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Entretien avec Brian Priske: « Je n’aime pas que mon adversaire respire »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Débarqué du Danemark avec l’étiquette de coach très prometteur, Brian Priske livre la recette d’un football qui a connu son premier succès savoureux sur la pelouse de Sclessin. Session intensive de ballon rond.

Dans les couloirs de verre et de béton d’un Bosuil tourné vers le futur, Brian Priske débarque avec la carrure d’un homme qui n’a pas oublié son passé de défenseur robuste. Les crampons sont pourtant raccrochés depuis une décennie, et la suite s’est longuement écrite dans l’ombre avant de prendre les responsabilités et la lumière dévolues au T1 en 2019.

« Au début, je pensais que j’allais prendre ma retraite puis passer du temps avec ma famille, enfin profiter du fait d’avoir des week-ends libres », rembobine le Danois avec le recul et le sourire. « Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir dire que j’ai des moments où je ne pense pas au football, surtout si ma femme tombe sur cette interview ( Il se marre). Mais ce n’est pas juste un travail, c’est une passion. Quand tu veux t’améliorer, c’est toute ta vie. Je passe environ douze heures par jour au club et le reste du temps, je dors ou je pense au football à la maison. »

Au milieu d’un esprit surchargé de ballon, le coach du Great Old prend une bouteille d’eau et une heure de son temps pour raconter un football dont les supporters du matricule 1 ont pu découvrir les vertus lors d’un succès spectaculaire à Sclessin savouré par le coach: « Notre premier but, c’est une succession de 22 passes avant qu’on fasse trembler les filets, ça mérite énormément de crédit. Tout le monde aime voir de beaux buts. »

Vous avez passé huit ans dans la peau d’un entraîneur assistant. C’était un passage important pour vous, une étape nécessaire pour apprendre le métier?

BRIAN PRISKE : Ce n’est pas parce que vous avez eu une carrière de joueur décente que vous allez devenir un bon entraîneur. Je crois au travail. D’ailleurs, il y a beaucoup de bonnes choses chez les coaches qui n’ont jamais été des joueurs professionnels, une éthique de travail qu’on ne retrouve pas chez les autres. L’essentiel, c’est que pour moi, c’était important de prendre mon temps, de ne pas être ambitieux trop vite. D’apprendre à travailler avec les joueurs, avec un staff, à préparer tout dans les moindres détails. Au final, quand j’ai eu ma chance, je me sentais prêt.

Au début, vous étiez responsable des phases arrêtées à Midtjylland, un secteur très spécifique. Qu’est-ce que ça vous a appris?

PRISKE : Tous les aspects du jeu se retrouvent dans les phases arrêtées: attaquer, défendre et gérer les transitions. Quand on voit que sur les vingt dernières années, environ un tiers des buts sont marqués sur un coup de pied arrêté, c’est logique d’aller dans le détail sur ces phases, parce que ça permet de marquer beaucoup de buts. Tout ça m’a appris que dans le football, chaque détail mérite qu’on s’y attarde, pour tirer le meilleur des joueurs, mais aussi pour augmenter vos chances de gagner un match, parce qu’on peut proposer un football incroyable pendant une heure et demie, mais finir par gagner sur un corner dans les arrêts de jeu.

Les équipes qui sont performantes sur le long terme sont celles qui ont une idée très claire de la façon dont elles doivent jouer. »

Brian Priske

« Il faut avoir une philosophie, mais aussi garder l’esprit ouvert pour se développer »

Vous êtes arrivé à l’Antwerp avec un staff assez large. C’est une volonté de faire un peu comme à Midtjylland, en s’entourant de spécialistes pour que la vérité et les choix ne soient pas seulement entre vos mains?

PRISKE : Le football est un sport d’équipe. On le dit des joueurs, mais c’est aussi valable pour les entraîneurs. Moi, en tant que coach principal, je dois avoir une vision et une philosophie. Le staff technique doit la comprendre, et de mon côté, je dois leur faire confiance et leur donner des responsabilités. Je ne peux pas tout faire avec tout le monde, et c’est important d’en prendre conscience en tant que coach. Il faut pouvoir s’entourer de gens qui sont des spécialistes, et qui vous aident à faire la différence.

Votre philosophie, elle était claire dans votre esprit dès vos débuts, ou elle a évolué avec le temps?

PRISKE : Il y a une idée de base, mais les semaines, les mois et les matches, tout ça fait évoluer votre idée. Vous découvrez de nouveaux aspects, des détails du jeu, et chaque semaine vous donne de nouvelles inspirations. Elles peuvent venir du staff, d’un joueur… C’est important d’être ouvert d’esprit. Il faut avoir une philosophie, mais aussi garder l’esprit ouvert pour se développer et progresser.

À Midtjylland, vous avez commencé le travail dans un club très structuré que vous connaissiez par coeur. Vos débuts ici ont été plus difficiles?

PRISKE : Quand je suis devenu entraîneur principal, j’avais déjà travaillé six ans et demi à Midtjylland. Je connaissais le club, la philosophie, les gens… C’est sûr que ça a rendu les choses plus faciles. Ici, j’ai mis beaucoup d’énergie pendant huit semaines à découvrir le club, parler avec les joueurs, déterminer comment obtenir le meilleur rendement de leur part. Les premiers mois sont exigeants de ce point de vue, parce qu’il faut apprendre à connaître tous les gens avec lesquels vous allez travailler. Pas seulement les joueurs ou le staff, mais aussi la dizaine de personnes qui gravitent autour du noyau.

Installer une bonne atmosphère dans le club, c’est indispensable pour avoir de bonnes performances sur le terrain?

PRISKE : Plus qu’une bonne atmosphère, je crois en l’importance d’avoir une bonne culture. L’atmosphère peut fluctuer en fonction des résultats, mais la culture de club aide à endurer les moments critiques. Si vous créez une culture où tout le monde travaille dur, participe et apporte une énergie positive, je pense que vous augmentez vos chances de réussir de bonnes choses dans la durée. Si les gens aiment se lever le matin pour venir au club et y donner le meilleur d’eux-mêmes, c’est un bon début.

Il faut pouvoir distinguer la culture de la performance et celle du résultat?

PRISKE : Je distinguerais plutôt culture de la performance et du développement. Par-dessus tout, on veut gagner chaque match, et ça c’est la culture de la performance. Tout le monde doit avoir cette ambition. Mais d’un autre côté, on a une équipe avec des joueurs âgés de 18 à 35 ans. Certains doivent se développer, faire des erreurs aussi. Mais dans une bonne culture de club, on peut accepter ces erreurs et les rectifier plus rapidement pour améliorer le développement. Sur la durée, concilier les deux permet de gagner des matches et de développer des joueurs et un club. Les valeurs marchandes des joueurs augmenteront, et le club en sortira grandi.

« Le football qui gagne aujourd’hui se joue avec beaucoup d’intensité »

À Midtjylland, on utilise beaucoup les datas. C’est un outil qui vous aide à quel niveau?

PRISKE : On doit toujours rester focalisé sur le résultat. Mais ce qui est important aussi, c’est de pouvoir se reconstruire une image plus objective du match. On peut perdre un match en ayant un mauvais jour, ou gagner un mauvais match, et c’est important que les joueurs en aient conscience. Les datas vous donnent une image constructive. Ce n’est pas la vérité, mais c’est un outil qui vous aide dans l’évaluation. Je respecte ceux qui ne les utilisent pas, mais pour moi, c’est essentiel pour m’aider à tirer le meilleur des joueurs et des hommes derrière les joueurs. Parce qu’au bout du compte, le football est à eux. Ma responsabilité, c’est de mettre le plus de chances possibles de leur côté quand les nonante minutes démarrent.

Je m’inspire d’un maximum de choses pour élaborer mes propres idées. De différentes personnes, mais aussi de différents sports, comme le football américain. »

Brian Priske

Et là, on en revient à la philosophie que vous installez. À Midtjylland, on voyait une équipe qui met énormément d’énergie dans les transitions. C’est votre priorité?

PRISKE : J’aime l’intensité. J’aime aussi la puissance. Je crois que le football qui gagne aujourd’hui se joue avec beaucoup d’intensité. Avec des courses à haute intensité, plutôt qu’avec du volume. Si on y va, on y va à fond, on joue vers l’avant dès qu’on peut. Mettre cette intensité en match et à l’entraînement, c’est notre défi du moment.

Au Danemark, votre équipe était la meilleure du championnat dans les statistiques de pressing et d’intensité.

PRISKE : Je n’aime pas que mon adversaire respire. Quand on n’a pas le ballon, il faut tenter de stresser notre adversaire le plus possible, en le forçant à faire des erreurs. Être dominant sans le ballon, ça fait partie du jeu parfait pour moi. Mais j’aime aussi avoir la balle et la garder au sol. C’est la meilleure manière de faire briller nos joueurs offensifs: garder la balle sur le gazon. Chaque fois qu’on l’envoie dans les airs, c’est du 50-50.

C’est une conception du jeu radicalement opposée à celle de votre prédécesseur. C’est difficile pour les joueurs de faire le switch?

PRISKE : Je dois saluer les joueurs, parce qu’ils ont été très ouverts dès le premier jour et très curieux à l’idée d’apprendre une nouvelle manière de s’entraîner. Ils font des séances individuelles après l’entraînement collectif, passent beaucoup de temps au fitness, ou devant les vidéos à revoir leurs entraînements. Ils ont envie d’apprendre et de jouer comme j’aimerais le voir. Maintenant, il faut trouver l’équilibre et ne pas vouloir être trop parfait. Pour le moment, ils veulent tous me rendre heureux.

Ils jouent comme vous le voulez plutôt que comme ils le sentent, et ça perd en spontanéité?

PRISKE : Oui, c’est ma sensation. Ils pensent trop à ce que je voudrais, au lieu de juste jouer. Pourtant, ils ont beaucoup de qualités. Sans ça, ils n’auraient pas fini troisièmes la saison passée.

Comment est-ce que vous gérez l’utilisation des vidéos avec les joueurs?

PRISKE : Je ne suis pas un entraîneur qui parle d’erreurs. Le football, ce sont des décisions, bonnes ou mauvaises. Donc, quand on voit les images d’un mauvais match, on ne doit pas tuer un joueur ou être trop dur avec lui, mais plutôt montrer ce qui aurait dû être fait.

Toujours pour maintenir cette atmosphère, cette culture positive?

PRISKE : Si je ne montre que des bad clips chaque semaine, je n’aurai que des mauvais joueurs. Parfois, c’est important d’en montrer pour faire avancer le processus et aller de l’avant, mais ça doit toujours rester constructif. Permettre aux joueurs de comprendre le match et se débarrasser d’une sensation parfois plus mauvaise que ce qu’elle devrait être. Il faut être proactif et constructif, sur le long terme on ne peut pas passer ses journées à bousculer tout le monde en montrant du doigt ce qui est mauvais.

« Derrière chaque entraînement, il y a un objectif »

À quel point l’équipe ressemble actuellement à ce que vous voudriez voir d’elle?

PRISKE : C’est difficile à dire. J’aimerais dire qu’on est à 100%, mais ce n’est pas possible en si peu de temps. Actuellement, je regarde comment les joueurs performent, s’ils sont capables d’encaisser la charge de travail et la discipline que je demande et s’ils le font, alors on est sur la bonne voie. Ensuite, c’est mon travail de parvenir à mettre dans leur esprit ce à quoi je veux que nos matches ressemblent. Ça prend du temps mais en même temps, notre travail est de prendre des points dès que la saison commence.

Avec le ballon, vous leur laissez beaucoup de liberté pour écrire le scénario du match.

PRISKE : Je crois en certains principes avec la balle, mais il faut aussi être flexible pour s’adapter à la situation, à l’adversaire… On ne peut pas être aussi spécifique que sur les principes défensifs. On tente de leur mettre des choses dans la tête pour qu’ils soient conscients des solutions qui existent, et pour leur permettre de penser plus rapidement.

On travaille ça avec des répétitions de circuits à l’entraînement?

PRISKE : Oui, et avec des images.

En essayant aussi que chaque entraînement se déroule dans des circonstances de stress proches du match?

PRISKE : Derrière chaque entraînement, il y a un objectif. On ne sort pas seulement pour passer une journée sur le terrain sans s’inquiéter de ce qu’on va faire. Parfois je l’explique, parfois pas. Parce qu’il peut être intéressant d’attendre un peu pour voir comment les joueurs vont réagir. Quand on est dans le stade et que les tribunes sont remplies, ils ne peuvent pas m’entendre. Ils doivent réagir à ce qu’ils voient et être capables de s’adapter à chaque situation. Ils ne peuvent pas attendre de moi que je résolve tout, c’est pourquoi je choisis parfois de ne pas expliquer et de regarder ce qu’il va se passer.

C’est la clé pour être performant aujourd’hui? Donner les clés à ses joueurs pour savoir quoi faire dans un maximum de situations que le jeu génère?

PRISKE : Les équipes qui sont performantes sur le long terme, donc pendant plusieurs années, ce sont celles qui ont une idée très claire de la façon dont elles doivent jouer. Comment on protège le ballon, comment on crée le danger avec. Et comment on défend, évidemment. Parce que si tu veux gagner un championnat, tu dois avoir la meilleure défense.

Entretien avec Brian Priske:
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Bluffé par le Napoli de Sarri

Vous trouvez encore du temps pour regarder des matches?

BRIAN PRISKE : Bien sûr, je regarde plein de football, dans beaucoup de championnats différents. Je pense que c’est important. Je n’ai pas vraiment d’équipe de prédilection, parce que si tu te concentres trop sur une seule équipe, ça peut être dangereux. Je regarde un maximum de matches différents, parce que parfois on trouve de l’inspiration dans une équipe qu’on n’attendait pas. Pour ça, c’est important d’avoir l’esprit ouvert, parce qu’on peut même apprendre des choses dans des matches de niveau inférieur.

Il y a malgré tout certains coaches qui vous inspirent plus que d’autres?

PRISKE : J’ai beaucoup aimé travailler avec Sef Vergoossen ou Morten Olsen. Et pour ce qui est des « grands » noms, j’ai été impressionné par le Napoli quand nous les avons rencontrés il y a cinq ans avec Midtjylland en Europa League. Sarri était arrivé pendant l’été et en deux mois, il avait donné une identité très forte à l’équipe. On voyait ses mouvements, ses pensées, pas seulement sur les coups de pied arrêtés, mais dans tout le jeu de l’équipe. Ça m’a beaucoup impressionné. Après, il y a bien sûr Thomas Tuchel et son travail à Chelsea, certaines idées de Mourinho avec et sans ballon… Au final, je m’inspire d’un maximum de choses pour élaborer mes propres idées. De différentes personnes, mais aussi de différents sports, comme le football américain par exemple.

L’important, c’est de garder l’esprit ouvert?

PRISKE : Je crois que ce n’est pas seulement valable dans le football, mais aussi dans la vie. Si tu crois que tu es le meilleur et que tu penses que tu sais tout, tu ne peux pas être le meilleur parce que tu n’as plus la faim ni l’ambition d’apprendre, de progresser. Je crois que savoir que je ne suis pas le meilleur, c’est ce qui m’a permis de tirer un maximum de ma carrière de joueur, et maintenant de coach. J’ai l’ambition d’être le meilleur, donc je suis drivé par l’idée d’apprendre des choses sur le football chaque matin. Je crois que c’est ma plus grande force.

Entretien avec Brian Priske:
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L’expérience ligue des champions

Pour la découverte de la plus grande scène d’Europe par Midtjylland, Brian Priske a croisé la route de Jürgen Klopp, Erik ten Hag et Gian Piero Gasperini lors d’une phase de poules de haut vol. Avec deux points et une tonne d’expérience récoltés au bout des six journées.

BRIAN PRISKE : « On a été fort critiqués au Danemark parce qu’on est restés fidèles à notre jeu, à la philosophie de Midtjylland jusqu’à la cinquième journée où finalement, on a dû s’adapter et jouer à cinq derrière contre l’Atalanta, notamment parce qu’on avait des blessés. On a pris notre premier point et on a commencé à nous dire qu’on aurait dû faire ça dès le début. Mais si on avait joué les premiers matches à cinq derrière, ce qu’on ne faisait jamais, la possibilité de perdre aurait été aussi élevée. Et en changeant de système, quels enseignements je peux tirer pour mes matches suivants? Je garde quoi? Rien, zéro. Le problème n’était pas le système, mais de mieux le jouer pour éviter de grosses erreurs individuelles comme on en a commises. À Liverpool, c’était 0-0 à la mi-temps et ils n’avaient pas cadré un seul tir. Ça m’a donné la sensation qu’on pouvait être compétitif contre les plus grandes équipes du monde avec nos idées. Pour le futur du club, ce sera une expérience très riche et la preuve que la Midtjylland Way est la bonne voie pour être performant. »

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