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« Eupen, j’ai cru que c’était une blague »

Il avait quasi rayé le foot pro de la liste de ses priorités. À 26 ans, c’était râpé. Né au Sénégal, construit à Verviers, Moussa Diallo comptait reprendre son quotidien d’électricien et sa vie de buteur du coin en divisions inférieures. Jusqu’au moment où les frontaliers sont arrivés.

Éclaircie sur les Cantons de l’Est. L’averse délaisse Eupen, le Kehrweg se désemplit de ses Académiciens et Moussa Diallo débarque comme une accalmie. Tout de noir vêtu, il affiche vite un grand sourire. Le natif de Dakar a de quoi. Début juillet, il signe son premier contrat pro chez les Pandas (plus un an en option) et plante cinq banderilles en prépa, dont un triplé en une mi-temps contre les U23 de Cologne.

« La première semaine, j’ai eu dur, surtout les deux premiers jours. Mais on ne m’a pas mis la pression directement, tout s’est fait naturellement », détaille celui qui facture plus d’une centaine de roses dans les divisions inférieures. Formé au CS Verviers, sa ville d’adoption, où il évolue une saison en D3, l’ancien de Liège et d’Aywaille (Promotion) débute sa carrière chez les adultes dès 2006, encore adolescent en P2 et arpente ensuite le quatrième échelon.

Sans un coup de fil inespéré, il y serait encore cette saison. Les « fatalement », qu’il enchaîne comme le plus inévitable des tics de langage, rythment un parcours sinueux qui prend une sacrée chicane. Pour évoluer quasiment à domicile.

Avec deux compatriotes comme Diagne et Niasse dans l’effectif, tu ne dois pas être complètement perdu.

Moussa Diallo : L’adaptation a été assez simple. Avec Babacar (Niasse), on avait déjà discuté avant que je signe. On avait joué l’un contre l’autre lors d’un match de gala avec Liège. Le coach (Jordi Condom) me disait qu’il avait l’impression que ça faisait six mois que j’étais ici alors que ça faisait deux jours. C’est un club qui reste simple, où les joueurs sont simples. C’est facile de rentrer dans le truc. Personne ne dégage cette distance, genre « nous, on vient du monde professionnel, toi du monde amateur, on s’en fout de toi ». Je ne l’ai pas senti. Avec des gars comme Hendrik (Van Crombrugge), on a directement déconné. T’es forcément à l’aise. Si on m’avait à peine dit « bonjour », ça aurait été compliqué.

Quand il est arrivé dans le vestiaire marseillais, Mathieu Valbuena disait justement qu’il y avait cette condescendance vis-à-vis de son parcours…

Diallo : J’ai eu peur de ça aussi. Je le dis clairement : le premier jour, je suis arrivé avec la boule au ventre en me disant que je n’allais pas savoir où me mettre. Mais ici, on ne se prend pas la tête. C’est l’avantage de cette équipe et de ce club, c’est assez familial. C’est ce qu’il me fallait. Je ne voulais pas aller directement dans un club où il y a beaucoup d’attentes, où les joueurs se mettent tous la pression et où ils ont tous le gros cou. Je suis arrivé, le coach me parlait de Verviers-plage…

« Je voulais laisser tomber »

Tu viens de La Calamine, mais tu avais déjà signé à Solières avant de venir ici. Comment ça s’est passé ?

Diallo : J’ai fait ma saison, je marque 33 buts (en 30 matches de championnat, ndlr). Tout le monde me disait que ce serait bizarre que je n’ai pas au moins une équipe de D1B qui se manifeste. Seules Tubize et l’Union Saint-Gilloise se sont présentées. À l’Union, le président et le directeur technique voulaient que je vienne, mais le coach (Marc Grosjean) était un peu hésitant. Ça devenait long. Je n’avais jamais signé professionnel, mais je l’ai un peu mal pris. Au point où je me suis dit : « Bon, Moussa, on va laisser tomber le monde professionnel. On va essayer de trouver un club où il y a des garanties financières et au niveau du travail ». Solières m’avait téléphoné et j’ai été les trouver. En arrivant, je n’avais quand même pas laissé tout tomber puisque je leur ai demandé s’ils pouvaient me libérer si un club se manifestait après ma signature chez eux. Ils ont tout à fait compris.

Une semaine plus tard, Eupen t’appelle…

Diallo : J’ai cru que c’était une blague. On m’a demandé d’aller faire un match avec les U21, à Gouvy, contre Virton. Ce jour-là, l’équipe première jouait contre Roulers (le 20 mai dernier, ndlr). Le coach a envoyé un scout et quelqu’un pour filmer. Je savais que c’était ma chance. Première mi-temps : compliqué. Deuxième mi-temps : je marque un goal et je provoque un penalty. Fin du match : le scout me dit que le rapport est positif. Pendant une ou deux semaines, je suis resté sans la moindre nouvelle. J’ai entendu plein d’histoires : le coach m’avait oublié, le match n’avait rien rapporté, etc. J’ai continué à m’entraîner de mon côté. On m’a filmé pendant ces entraînements et je pense que ces vidéos sont arrivées au coach, qui était en vacances (il sourit). Après, je reçois un coup de téléphone et on me demande si je suis d’accord de faire un mois de préparation avec le noyau A.

Tu voulais bosser dans quel domaine ?

Diallo : À l’école, j’ai terminé mes études comme électricien. Il n’y a que l’année passée que je n’ai pas travaillé. C’est pour ça que je voulais me diriger vers Solières, vu que le monde professionnel me tournait le dos malgré tous mes efforts. J’avais décidé d’accepter les choses comme elles sont. Je me suis dit que je n’étais plus un enfant et qu’il fallait que je passe à autre chose. J’allais laisser tomber tout ça. C’était un mal pour un bien, je me retrouve encore plus haut. Maintenant, je suis un joueur professionnel.

« J’ai mis du doute dans la tête du coach »

Finalement, avant Eupen, tu n’avais pas connu mieux que la D3 avec Verviers. Tu avais déjà essayé de percer au plus haut niveau ?

Diallo : Il y a quatre ans, je suis parti en Turquie. À Fethiyespor, en D2. C’était radical : si le premier jour ça n’allait pas, tu pouvais faire tes valises. J’arrive, on fait un match sur grand terrain, je marque deux goals. Le coach me dit que je peux rester. Ça a duré trois ou quatre semaines. Mais ça devenait long. Je voulais juste qu’on me dise si c’était bon ou pas. Le coach me convoque dans son bureau : « C’est vraiment un joueur intéressant, il a des appels de balle que même des joueurs de D1 ne font pas. On est content de l’avoir et on aimerait bien continuer à le voir évoluer ». C’est un discours qui ne m’allait plus. J’étais déjà là depuis un petit moment. En D2 turque, ils pouvaient avoir seulement trois étrangers sur la feuille de match. Ils en avaient déjà deux. Ils avaient besoin d’un deuxième gardien et un Anglais était là en test. Je n’ai pas trouvé ça très clair. Mais c’est une expérience qui m’a servi. Quand je suis revenu en Belgique, à Aywaille, j’ai marqué 25 goals (en 29 rencontres, ndlr).

Comment tu situes la différence entre cette période à Aywaille et maintenant ?

Diallo : C’est un autre monde. À Aywaille, je travaillais quand même avec Alain Bettagno, qui a été professionnel. Il essayait d’inculquer ça, même si ça reste des clubs de village. Ce sont des gens qui m’ont donné confiance en moi. Bettagno me disait souvent que je pouvais aller au-dessus. Ça m’aidait à me motiver tous les weekends. À Eupen, on me demande plus de travailler sur l’aspect défensif. Dans mes anciens clubs, ils savaient que si je ne travaillais pas défensivement, j’avais la fraîcheur de pouvoir aller exploser une défense à moi tout seul. En D1, ça va être plus difficile. Dans le monde amateur, tant que tu marques, tout va bien et on n’en parle plus. Alors que t’as pu faire vingt erreurs de placement et vingt fautes qu’on ne retient même pas. Ici, le coach m’a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à corriger. J’ai juste l’habitude de rester devant la défense et il me demande de descendre d’un mètre plus bas. Sinon, il sait que j’ai facile à marquer des goals.

Niveau temps de jeu, quel a été le discours du club et du coach au moment de te faire signer ?

Diallo : On va être honnêtes : ce que je suis en train de produire maintenant les interpelle quand même. Je pense qu’ils ont été marqués par ce que j’ai produit jusqu’ici. J’ai mis un peu de doute dans la tête du coach. Dans la hiérarchie, je suis numéro deux derrière Verdier. Quand il me fait rentrer contre Cologne, il devait s’attendre à ce que j’apporte quelque chose, pas à ce que je marque trois goals en quarante minutes. Mais je suis là pour apprendre. Nicolas (Verdier) a plus d’expérience que moi. Il a joué beaucoup plus de matches en D1.

« Je ne suis plus un enfant »

Moussa Diallo : Je ne voulais pas aller directement dans un club où il y a beaucoup d'attentes. Quand je suis arrivé, le coach m'a parlé de Verviers-plage...
Moussa Diallo : Je ne voulais pas aller directement dans un club où il y a beaucoup d’attentes. Quand je suis arrivé, le coach m’a parlé de Verviers-plage…© BELGAIMAGE

T’as l’air quand même très serein. C’est le fait d’arriver dans ce monde pro à 26 ans ?

Diallo : Ça joue. Le coach m’a dit : « L’avantage que j’ai avec toi, c’est que t’es adulte. T’es pas un gamin de dix-huit, dix-neuf ans qu’on doit faire venir du Qatar et à qui je dois tout expliquer ». Ça fait longtemps que je suis en Belgique (voir cadre). Même si je ne jouais pas en D1, je venais voir des matches et je connais un peu le milieu. Je sais dans quoi je m’embarque. Le coach et l’équipe voient bien que je suis un joueur mature. Un jeune qui rentrerait dans les vingt dernières minutes chercherait peut-être plus à aller marquer un but. Moi, si on me dit : « Moussa, tu me gardes le ballon », j’essaierai de faire le maximum pour respecter les consignes.

Tu es né au Sénégal, mais tu as la nationalité belge. Ça a joué dans ton recrutement. Tu n’as pas eu le sentiment de servir de bouche-trou ?

Diallo : On en a discuté. Mais je l’ai dit : je ne suis plus un enfant. Si on voulait me transférer uniquement pour ce statut-là, ça ne servait à rien. Je n’ai pas de temps à perdre. On est quand même des humains. Servir de bouche-trou, ce n’est ni respectable, ni respectueux. Les discussions là-dessus ont été très rapides. Le club a été clair par rapport à ça. Des jeunes qui ont des qualités, ils en ont en Espoirs. Ils sont belges. Tu les prends, tu les mets sur le banc et on n’en parle plus.

Le jeu proposé par Eupen et Condom doit faciliter ton adaptation. Signer dans un club qui ne jure que par le jeu long ne t’aurait pas aidé ?

Diallo : Clairement. Sinon, tu retournes à La Calamine. Tu vas jouer à un petit niveau et tu cours nonante minutes. Ici, le projet de jeu correspond à mon profil : jouer au football et exploser offensivement. Si tout se passe bien, je ne devrais pas trop avoir à courir (rires). J’ai toujours eu l’art de jouer pour des équipes qui jouent moins au football et où on jouait sur la profondeur. Avec ma vitesse, ça passait. C’était le monde amateur. C’est impossible dans le monde professionnel. Le coach me donne des consignes dans le cas où je pourrais débuter le match et même jouer dans un système avec deux attaquants. Tout ça démontre que le club compte sur moi et que je ne suis pas là pour faire le nombre.

« On me comparait à Drogba »

Pas mal de carrières se sont lancées tard et ont très, très bien terminé. Comment tu vois le futur ?

Diallo : Je parlais encore récemment à des gens qui me comparaient à Drogba, en me disant qu’on avait un peu le même style de jeu. Il a percé assez tard et tout le monde est au courant de ce qu’il a réalisé dans sa carrière. Mais je n’y fais pas attention. Il y a encore quelques semaines, je ne pensais même pas être là. Je songeais juste à jouer au football calmement, travailler à côté et passer du temps avec ma famille. Point. Maintenant, j’ai une chance énorme et j’en suis conscient. Je me donne à 100 %. Jusqu’au jour où je serai apte à être titulaire.

PAR NICOLAS TAIANA

« J’étais gardien au Sénégal »

Je suis arrivé à treize ou quatorze ans en Belgique. Mon enfance au Sénégal était magnifique. J’étais souvent chez mes grands-parents. Tu te lèves le matin, tu joues au football. L’après-midi, tu joues au football. On passait tout notre temps libre à jouer au foot dans la rue, à aller voir des entraînements et les autres dans les cités. Apparemment, Papiss Cissé, qui a joué à Newcastle, habitait juste derrière chez moi. Et ma mère est née au même endroit que Diawandou Diagne. J’habitais aussi à un kilomètre du stade national. On se met forcément à rêver. Le changement a été dur parce que radical.

Mon père est venu travailler ici. Il a pris le temps pour nous faire venir, ma mère, mes cinq frères, ma soeur et moi. Ce qui est assez drôle, c’est que j’étais gardien au Sénégal. Je suis arrivé ici, mon père m’a dit : « Les gardiens, ça ne sert à rien, il faut que tu joues dans le jeu ». Je suis passé défenseur central. À Verviers, j’ai été formé avec des gars comme Joseph Biersard, l’ancien troisième gardien du club. Quand on en reparle, on en rigole. Après quelques années, vers seize ans, d’autres coaches ont trouvé que j’étais plus intéressant devant. Et, au final, maintenant je suis attaquant d’une équipe professionnelle. Comme quoi, des fois, la vie est faite de choses assez bizarres…

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