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« Des gens comme Mogi sont protégés, surtout par les dirigeants »

En exclusivité pour Sport/Foot Magazine, le Footballeur Secret se penche sur l’Opération Mains Propres qui secoue le football belge.

« Je n’ai pas été tout à fait surpris d’apprendre que, chez nous aussi, il y avait eu des perquisitions. On n’a pas vu les enquêteurs -on était à l’entraînement – mais ils ont manifestement fouillé les bureaux et emmené des documents. On doit à présent attendre avant de savoir si le club risque quelque chose. À moyen terme, en tout cas, cette affaire aura des conséquences pour nous. Je pense que Waasland-Beveren a du souci se faire quant à son maintien en première division, ce qui veut dire que les quinze autres clubs sont assurés d’y rester un an de plus.

Comment vit-on cette affaire en tant que joueurs ? Ces derniers jours, on s’est posé beaucoup de questions. Le genre de questions auxquelles on ne peut pas répondre. On lit et entend toutes sortes de choses – la plupart des informations viennent de l’extérieur. Mais une chose est certaine : quoi que les gens en disent, ce ne sont pas des mensonges. Dans le monde du football, tous les acteurs tentent de s’enrichir sur le dos des autres. Pour le dire de façon imagée : tout le monde pique dans la caisse et certains piquent plus que d’autres. C’est culturel. Mogi Bayat a une certaine réputation sur ce plan. Il a même développé tout un processus. Il vous pousse un contrat bétonné sous le nez et vous en déduisez que tout est réglé jusque dans les moindres détails. Mais ce n’est pas négociable. La seule chose que Mogi attend de vous, c’est que vous signiez.

La mafia dirige le monde du football

Prenons un exemple fictif : supposons que vous gagniez 5.000 euros par mois. Vous intéressez un club et Mogi parvient à négocier un contrat à 20.000 euros. À première vue, vous faites une bonne affaire. Qui refuserait de voir son salaire multiplié par quatre ? Ce que vous ne savez pas, c’est que vous auriez pu gagner 40.000 euros. La différence, Mogi l’a mise dans sa poche. Ou il s’en est servi pour s’octroyer une commission. Pourquoi, selon vous, le transfert de Clinton Mata à Anderlecht a-t-il capoté ? Mata a manifestement découvert que Mogi était en train de comploter. Avec lui, pendant les négociations, vous ne savez jamais quel sera le montant de sa commission. Il s’octroie plus que le montant habituel. Et quand vous connaissez le chiffre, il est souvent trop tard.

Tout ça pour dire que Mogi est passé maître dans l’art de manipuler, de mettre sous pression :  » Tu signes avec moi ou le transfert ne se fera pas « . Il a court-circuité beaucoup d’agents de la sorte. Certains ne s’en sont pas remis. Mogi est capable de faire un lavage de cerveau aux joueurs et de les isoler de leur agent afin de conclure une affaire.  »

LES JOUEURS SONT DES HYPOCRITES

 » Je ne dirais cependant pas que tous les joueurs de Mogi sont des victimes. Certains connaissaient les combines qui ont été rendues publiques la semaine dernière et savaient qu’il blanchissait de l’argent. Vous ne me ferez pas croire qu’il a pu agir sans qu’aucun joueur ne le sache. Mais ils n’avaient pas intérêt à dénoncer un système qui ne les défavorisait pas. Le monde du foot est hypocrite, hein. Le système de Mogi arrangeait beaucoup de monde. Maintenant, on se demande ce qu’il va faire s’il est acquitté de tout ce qu’on lui reproche. Poursuivra-t-il sa carrière d’agent ? Quid de sa crédibilité ? Depuis des années, c’était le boss en Belgique. Aucun grand transfert ne se faisait sans qu’il soit impliqué. Un des mes équipiers a travaillé avec lui et pense que c’est fini pour lui. Il nous a dit :  » Je n’ai plus d’agent.  »

En tout cas, on ne me fera pas croire que les dirigeants de notre club n’étaient pas au courant des manoeuvres de Mogi. Des gens comme lui sont protégés. Grâce à lui, des joueurs comme Dodi Lukebakio, Obbi Oulare, Anthony Limbombe, Kara, etc. sont partis à l’étranger pour des sommes conséquentes. Mogi a fait gagner des millions d’euros aux grands clubs, c’est pourquoi il était tellement apprécié du G5. On le laissait faire. J’ai lu que Roland Duchâtelet avait remarqué qu’il agissait bizarrement et que c’est pour ça qu’il l’avait écarté de Saint-Trond et du Standard. Mais il se taisait…

Je dois avouer que je n’ai pas la moindre confiance en mon directeur sportif. Je sais qu’il était ami avec quelques autres agents et qu’il tentait toujours de grappiller quelque chose. Un jour avant la conclusion de mon transfert, j’ai reçu un appel d’un agent que je ne connaissais pas : il était copain avec le directeur sportif et pouvait faire en sorte que le transfert soit conclu plus vite. Quand on reçoit ce genre d’appel à ce stade des négociations, on a compris : le directeur sportif avait promis une plus grosse commission à l’agent et il allait se servir au passage. Je suis cependant resté fidèle à mon agent et le transfert s’est tout de même conclu.  »

CHARLATANS

 » Je ne connais pas personnellement Dejan Veljkovic, l’autre personnage-clef de l’affaire. Je le connais de nom et je l’ai déjà vu dans la tribune lors de nos matches à domicile mais je ne me rappelle pas l’avoir vu dans la salle des joueurs ou près du vestiaire. Je ne sais donc pas s’il a de l’influence chez nous mais j’ai vu certaines choses au sujet desquelles je me pose des questions. Certains transferts nous ont fait froncer les sourcils : des joueurs des pays de l’est acquis pour un million d’euros et qui ne sont certainement pas meilleurs que ceux qui étaient déjà là. D’un point de vue sportif, leur plus-value est pratiquement nulle. J’imagine que cette piste va disparaître petit à petit.

Je n’ai jamais rien remarqué de suspect lors de nos matches et je peux vous jurer que je n’ai jamais été approché par Veljkovic ni par quelqu’un de son entourage. Ce n’est d’ailleurs pas illogique. Il est plus facile d’approcher des joueurs de sa propre écurie que des joueurs qu’on ne connaît pas. Je n’ai pas à me plaindre de Sébastien Delferière, je n’ai jamais eu l’impression qu’il était en train d’arranger un match. Mais en football, plus rien ne m’étonne. J’espère que les dirigeants vont faire le ménage. Dans ce milieu, la mafia a installé une espèce d’omerta. C’est le moment d’écarter les charlatans de tout poil. Certes, d’autres types bizarres prendront sans doute la place de Mogi mais ils ne seront jamais aussi puissants que lui. C’est le moment d’entrer dans une nouvelle ère.  »

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