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En coulisses: comment la Pro League a enterré l’idée d’un championnat à 18

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’idée avait tout du compromis idéal, mais est finalement passée à la trappe pour le maintien d’une formule à 16. Secrets d’un retournement de situation.

Bart Verhaeghe et Vincent Mannaert ne sont pas du genre à jouer leurs cartes au hasard. Alors, quand le Club dégaine ses plus belles formules de politesse pour proposer, par mail interposé, que l’option d’une saison 2020-2021 à dix-huit clubs et sans play-offs soit placée à l’agenda de l’assemblée générale de la Pro League du vendredi 15 mai, les Blauw en Zwart sont évidemment sûrs de leur coup.

La certitude brugeoise tient bon jusqu’au 14. La riposte de Bruno Venanzi, affirmant par mail lui aussi que « s’il n’y a pas de descendant, il n’y a pas non plus de champion », n’entame que très peu la confiance confortablement installée dans la Venise du Nord. Même en n’étant pas représenté parmi le groupe de travail mandaté par la Pro League pour dégager des pistes de scénarios pour la saison prochaine, Bruges semble en mesure de dicter l’agenda.

« Le groupe de travail n’a pas servi à grand-chose parce que finalement, c’était toujours le conseil d’administration de la Pro League qui dictait l’agenda. »

La vérité du jeudi 14 est pourtant fluctuante. Le 15, au matin, Waasland-Beveren tente de rassembler les soutiens nécessaires à un basculement du vote en sa faveur. Car les dernières heures ont rebattu les cartes, et propulsé sur le devant de la scène un scénario qui met les pensionnaires du Freethiel en mauvaise posture.

Les heures s’écoulent, et personne ne tend la main à un club qui n’a pas que des amis au sein de l’élite. La faute, entre autres, à sa faculté à dégainer les recours extra-sportifs, mais surtout à son implication dans le Footbelgate, lors de la fameuse rencontre du printemps 2018 face à Malines. Unique sacrifié de la dernière formule imaginée par le CA de laPro League, Waasland-Beveren est la victime idéale au service d’une formule à seize. L’AG scelle le destin des Waeslandiens.

GROUPE DE TRAVAIL SOUS ASSISTANCE

« On n’a pas servi à grand-chose parce que finalement, c’était toujours le conseil d’administration de la Pro League qui dictait l’agenda », raconte un membre du groupe de travail. Rassemblés autour de la table dès le début, Joseph Allijns (Courtrai), Philippe Bormans (Union), Eddy Cordier (Zulte Waregem), Peter Croonen (Genk) et Michel Louwagie (Gand) sont rapidement rejoints par Karel Van Eetvelt (Anderlecht) et David Meekers (Saint-Trond) dans ce petit conclave encadré par Pierre François et Nils Van Brantegem, dont la mission est de dégager des pistes pour le déroulement de la saison prochaine.

Le défi consiste à trouver une manière d’alléger cette formule de quarante journées, peu compatible avec un calendrier étroit, pris dans l’étau d’une crise sanitaire à durée indéterminée et d’un EURO programmé l’été suivant. Pour corser l’équation, les verdicts de la Commission des Licences tombent au compte-gouttes. « C’est seulement le mardi qu’on a appris que Virton n’entrait plus en ligne de compte, et donc qu’on a pu avancer sur des solutions concrètes », précise-t-on au sein du groupe.

D’emblée, Michel Louwagie se montre réticent face à la formule à 18. Mais le dirigeant gantois laisse le groupe de travail amener la proposition face au CA.

Une tâche censée être facilitée par le fait que le groupe de travail ressemble presque trait pour trait au CA de la Pro League. « Ce groupe, c’était une mascarade », affirme un participant à l’AG du vendredi. « Jetez un coup d’oeil sur les membres. Ce sont les mêmes qu’au CA, mais sans Bruges et Charleroi. »

Le jeudi 14 mai, le groupe de travail tombe d’accord sur une formule à 18 participants, évitant la relégation de Waasland-Beveren et incluant les montées d’OHL et du Beerschot. Les play-offs (indispensables pour le contrat avec Eleven, pas encore signé et donc susceptible d’être révisé si la formule, qui plait beaucoup au diffuseur, était modifiée) se dérouleront à quatre, limitant la saison à quarante journées, et les trois saisons suivantes serviront à ramener le plateau à seize équipes, en misant sur l’une ou l’autre relégation économique qui serait loin d’être surprenante vu l’évolution de certaines entités. Dans le pire des cas, trois équipes seraient reléguées au terme des trois ans.

Seul Michel Louwagie se désolidarise de l’idée. Dès le mardi, il avait déjà insisté sur l’aberration d’une formule à dix-huit. Le représentant des Buffalos maintient sa position jusqu’au bout, mais laisse le groupe de travail présenter son idée au CA.

LA VALSE DU CONSEIL

« C’est très bien, mais est-ce que vous aurez 80% des votes avec ça? », s’entend dire en substance le groupe de travail face au conseil d’administration de la Pro League, le soir-même. Très vite, il apparaît que les 36 voix sur 44 ne seront pas atteintes. En tant que membre du G5, Michel Louwagie compte pour trois voix. Idem pour Marc Coucke, qui semble étonnamment ne pas suivre la position de son CEO. Dans ce cas, Peter Croonen, qui craint que la proposition ne passe pas sans le soutien d’Anderlecht, fait volte-face. À part Bruges, tout le G5 est contre l’idée, qui n’a donc aucune chance de passer le cap des 80%.

Subtilement, on fait comprendre aux membres du K11 qu’une saison avec trois descendants au lendemain de la crise sanitaire pourrait porter préjudice à leur avenir au sein de l’élite.

Vient l’heure des contre-propositions. Les ténors du CA semblent prêts à accepter une saison de transition à 18, à condition qu’elle reste une exception, pour ne pas bouleverser démesurément l’agenda d’Eleven, qui a plus que jamais son mot à dire. Avec trois descendants au terme de la saison prochaine, donc. Les représentants du K11 font leur calcul, aidés dans leur raisonnement par des voix forcément intéressées au sein de l’assemblée: vu l’incertitude du prochain mercato et des finances, une saison difficile est vite arrivée, et les montants anversois et louvanistes, soutenus par de puissants investisseurs étrangers, ne seront certainement pas des oiseaux pour le chat. « Le risque était trop grand », explique-t-on au sein du K11. Les ténors de l’assemblée le savent, et appuient où ça fait mal. « Gand a mis une grosse pression contre le format à dix-huit équipes », ressort-il du groupe de travail.

Michel Louwagie, qui embarque immédiatement dans son discours Mehdi Bayat, Marc Coucke et Bruno Venanzi, propose alors une formule à seize, retenant l’idée des doubles play-offs à quatre soumise par le groupe de travail. Le problème, c’est que la formule ne recueillera évidemment pas le vote de Waasland-Beveren, mais ne sera pas non plus soutenue par OHL et le Beerschot. Ce qui fait déjà quatre voix. Et comme il se murmure déjà que le Cercle soutiendra les Waeslandiens, le calcul devient risqué. Sans même parler des recours potentiels devant les tribunaux.

« Ce n’est pas honnête, mais c’est le plus honnête. »

L’idée est donc d’ouvrir la porte à la possibilité de jouer la finale retour de la D1B, en offrant aux deux clubs un délai jusqu’à la fin du mois pour trouver un refuge. Cela pourrait même être Louvain, où le bourgmestre Mohamed Ridouani avait pensé donner un coup de pouce à la promotion des deux équipes dans le cadre d’une formule à 18 en refusant la tenue du match sur ses terres, même en août. La Pro League n’est donc plus immédiatement responsable de l’éventuelle non-tenue de la finale retour, et évite les problèmes judiciaires. « Ce n’est pas honnête, mais c’est le plus honnête », murmure-t-on au sein de l’AG, parmi les votes favorables à la formule. Westerlo, qui sera promu si la finale retour n’a pas lieu, est évidemment séduit par le concept. Une bonne partie de la D1B est déjà convaincue.

LE CHAMPION EST BATTU

La vidéo-conférence scelle le sort de Waasland-Beveren, et amène Bruges à faire une concession sur les 10% de revenus de qualification européenne reversés dans un pot commun. Les Blauw en Zwart ont finalement rejoint la position du reste du G5, favorable au maintien des play-offs, pour s’éviter le spectre d’une saison blanche, brandi par certains de leurs opposants depuis que l’arrêté ministériel de Pieter De Crem, publié le vendredi 8 juin, avait évoqué que « les compétitions de sport sont annulées jusqu’au 31 juillet inclus », un choix de verbe laissant la porte ouverte à la suppression des 29 journées écoulées.

37 des 44 voix s’expriment en faveur de la formule finalement proposée par le Conseil d’Administration de la Pro League. Une majorité de 84% qui affiche une unité de façade, masquant difficilement les rancoeurs découlées de ce gros-oeuvre empli de coups bas. « Ce qui m’ennuie, c’est que Mehdi Bayat et Michel Louwagie n’ont jamais semblé douter du fait qu’on resterait à 16 en D1A et 8 en D1B, et qu’on a finalement fait beaucoup de cirque pour rien », glisse l’un de ceux qui a finalement décidé de se rallier à la majorité « parce que si on ne votait pas pour cette réforme, c’était le statu quo et on restait quand même à 16+8. »

« Je suis persuadé que le spectre de droits télévisés diminués et de risques sportifs ont influencé certains petits clubs. »

« Entre ça et la saison blanche, j’ai opté pour ce qui me semblait le plus en phase avec l’intérêt sportif », confie un autre participant à l’AG. « Mais je suis persuadé que le spectre de droits télévisés diminués en augmentant le nombre de clubs a influencé certains clubs du K11, en plus des risques sportifs. Ce qui est sûr, c’est que le G5, accompagné par l’Antwerp et Charleroi, a finalement fait une grosse pression pour qu’on maintienne des play-offs. »

Du côté du K11, on s’étonne d’ailleurs de la joie démonstrative de Bruno Venanzi suite au verdict, perceptible même par écran interposé. Aux dires de certains, le président du Standard « dansait presque devant son écran ». Heureux que la formule qu’il avait publiquement défendue soit passée au détriment de celle des Brugeois, dont la mainmise sur le football belge en agace plus d’un?

À l’autopsie, les Blauw en Zwart semblent effectivement être les plus grands perdants de ces négociations de couloir, malgré le titre validé. Parce qu’au sein de l’élite du football belge, malgré les discours de façade, rares étaient ceux qui se souciaient véritablement du sort de Waasland-Beveren.

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