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Finlande-Belgique: break-dance sur échiquier (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la victoire des Diables rouges contre la Finlande, dans le dernier match de la phase de poules de l’EURO (0-2).

Paulus Arajuuri cache sa concentration derrière un large sourire. Peut-être parce que le défenseur finlandais, prêt à en découdre avec l’une des armadas offensives les plus réputées du continent, oscille surtout entre le plaisir d’être là et le rêve inavoué de poursuivre un peu plus loin l’aventure européenne de l’été, tout en prolongeant encore une folle série d’invincibilité face à la Belgique qui remonte à sept matches et 53 ans.

Plus d’un demi-siècle après ce soir victorieux d’octobre 1968, le Diable prépare sa révolte dans un 3-4-2-1 plus offensif que jamais. Roberto Martinez confie les couloirs à Nacer Chadli et Leandro Trossard, la compagnie de Romelu Lukaku à Eden Hazard et Jérémy Doku, et les clés du rond central à Kevin De Bruyne, dans une rotation qui ressemble pourtant au meilleur onze aligné par la Belgique depuis le début de la compétition. Dans un stade de Saint-Petersbourg devenu sa résidence secondaire, la sélection noire-jaune-rouge ne semble pas avoir l’intention de se montrer patiente au crépuscule du jour le plus long de l’année.

Retranchés dans un 5-3-2 plus courageux que compact, les Finlandais offrent dès le tableau noir une arme à des Diables qui ne la saisiront que trop rarement. Avec trois défenseurs pour relancer contre les deux attaquants scandinaves, les Belges peuvent facilement créer le surnombre à la relance, puis avancer pour désarticuler le bloc bleu et blanc. Thomas Vermaelen, aligné à gauche de la défense, est d’ailleurs isolé en une trentaine de secondes de passes échangées, avec une route déserte devant lui. Son premier ballon devrait être une percée balle au pied, mais c’est une transversale vers Trossard.

L’histoire du match se résume sur cette première action. Parce qu’elle ne profite pas de son surnombre au rez-de-chaussée, la Belgique doit se frayer un chemin vers le marquoir dans un ascenseur tellement surpeuplé qu’elle est incapable d’appuyer sur les bons boutons. Les attaquants finlandais ne sont jamais éliminés, et les Diables attaquent dans un sept contre dix qui, malgré tout leur talent, tourne trop rarement à leur avantage. Si la troisième minute accueille déjà les premiers crissements de crampons du supersonique Doku, le premier tir du match quitte seulement les pieds d’Axel Witsel à la 23e minute. Pour une frappe depuis l’intérieur de la surface adverse, il faudra carrément attendre au-delà de la demi-heure.

THÉORIE COLLECTIVE POUR ESSAIS SOLITAIRES

D’en haut, on croirait voir un échiquier dont les pièces ont été disposées au début de la partie, mais sans personne sur les chaises pour poursuivre le duel. Regroupés autour de leur roi Lukas Hradecky, les Scandinaves regardent ces Belges soigneusement disposés dans les couloirs, l’axe et les zones intermédiaires, mais sans le moindre mouvement synchronisé qui les inciterait à sortir de position. Pas de courses en profondeur pour libérer de l’espace entre les lignes, pas plus que des décrochages pour ouvrir des portes dans le dos.

Le match ressemble à une réunion de break-danceurs, où chaque membre de la ronde diabolique disposée autour de la surface finlandaise s’avance à tour de rôle pour tenter un pas en freestyle. Les Diables récitent un jeu de position imparfait, où tous les éléments sont présents sans être connectés. On dirait un meuble Ikea laissé en kit, dans l’espoir que les pièces finissent par s’emboîter toutes seules.

À la pause, les Finlandais n’ont dû faire que deux fautes pour contenir des assauts belges désorganisés. Avec seize ballons dégagés dans leur surface, les équipiers de Jere Uronen ont régné sereinement dans les duels qui comptent vraiment. Et si le dernier quart d’heure n’offre que 27% de possession à la Finlande, il raconte plus l’histoire d’un repli volontaire que d’une muraille fissurée. Hradecky ne doit intervenir qu’au bout d’une des rares aventures de son équipe dans le camp adverse, quand un timide pressing jusqu’aux pieds de Thibaut Courtois active la voie des Belges : Hazard pour garder entre les lignes, De Bruyne dans le rôle de l’arc et Doku dans celui de la flèche, qui siffle dans les oreilles des défenseurs puis cherche la cible, mais trouve des gants plutôt que les filets.

DES DRIBBLES AUX PASSES

Parce que la Belgique presse à la perte du ballon, mais ne s’aventure pas jusqu’à harceler la défense adverse, les Finlandais trouvent de l’audace au retour des vestiaires. En vingt secondes, une intervention de Thomas Vermaelen pour contrer une frappe donne le coup d’envoi d’une deuxième partie de match moins cadenassée. Si à la pause, le GPS indique un sens unique chiffré à sept tirs à zéro, le retour des vestiaires monte sur le boulevard avec dix tirs belges et huit finlandais en trois quarts d’heure.

Les lignes s’ouvrent légèrement, juste assez pour que les solistes belges commencent à se faufiler. Doku gère mal une reconversion nationale, puis Eden Hazard frappe à trois reprises autour de l’heure de jeu. Sa dernière tentative, au bout d’un coup de génie de KDB et d’une déviation de Witsel, permet à Hradecky de rappeler que ses gants sont parmi les plus chauds de ce début d’EURO.

Comme les centres ne trouvent jamais leur cible (aucune réussite en sept tentatives pour Chadli), la Belgique cherche sa voie dans la densité de l’axe. Coeur des initiatives belges, De Bruyne inonde de caviar les artères du jeu national. Sa passe ciselée pour Lukaku se conclut d’un hors-jeu du bout du pied, et fait grimper la frustration d’une Belgique qui voit que le chrono bouge plus vite que le marquoir.

LA FIN DU TOUR DE CHAUFFE

Hermétique à la mauvaise dynamique des évènements, lui qui tente chaque dribble comme si les précédents n’avaient pas existé, Doku tente un énième un contre deux sur le côté gauche. Le Rennais sème la panique, De Bruyne récolte un corner, et cuisine l’ouverture du score via la détente de Vermaelen, le poteau et la malchance de Hradecky (0-1).

Passée en 5-3-2 quand Michy Batshuayi monte sur la pelouse, avant que Christian Benteke et Hans Vanaken ne rejoignent une fête européenne à laquelle tous les joueurs de champ sélectionnés ont désormais participé, la Belgique alourdit l’estomac finlandais en lui faisant déguster un deuxième but à dix minutes du coup de sifflet final. De Bruyne, encore lui, faufile le ballon entre six adversaires pour le confier aux pieds de Lukaku. Avec un défenseur sur le dos, le colosse déploie cette envergure si impressionnante qu’on a du mal à imaginer que ses deux épaules soient domiciliées à la même adresse. Le Finlandais cherche le ballon, et ne le retrouve qu’au fond des filets (0-2). Depuis le début de l’EURO, personne n’a créé autant d’occasions que Kevin De Bruyne. King Kev n’a pourtant même pas joué 50% de la phase de poules.

La Finlande quitte la pelouse, et sans doute la compétition, sans avoir obtenu un corner ou un tir cadré dans la surface belge. Le Diable, lui, termine son tour de chauffe, et s’installe en première ligne pour entamer le circuit qui doit le mener sur le toit de l’Europe. La ligne d’arrivée n’est que quatre virages plus loin. Il y a de sacrés bolides sur la grille, mais la Belgique a un Romelu Lukaku dans le moteur et un Kevin De Bruyne au volant.

Par Guillaume Gautier

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