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Diables Rouges: Caméra au poing

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face à la Norvège.

On joue depuis 17 secondes. Radja Nainggolan reçoit le ballon. Sa première passe casse déjà les lignes. La défense norvégienne intercepte, relance, et c’est Radja qui récupère. Le ton est donné. Le Ninja a arraché la caméra des mains de Witsel, réalisateur du trop long-métrage « Le football est un long fleuve tranquille », et a vigoureusement crié : « ACTION. »

Quand il perd un ballon criminel aux abords de son rectangle, Nainggolan touche déjà la balle pour la dix-septième fois d’un match qui a démarré autour de son hyperactivité. À la base du but de Lukaku, c’est lui qui trouve Hazard entre les lignes pour permettre à Eden et De Bruyne de combiner entre le milieu de terrain et la défense adverse, là où ils n’avaient jamais reçu le ballon face aux Finlandais. Radja a du déchet, perd la moitié des ballons qu’il tente d’envoyer rapidement vers l’avant, mais fait battre le coeur du jeu belge à un rythme qui susciterait la curiosité scientifique du Dr House.

Il se passe d’ailleurs des choses étranges dans cette équipe. En salle d’op’, la dissection du jeu belge permet d’apercevoir une combinaison folle de 21 passes consécutives, où tous les joueurs de champ touchent le ballon, pour déboucher sur un mauvais choix d’un Mertens coutumier d’opter pour la mauvaise possibilité quand il en a au moins deux sous les yeux. Witsel, comme contaminé par la présence de Radja, se promène entre les lignes, combine avec un Hazard sans cesse disponible et frappe même au but à deux reprises. On dissèque le jeu diable, pendant que la Norvège ressemble à un patient aux soins palliatifs.

LA BELGIQUE DE NAINGGOLAN

La Belgique de Nainggolan dure vingt minutes. Après sa perte de balle, conclue par un enroulé parfait de King pour égaliser, Radja est sonné. Ironie du sort, c’est à cause de l’impossibilité de faire une passe instantanée vers l’avant qu’il a perdu sa spontanéité et le ballon. Sa passe suivante est donnée en retrait, et sonne le début d’une Belgique fatiguée, qui semble devoir digérer sa boulimie footballistique du début de rencontre. Nainggolan ne touchera plus que trois ballons dans les quinze minutes qui suivent. Il manque encore d’essence dans son moteur, et personne d’autre ne semble capable de faire le plein de carburant.

Enfermée hors du match depuis le coup d’envoi, la Norvège s’est installée au milieu de la pièce dès que Radja lui a ouvert la porte. Le plan scandinave est audacieux, avec un pressing très haut sur Toby Alderweireld pour priver les Diables d’une relance confortable. Le nouveau patron de la défense nationale concède même une touche à l’entrée du rectangle belge, pressé jusqu’à sa ligne de fond par l’énergie norvégienne. Pendant ce temps, Romelu Lukaku est rappelé à l’ordre par Kevin De Bruyne parce qu’il s’aventure trop haut, trop seul dans un pressing sur la défense adverse. Les Diables se recroquevillent dans leur camp, et la défense norvégienne fait parler son jeu long. Devant sa télévision, Leonardo Bonucci boit certainement du petit lait.

LA BELGIQUE DE JORDAN

Juste avant la demi-heure, la Belgique sort de sa léthargie en se rappelant qu’elle a déjà joué sans Nainggolan. Sans le jeu intérieur offert par la palette du Ninja, les Diables retournent à leurs fondamentaux et commencent à contourner un bloc qu’ils ne peuvent plus percer. Pour cette nouvelle scénographie, c’est Jordan Lukaku qui prend la caméra. Il tourne évidemment un film d’ados américains. Avec des muscles, de rares moments de génie et quelques scènes ratées.

Jordan dévore son flanc à plusieurs reprises, envoie un centre sur la tête de son frère avant une combinaison familiale sur le côté gauche, puis un centre dans les mains du gardien. Dans l’autre sens, la Norvège cible son dos et arrose copieusement le couloir déserté par ses débordements ou abandonné par son esprit. Un tir détourné par Courtois et une frappe dans le petit filet allument d’indésirables projecteurs sur la défense, pendant que le pressing belge reste en coulisses.

Cette Belgique hors du bloc adverse est aussi celle de Mertens. D’un côté ou de l’autre, Dries se multiplie. Ses actions sont partout mais n’aboutissent nulle part. Les décharges électriques du 14, qui avaient secoué le malade belge contre la Finlande, ne semblent plus avoir d’effet. Les Diables passent même aux soins intensifs quand la Norvège profite d’une sortie de Witsel et d’une répartition des rôles brouillée dans l’entrejeu pour éliminer les trois quarts de l’équipe belge en trois passes et envoyer un ballon dans la lucarne de Courtois.

LA BELGIQUE D’HAZARD

C’en est trop pour Eden Hazard. Il devrait être l’acteur principal de toutes ces scènes, mais malgré son nom en haut de l’affiche, le football des Diables ne le filme jamais. Alors, le 10 prend la caméra et la tourne vers lui pour jouer un scénario qu’il écrit lui-même. Avec du Hazard dans tous les rôles.

En centreur d’abord, pour alerter un Lukaku un rien trop court (52e). Et puis en créateur, quand il constate que la source Nainggolan s’est tarie. Le plan de Wilmots, qui fait monter Fellaini, semble insister sur la Belgique qui contourne le bloc, mais Hazard veut recommencer à le perforer. Eden vient alors chercher les ballons entre Radja et Witsel (ou Fellaini), pour casser lui-même les lignes qu’on devrait briser pour lui.

Passe latérale de Fellaini, à soixante mètres du but, Hazard regarde vers le but adverse et ne voit pas d’équipier. Il élimine deux Norvégiens pour casser l’organisation adverse, puis trouve Lukaku et plonge vers le rectangle pour reprendre de la tête le centre de Kevin De Bruyne. En une phase de jeu, Hazard a été Modric et Inzaghi.

Les lignes s’étirent, et la Norvège tire la langue à cause d’une tactique audacieuse là où on l’attendait plus « finlandaise ». Radja Nainggolan en profite pour ressusciter entre des lignes beaucoup plus étirées. Il trouve De Bruyne, qui n’a plus qu’à lever les yeux pour envoyer Lukaku à la rencontre du gardien. Dribble, défense désespérée, corner. Et puis Laurent Ciman, pour permettre à Hazard de poser la caméra sur un happy end.

PAR GUILLAUME GAUTIER

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