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Foot et blessures: comment les clubs gèrent-ils leur infirmerie?

Quel est le point commun entre Vincent Kompany, Abou Diaby ou Obbi Oulare ? Facile, les blessures à répétition. Anecdotiques pour certains, récurrente pour d’autres, les pépins physiques des joueurs posent problème aux clubs. Leur gestion est donc cruciale.

À quoi tient une saison réussie ? Une saison ratée ? Beaucoup de paramètres entrent en jeu et le taux de remplissage de l’infirmerie en est un. Les blessures font partie intégrante de la vie d’un footballeur, d’un club. Dans un sport où les contacts sont fréquents, difficile d’y échapper totalement. Là où certaines équipes n’ont pas trop à se plaindre, d’autres voient les joueurs défiler entre les mains des médecins, kinés et autres praticiens.

Tous les clubs de Jupiler Pro League ne sont pas logés à la même enseigne mais l’encadrement médical de chaque écurie tend tout de même à s’uniformiser avec, au minimum, un ou des médecins, des kinés et des préparateurs physiques. Certaines équipes n’hésitent pas à gonfler leur staff médical en y adjoignant par exemple un nutritionniste, un ostéopathe ou encore un psychologue. Souvent décriés, rarement félicités, ces hommes de l’ombre effectuent pourtant un travail essentiel afin de permettre à un noyau de tourner au mieux sur l’ensemble de la saison.

Pas du temps plein

D’un club à l’autre, l’organisation générale du staff médical n’est pas la même. À Eupen, par exemple, le médecin n’est pas présent en permanence au club, les kinés et préparateurs physiques s’occupent du suivi quotidien.  » Je passe trois ou quatre fois par semaine, en plus des matchs « , explique Bertrand Vanden Bulck, le doc des Pandas.

À Charleroi, comme au Cercle, c’est quotidiennement que le médecin passe au club.  » Nous avons une réunion matinale avec le staff médical et sportif « , dévoile le Docteur Frédéric Borlée, toubib des Carolos.  » On regarde ensemble la nécessité d’individualiser certains entraînements selon les pathologies et réathlétisation.  »

L’Antwerp va même plus loin, en intégrant les informations récoltées sur une plateforme numérique.  » Tous les membres du personnel médical et technique ont accès aux données qui comptent pour eux « , nous explique-t-on au Matricule 1.

L’ensemble du staff médical est rarement employé à temps plein par le club. Généralement, les médecins et les kinés sont des prestataires alors que le préparateur physique est, lui, employé directement par le club.  » On fait appel aux kinés selon les besoins. En fin de semaine, par exemple, quand on donne les soins à tous les joueurs, ils sont tous là « , dévoile Jeannot Akakpo, le préparateur physique du Cercle.

Partie intégrante du staff

Loin d’être un staff parallèle, l’équipe médicale doit s’intégrer harmonieusement au staff technique. Une bonne communication entre les deux entités permet à l’entraîneur de savoir parfaitement sur quels joueurs il pourra compter pour ses matchs.

 » La pression est en début de semaine « , juge le médecin eupenois.  » Jeudi-vendredi, on confirme au coach quels joueurs seront aptes, lesquels ne le seront pas, ceux qui ne seront pas à 100 %. Le jour avant le match, j’envoie une liste avec tous les joueurs pour informer le coach sur leur disponibilité, avec un pourcentage de forme. C’est très subjectif mais on essaye de donner une information pertinente au coach. C’est lui qui prendra la décision finale.  »

Une décision qui, dans l’idéal, suivra les avis et conseils du staff médical afin de ne pas briser la confiance.  » Le staff technique comprend que la santé des joueurs passe avant tout. Si le joueur est disponible, c’est tant mieux. Si ce n’est pas le cas, tant pis, on doit composer avec cette réalité « , glisse le préparateur physique du Cercle.

Parfois, les médecins le reconnaissent, les circonstances peuvent amener un coach à devoir aligner un joueur qui n’est pas à 100 %.  » Il y a un risque, mais un risque partagé « , ajoute le Dr. Vanden Bulck.

De la prévention

En tant que sport de contacts, il serait illusoire de penser que les blessures disparaîtront un jour. Les lésions traumatiques sont inévitables.  » En revanche, on doit tout faire pour diminuer au maximum les atteintes musculaires « , ajoute Jeannot Akakpo.

Pour éviter celles-ci, les clubs travaillent beaucoup sur la prévention. Informer les joueurs, les conscientiser. À Eupen, on explique que seulement 25 % du temps est consacré au curatif, le reste étant mis à profit pour prévenir les blessures. Un joueur qui se soigne bien et va voir le médecin à temps, c’est une indisponibilité future qui a toutes les chances d’être moins importante et moins compliquée.

 » Le préventif, c’est le plus important dans notre travail « , poursuit le préparateur du Cercle.  » On doit faire en sorte d’arriver le moins possible à la phase curative et on va donc optimiser l’encadrement autour de cela en misant beaucoup sur la récupération, l’alimentation, les soins et le travail de renforcement.  »

 » Si le nombre de blessures évitables par la prévention reste limité, nous avons atteint un objectif important « , confirme-t-on au Great Old.

Les clubs effectuent également plusieurs bilans de santé de leurs joueurs, généralement en début de saison et à la trêve hivernale. Cela permet au staff médical d’avoir des références et de prévoir des programmes individualisés qui doivent permettre de palier certains déficits physiques.

Pression sportive et financière

Malgré tout ce travail préventif, des blessures peuvent toujours arriver et se lance alors une sorte de course contre la montre pour que le joueur soit rétabli le plus rapidement possible. Car un joueur blessé est un joueur qui coûte de l’argent. Beaucoup d’argent même. En 2015, une étude chiffrait à 12,4 millions de dollars par équipe le coût moyen des blessures subies par les joueurs des quatre plus grands championnats européens. Chaque année, c’est l’équivalent de 10 à 30 % du salaire des joueurs qui serait perdu à cause des indisponibilités.

Le rituel visant à remettre sur pieds un joueur est le même partout. Le médecin du club effectue un premier diagnostic qui, dans certains cas, peut être complété par des imageries médicales ou un avis supplémentaire. Débute alors la rééducation sur base d’un programme établi par l’ensemble du staff médical.

 » On doit aller vite parce qu’il y a une pression financière, de résultats, et les coachs qui sont derrière nous, mais si on va trop vite et que le joueur se reblesse, c’est tout pour notre pomme « , avoue Bertrand Vanden Bulck.  » On a des responsabilités assez importantes mais on doit prendre des risques pour avancer.  »

 » Cette pression doit être notre ambition : nous devons être disponibles jour et nuit pour que l’entraîneur dispose à de joueurs en forme à 100 % à tout moment « , appuie-t-on à l’Antwerp.

Pas question cependant de se mettre une pression inutile.  » On sait qu’il y a des échéances, qu’on doit se mettre des deadlines mais, d’un autre côté, la médecine n’est pas une science exacte « , complète Frédéric Borlée.  » Vouloir mettre une pression supplémentaire, exiger qu’un joueur soit rétabli pour une certaine date, ça ne fonctionne pas en médecine. S’il y avait des solutions miracles, on les connaîtrait mais il n’y en a pas. C’est Dame Nature qui doit faire son travail. Il faut laisser le temps au temps.  »

 » Le but, c’est d’arriver où on veut être quand on doit y être. Cela ne sert à rien d’aller trop vite, ni d’être trop prudent, à l’inverse « , ajoute Frédéric Vanbelle, l’un des kinés du Sporting Charleroi.  » Il y a toujours un moment où les courbes se croisent et donnent le moment idéal pour relancer le joueur. C’est à nous de gérer ça.  »

Spécialistes extérieurs au club

Il arrive cependant que certains cas soient compliqués à gérer et que l’indisponibilité du joueur s’éternise, parfois entrecoupée de périodes où il rejoue un peu. Faut-il remettre en cause le travail du staff médical ? Pas spécialement. Tous les organismes ne répondent pas de la même manière aux traitements, ce que les staffs techniques ont parfois du mal à assimiler.  » Quand cela prend plus de temps, on vérifie qu’on a tout fait, qu’on n’a rien oublié « , explique le médecin d’Eupen.

Il est aujourd’hui fréquent que face à un problème persistant, les joueurs aillent voir d’autres spécialistes. Loin d’être un aveu de faiblesse pour le staff médical, c’est une manière de diversifier les avis et de renforcer le diagnostic.  » Pour des pathologies spécifiques, comme la pubalgie par exemple, cela peut se faire. Il y a un spécialiste en France chez qui on peut se référer « , explique Frédéric Vanbelle.

 » Nous ne le faisons que si nous pensons que cela offre une valeur ajoutée « , avance-t-on à l’Antwerp.  » Nous pouvons compter sur tant de savoir-faire et d’expertise au sein de notre propre réseau que cela nous permet de limiter les conseils étrangers.  »

Pour le Dr. Vanden Bulck, il faut toutefois faire attention.  » Certains médecins ont un discours hyper optimiste envers le joueur, lui disant qu’une fois entre leurs mains, ils seront vite retapés. Quand cela ne fonctionne pas, le joueur nous revient cassé mentalement et on doit gérer ça.  »

Les clubs ont également certains accords de partenariat avec des structures externes. À Eupen, par exemple, c’est avec un hôpital verviétois et un autre qatari, Aspetar, qu’on travaille. Au Sporting Charleroi, on collabore étroitement avec le CHU de Charleroi.

 » Tous les blessés de longue période sont retirés, pour une durée déterminée, de la gestion interne au club et sont mis en rééducation au centre Charleroi Sport Santé avec Dominique Henin. Il fait la jonction entre le moment où les joueurs passent des kinés au moment où ils reprennent avec le groupe « , explique le docteur Borlée.

 » On travaille aussi avec le centre européen de rééducation de Capbreton pour les longues revalidations, celles qui vont durer entre 6 et 8 mois « , ajoute Frédéric Vanbelle.  » On a un accord pour y envoyer nos joueurs durant quelques semaines. Tout le suivi se fait via rapports, mails, téléphone.  »

Du côté du Cercle, on préfère au maximum garder le joueur au club, même si le club a un partenariat avec un hôpital de Roulers.  » Si vraiment la pathologie du joueur dépasse notre champ de compétences, le médecin n’hésite pas à l’envoyer voir ailleurs. Mais pour l’accompagnement, c’est plus simple quand il reste chez nous « , explique Jeannot Akakpo, preuve que la gestion et la vision peuvent changer d’un club à l’autre. L’objectif reste toutefois le même : retaper le joueur le plus vite possible.

Risques de rechute

Les joueurs eux-mêmes n’ont aucun intérêt à rester blessés trop longtemps. En Belgique, au bout de 30 jours d’incapacité, c’est la mutuelle qui prend en charge le salaire de l’employé, mais à hauteur de 60 % du brut seulement. Certains clubs compensent le manque à gagner du joueur mais pas tous. Voilà pourquoi les joueurs peuvent aussi avoir envie de revenir vite dans le coup, trop vite même parfois, quand ils ne jouent carrément pas en étant diminués. Et le risque est évident : la rechute.

 » Quand un joueur veut revenir trop vite, on est un peu sous pression parce qu’en cas de rechute, c’est la catastrophe « , confie le Dr. Vanden Bulck. Pour autant, malgré tout le bon travail effectué, le risque est toujours là.  » On sait qu’il y a un pourcentage inévitable dans le cas de certaines lésions. On parle de 15-20 % des cas « , prévient le docteur Borlée.  » Cela ne se dit peut-être pas assez mais cela existe. Souvent, on a l’impression que les récidives sont là parce que le chirurgien n’a pas bien opéré ou que le kiné n’a pas bien bossé mais non, cela arrive.  »

 » On le sait et il faut prévenir le joueur « , appuie Jeannot Akakpo.  » On se doit de lui dire qu’il y a toujours une différence entre le moment où il est apte et la reprise de la compétition où les contraintes sont tout autres.  »

Aspect psychologique

Derrière ces blessures physiques, le mental peut lui aussi parfois subir quelques coups, plus encore en cas de rechute ou quand le corps lâche régulièrement. Être éloigné des terrains pendant une longue période et devoir à nouveau prendre du recul au moment où on l’espère reprendre n’est évident pour personne.

Tous les clubs ne disposent pas d’un préparateur mental ou d’un psychologue du sport qui peut entourer le joueur, le sortir du trou et le remotiver dans sa revalidation en lui donnant certains outils. Dès lors, dans pas mal de clubs, c’est le staff médical en place et plus précisément les kinés qui doivent jouer ce rôle si particulier.

 » Les kinés, ce sont un peu les psychologues du club « , affirme le Dr. Vanden Bulck.  » Ils passent des heures avec les joueurs, ils parlent de tout, de rien. Ils sont au courant de tout ce qu’il se passe dans leurs vies. Au niveau psychologique, ils ont un rôle hyper important.  »

Propos confirmés par Frédéric Vanbelle :  » Le kiné doit pouvoir jouer ce rôle. C’est du pain management et c’est quelque chose de bien documenté, de vérifié.  » Le Cercle n’hésite pas, si c’est matériellement possible, à assigner un kiné à un joueur en phase de revalidation.

 » C’est important que le joueur se sente soutenu « , soutient Jeannot Akakpo. Le préparateur physique du Cercle développe :  » Plus il est informé, plus il adhère au programme de soins. On lui présente donc tout l’arsenal d’accompagnement qu’on va utiliser pour le remettre sur pieds.  »

Entre pression sportive et prudence médicale, les staffs médicaux ont donc un rôle-clef où la confiance est peut-être le maître-mot. Et à l’heure où les performances physiques des joueurs sont scrutées comme jamais auparavant, l’importance d’un bon encadrement médical n’a jamais été aussi importante.

Thomas Vermaelen, un autre poissard devant l'Eternel.
Thomas Vermaelen, un autre poissard devant l’Eternel.© BELGAIMAGE

Et le secret médical ?

En conférence de presse d’avant-match, c’est une habitude, le coach dévoile le nom des joueurs blessés et la nature de leur indisponibilité. Pourtant, et c’est de moins en moins rare, certains se retranchent derrière le secret médical pour refuser de donner l’information.

 » C’est un sujet assez flou et il faudrait clarifier la chose « , reconnaît Bertrand Vanden Bulck, le médecin eupenois.  » Normalement, je ne peux donner d’infos à personne, même au coach et à la direction. Mais si je fais ça, on ne voudra plus bosser avec moi.  »

À Charleroi, le docteur Frédéric Borlée est plus cool sur le sujet.  » À partir du moment où on parle de lésions traumatologiques, il n’y a pas de problèmes à l’annoncer. On n’est pas dans des pathologies délicates « , estime-t-il.

Il faut cependant préciser que le secret médical n’est pas un simple point de déontologie puisqu’il s’agit véritablement d’un texte de loi et de l’article 458 du code pénal.  » En principe, le médecin ne peut rien dire « , précise Jean-Jacques Rombouts, le vice-président de l’Ordre des Médecins.  » Dans le temps, on considérait ce secret comme absolu mais cela s’est assoupli avec le temps. Si un patient autorise le médecin à dévoiler ce dont il souffre, on l’accepte.  »

C’est donc le joueur qui détient les clefs.  » Il faut en parler avec lui, voir s’il est d’accord. Mais c’est rare quand un joueur refuse qu’on divulgue à la presse ce qu’il a « , assure le Dr. Vanden Bulck.

Par Julien Denoël

Obbi Oulare n'a guère porté chance au Standard et vice-versa.
Obbi Oulare n’a guère porté chance au Standard et vice-versa.© BELGAIMAGE

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