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Faris Haroun et Vadis Odidja se livrent: « Fiers d’avoir porté le maillot des Diables »

Les matches entre Gand et l’Antwerp sont un peu des duels entre Faris Haroun et Vadis Odjidja. Les deux copains se sont connus en Amérique centrale il y a douze ans et sont maintenant parmi les meilleurs joueurs de Belgique.

Faris Haroun et Vadis Odjidja : deux jeunes pères, qui comptent, ensemble, plus de 500 matches de D1A. Ils sont inséparables depuis qu’à 18 ans, Vadis a accompagné Faris à Mexico. Ils ont ensuite visité Los Angeles et Marrakech, entre autres, et vont bientôt aller à Toronto et à Tokyo.

Vous êtes les leaders de Gand et de l’Antwerp. Qu’est-ce qui fait de vous de bons capitaines ?

FARIS HAROUN : Vadis ne se cache jamais. Dans les grands matches ou quand ça va moins bien, il faut des joueurs comme lui, qui osent continuer à faire des actions, même quand ils ont fait quelques mauvaises passes.

VADIS ODJIDJA : Il s’impose verbalement et est un rien plus calme que moi en match. L’Antwerp n’a pas le vestiaire le plus facile mais il parvient à ce que l’équipe conserve son unité. Je peux certainement m’inspirer de lui.

Quelles qualités footballistiques de l’autre aimeriez-vous posséder ?

ODJIDJA : Il fait bien le ménage dans l’entrejeu mais je voudrais surtout son abattage. J’abats aussi beaucoup de kilomètres mais pas autant que Faris. N’oubliez pas qu’il vient du Tchad ! ( Rires)

HAROUN : Donne-moi son passing et sa technique de frappe.

Faris n’en a pas moins marqué plus de buts que toi : 63 contre 41…

ODJIDJA : C’est vrai ? Mais les miens sont plus beaux ! ( Rires). Je sais que je dois être plus égoïste et tenter ma chance de loin plus souvent mais j’aime donner des assists et placer les autres.

 » Fiers d’avoir porté le maillot des Diables  »

Poursuivons les comparaisons. Vadis a trois caps chez les Diables Rouges et toi six, Faris.

HAROUN : J’ai souvent pensé que Vadis méritait sa place. Il possède assez de qualités pour faire partie du noyau mais tout dépend du sélectionneur, des pics de forme en championnat, des blessures… Il a été freiné par des blessures à plusieurs reprises et a raté des sélections. Selon moi, il n’a pas eu l’occasion de se forger suffisamment de crédit en équipe nationale pour être repris automatiquement quelques fois.

ODJIDJA : Il faut se concentrer sur ce qu’on maîtrise, soit prester en club. Je suis fier d’avoir pu jouer en équipe nationale et j’en conserve de beaux souvenirs.

Faris, tu as envisagé de jouer pour le Tchad ?

HAROUN : À 18 ans, mon père et moi sommes allés quelques jours en France pour voir le Tchad, qui y effectuait un stage et jouait un match contre Nantes. La différence de niveau avec la Belgique était telle que je n’ai jamais envisagé de me produire pour le Tchad. Il était bien plus intéressant sportivement de jouer avec les Diables Rouges et je ne regrette rien à ce niveau. Mais il y a trois ans, en voyant mon frère et mon cousin jouer avec le Tchad, à la télévision, j’ai eu la chair de poule. Se produire pour sa patrie fait quelque chose. Le joueur le plus connu ? Mon frère Nadjim Haroun ( Rires). Il y a eu Japhet N’Doram de Nantes et maintenant Casimir Ninga, qui joue aussi en France ( à Angers, ndlr) et Marius Mouandilmadji de Porto mais ils ne sont pas très connus en dehors du Tchad.

Un duo dans la lumière des justes.
Un duo dans la lumière des justes.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » De nombreux facteurs influencent une carrière  »

Hormis un titre avec le Legia en 2017 et un avec l’Antwerp en D2, la même année, votre palmarès est vierge. N’est-ce pas une tache ?

ODJIDJA : Beaucoup de joueurs ont été champions à plusieurs reprises parce qu’ils étaient au bon endroit au bon moment. Il faut un brin de chance. J’ai été proche du titre avec le Club Bruges à plusieurs reprises mais les play-offs ont chaque fois mal tourné. La saison passée, Gand a perdu la finale de la coupe, alors qu’il en était le favori… Ça fait mal…

HAROUN : Tout le monde veut des prix mais ce n’est pas un objectif en soi pour moi. Passer trois ans sur le banc pour être champion… Cela en vaut-il la peine ? Je suis pro depuis quinze ans et je ne voudrais pas échanger ces années contre un titre ou une coupe. Je suis déjà bien content d’avoir été champion avec l’Antwerp, même en D1B. J’ai été international, j’ai participé aux Jeux Olympiques et j’évolue toujours à un niveau élevé. C’est ça qui me fait plaisir.

ODJIDJA : Je me rappelle sa mauvaise passe à Blackpool et sa quête d’un nouveau club. Il a ressuscité au Cercle Bruges. Il a retrouvé le plaisir de jouer tout en étant proche de sa famille. Je n’ai jamais redouté qu’il doive achever sa carrière. Ceux qui le connaissent savent qu’il est motivé et passionné. Il ne baisse pas les bras. Je savais qu’il émergerait et qu’il pouvait être titulaire dans la plupart des équipes de D1A. Il l’a largement démontré à l’Antwerp et beaucoup de clubs réalisent maintenant qu’ils ont dédaigné un joueur qui aurait pu leur apporter un plus.

Faris, selon toi, Vadis a-t-il retiré le maximum de sa carrière ?

HAROUN : La plupart des gens se font une opinion sur base de ce qu’ils ont lu, entendu ou cru voir. Ils ne connaissent pas 20% de ce que Vadis a traversé. Il faut être dans le milieu pour comprendre que de nombreux facteurs influencent une carrière. Des petites choses qui peuvent avoir un impact considérable sur un footballeur.

 » Provoquer ou simuler, c’est lâche  »

Avec ses qualités, Vadis aurait aisément pu jouer en Premier League. Est-ce uniquement sa faute s’il ne joue pas en Angleterre ? Je ne pense pas. En fin de journée, il doit se regarder dans la glace. Il est le seul à pouvoir répondre à ta question par oui ou par non. Finalement, c’est son vécu.

Faris, tu sembles sorti d’une autre époque. À tes débuts en D1, il y avait Jan Moons, Brian Priske, Thomas Chatelle, Cédric Roussel, Koen Daerden, Didier Zokora etc.

ODJIDJA : Et on retransmettait les matches en noir et blanc (rires)…

HAROUN : Canal+ diffusait les matches. Sans abonnement, impossible de les voir. Olivier Deschacht et Davy De fauw sont les seuls qui jouaient déjà quand j’ai commencé et qui n’ont pas encore raccroché. Mais ne me demandez pas combien de matches j’ai joué en D1 : j’ai arrêté de les compter depuis longtemps. Si j’en ai assez du championnat de Belgique ? J’ai joué trois ans en Angleterre et j’ai perdu le désir de m’expatrier une fois de plus.

Le match Antwerp-Gand reporté a lieu ce jeudi. Tu vas harceler Vadis s’il prend une carte jaune après dix minutes ?

HAROUN : Non, ce n’est pas mon genre. Il ne faut pas jouer comme ça.

ODJIDJA : Provoquer un joueur ou simuler alors qu’on n’a même pas été touché ? C’est lâche. C’est une preuve de faiblesse.

Tous les moyens sont quand même bons pour gagner ?

ODJIDJA : ( Vif) Il faut gagner en homme. Pas comme un… Il faut quand même essayer de surpasser son adversaire sur le plan footballistique. Un attaquant doit en effet chercher le défenseur central qui est déjà averti. Mais pas donner un petit coup en espérant qu’il le rende.

HAROUN : Il y a une différence entre se laisser tomber sur un tacle alors qu’on a à peine été touché et provoquer délibérément quelqu’un. Globalement, je dirais à mes coéquipiers de s’abstenir mais je n’ai pas l’impression que notre équipe comporte des joueurs de ce genre.

 » Un manque de communication avec les arbitres  »

Tu as la réputation d’un pitbull sur le terrain mais tu as reçu moins de cartes jaunes que Vadis dans ta carrière : 73 contre 84.

HAROUN : Je pense que certains footballeurs essaient de déstabiliser Vadis et que l’arbitre se laisse parfois influencer mais je ne l’ai encore jamais vu commettre une méchante faute. Il est victime d’une mauvaise perception. J’ai connu ça la saison passée : j’ai touché quelqu’un et j’ai été immédiatement averti. J’ai pris 14 cartes jaunes au total ! Les arbitres pensaient peut-être qu’il fallait me montrer rapidement la carte pour me calmer.

T’es-tu senti visé quand Ruud Vormer a déclaré qu’il y avait quelques fous à l’Antwerp, à l’issue de votre confrontation ?

HAROUN : Non, j’ai même trouvé ça marrant. Il a pris en exemple l’action la plus dingue du match et je trouve un peu ridicule que ce soit lui qui profère de telles paroles. Je ne franchis jamais les limites mais je dois défendre mon équipe quand j’estime qu’on a pris une décision erronée. Ce qui me frustre le plus, c’est le manque de communication avec les arbitres. Ils sont les patrons sur le terrain mais ils ne doivent pas s’adresser à nous comme s’ils grondaient leur fils.

Vadis, tu n’es pas frustré par la polémique que suscitent tes exclusions ? À l’étranger, tu n’as pris que deux cartes rouges, contre huit en Belgique…

ODJIDJA : Depuis mon retour à Gand, la saison passée, seule la carte rouge contre le Club Bruges était justifiée. J’ai eu une réaction impulsive, à propos de laquelle je me suis excusé. La dernière carte rouge contre le Standard… On peut difficilement dire que c’était une poussée mais j’ai reçu une seconde carte jaune. Par contre, lors du dernier Antwerp-Club Bruges, il y a eu beaucoup de poussées et de coups de coude mais personne n’a pris de carte. On peut donc dire que mon exclusion était excessive.

 » On n’est plus stressé  »

Quand tu revois les images, tu es parfois effrayé par tes réactions sur le terrain ?

ODJIDJA : Pas vraiment. Si je me fâche, c’est parce qu’on a été injuste à mon égard. Je me dis quand même parfois que je n’ai pas été courtois.

Vous allez vous laisser tranquilles avant votre double confrontation ?

ODJIDJA : Si je veux lui téléphoner en pleine nuit, je le fais. Il nous est déjà arrivé de nous retrouver un jour ou deux avant un match nous opposant.

HAROUN : Avant, il n’était pas question de me déconcentrer dans l’heure précédant un match. Je pensais à mille et une choses. J’ai disputé tant de matches, depuis, que je ne suis plus stressé. Je suis décontracté et j’opère le déclic à l’échauffement. Donc, Vadis peut m’envoyer des messages.

 » Il faut quitter le terrain pour protester contre le racisme  »

Les incidents racistes sont légion ces dernières semaines. Comment vous engagez-vous dans cette lutte ?

VADIS ODJIDJA : Si je remarque quelque chose qui ne me plaît pas, je le dis ou je le montre. Dommage qu’il y ait encore du racisme en 2019…

FARIS HAROUN : Je suis impliqué de près dans cette lutte via l’ASBL de mon père, Friendly Foot. Je soutiens activement toutes les actions contre le racisme mais personnellement, je ne fais rien de particulier.

En tant que capitaines, vous pouvez décider de quitter le terrain si, des tribunes, on crie des remarques racistes. C’est la manière de montrer au milieu du football que c’en est trop ?

ODJIDJA : Si ce n’est pas la première fois, pareille démarche se justifie. Afin de montrer que le racisme n’a pas sa place dans un stade de football. C’est assez rare en Belgique mais il y a quand même eu un incident à Malines-Charleroi. Je ne peux qu’espérer que c’était un cas unique.

HAROUN : Tout dépend aussi du degré de tolérance de la société. La Belgique est plus ouverte aux migrants et aux réfugiés que l’Italie, par exemple. Or, ces problèmes s’incrustent dans le sport. Mais la Belgique n’a pas encore trouvé de réelle solution. Qu’obtient-on en quittant le terrain ? Le comportement de quelques individus pénalise tout un club. Et qui reçoit l’addition si une des deux équipes quitte le terrain ?

ODJIDJA : En Pologne, j’ai été victime de racisme une seule fois. Je jouais en déplacement avec le Legia et je m’étais déjà fait un nom en championnat. Dans le dernier quart d’heure, alors que nous menions 0-3, j’ai entendu des cris de singe chaque fois que j’avais le ballon. Ces cris n’étaient pas très convaincants et ils n’étaient pas repris par tout le stade mais ils m’étaient clairement adressés. Quelques personnes ont essayé de me déstabiliser, un peu par impuissance. Pour le reste, je n’ai jamais rencontré de problèmes en Pologne, y compris en rue.

Comment s’exprime le racisme dans votre vie, au quotidien ?

ODJIDJA : Nous en souffrons peu car les gens nous reconnaissent rapidement et ne pensent pas que nous allons nous démarquer négativement. Il y a quelques années, il y a eu un incident à Gand. Un agent de sécurité a couru après un ami et moi dans un magasin, à la demande de la vendeuse. Nous avons demandé ce qui posait problème mais tout le monde a fait comme si de rien n’était. Il y avait du monde dans le magasin mais c’est nous qui avons été visés. C’était du racisme pur.

HAROUN : ( il réfléchit) En catégories d’âge, j’ai entendu des parents dire n’importe quoi à mes amis d’origine africaine. Des mots comme  » bamboula « . Adolescent, je ne pouvais jamais entrer dans une discothèque. Jamais. Que je porte un costume ou pas. Maintenant, on me regarde fixement. Après toutes ces années, je ne sens même plus ces regards mais ma femme y est très sensible. Elle voit que les gens nous regardent comme si nous étions bizarres, mon fils, ma femme et moi.

Peut-être parce que tu as la peau foncée et des cheveux bruns alors que ton fils est blond aux yeux bleus. Mais c’est aussi une forme de racisme.

HAROUN : ( Rires) Les gens pensent peut-être que je l’ai kidnappé… Je suppose que mon père se fait fusiller du regard quand il joue dans un parc avec mon fils car le contraste entre eux est énorme. Mais je le répète : je suis enfermé dans ma bulle au point de ne même pas savoir qu’on me fixe.

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