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Drazen Brncic, le Rossonero du RFC Liège: « J’aime les clubs avec un avenir, mais aussi un passé »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

« En sept ans, je suis passé de l’AC Hemptinne-Éghezée à l’AC Milan », glisse Drazen Brncic. Une formule magique pour résumer un parcours fou, qui l’a mené des tribunes de Zagreb au banc de Liège. Entretien sur la route des souvenirs.

Souvent, Drazen Brncic s’inquiète de savoir si ses paroles s’enregistrent toujours. Comme si la mémoire d’un téléphone pouvait s’avérer trop courte pour recueillir le récit de trente années d’allées et venues footballistiques. Il faut dire que le Croate est aussi bavard que prévenant, et que son histoire ne manque pas de détails. Depuis la buvette déserte du stade du RFC Liège, alors que les entraînements des Sang et Marine ont repris depuis quelques jours en vue du match de Coupe face au géant anderlechtois, le coach du matricule 4 déroule, deux heures durant, le fil d’une carrière aussi riche en anecdotes qu’en émotions.

En 1991, à vingt ans, tu quittes la Croatie et tu te retrouves à Éghezée, une commune du Namurois qui joue en Promotion. Ça semble complètement surréaliste, comme transfert.

DRAZEN BRNCIC: Je jouais au Segesta Sisak, en D2 croate, avec le Dinamo Zagreb qui gardait un oeil sur moi. Mon rêve, comme celui de tous les gosses qui sont nés dans le quartier, c’était de porter le maillot du Dinamo. Quand j’étais ado, j’ai même fait partie des Bad Blue Boys. Je n’étais pas un bandit, mais c’était l’adolescence, les hormones qui parlaient. Très vite, j’ai vu que je pourrais arriver à quelque chose dans le foot, donc je me suis dit qu’il valait mieux arrêter d’aller dans les kops.

« J’ai dû apprendre à vivre avec la douleur »

C’est au moment où tu t’approches de la D1 que la guerre éclate.

BRNCIC: J’étais un pilier de l’équipe, et le Segesta était très ambitieux. Malheureusement, au mois de mai 91, la guerre commence et le championnat a fini par s’arrêter. C’était devenu trop dangereux de voyager. Sur certains chemins, tu pouvais tomber dans une embuscade. Nous, on s’entraînait à Zagreb, où la vie semblait normale. Les boîtes de nuit étaient encore ouvertes, mais c’était devenu impossible de jouer au football. Comme ça s’est éternisé, j’ai demandé à mon club de me laisser partir.

À Milan, la concurrence, c’était Leonardo, Boban, Albertini, Ambrosini, Gattuso ou Redondo… »

Drazen Brncic

Comment tu atterris à Éghezée?

BRNCIC: Un de mes coéquipiers était arrivé en Belgique via un agent, et il avait signé à Tilleur, en D3. Il m’a dit que Wavre cherchait un joueur de mon profil. On m’a promis un très gros contrat, mais ça a traîné. J’ai appris par la suite que le club avait des problèmes financiers. L’agent avec qui j’étais, il habitait à Namur, et allait souvent au café Les Champs-Élysées, devant le stade. Un jour, il a commencé à parler avec un certain monsieur Gemine, le président de l’ACHE ( Association des Clubs d’Hemptinne et d’Eghezée, ndlr). Ils m’ont plus ou moins fait croire qu’ils jouaient en D3, alors qu’ils étaient en Promotion. Finalement, je suis allé faire un test un vendredi soir, avec l’équipe réserve, sur un terrain en pente. Je ne connaissais pas le nom de mes équipiers, je ne parlais pas un mot de français, mais je marque un lob des 35 mètres. Je voulais toujours la D2, mais on était déjà mi-octobre et rien ne bougeait. J’ai fini par signer, on a tout gagné jusqu’à la dernière journée et on a été champions. Mais au dernier match, je me blesse. Pubalgie. Je n’ai plus jamais été à 100% par la suite. J’ai dû apprendre à vivre avec la douleur, mais il y a certains gestes que je ne savais plus faire.

Finalement, tu deviens capitaine du club, et tu signes à Charleroi après une saison à dix-sept buts.

BRNCIC: Normalement, je devais aller au RWDM, mais Éghezée a demandé trop d’argent. Je suis arrivé par la petite porte, et j’étais le sixième extracommunautaire alors qu’on ne pouvait en mettre que trois sur la feuille. J’ai fait mon trou et au bout de ma deuxième saison, j’ai été élu Zèbre d’or. Je suis proche de signer à Pescara, il me reste un an de contrat et ils sont prêts à payer huit millions de francs belges, mais Charleroi en réclame vingt-cinq. J’avais déjà passé les tests médicaux, mais je reste finalement pour ma dernière année de contrat. J’ai des contacts avec le Standard quand Luka Peruzovic reprend l’équipe, Aimé Anthuenis appelle à la maison quand je suis à l’entraînement et dit à ma femme qu’il me veut à Genk, j’ai des contacts avec Derby County, Le Havre, Toulouse… Mais finalement, je choisis Torino. En février, tout est arrangé.

« Les journaux parlaient des « BBB »: Bierhoff, Boban et Brncic »

Pourtant, tes débuts en Italie, ce sera à Cremonese. Qu’est-ce qu’il se passe à ce moment-là?

BRNCIC: Le club change de dirigeants et en mai, plus de nouvelles. Au final, je pars en vacances sans rien, et on m’y présente un agent, le manager des plus grands joueurs yougoslaves. Il me dit qu’il peut me placer en Italie. Je débarque en test à Cremonese mi-juillet.

C’est le début du conte de fées, qui t’amène de la Serie B à San Siro.

BRNCIC: Avec Cremonese, j’enchaîne les blessures, mais je tape dans l’oeil du président de Monza. J’arrive là, en D2, et je fais une de mes meilleures saisons. À quatre matches de la fin, on est encore en lutte pour se sauver. Le président me fait venir dans son bureau et me dit: « Sauve l’équipe, et je te vendrai dans un grand club. » Deux semaines plus tard, on est sauvés et le lundi matin après le match, je suis réveillé par le coup de téléphone d’un journaliste qui me félicite: « Bravo pour votre signature à Milan. » Là, je me rappelle la conversation avec le président. Quand il parlait de grand club, je ne m’attendais quand même pas à ça. Sept ans après l’AC Hemptinne-Eghezée, j’étais à l’AC Milan.

Drazen Brncic:
Drazen Brncic: « Quand Liège m’a contacté, je n’ai hésité à aucun moment. »© CHRISTOPHE KETELS

Qu’est-ce qui les avait convaincus de te recruter?

BRNCIC: Ils voulaient être compétitifs sur trois tableaux, donc ils cherchaient des joueurs d’expérience sans dépenser trop d’argent. Galliani ( ancien dirigeant du Milan, ndlr) était de Monza, donc il m’avait vu jouer. On avait un noyau énorme, 35 ou 36 joueurs. J’ai réussi à me faire une place dans la liste de 25 pour la Ligue des Champions, et je devais même être sur le banc pour le premier match de championnat, à Bologne. Pendant la préparation, je n’ai pas arrêté de marquer. Les journaux parlaient des « BBB »: Bierhoff, Boban et Brncic.

Pourquoi tu n’es finalement pas sur le banc contre Bologne?

BRNCIC: Leonardo était blessé, Boban n’était pas prêt, donc je devais être dans la sélection, mais la veille du match, j’attrape une allergie. Peut-être à cause de ce que j’ai mangé, peut-être la tension du premier match, je ne sais pas. Mais j’attrape de l’urticaire, et le docteur doit me faire une piqûre de cortisone. Impossible d’être avec l’équipe le lendemain. Et après ça, les autres sont revenus. Et la concurrence, c’était Leonardo, Boban, Albertini, Ambrosini, Gattuso ou Redondo… J’ai encore été quatre ou cinq fois sur le banc, j’ai joué quatre matches en Coupe d’Italie et une fois en Champions League, mais après six mois, j’ai demandé à partir. J’allais avoir trente ans, et j’avais envie de jouer.

« À Venise, on allait au stade en vaporetto »

Tu es prêté à Vicenza, puis vendu à l’Inter.

BRNCIC: Milan a voulu m’envoyer à Pérouse, mais là, quand tu faisais un mauvais match, le président débarquait dans le vestiaire à la mi-temps et te donnait rendez-vous au stade à 22 heures pour t’envoyer une semaine en mise au vert. Je ne voulais pas faire subir ça à ma famille. Finalement, je suis allé à Vicenza. Puis j’ai signé à l’Inter, en sachant qu’il y avait 99% de chances que je sois prêté parce qu’il y avait 41 joueurs dans le noyau. Je suis parti à Ancône, mais pour ma première titularisation, je me blesse. C’est la première fois que mon fils vient au stade avec ma femme, il lui demande à quoi sert la civière qui était sur la piste d’athlétisme près de l’ambulance. Une minute après, j’étais dessus. Je protégeais un ballon extérieur du pied, un joueur m’a poussé et mon pied a tourné. Déchirure des ligaments de la cheville. Ils voulaient m’opérer à Rome, mais j’ai préféré rentrer en Belgique.

Avec l’idée d’y rester pour de bon?

BRNCIC: On est en 2002, j’ai 31 ans, encore deux ans de contrat avec l’Inter. Je voulais revenir en Belgique, mais l’Inter était exigeant et les clubs belges n’étaient pas prêts à payer. Du coup, je suis de nouveau parti en prêt en Serie B, à Venise.

Être joueur de foot à Venise, c’est comment?

BRNCIC: Quand on allait au match, on partait en mise au vert à l’hôtel, on prenait le bus jusqu’à Mestre, puis on allait au stade en vaporetto. On m’avait prévenu de ne pas trop manger, au cas où je ne supporterais pas les vagues. Quand il fait clair et que la mer est calme, c’est bien. Mais quand il y a le vent, la mer qui bouge, et que tu sors du stade le samedi à onze heures du soir… Il y a de plus belles choses dans la vie que ça, je vais dire ( Rires).

C’est ta dernière expérience en Italie.

BRNCIC: Ma fille est née en août 2003. Il me restait un an de contrat à l’Inter, j’étais proche du Standard parce que Lucien D’Onofrio avait de bons contacts avec les dirigeants. J’ai attendu en Belgique jusque début septembre, mais rien ne s’est passé, donc j’ai été à Milan pour qu’on résilie mon contrat. J’ai failli signer à Vitesse, puis au Lierse, mais finalement, en décembre, j’ai signé au MVV Maastricht, à 25 minutes de la maison. Après Milan, ce sont presque mes plus belles années de football. J’avais beaucoup de maturité, un style de jeu qui était aimé des Néerlandais, j’étais dans mon élément. Mon manque de vitesse et d’explosivité, je l’ai toujours compensé avec la pensée.

« L’Union, c’est un club mythique. Un peu comme ici à Liège »

C’est finalement logique que ces qualités t’aient amené à devenir coach, donc?

BRNCIC: J’ai encore joué jusque quarante ans, j’ai terminé à Richelle en P1. Là, je me suis dit que dans ma tête, en faisant la somme de tous mes coaches et de toutes mes expériences, je m’étais fait une idée précise de mon football. Ma première expérience de coach, c’était en 2012 à Verviers. Je suis arrivé fin octobre, et j’ai commencé à expliquer ma vision du football. Pour les joueurs, c’était l’incompréhension totale. Les six premiers matches, on prend un point. Les dirigeants se demandaient s’ils avaient bien fait de me prendre. Finalement, on se sauve et la saison suivante, à partir de décembre, le club était en faillite. Ni le staff ni les joueurs n’ont touché un euro. Ma fierté, c’est qu’on a formé un groupe très uni, qui s’entraînait quatre fois par semaine, et on s’aidait entre nous. La maman de l’un cuisinait pour un autre qui habitait tout seul. On avait dix points de retard en janvier, et on a fini à un point du titre.

Drazen Brncic (à dr.), aux côtés de Dida, Roque Junior, Gianni Commandini et Silvio Berlusconi.
Drazen Brncic (à dr.), aux côtés de Dida, Roque Junior, Gianni Commandini et Silvio Berlusconi.© EPA

Le club survit encore un an, mais sans toi: tu pars à l’Union.

BRNCIC: Le club sortait de nombreuses années de déception. Un dirigeant allemand est arrivé, Jürgen Baatzsch. Il avait des ambitions, mais surtout pour la deuxième année. Finalement, on est montés dès la première année, parce que Capellen a été champion, mais ils n’avaient pas de licence. Le public était très exigeant, c’était un club mythique. Un peu comme ici à Liège. Le soir du titre, à une heure du matin, ils ont passé l’hymne croate dans le club house de l’Union. C’était un hommage magnifique pour mon travail.

Après deux aventures plus compliquées au Patro Eisden, puis à Seraing, tu arrives au RWDM, un autre club historique.

BRNCIC: J’avais dû quitter Seraing après six matches, parce qu’il y avait un problème avec le recyclage de ma licence d’entraîneur. On avait gagné à l’Antwerp devant 13.000 personnes, en jouant presque tout le match à dix. Francesco D’Onofrio avait été exclu après une demi-heure, et on a appris le décès de son papa à la mi-temps. Après Seraing, j’ai remis ma licence en ordre puis un jour, quand je faisais un tennis avec Sunday Oliseh, un ami m’a appelé. Il était avec Thierry Dailly. Je voulais travailler en D1B, le RWDM était en D3 Amateurs, mais quand j’ai entendu le nom du club, j’ai dit qu’il pouvait me téléphoner. Je voulais un club avec un avenir, mais aussi avec un passé.

Vous montez jusqu’en D1 Amateurs en deux ans, puis la séparation est brutale.

BRNCIC: Mon idée, c’était d’amener le club le plus haut possible. Quand on est montés, j’avais eu un contact avec Waasland-Beveren, mais il fallait attendre une quinzaine de jours et je n’étais pas le seul candidat. Je n’avais pas la sensation d’être leur premier choix, donc j’ai préféré continuer avec Molenbeek, et qu’on aille chercher nous-mêmes le professionnalisme donc je resigne pour deux ans. Après la première saison, il y a un contact avec Charleroi, mais rien n’en est ressorti. Est-ce que le club me l’a reproché? Je ne pense pas. Finalement, ils décident de se séparer de moi après une défaite en Coupe après prolongations à Dessel. Par après, j’ai appris que certains savaient déjà qu’on allait me bouger, même avant la préparation.

Finalement, tu te retrouves à Liège.

BRNCIC: J’ai toujours voulu jouer ici. Je voulais y revenir après Maastricht, mais il y avait toujours quelque chose qui clochait, des problèmes. Depuis octobre 91 je suis en Belgique et depuis 92, j’habite à Liège. Je savais ce que ce club représente pour les gens et pour l’histoire du foot. Quand ils m’ont contacté, je n’ai hésité à aucun moment. Il y a une âme, et c’est ce que j’adore. Pour moi, un homme sans âme, il lui manque quelque chose de grand. Je ne juge pas ceux qui pensent autrement, mais moi je suis comme ça.

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