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Felice time ?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Il y a ceux qui jugent qu’il a fait le tour de la question à Charleroi, et ceux qui disent qu’il ne réussira jamais plus haut sans même lui accorder la chance de leur prouver le contraire. Tous ont un avis sur l’avenir de Felice Mazzù. Pourra-t-il bientôt s’écrire loin du Pays Noir ?

Le poing serré de Mehdi Bayat envoie un uppercut dans le vide. L’homme fort du Sporting carolo a la mine des soirs de grande victoire. Les pelouses sont pourtant loin. Si Roberto Martinez est de la partie, c’est seulement dans un costume d’invité d’honneur. Le sélectionneur débarque sur la scène du Soulier d’or pour annoncer le nom de l’Entraîneur de l’Année 2017, et dégaine le nom de Felice Mazzù.

Au bout de quelques poignées de mains avec son staff, d’un baiser à son épouse et d’une accolade avec son challenger Ivan Leko, le coach des Zèbres monte sur l’estrade pour aller chercher son deuxième titre, quelques semaines après le Trophée Raymond Goethals. Quelques mots en français, puis un discours poursuivi dans la langue de Vondel, avec la fluidité d’un écolier qui débiterait une fable de La Fontaine apprise à la hâte.

 » C’était une manière de respecter l’organisateur « , justifie Mazzù quelques instants plus tard. Une façon aussi de compléter un CV déjà installé dans les esprits de la plupart des dirigeants du pays, avec plus ou moins de sérieux.

Avant de se rabattre sur Ricardo Sa Pinto, les dirigeants du Standard avaient ainsi pris la température du côté du Carolo, privé de cette porte de sortie rouche par l’importance qu’il accorde à sa parole et à son image. Peu de temps avant le flirt liégeois, Mazzù avait ainsi déclaré qu’il ne partirait jamais directement du Mambour à Sclessin, par respect pour ce public qui entretient une féroce rivalité qu’il juge incompréhensible.

Jusqu’à aujourd’hui, le Standard est le seul club du G5 à avoir formellement contacté Felice Mazzù pour lui proposer de prendre les rênes du club.  » À trois reprises « , précise l’intéressé.

COUPS DURS

Un an après le champagne des trophées annuels, le coach a du mal à évacuer l’amertume des lendemains difficiles. Cette fois, les décibels du mois de janvier n’étaient pas ceux d’une célébration. Plutôt des cris de colère et de dépit. Cinq mois après le départ de Kaveh Rezaei, qui avait décapité le plan de jeu des Zèbres et mis une cerise indigeste sur le gâteau manqué de leur début de saison, c’était au tour de Cristian Benavente de quitter le Pays Noir. Des ventes qui font sourire la trésorerie, mais qui sabordent la continuité sportive installée par Felice Mazzù.

Felice Mazzù s’inscrira-t-il vraiment dans la durée au Mambour ou ira-t-il voir ailleurs ?

Privé de son buteur iranien, le coach avait reconstruit son équipe autour des qualités de son artiste péruvien, auteur d’une prestation exceptionnelle sur la pelouse de Bruges pour sa dernière sortie en noir et blanc. Le départ de Benavente a fait trembler les murs du Mambour, et ramené l’image d’un Mazzù parfois désabusé, qui peine à se défaire de cette impression que le monde du football lui met des bâtons dans les roues depuis son titre d’Entraîneur de l’Année.

En cas de play-offs 1 manqués, la cote de celui qu’on aime présenter comme un magicien à Charleroi devrait continuer à suivre la pente légèrement descendante sur laquelle elle glisse depuis un peu plus d’un an. Au gala du Footballeur Pro, en fin de saison dernière, le tacticien zébré a ainsi échoué au pied du podium des coaches, emmené par Ivan Leko devant Ricardo Sa Pinto et Philippe Clement.

Les trois mêmes hommes occupaient le podium lors du récent Gala du Soulier d’or, qui ponctuait l’année difficile vécue par Mazzù et ses couleurs. Malgré la victoire des Carolos à Bruges quelques jours plus tard, l’aura de l’homme qui incarne le football de Charleroi est sortie légèrement écornée de l’année écoulée. Son nom n’a même pas intégré la liste des favoris au moment où Anderlecht s’est mis en quête d’un nouveau T1, alors que le Carolo gardait un oeil attentif sur le manège qui a suivi le licenciement d’ Hein Vanhaezebrouck dans les bureaux de Neerpede.

FLIRT GANTOIS

Quelques semaines avant la mise à pied du champion de Belgique 2015, c’est dans son ancien club que les bureaux s’étaient agités. Non loin de la Ghelamco Arena, Ivan De Witte et Michel Louwagie avaient mis un terme au bail d’un Yves Vanderhaeghe qui ne les avait jamais vraiment convaincus en une année passée chez les Buffalos.

Comme à leur habitude, les deux hommes forts de Gand avaient lancé des hameçons par agents interposés, et Roger Henrotay s’était renseigné pour voir si cela mordait du côté de Felice Mazzù. Assez intéressé pour demander à ses adjoints lesquels seraient disposés à l’accompagner de l’autre côté de la frontière linguistique, le coach des Zèbres n’a pas osé mener plus loin des discussions qui n’ont pas été prolongées par les Gantois, rapidement partis vers la piste étrangère qui a débouché sur l’arrivée de Jess Thorup en bord de Lys.

Averti par un tiers de ce flirt, Mehdi Bayat n’avait pas caché sa colère au moment de contacter les dirigeants gantois. En janvier de l’année 2018, l’administrateur-délégué du Sporting avait fait le nécessaire pour éviter que le nom de son coach ne s’invite en Une des journaux à chaque fois que le banc d’un club du G5 serait vacant.

Un nouveau contrat qui avait fait grand bruit, quand les montants – dans leur version agrémentée des primes les plus hautes – avaient fuité dans la presse, au grand dam d’un Mazzù qui confie encore aujourd’hui que  » le fait que mon augmentation salariale ait été vue par toute la Belgique m’a certainement un peu affaibli par rapport à l’extérieur.  »

Avec sa tête  » mise à prix  » à 50.000 euros mensuels, Felice voyait certains de ses courtisans freiner sec. La somme paraît en effet plutôt flatteuse, et ne souffre pas démesurément de la comparaison avec les émoluments de certains coaches actuellement en place au sein du G5.

 » Il faut nourrir l’ambition de Felice « , explique Mehdi Bayat à la Nouvelle Gazette quand il déroule sa stratégie pour continuer à faire de son entraîneur le  » Sir Alex Ferguson de Charleroi « . Désormais nourrie financièrement, aux dires de l’administrateur-délégué, l’envie de sommets du coach devait ensuite être satisfaite sur le plan sportif.

Le mercato de janvier et l’offre unique déposée par le Pyramids FC pour Cristian Benavente sont passés par là, et Charleroi n’a pas semblé renforcé par le marché hivernal, malgré l’arrivée en prêt de Ryota Morioka.

 » Quand tu es dans une situation qui fonctionne bien, soit tu amènes du renouveau au début, soit tu ne l’amènes pas « , avait confié Mazzù en interview au moment de rappeler les circonstances difficiles de l’hiver 2018, quand Dodi Lukebakio et Clément Tainmont avaient quitté le Pays Noir en cours de saison. Des propos qui ont un écho particulier quand ils résonnent avec le récent départ du Péruvien préféré du Mambour.

FIN DE CYCLE ?

 » Cela fait partie de la vie d’un entraîneur « , se contente de répondre Mazzù, comme s’il laissait la parole à un enregistreur, quand la presse le confronte au énième départ de l’un de ses cadres. Le coach connaît la politique sportive et financière de son club, et ne chargera jamais de front son administrateur-délégué, auquel il voue une reconnaissance immense :  » J’ai un énorme respect pour lui, parce que ça a été la première personne importante du monde du football à venir me chercher pour un club de première division. Cela ne veut pas dire qu’on est toujours d’accord, mais c’est une forme de respect que j’ai par rapport à lui.  »

En privé, pourtant, l’entourage de Mazzù témoigne d’un agacement encore jamais vu auparavant suite au départ de Cristian Benavente. Un épuisement qui, lié à l’approche du terme d’un deuxième cycle de trois saisons, pourrait faire croître les envies de nouveau défi du coach carolo.

Après tout, son seul rival en termes de longévité sur le sol belge, Francky Dury, a également tenté sa chance au sein d’un club du G5 avant de revenir sur le banc du stade Arc-en-ciel. Alors, pourquoi pas Mazzù ?

Si le timing du flirt gantois n’était pas idéal, l’entraîneur des Zèbres répétant encore dans les colonnes de la Dernière Heure à l’automne dernier qu’il avait  » voulu rester car je veux aller au bout du projet qu’on s’est fixé « , Mazzù a précisé que le projet du coach touchait son terme chaque saison, avant de repartir au début de la suivante :  » Quand ton bateau arrive à quai, que le trajet est fini, et que le gros bateau d’à côté te demande si tu veux monter à bord, alors je discute.  »

Des discussions pourraient-elles reprendre cet été ? Le fameux  » plan 3-6-9  » de Mehdi Bayat arrive au terme de son second cycle, moment qui semble propice à un renouvellement même si l’homme fort du Mambour montre ces derniers temps qu’il est plus enclin à renouveler son vestiaire que son staff, avec 18 nouveaux joueurs accueillis lors des quatre derniers mercatos. Hors du Pays Noir, par contre, les astres semblent s’aligner pour un été mouvementé sur les bancs de touche du Royaume.

Felice Mazzù en compagnie d'Ivan Leko.
Felice Mazzù en compagnie d’Ivan Leko.© BELGAIMAGE

Tour de carrousel

La semaine réussie du Club ne devrait pas avoir d’incidence sur la prolongation du contrat d’ Ivan Leko, qui semble se diriger vers un divorce avec les Blauw en Zwart. Pour endosser le rôle de T1 dans la Venise du Nord, le nom de Philippe Clement est murmuré avec insistance par certaines voix bien informées des couloirs du stade Jan Breydel.

De quoi impliquer Genk dans un carrousel des entraîneurs qui devrait aussi s’inviter dans la capitale, où le CDI de Fred Rutten ressemble furieusement à un contrat d’intérimaire. À Gand aussi, Jess Thorup ne ferait pas l’unanimité, et une saison conclue hors des play-offs 1 pourrait ne pas suffire à compenser l’euphorie d’un éventuel sacre en Coupe de Belgique.

Au sein du G5, seul le Standard semble certain de poursuivre l’aventure avec le même coach la saison prochaine. Même à l’Antwerp, le nom de Laszlo Bölöni s’écrit en pointillés, tant ses méthodes à l’ancienne ne font pas l’unanimité au sein du club, comme du noyau. Les postes à pourvoir pourraient donc être légion, et les critères pour en écarter Felice Mazzù s’estompent au fil des saisons.

Si, à Genk, on reste sceptique quant au style de jeu affiché par l’entraîneur carolo depuis plusieurs saisons, les Limbourgeois butant sur cette étiquette de  » coach défensif  » dont le Zèbre tente de se défaire en vain, les dirigeants gantois n’ont jamais caché leur admiration pour les qualités de coach de Mazzù.

Si sa capacité à s’adapter à un vestiaire multiculturel a longtemps suscité des doutes, ceux-ci ont diminué depuis les réussites iraniennes de son vestiaire, Felice faisant de Kaveh Rezaei l’un des meilleurs attaquants du pays la saison dernière alors que même la communication en anglais était difficile pour le joueur lors de ses premières semaines.

 » J’espère pouvoir coacher un jour un match de Ligue des Champions « , confiait un Mazzù euphorique lors de son sacre au Trophée Goethals, dans l’écrin du Château du Lac de Genval. Puisque Anderlecht semble privilégier des pistes internationales et que Bruges, malgré l’appel du pied lancé par Michel Preud’homme, avait préféré jeter son dévolu sur Leko, la piste idéale au sein du tiercé le plus titré de D1 semble à nouveau mener à Liège.

Là où le coach actuel ne manquera certainement pas de glisser le nom de celui des Zèbres lorsqu’il décidera de passer la main pour enfiler son costume de directeur technique et de vice-président. Un poste qui ne devrait pas se libérer dans l’immédiat, et qui place en haut de la liste des pronostics une septième année au Mambour pour le Fergie hennuyer.

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