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Emmanuel Dennis, le Neymar nigérian du Club Bruges

Le Club Bruges continue à foncer à travers le championnat. Emmanuel Dennis, l’avant nigérian du Club, âgé de 19 ans, est une des révélations de l’autoritaire leader.

L’année dernière, Emmanuel Dennis rayonnait de joie quand, à l’issue du match d’Europa League avec Zorya Luhansk contre Manchester United, il a obtenu que Zlatan Ibrahimovic pose pour une photo avec lui : « Selfie with a #legend. Am I dreaming ? » Début août, au terme de la partie contre Basaksehir, il a posté une photo de lui avec la légende togolaise du football, Emmanuel Adebayor, sur son compte Facebook. « What a nice feeling to sit beside you bro. Good luck big bro », écrivait le jeune Nigérian, qui offre à ses suiveurs sur Facebook et Instagram un regard quasi hebdomadaire sur sa vie privée.

Toujours tiré à quatre épingles, il flirte avec les caméras. Après le décès de ses parents, il a été élevé par des membres de sa famille : ses frères, puis un oncle. Il a reçu une bonne formation footballistique, d’abord grâce au Néerlandais Clemens Westerhof, puis au fameux Abuja Football Collège, une académie qui s’occupe des enfants défavorisés. Le football lui a offert une vie meilleure.

Sa vitesse et son dribble ont convaincu le sélectionneur des U15 nigérians. Il a découvert le football international aux côtés de Taiwo Awoniyi (Liverpool, maintenant prêté à l’ Excel Mouscron), Chidera Eze (Portimonense) et Kelechi Iheanacho (Leicester City). Cette expérience lui a donné de l’appétit, surtout quand il a pris part à des tournois européens, en Croatie et en Italie. Deux de ses coéquipiers ont rejoint l’AS Rome tandis qu’un scout d’Ukraine le remarquait.

ÉTAPE UKRAINIENNE

Il a émigré dans le pays d’Andriy Shevchenko à l’âge de seize ans. Cette nation entretient de bons rapports avec le Nigeria. Il a été accueilli par un membre de sa famille qui vivait sur place et a joué dans quelques équipes en amateurs. Il n’a pu effectuer un stage à l’Olympik Donetsk puis au Dynamo Kiev que des mois plus tard. Lors de l’été 2016, il a intégré le Zorya Luhansk, qui a déménagé à Zaporijia à cause de la guerre civile. « Le Zorya a immédiatement décelé son potentiel », explique Serhiy Serebrennikov, ancien joueur du Club et du Cercle Bruges, devenu manager chez ProStar Football Agency, qui assure le suivi de Dennis depuis son transfert à Luhansk.

Dès son premier match, il ouvre la marque à la 18e contre l’Olympik. Un début de rêve. Quelques mois plus tard, Owngoalnigeria.com annonce que Manchester City a envoyé des émissaires au match de championnat contre le PFK Stal Kamianske. « On l’appelle le Neymar nigérian en Ukraine, à cause de sa coiffure », écrit le site nigérian.

« Des scouts des grands pays comme l’Allemagne et l’Angleterre suivent des joueurs toute l’année. Le fait que Dennis ait été repéré après quelques mois en dit long sur ses qualités mais ça ne veut pas dire qu’il y a un intérêt concret. Toutefois, la guerre a contraint les clubs à diminuer les salaires mais l’intérêt des clubs étrangers pour le championnat ukrainien a crû. Du coup, les salaires sont repartis à la hausse et les footballeurs ont été moins disposés à gagner moins en Belgique ou aux Pays-Bas », poursuit Serebrennikov, surpris par la rapidité de l’éclosion de son poulain.

« En Ukraine, il évoluait souvent seul en pointe, ce qui n’a pas été facile pour lui au début. Il recevait beaucoup de longs ballons et s’il possède une bonne détente, il préfère être servi au sol. Le Zorya avait une bonne équipe et il a pu progresser vite, sous la direction de Yuriy Vernydub. J’ai vu une dizaine de matches. Il s’appuyait sur quelques éclairs. Il est nettement plus actif, plus présent à Bruges. Ici, les joueurs offensifs ont la vie plus facile car les petits clubs ukrainiens sont extrêmement défensifs. »

SCREENING

Vincent Mannaert souligne les mérites de son scouting : c’est grâce à son screening que Dennis est au Club Bruges. La cellule en question couvre à peu près tout le globe terrestre. Elle suit attentivement tout ce qui se passe en Europe et en Amérique du Sud. Pour l’Australie et l’Amérique du Nord, elle compte sur les tuyaux de locaux et en Afrique, même si elle sonde le marché sur place, elle bénéficie aussi de renseignements. Un délégué du Club s’est déjà rendu au Ghana et un voyage au Nigeria est à l’agenda.

Le radar du Club a rapidement détecté Dennis, la saison passée. Le Nigérian a obtenu le label high young profile, sur base de son âge, du nombre de matches disputés et de sa part dans les succès. Mannaert : « C’est la phase un. Ensuite, nous effectuons une sélection afin de réaliser une analyse vidéo, qui nous permet d’aller plus en profondeur. » Dans une troisième phase, le Club visionne le joueur sur place. Il a vu Dennis à l’oeuvre à trois reprises. En plus de cela, il a passé au crible ses références, ses origines, son profil social et mental tout en s’enquérant de sa disponibilité. « Ça peut aller très vite. Dès le premier scouting en direct, on a réalisé l’ampleur de son talent. Ça me rappelle nos réactions au premier visionnage de Carlos Bacca. Cette fois aussi, on a compris que le joueur était vraiment très doué. On a alors agi plus rapidement que prévu. On est retourné en Ukraine deux fois avant de conclure le transfert. »

Serebrennikov a demandé à Luhansk ce qui était faisable. « Il nous a aidés pour les références », avance Mannaert. « Il maîtrise la langue et a des contacts là-bas. Il est rare que Bart Verhaeghe et moi nous déplacions de concert mais on avait de bonnes raisons de le faire. Dennis a été très bon en championnat contre Kiev et Donetsk, ce qui a éveillé l’intérêt du Shakhtar et de quelques formations étrangères. On a donc décidé de prendre l’avion et de conclure le transfert. »

UN SURVIVANT

Orphelin à douze ans, élevé par ses frères et des organismes locaux puis parachuté en Ukraine chez un oncle, à quinze ans. Une constante dans son histoire : Dennis est un survivant.

De là à se faire remarquer au stade Jan Breydel à 19 ans, il y a une marge. C’est exceptionnel. Carlos Bacca, qui avait 25 ans en janvier 2012 quand il a quitté la Colombie pour la Belgique, a mis six mois à s’intégrer. « Bacca a d’abord dû s’adapter à une compétition européenne et à une vie loin de sa famille alors que Dennis avait déjà vécu tout ça en Ukraine », éclaire Serebrennikov. « Il parlait un peu russe, ce qui était indispensable. Vivre là-bas sans maîtriser la langue est très difficile. Il a vraiment dû se battre pour faire son trou. Son existence ici est plus confortable. Il vit en appartement, il cuisine lui-même… À son arrivée, on a été choisir des meubles ensemble. Non, pas chez Ikea. Il savait très bien ce qu’il voulait. »

Le Club lui offre un suivi identique à celui des autres, souligne Mannaert. « L’équipe de support joue un rôle crucial. On la professionnalise depuis cinq ans : suivi social, bagage linguistique, même si c’est moins problématique pour Dennis, qui est anglophone. Tant qu’il n’a pas fait valider son permis de conduire, il dispose d’un chauffeur. C’est aussi une forme de contrôle social. Les joueurs habitent tous aux environs du stade et on s’intéresse aux heures passées en dehors du club. Il reçoit des conseils alimentaires. Le tout sans exagérer pour qu’il reste autonome. Un constat, qui est valable pour Wesley aussi : il y a une fameuse différence entre des footballeurs étrangers qui débarquent directement d’Amérique du Sud ou d’Afrique et ceux qui ont déjà joué ailleurs en Europe. Marvelous Nakamba a déjà joué pour Nancy et Vitesse et en une journée, il était intégré ici. »

Serebrennikov insiste : il a délibérément choisi la Belgique. « Il intéressait un club espagnol et Donetsk, une piste financièrement très intéressante mais où la concurrence était telle qu’un transfert au Club était plus favorable à son développement. On n’a pas eu de mal à le convaincre de ne pas sauter des étapes. Il fait bon vivre en Belgique et on peut s’y faire remarquer. C’est une vitrine. Les clubs allemands et anglais font leur shopping ici. S’il continue sur sa lancée, il franchira un nouveau cap. Il a le potentiel nécessaire. »

De fait. Il a ouvert la marque à la 5e contre Basaksehir, il a contribué à la victoire 0-4 du Club contre Lokeren en inscrivant deux buts et il a encore trouvé le chemin des filets contre Eupen et Zulte Waregem. Après douze matches, il en est à huit buts et un assist, des chiffres conformes à son bulletin ukrainien : six buts et un assist. « C’est davantage un killer qu’un passeur », opine Serebrennikov. « Il est parfois trop égoïste mais c’est une question d’expérience. Il n’a encore disputé que 38 matches au plus haut niveau. Plus il en jouera, plus il fera les bons choix. Il va apprendre quand tenter sa chance et quand céder le ballon à un coéquipier. Mais ce n’est pas un problème tant qu’il marque. »

Mannaert est compréhensif. « Il a ses habitudes, comme José Izquierdo : passe-moi le ballon, je vais en faire quelque chose. Si ça réussit, c’est goal. Ou presque. Ici, il fait partie d’un ensemble. Il est placé dans des situations qui lui permettent de faire la différence mais il doit aussi accomplir sa part de travail défensif et synchroniser ses actions. Quand Wesley va en profondeur, il doit le soutenir et vice-versa. Il doit devenir prévisible pour Hans Vanaken et de ce point de vue, il a du pain sur la planche. L’intérêt de la presse est aussi un phénomène neuf pour lui. Le championnat ukrainien est peu médiatisé, surtout à l’étranger, alors que le nôtre est suivi à la loupe par les grandes nations du football. »

ONYEKURU

Le public brugeois a immédiatement adopté Dennis, après le départ d’Izquierdo, son chouchou. Pour la direction, Dennis était une affaire. Zorya n’a pas fait de difficultés : il a accepté le transfert pour un montant, non confirmé, de 1,3 million d’euros. « Le club connaît sa place. Si un autre est disposé à payer un prix correct, il collabore au transfert », ajoute Serebrennikov, qui qualifie Dennis de cool guy et de special one.

« Il est sûr de lui tout en ayant l’esprit d’équipe. Il est bien considéré par le reste du groupe et s’épanouit sous les ordres d’Ivan Leko. Le concept de celui-ci lui convient. Il a d’abord évolué sur l’aile, une position qu’il aime, même s’il ne peut pas arpenter le flanc gauche pendant 90 minutes comme Anthony Limbombe. Il accomplit sa part de travail défensif mais il possède des qualités purement offensives. Il est imprévisible : impossible de savoir ce qu’il va entreprendre. Certains joueurs, comme Izquierdo, convergent vers l’axe et cherchent leur bon pied alors que Dennis tente sa chance du gauche comme du droit, ce qui complique la tâche des défenseurs. »

Siebe Blondelle, le défenseur central d’Eupen, partage son avis. Le petit Nigérian (1m74) a provoqué un penalty et marqué en deuxième mi-temps. « Ma première impression ? On n’a pas été surpris car il avait déjà montré ce dont il était capable en coupe d’Europe quelques semaines plus tôt. En première mi-temps, il opérait surtout depuis le flanc gauche et il n’était pas si terrible mais ensuite, il a occupé un rôle plus axial, en soutien de Jelle Vossen, et il a constamment été à l’affût, pour éviter le piège du hors-jeu et exploiter les brèches dans le dos des défenseurs. »

La saison dernière, Blondelle a évolué aux côtés d’Henry Onyekuru. Ils sont comparables, d’après lui. « Ce ne sont pas des avants-centres typiques car ils sont trop légers. Ils sont meilleurs aux côtés d’un avant ou en décrochage, à une position qui leur permet de plier un match par une action. Des joueurs comme eux sont nettement plus difficiles à neutraliser qu’un Lukasz Teodorczyk. »

par Chris Tetaert et Peter T’Kint

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