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En coulisses: qui veut la peau de la double casquette de Mehdi Bayat?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Le rôle d’équilibriste du président de la Fédération, également homme fort de Charleroi, commence à faire grincer certaines dents.

Les élections présidentielles n’entrechoquent pas que des coupes de champagne. Au mois de juillet dernier, dans les couloirs de la Maison de Verre, l’ambiance est plutôt contrastée. Le hall d’entrée fait résonner les cris de Frans Hauwaert, ancien président de Strombeek, qui masque mal sa colère quand il qualifie de « scandale » l’arrivée de Mehdi Bayat à la tête de la Fédération.

« Nous sommes dans un pays où il y a plusieurs régimes linguistiques, et cela peut entraîner des réactions émotionnelles », se défend immédiatement le nouveau président à ce sujet, dans les colonnes du Soir. En coulisses, on raconte que l’homme fort de Charleroi, épaulé par Bruno Venanzi, a su convaincre les francophones de se lier aux professionnels pour contourner la candidature de Gilbert Timmermans, qui aurait accentué l’impression d’une Fédé flamandisée dont se plaignent souvent les patrons du foot au sud du pays.

Après l’affaire du report du match contre Bruges, ce sera toujours Pierre-Yves Hendrickx qui s’exprimera pour défendre les intérêts carolos.

Inévitablement, les premiers mots présidentiels du Franco-Iranien sont assaillis par des questions sur la compatibilité de son poste avec ses prérogatives zébrées. En fin politicien, Mehdi a évidemment des réponses à fournir: « Tout est prévu dans la nouvelle structure pour que cela n’arrive pas », justifie le cadet des frères Bayat, évoquant le pouvoir décisionnel placé entre les mains du CEO Peter Bossaert. « Je suis même du genre à avoir souvent voté des mentions qui n’avantageaient pas Charleroi, mais que je savais bonnes pour l’ensemble du football belge. »

Don Luciano dégaine

Les premiers chocs n’attendent pas la fin de l’été. Le 19 août, au bord de la pelouse du stade Arc-en-Ciel où ses Zèbres viennent de mordre la poussière, Mehdi Bayat évoque face aux micros le report du match des Carolos contre Bruges, pour permettre aux Blauw en Zwart de se concentrer exclusivement sur leur course à la Ligue des Champions. « La décision revient à la direction du club et au staff, j’ai même fait un pas de côté, en disant à Pierre-Yves Hendrickx et Karim Belhocine que c’était à eux de décider. » Finalement, le club acceptera le report, tout en contestant la manière utilisée par la Pro League. Une décision inverse de la part de Charleroi aurait mis Mehdi Bayat face aux conflits potentiels de son nouveau rôle. Par la suite, ce sera systématiquement Pierre-Yves Hendrickx qui s’emparera du crachoir quand il s’agira de défendre les intérêts carolos.

Lucien D’Onofrio est à l’affût de la moindre erreur de Mehdi Bayat, qu’il tente soigneusement de provoquer.

En public, lors de l’assemblée générale de la Pro League d’il y a une dizaine de jours par exemple, Mehdi Bayat prêche toujours l’intérêt du plus grand nombre. « Je soutiendrai chaque format qui obtient une majorité, même si j’ai une préférence pour une formule à seize », a-t-il par exemple exprimé en substance face aux autres dirigeants de clubs à l’heure d’évoquer la refonte du format de la compétition. Par contre, certains lui reprochent de faire jouer en coulisses des intérêts qui profitent à Charleroi.

Lucien D’Onofrio est l’un de ceux-là. Le bras droit de Paul Gheysens à l’Antwerp s’est offert une sortie médiatique minutieusement préparée, dans plusieurs quotidiens influents des deux côtés de la frontière linguistique, avec Mehdi Bayat au coeur de la cible. « Quand il vous parle c’est un cheval blanc mais quand vous allez regarder dans l’écurie, c’est un âne noir », ironise l’ancien homme fort de Sclessin, toujours soigneux dans ses formules. Et d’ajouter: « C’est déplorable, dans le chef d’un dirigeant de club, de Charleroi ou d’un autre, de se nourrir d’un conflit d’intérêts énorme et permanent, que le moment que nous traversons a clairement mis en lumière. »

Don Luciano chiffre le hold-up à une petite dizaine de millions d’euros, et insinue que la décision d’arrêter le championnat n’aurait pas été la même un an plus tôt, quand Charleroi occupait la huitième place. Mehdi Bayat ne réagit pas, conscient que son statut lui impose de rester au-dessus de la mêlée et que D’Onofrio est à l’affût de la moindre de ses erreurs, qu’il tente savamment de provoquer.

Abus de position dominante

L’Antwerp a pris pour cible le conflit d’intérêts, qu’il dénonce aussi bien en public que derrière les rideaux de la scène footballistique. Une position que certains disent dictée par le fait que le Great Old se trouve du mauvais côté du pouvoir décisionnel, alors que D’Onofrio profitait bien de son influence sur les instances quelques années plus tôt.

Reste que la position était déjà tenue par Michel Louwagie, pourtant proche de Mehdi Bayat, lors de l’élection du nouveau président de la Fédération: « Pour moi, il y a un conflit d’intérêts, et je lui ai dit. Le président de l’Union Belge doit être indépendant. On peut dire que c’est le CEO qui va réellement diriger dans les faits, mais on ne peut pas dire que Gianni Infantino ne dirige pas la FIFA… Selon moi, et mon président Ivan De Witte, il faut quelqu’un qui soit au-dessus de tout et au-dessus de la mêlée. Surtout que, dans le sport, il y a beaucoup d’émotions. Par exemple, un arbitre qui siffle un match de Charleroi peut désormais avoir peur du président de la Fédération. C’est pareil pour la commission de discipline. »

L’homme fort des Buffalos poursuivait en expliquant que chaque problème potentiel sera une occasion pour les opposants de pointer un problème de gestion. C’est ce qui s’est produit lors des récentes décisions pour l’arrêt de la compétition, quand Mehdi Bayat et Peter Croonen ont été les négociateurs directs avec le gouvernement pour l’arrêté ministériel du 8 mai dernier, en leurs qualités de président de la Fédération et de la Pro League.

« Vous savez, j’ai été élu à ce poste. »

C’est dans ce cadre que l’Antwerp s’est joint à Waasland-Beveren ou Virton face à l’autorité belge de la concurrence, comme le révélaient ce mardi nos confrères d’Het Laatste Nieuws. Du côté du Bosuil, on pointe du doigt l’abus de position dominante de Mehdi Bayat. Avec le soutien d’un certain Roland Duchâtelet, farouche adversaire du président de la Fédération, qui affirmait voici quelques semaines que « dans le football belge, les conflits d’intérêts sont une véritable honte. Que Mehdi Bayat soit président de la Fédération le prouve. Ça ne changera jamais, à moins que les autorités belges s’en mêlent. »

La réponse de Mehdi Bayat – qui avait un temps envisagé, selon ses dires, d’emmener Roland Duchâtelet devant les tribunaux pour ses déclarations en marge du Footbelgate – reste la même qu’au premier jour. Celle qu’il avait exposée sur les ondes de La Première dans la foulée de son élection : « Il faut évidemment être capable de se positionner au-dessus de la mêlée, chose que j’ai toujours essayé de faire […] Et vous savez, j’ai été élu à ce poste. Donc ça veut dire que les quinze membres sur vingt-deux du comité exécutif qui ont voté pour moi ont jugé que je ne représentais pas un conflit d’intérêts. »

Et en démocratie, il paraît que la majorité a toujours raison.

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