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Entretien avec Simon Mignolet: « Je préfère ne pas toucher un ballon que devoir le sortir de ma lucarne »

Le mois de janvier a été chaud et celui de février ne le sera pas moins: quatre matches de championnat, une revanche (remportée) contre l’Antwerp en Coupe et deux rencontres d’Europa League face au Dynamo Kiev. Où en est le Club Bruges? On a posé la question à son gardien, Simon Mignolet, un des piliers du leader de la Pro League.

Après dix ans passés en Angleterre, Simon Mignolet (32 ans) est rentré en Belgique. Le gardien de Bruges est heureux de ne pas devoir vivre la crise sanitaire à l’étranger. Par le passé, il n’était déjà pas facile de voir la famille, alors maintenant… D’autant que depuis son retour, un fils s’est ajouté au clan Mignolet: Lex. « En Angleterre, nous étions souvent au vert », dit-il. « Je dormais en moyenne trois nuits par semaine à l’hôtel. Là-bas, le déplacement le plus court équivalait au plus long ici. »

Le Diable rouge a pris un risque en rentrant en Belgique, mais dix-huit mois plus tard, il ne le regrette pas une seconde, tant sur le plan professionnel que d’un point de vue privé.

SIMON MIGNOLET: Les gens pensent souvent que parce qu’on a joué à un niveau plus élevé, on va résoudre tous les problèmes. C’est pourquoi le jour où j’ai été présenté, j’ai tout de suite dit qu’il ne fallait pas me demander de marquer ou de délivrer des assists. Je suis content de ne pas avoir eu à subir la même pression que Chadli, Defour, Lombaerts, Mirallas, ou même Kompany, dont on attendait trop et qu’on a critiqués. Je savais qu’à la moindre erreur, ça m’arriverait aussi, comme à Zulte Waregem, mais les autres gardiens commettent aussi des erreurs. L’hiver, on a dit que j’avais traversé une moins bonne période. J’ai demandé qu’on m’explique et on m’a parlé du match de Dortmund. C’est vrai que sur un des buts, j’aurais pu faire mieux. Je l’ai d’ailleurs dit tout de suite après le match. Mais comment peut-on parler de moins bonne période pour une phase? C’était un piège, je suis content de l’avoir évité.

Si on est capables de bousculer la Lazio, à dix, jusqu’à la dernière seconde, c’est qu’on a progressé.

Simon Mignolet

En fait, c’est toute l’équipe qui a connu une moins bonne période.

MIGNOLET: Tout le monde a dû s’adapter à la nouvelle situation, aux stades vides. Au début, jouer sans les fans n’était pas facile, mais au cours de cette moins bonne période, nous avons pris autant de points que nos adversaires. Et maintenant, nous faisons la différence. La saison dernière, nous avions quinze points d’avance après 29 matches. J’espère que nous pourrons faire aussi bien cette saison.

Vous avez aussi battu vos rivaux directs.

MIGNOLET: C’est contre les petites équipes que nous avons perdu des points. Maintenant, nous n’avons plus peur de rien, même quand nous sommes menés dans un match au sommet. C’est une question d’expérience et de qualité des nouveaux joueurs. La saison dernière, seul l’axe était expérimenté. Maintenant, c’est toute l’équipe.

Elle est aussi plus équilibrée, il y a davantage de meneurs.

MIGNOLET: Nous nous créons davantage d’occasions et marquons donc plus facilement. Bas ( Dost, ndlr) est un buteur, Noa ( Lang, ndlr) et Charles ( De Ketelaere, ndlr) lui donnent de bons ballons. Le danger vient de partout. La saison dernière, tout venait de Ruud ( Vormer, ndlr) ou de Hans ( Vanaken, ndlr) et il était plus important de ne pas encaisser que maintenant.

Avez-vous l’impression d’être trop forts pour le championnat de Belgique?

MIGNOLET: Non, on l’a vu lors de la première moitié du championnat. Mais nous avons un noyau plus large que les autres et ça nous permet de faire la différence quand il y a beaucoup de matches. Nous sommes aussi habitués à ce rythme.

« Le Covid nous a freinés, mais il nous a aussi donné l’occasion de découvrir de nouvelles choses »

Qu’est-ce que le coronavirus vous a appris?

MIGNOLET: Que je dois jouer le plus longtemps possible. J’avais déjà ce sentiment à Liverpool, c’est pour ça que je suis rentré en Belgique. J’aime jouer, faire la fête avec les fans, la famille et les amis. Sur le plan privé, le Covid m’a appris que nous avons la chance de vivre dans un pays où il est encore possible de faire beaucoup de choses. Je pense souvent aux gens qui vivent dans de petites maisons, les uns sur les autres. Nous avons au moins pu nous promener. Il a fallu se réinventer sur le plan social, trouver d’autres occupations, mais c’est tout. Je suis dans les deux secteurs les plus touchés: celui de l’événementiel avec le football et celui de l’horeca avec mon coffee bar. Le Covid nous a freinés, mais il nous a aussi donné l’occasion de découvrir de nouvelles choses. Il nous a aussi démontré que regarder un match de football n’est pas la même chose que le vivre. On nous voit à la télévision, on parle de nous dans les médias, mais ce n’est pas ça que les fans veulent. Ils tentent de compenser par les réseaux sociaux, mais c’est difficile. Un show digital pour fêter le titre, c’est chouette, mais ce n’est pas pareil.

On a aussi pu observer de plus près le comportement des joueurs sur le terrain: ceux qui en rajoutent, ceux qui râlent…

MIGNOLET: Je peux vous assurer que c’est bien pire à l’étranger. Vous ne pourriez pas reproduire ce que les arbitres disent en Angleterre, et inversement. Dans la chaleur du match, on peut se dire des choses qu’on oublie après. Si je devais m’offusquer à chaque fois que Ruud dit quelque chose, je ne jouerais plus au football.

« J’ai apporté de la sérénité et de la stabilité »

On a aussi pu entendre à quel point vous coachiez.

MIGNOLET: J’ai toujours fait ça, mais maintenant, ça s’entend. Tout le monde pense que le football est un jeu où il faut juste un peu de technique pour sortir du lot. Mais c’est un métier qui, comme tous les autres, demande qu’on suive un plan. Et il faut quelqu’un pour diriger.

Ça vous aide à rester concentré?

MIGNOLET: Non, je fais ça parce que j’ai de l’expérience et que ça aide les autres. C’est même à ce niveau que j’ai le plus apporté à Bruges depuis mon arrivée. C’est quand nous avons le ballon que nous sommes les plus fragiles: sur les reconversions défensives et les phases arrêtées. Mon rôle est d’organiser l’équipe pour ne pas qu’on soit hors position. Je suis plus préoccupé par le fait d’éviter les situations dangereuses que par mon propre boulot. Quand l’adversaire tire, je n’ai parfois aucune chance. Alors, j’essaye d’éviter qu’il tire. J’essaye de me faciliter la tâche. Je préfère ne pas toucher le ballon que devoir le sortir de ma lucarne.

Simon Mignolet:
Simon Mignolet: « On est passés de rien du tout à beaucoup de matches. C’était le meilleur moyen d’avoir des accidents. »© KOEN BAUTERS

Vous êtes un futur entraîneur?

MIGNOLET: Ça n’a rien à voir. Un entraîneur doit former un ensemble, veiller à ce que l’équipe joue bien, à ce qu’elle soit bien organisée, choisir les joueurs, aider au recrutement. Moi, je me facilite juste la tâche. À moi de faire en sorte que mes équipiers l’acceptent, mais c’est plus facile à mon âge. Au fil du temps, c’est même eux qui sont demandeurs. Arrêter des ballons, tout le monde peut le faire, mais je pense que j’ai apporté de la sérénité et de la stabilité à cette équipe. Quand ils sont en difficultés à la relance, ils savent qu’ils peuvent me donner le ballon. Je veille aussi à ce que l’équipe soit organisée, à ce que nous concédions moins d’occasions qu’avant.

On parle moins de l’évolution de Kossounou que de celle de Lang ou de De Ketelaere, mais elle est tout aussi spectaculaire.

MIGNOLET: On parle toujours moins des défenseurs et des gardiens. Odilon est arrivé très jeune, sans formation. Mais il a tout pour faire un grand défenseur: il est rapide, il est costaud, il a un bon jeu de tête… Maintenant, il doit évoluer techniquement et tactiquement. Il progresse vite. Je passe beaucoup de temps à le coacher, car je sais qu’il peut m’aider. Brandon a beaucoup progressé aussi, surtout à la relance. On le sous-estime parfois, mais il ne lui manque qu’une chose: être un leader.

« L’équipe est plus mûre que l’an dernier »

Vous allez bientôt affronter le Dynamo Kiev en seizièmes de finale de l’Europa League. Au cours des deux dernières saisons, vous avez toujours échoué à ce stade de l’épreuve. Ferez-vous mieux cette fois?

MIGNOLET: On a déjà vu notre évolution au cours de la phase de poules de la Champions League: la saison dernière, nous jouions bien, mais nous ne prenions pas beaucoup de points. Cette fois, c’était différent.

Les adversaires n’étaient pas les mêmes non plus…

MIGNOLET: Pas d’accord. Voyez le classement de la Lazio en Serie A. Il y a peu de différence. Ce que je veux dire, c’est que nous avons fait jeu égal avec tout le monde, sauf avec Dortmund. Avec Bas et Noa, nous aurions sans doute battu la Lazio à domicile. Et si on est capables de la bousculer chez elle, à dix, jusqu’à la dernière seconde, c’est qu’on a progressé. J’ai vu qu’à Kiev, il faisait -17 degrés, mais nous devons nous donner plus de chances de passer que contre Arsenal ou Manchester United. Ça ne veut pas dire que nous allons y arriver, mais l’équipe est plus mûre que l’an dernier, nous ne nous disons pas que nous n’avons rien à perdre: nous avons une chance et nous allons la jouer à fond, avec plus de conviction que l’an dernier. Comme nous l’avons fait en Ligue des Champions.

« Une clean sheet n’aura jamais autant de poids qu’un but »

Vous étiez déçu de ne pas avoir remporté le Soulier d’Or?

MIGNOLET: Non, pourquoi? Je sais comment ça marche. J’ai été élu Gardien de l’Année. Il fallait voter pour le meilleur coach ( Philippe Clement, ndlr), le meilleur espoir ( De Ketelaere, ndlr), le plus beau but ( Vanaken, ndlr) et le meilleur gardien ( Mignolet, ndlr). On n’allait pas encore désigner un Brugeois pour le Soulier d’Or. J’ai terminé quatrième, Charles cinquième, Clinton ( Mata, ndlr) un peu plus loin, Ruud et Hans aussi. Nous nous sommes partagés les points. Et puis, une clean sheet n’aura jamais autant de poids qu’un but ou un assist.

Le plus important, c’est qu’au Club, on vous apprécie.

MIGNOLET: Exactement. Et c’est le cas puisque mon contrat a été prolongé jusqu’en 2025.

L’axe de l’équipe est stable et expérimenté. C’est ça, la clé du succès?

MIGNOLET: En Belgique, les clubs sont obligés de vendre leurs bons joueurs pour survivre. Alors, l’axe central est important, oui. Ce sont les ailiers qui doivent rapporter de l’argent, comme Noa ou Krepin ( Diatta, ndlr). Et on peut encore faire mieux.

C’est ça qui fait la différence avec Genk ou Anderlecht, qui ont vendu leurs piliers après leur titre?

MIGNOLET: Notre situation est idéale. Les clubs tentent de rester sains financièrement et doivent parfois faire des choix.

Vous êtes aussi un homme d’affaires. Quand y aura-t-il un Twenty-two Coffee dans chaque ville de Belgique?

MIGNOLET: Nous y travaillons. Le Covid nous pose des problèmes, mais c’est aussi un défi. Qui sait? Les intéressés peuvent toujours nous contacter, où qu’ils soient.

« D’autres pays auront sans doute des problèmes de blessures »

Chez les Diables, Simon Mignolet est souvent cantonné au rôle de spectateur, mais l’année dernière, il a joué davantage, car Thibaut Courtois a été plus souvent blessé ou malade. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Inquiétant, à cinq mois de l’EURO?

« Je pense que toute l’Europe connaît la même situation. La plupart des pays n’ont pas eu de trêve l’été dernier. Il a fallu terminer les championnats, puis entamer les suivants. Après l’interruption forcée, on est passés de rien du tout à beaucoup de matches, puis d’une saison à l’autre. C’était le meilleur moyen d’avoir des accidents.

Est-ce que ça me tracasse? Ce n’est jamais gai de voir des joueurs qui se blessent, surtout quand c’est grave, comme pour Axel ( Witsel, ndlr). Tout ce que nous devons espérer, c’est qu’il revienne vite. D’autres pays auront sans doute les mêmes problèmes. Nous ne pouvons pas nous mettre sous cloche jusque fin mai. Il faut jouer, s’entraîner, essayer de bien se reposer… Puis on verra qui est disponible et ce qu’on peut faire.

Le noyau est-il suffisamment large? Tout dépend de l’objectif. Nous luttons pour le titre, mais nous ne sommes pas les seuls. Nous pourrons rivaliser, mais aurons-nous suffisamment d’armes pour faire la différence? Pour le moment, Romelu ( Lukaku, ndlr) marque comme il respire. Mais est-ce que ce sera le cas cet été? Dries ( Mertens, ndlr) empêche l’adversaire de développer son jeu, Eden ( Hazard, ndlr) peut faire la différence d’un coup de génie, Kevin ( De Bruyne, ndlr) marque et délivre des assists… Si un ou plusieurs d’entre eux ne sont pas là, nous devrons pouvoir jouer différemment. Nous devons nous dire que nous avons toujours bien joué depuis l’arrivée de Roberto Martínez et que tous les joueurs maîtrisent le système. »

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