ruslan Malinovskyi.© belgaimage

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