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Filip De Wilde: « Le lendemain de la Turquie, je suis parti à l’aube »

Cela devait être l’apogée de sa carrière. Mais sa dernière danse n’aura pas fait rêver grand monde. Il y a 20 ans, Filip De Wilde bâclait ses dernières copies diaboliques lors d’un Euro 2000 de sombre mémoire.

Filip De Wilde était un gardien sobre et est resté un homme de peu mots. Pas du genre pourtant à se débiner au moment de célébrer l’anniversaire le plus triste de sa carrière. Il y a 20 ans tout juste, le Diable aux 33 sélections lançait contre la Suède un Euro 2000 aux faux airs de Vaudeville pour la Belgique. De mouroir personnel pour le principal intéressé.

Coupable d’une grossière faute de pied sans conséquence contre les Vikings en ouverture, le portier anversois se trouera encore à deux reprises neuf jours plus tard contre la Turquie. Et déclenchera simultanément une tornade de critiques sur sa personne. Malgré lui, le successeur de Michel Preud’homme dans les cages belges aura donc précipité l’élimination des Diables de Waseige au premier tour de leur Euro. Un drame national, un fiasco historique surtout pour une nation organisatrice. Et un adieu sans gloire pour le malheureux Filip De Wilde.

Je n’ai plus regardé un match du tournoi par la suite… Ce qui est amusant, c’est qu’aujourd’hui encore, il m’arrive de découvrir certaines images.

Filip, il y a 20 ans vous étiez donc la risée de la nation. Au point qu’au lendemain de l’élimination, le journal Le Soir titrera: « De Wilde gâche l’Euro des Belges ». Qu’est-ce qui vous reste de tout ça aujourd’hui?

Vous vous doutez bien que je n’ai pas beaucoup lu de journaux à l’époque. Je me souviens bien du lendemain du match par ailleurs. J’étais parti à l’aube avec ma femme et mes enfants en Normandie pour échapper à tout ça. J’y suis resté dix jours, le temps que ça se tasse un peu. Je n’ai plus regardé un match du tournoi par la suite… Ce qui est amusant, c’est qu’aujourd’hui encore, il m’arrive de découvrir certaines images quand je tombe sur des résumés de matches sur internet.

À l’époque, c’était surtout mon ego qui était touché. Parce que si tu joues en équipe nationale, c’est pour faire des matches parfaits. Là, sur trois matches, je fais trois erreurs, c’est trop. Après, ce que les gens pensaient de moi, c’était secondaire. Je crois que ce qui m’a aidé à ce niveau-là, c’est d’avoir toujours été un solitaire. D’avoir toujours été mon propre juge. Et puis le fait d’avoir pu me relancer rapidement aussi puisqu’à mon retour de vacances, je me lançais dans des matchss de qualification avec Anderlecht pour la Ligue des Champions. Un des grands paradoxes, c’est qu’alors qu’on me disait finit, je livre moins d’un mois et demi après l’Euro, ce qui restera peut-être comme le meilleur match de ma carrière contre Porto en barrage pour l’accès à la C1…

Le fait d’avoir 36 ans à l’époque, ça vous a aidé à relativiser?

Oui, probablement. Dans le sens où j’étais conscient de ma valeur. Je savais depuis un petit temps que j’étais un bon gardien au niveau national, mais que j’étais un peu court pour le top niveau. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait une bonne partie de ma carrière dans l’ombre de Michel Preud’homme. Lui a su prouver dans les grands matches qu’il faisait partie des tous grands. C’est grâce à ça qu’il a été élu meilleur gardien du Mondial en 1994. Moi, ça ne m’est jamais arrivé. Tout simplement parce que je n’étais pas au même niveau. Je faisais parfois de bonnes prestations, mais ce n’était pas pareil.

Même à 100%, je n’avais pas la classe internationale d’un Pfaff ou d’un Preud’homme.

Un autre paradoxe pendant cet Euro, c’est que si on met de côté vos deux gros ratés, il y a quelques moments de grâce pendant ce tournoi. Quelques minutes après la faute de pied contre la Suède, vous sortez un arrêt impeccable en face à face devant Freddie Ljungberg. Il y a aussi cette double parade devant Paolo Maldini puis Filippo Inzaghi en début de match contre l’Italie. Vous étiez donc prêt?

Oui, et même contre la Turquie, en première mi-temps, je sauve un face-à-face. Ce qui veut bien dire que j’étais prêt physiquement pour faire des bonnes prestations. Comme tout le groupe qui jouait véritablement bien au football. On se créait beaucoup d’occasions, mais on marquait peu. Et dans ces cas-là, la moindre erreur est fatale.

Dans la foulée de l’élimination, certains analystes avaient établi que comme souvent la Belgique n’était pas assez forte dans le jeu pour se contenter d’un gardien moyen. Et qu’à chaque grande épopée des Diables, il y avait eu un grand gardien. Piot (1972), Pfaff (1980-1986) et MPH (pour la victoire à Orlando en 94). On pourrait aujourd’hui facilement ajouter Courtois (2014-2018). C’est une blessure ne pas être associé à ces grands noms là principalement à cause de cet Euro?

C’est dur à digérer parce que j’ai toujours été ambitieux, mais le constat est implacable: j’étais nettement en dessous de ces gars-là. Après, je crois avoir tiré le maximum de ma carrière au vu de mes qualités intrinsèques. Mais même à 100%, je n’avais pas la classe internationale d’un Pfaff ou d’un Preud’homme. Et je rejoins en tout point l’analyse de l’époque. C’est souvent grâce aux exploits de nos gardiens que ces grandes épopées ont été rendues possibles. En 2000, moi, je n’ai pas répondu présent. Dans le cas contraire, qui sait ce qu’il se serait passé?

Ma carrière aurait été plus belle si je n’avais pas joué cet Euro.

Ce qui est frustrant évidemment très égoïstement, c’est que ça éclipse tout le reste. Notamment mon premier match international contre la Tchécoslovaquie qui nous avait valu de valider notre ticket pour le Mondial 1994. De très loin mon meilleur match avec les Diables. J’ai fait d’autres bons matchs par la suite, en qualification pour le mondial français notamment. Jusqu’à ces barrages contre l’Irlande. Tout cela, j’en suis fier. Malheureusement, l’histoire se termine mal. Ce qui me fait dire que ma carrière aurait été plus belle si je n’avais pas disputé cet Euro à la maison.

Est-ce qu’à ce moment précis, ce n’est pas mentalement que vous vous écroulez?

Oui, c’est bien possible. Je me mettais toujours énormément de pression. Parce que j’avais cette envie de faire des matches pleins. Ce qui d’un côté m’a aidé toute ma carrière pour bien me soigner, bien me reposer, faire tous les sacrifices. Mais qui, d’un autre côté, en équipe nationale, me jouait parfois des tours. Parce qu’il y avait toujours une tension. Celle de devoir prouver que j’avais le niveau. Cette pression, je me la mettais tout seul. Et je crois qu’elle a été trop lourde à certains moments.

Lors du Mondial français, en 1998, Georges Leekens vous sacrifie avant le match décisif contre la Corée du Sud au profit de Philippe Vande Walle. La raison officielle est toujours restée floue…

Pour moi aussi. D’autant que j’avais fait un bon match contre les Pays-Bas en ouverture (0-0, NDLR). Par contre, j’avais dégagé des dizaines de ballons. Ce qui a entrainé chez moi quelques problèmes aux adducteurs. Cela ne m’a pas empêché de jouer contre le Mexique (2-2, NDLR). Mais comme on a dit que ma responsabilité avait été engagée sur le deuxième but mexicain – même si je sauve finalement un point en fin de match – avant la Corée, Leekens a douté. Et m’a posé la question de savoir si je pouvais jouer. J’ai dit oui, mais il m’a demandé de faire un test avec Jean Nicolay (entraineur des gardiens à l’époque, NDLR). Celui-ci s’est révélé positif, mais il a malgré tout préféré miser sur Philippe.

Avant le match contre la Turquie, la presse me posait déjà des questions sur le quart de finale contre le Portugal.

C’était sa décision…La raison officielle, c’est que je n’étais pas à 100%. Qu’il voulait me protéger. Je crois peut-être que là aussi, il a senti que je me mettais un peu trop de pression. Mais clairement, moi, je voulais jouer. Je ne l’ai pas bien vécu d’être sur le banc pour ce match-là. Et dans l’ensemble, j’ai toujours fait un très mauvais n°2. Je crois qu’avec mon caractère réservé, j’étais peut-être le plus mauvais réserviste qui existe. A l’inverse, je me souviens de Zvonko Milojevic à Anderlecht par exemple. Lui était génial dans ce rôle-là parce qu’il n’arrêtait jamais de m’encourager. Il disait de lui-même qu’il pouvait jouer à un bon niveau pendant deux ou trois matches, mais pas plus. Ça a été mon plus grand soutien pendant des années à Anderlecht.

Le point commun entre ce match contre la Corée en 1998 et celui contre la Turquie en 2000, c’est que les deux fois, la Belgique se pensait supérieure à son adversaire. En relisant les papiers d’époques de l’Euro 2000, dans la presse, on parlait déjà d’un potentiel quart de finale à Amsterdam contre le Portugal avant même de jouer la Turquie…

Oui parce qu’il ne nous fallait qu’un nul pour nous qualifier et que nous étions à domicile. Et puis, on avait de bons souvenirs contre la Turquie… Moi, je me souviens même que comme j’avais évolué au Sporting Lisbonne, la presse me posait déjà des questions sur le Portugal. Mais je ne pense pas que ça a eu une influence négative sur le groupe. La preuve, c’est qu’on entame bien la rencontre, qu’on se créé un paquet d’occasions. Mais ce soir-là, Rü?tü (Rü?tü Reçber, le gardien turc , NDLR) a tout arrêté…

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Et puis, juste avant la mi-temps, il y a cette balle en cloche… Un ballon anodin tombé comme une feuille morte sur lequel vous semblez resté figé, sans bouger, avant de vous faire fusiller par Hakan Sükür. Que se passe-t-il concrètement sur cette phase dans votre tête?

Il faut distinguer cette erreur de celle contre la Suède. Le premier match, c’est une erreur technique au pied. C’était encore le début de la période où on demandait aux gardiens de participer au jeu et on ne travaillait pas beaucoup ça à l’entrainement. On nous demandait juste d’assurer le coup, pas de conserver la possession comme actuellement. Contre la Turquie, c’est dans la tête que ça se passe. Sur le coup, je veux trop assurer. Et clairement, je manque d’audace. Je n’ai pas osé aller au ballon avant qu’il ne tombe. Une fois que je le laisse rebondir, à la limite, je sais que c’est déjà foutu. Hakan Sükür prend son élan, arrive lancé, tandis que je suis à l’arrêt. Ce qui explique qu’il saute plus haut que moi, même sans les mains. Je n’aurais donc jamais dû laisser retomber ce ballon…

Un gardien de moins d’un mètre 85, ça n’existe quasiment plus aujourd’hui…

Et encore, je faisais même un mètre 80! Mais on trichait beaucoup dans les fiches (rires). Pas moi hein, moi, j’ai toujours été honnête. De toute façon, à l’époque, on était moins attentif et surtout moins en demande de grands gardiens. Aujourd’hui, je crois que je ne passerais même plus pro à cause de ma taille.

Robert Waseige ne m’a rien reproché, il comprenait la difficulté du moment que j’étais en train de vivre.

Ce match, contre la Turquie, vous le terminez, seul, dans le vestiaire après votre exclusion pour une sortie hasardeuse. Comment était l’ambiance quand les joueurs vous ont rejoint?

Je pense que tout le monde savait que j’étais un bosseur. Personne ne m’a rien reproché parce qu’ils étaient conscients que j’étais le premier fâché sur moi-même. Et puis, on était tous abattu. Personne n’avait le courage de parler. Et à quoi bon? Cela aurait pu exploser, mais nous étions de toute façon éliminés. Moi, j’allais prendre ma retraite. Ce n’était pas officiel, mais tout le monde pouvait s’en douter. A quoi aurait-il servi de me taper dessus? Et puis, Robert Waseige était quelqu’un de bien. Un homme capable de relativiser. On s’est parlé brièvement, il ne m’a rien reproché. Au contraire, il a essayé de me soutenir parce qu’il comprenait la difficulté du moment que j’étais en train de vivre. Ce qui m’a fait plaisir, c’est que cette génération a su rebondir très vite après avec la qualification pour le Mondial 2002.

Vous avez toujours été quelqu’un de discret. Pourtant, ce soir-là, vous devancez la critique médiatique en avouant vos erreurs face caméra quelques minutes après l’élimination. Un geste courageux qui aura participé à faire passer la pilule pour beaucoup. Vous l’avez fait de votre plein gré?

Vu l’ampleur de la catastrophe, j’étais obligé de faire ça. Nous étions éliminés, c’était la fin de l’aventure. Personne n’aurait compris que je fuie mes responsabilités. J’étais un vrai solitaire, donc ça m’a demandé de me faire violence. Mais parler avec la presse, c’est facile dans les bons jours, mais il faut aussi être là et assumer dans les mauvais. Tout le monde voulait savoir si j’allais arrêter ma carrière là-dessus. Moi, je voulais quand-même attendre de prendre connaissance de la durée de ma suspension. Finalement, j’ai pris quatre matchs et j’ai annoncé que j’arrêtais là avec les Diables. Honnêtement, je crois que j’aurais arrêté quoi qu’il arrive. Et puis, de toute façon, je ne suis pas sûr qu’on aurait accepté que je revienne après ce qu’il s’était passé…

Quelques secondes avant l'atterrissage de la carrière internationale de Filip De Wilde
Quelques secondes avant l’atterrissage de la carrière internationale de Filip De Wilde© belga

Propos recueillis par Maurice Brun

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