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Foot et réseaux sociaux : follow moi si tu peux

Les clubs belges commencent sérieusement à utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir leur fanion, mettre en avant leurs partenaires et s’ouvrir à de nouveaux marchés. Quitte à acheter des faux profils. Explications, via l’analyse de statistiques Facebook et Twitter, des prémices d’un championnat 2.0.

10 janvier, 18h42. Le Standard publie une photo de Guillermo Ochoa sur sa page Facebook. Le portier mexicain sort ses belles dents blanches, sucette en main, lunettes de soleil sur le nez, casquette vissée sur ses boucles brunes. La légende –  » Stage à Marbella  » – est aussi banale que la publication. Pourtant, le lendemain, cette dernière comptabilise près de 400  » likes « , une quinzaine de commentaires et une autre de partages.

Un peu plus d’une heure plus tôt, la même page du RSCL met en ligne un cliché du Roumain Razvan Marin, en pleine action espagnole. Le contenu y est déjà un peu plus, mais les pouces en clics s’activent beaucoup moins. Le  » post  » atteint difficilement les 150  » j’aime « , génère un seul commentaire et un unique partage. Pire que celle du talion, c’est la dure loi des  » communautés « .

L’Union en bonne position

À son arrivée à Sclessin, en 2017,  » Memo  » ne vient pas seul. Il amène avec lui tout un tas de  » suiveurs « , surtout venus de son Mexique natal, où il fait figure d’idole.  » Ochoa est évidemment un boost pour nos réseaux sociaux « , concède Olivier Smeets, responsable de la communication du Matricule 16.  » Avec lui, la portée est internationale. C’est vrai qu’on ne ferait pas forcément les mêmes publications avec d’autres. Il faut bien abreuver sa communauté. Pour autant, le Standard ne doit pas devenir le Ochoa Club.  »

Le gardien rouche, suivi par des millions, n’a pas d’égal chez les footballeurs évoluant en Belgique. Quant à son club, il concentre un peu moins de 268.000  » fans  » sur Facebook, soit le quatrième total du Royaume, derrière le Club Bruges (301.851), l’Antwerp (304.170) et l’intouchable Anderlecht (1.007.029)*.

 » Le recrutement d’Ochoa a permis au Standard d’enregistrer une très grosse augmentation de ses likes sur Facebook « , analyse Alexandre de Meeter, consultant sur les réseaux, à la tête de Sportimize. En 2014, l’homme créé l’agence afin d’étudier les flux de ce marché florissant et de proposer des solutions stratégiques.

Il occupe également le poste de responsable communication, marketing et branding de l’Union Saint-Gilloise, bon élève de l’année 2018. Les gars de la Butte accueillent 8.492 nouveaux  » supporters  » sur Facebook. Seuls le Standard (+ 28.220) et l’Antwerp (+135.050) ont fait mieux**.

 » Nous bénéficions également de l’aura de joueurs internationaux, comme le Sud-Africain Percy Tau « , poursuit-il. Le nouveau projet, chaperonné par les Anglais de Brighton, la rénovation du Stade Marien et le parcours surprise en Coupe favorisent cet engouement virtuel pour les Unionistes. Le débarquement de joueurs à  » fort potentiel marketing  » ne fait donc pas tout.

Publier très régulièrement

 » Mais il ne faut pas le négliger « , pose Brandon Lattuca, de la Line Up Team, fondée par quatre potes, début 2018.  » Par exemple, Charleroi peine à décoller parce que c’est un club qui recrute surtout français. Les autres clubs appellent des communautés bien plus larges.  »

Pour autant, bien qu’il s’agisse d’un facteur à prendre en compte, les politiques de transferts ne semblent pas près de s’orienter en fonction du nombre de  » likes  » et de  » followers « .  » Les dirigeants de l’Union ne me demandent pas encore mon avis sur le recrutement « , sourit Alexandre de Meeter.

 » Ces plateformes donnent surtout la possibilité d’explorer de nouveaux marchés. Elles peuvent aussi pousser le public à venir au stade. Les réseaux sociaux ne font pas les grands clubs, mais ils contribuent à leur renommée.  »

Encore faut-il que le nombre de suiveurs virtuels se convertissent en engagement réel. Les réseaux sociaux constituent une poule aux oeufs d’or, que ce soit pour le club qui les alimente, et qui peut ainsi espérer vendre des maillots ou des tickets pour les matches, que pour ses partenaires, friands d’un effet d’annonce capable de dépasser les limites de leur terrain de chasse habituel.

 » Notre stratégie est simple : publier le plus régulièrement possible. On travaille surtout sur le taux d’engagement « , abonde Olivier Smeets. Au début du mois, le Standard publie plusieurs clichés d’époque sur son compte Twitter. L’un montre Mehdi Carcela dans ses années pupilles, maillot vert foncé du club sur le dos ; l’autre Eden Hazard, gamin, portant la tunique blanche du RSCL, en bon supporter.

 » On développe beaucoup le rapport à la mémoire ces temps-ci. On a une histoire, il faut en profiter « , continue Smeets, qui confirme la recrudescence d’un goût pour le  » vintage « , fruit d’un espèce de romantisme, en opposition à ce que peut représenter le football moderne.

La règle des trois  » C  »

Sur le même réseau, le Royal Stade Brainois, indubitablement estampillé Hazard, pointe justement à la première place des clubs amateurs (2.659 abonnés), à la 23e du pays, devant Alost, Virton ou Tubize***. L’entité patronnée par le paternel de la fratrie Hazard est l’un des clients de la Line Up Team.

 » Les Belges restent moins attirés par Twitter que dans d’autres pays « , explique Brandon Lattuca.  » Nous développons l’image de marque des clubs amateurs, avec des visuels ou des concours, en étant leur community manager.  »

Les passionnés de ballon rond se tournent de plus en plus vers les divisions inférieures, soit vers le  » local « , pour la proximité et la fraîcheur qu’il offre. Les réseaux sociaux confirment cette tendance.

Lattuca :  » Récemment, La Louvière (RAAL) a tout fait pour dépasser le RFC Liège en termes de fans sur Facebook. Pour eux, il s’agissait d’un cap symbolique « . Chose faite en décembre. La RAAL, véritable entité 2.0, est devenue la plus suivie chez les amateurs sur le média  » F « , dépassant ainsi les historiques RFCL et RWDM.

Côté pro, on se tourne vers le créneau  » inside « , c’est-à-dire de livrer des morceaux choisis des coulisses du club, pour faire gonfler les pouces et les retweets. À l’Antwerp, les contenus proposés vont du café avec Jelle Van Damme à la coupe de cheveux en compagnie de Dylan Batubinsika.

 » Depuis que nous sommes remontés en D1A, on a fortement investi dans le domaine « , assure Dimitri Huygen, business & communication manager du Great Old.  » Nous respectons la règle des trois  » C  » : connect, communicate, converse.  »

L’achat de faux profils

Les clubs imposent ainsi leurs propres canaux, hors des carcans traditionnels, à l’heure où les médias classiques sont également pointés du doigt. À l’instar du Club Bruges, l’Antwerp compte une petite dizaine de personnes dans son équipe com et marketing, quand il y en a 12 à Feyenoord, le double à l’Inter Milan.

 » La Belgique a un train de retard et reste un petit marché, qui interpelle difficilement en dehors de ses frontières « , détaille encore Alexandre de Meeter, qui applaudit quand même les efforts de chacun.  » Il y a une vraie évolution.  »

S’il la guerre du net n’est pas encore déclarée, tous les coups sont permis. L’Antwerp sponsorise ses publications Facebook, en payant pour les mettre en avant – une technique autorisée et somme toute classique – quand le Standard avoue  » commencer à la faire « , mais  » seulement pour des campagnes publicitaires  »

En 2018, le Matricule 1 a quasiment doublé son nombre de fans, ce qui le rend intouchable en la matière, quand il n’occupe que la quinzième place sur le petit oiseau bleu. Des chiffres (très) virtuels qui posent question.

Y aurait-il eu recours à l’achat de faux profils, générés par des sociétés obscures ?  » Non « , coupe, direct, Huygen.  » Cela ne mène à rien, puisque ce sont des profils vraiment virtuels, qui n’induisent pas d’engagement. Cet engouement est dû à notre remontée.  »

Sauf que ni les dires de l’Anversois, ni ces statistiques sont vérifiables, tant le système est opaque.  » Tous les six mois, Facebook fait du nettoyage et supprime tous les comptes  » fakes « . Mais mis à part cela, c’est difficile d’en savoir plus « , glisse de Meeter.

Anderlecht pose question

Le boss de Sportimize jure n’y avoir jamais eu recours à l’Union, ni à quelque achat que ce soit.  » Les sociétés qui créent ces profils ont des comptes au Bangladesh, un peu partout. On ne peut presque pas les tracer…  » Là où les chiffres s’accompagnent vraiment d’interrogations, c’est à Anderlecht. Avec 700.000 pouces d’avance sur ses dauphins, les Mauves écrasent sans conteste toute concurrence.

 » Leur communication est très bonne « , affirme Brandon Lattuca, qui invoque, entre autres, la stratégie, le prestige et l’e-sport, un domaine où le RSCA fait figure de précurseur et qui draine les jeunes par milliers.

Sauf que, sur l’année 2018, les Anderlechtois perdent plus de 22.000 fans, dont près de 7.000 de fin août à mi-décembre. Troublant.  » C’est très rare qu’une personne réelle  » délike  » une page, même si les résultats ne sont pas bons « , souffle Lattuca.

Une large partie de ces  » fans  » auraient donc été des faux, achetés par Anderlecht, puis supprimés par Facebook. Réponse, au Parc Astrid :  » Cette perte est seulement due à la mauvaise période sportive que nous traversons. Il est hors de question d’acheter des followers, puisque cela ne sert, ni n’engage à rien sur le long terme « . Mis à part à remporter la JPL 2.0…

*Chiffres de Line Up Team, au 17 décembre 2018.

**Chiffres de Sportimize, sur l’année 2018.

***Chiffres de Line Up Team, au 17 décembre 2018.

Guillermo Ochoa
Guillermo Ochoa© istock

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