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Dennis Praet: « La Premier League me rend plus heureux « 

Épanoui comme jamais dans le Leicester de Brendan Rodgers, Dennis Praet vit depuis une grosse année au rythme infernal de la Premier League. Loin de la Série A et de ses tableaux noirs, le Soulier d’Or 2014 a retrouvé la flamme.

On peut avoir été la caution esthétique de Neerpede, être devenu une sentinelle respectée du Calcio, s’éclater en Premier League et se retrouver à faire des interviewes par visioconférence dans une salle de presse vide éclairée aux néons et à la déco de Noël douteuse. Tout ça en plein confinement et au début du mois de novembre. Dennis Praet est un homme courageux. Du genre à accepter, il y a quinze mois, de remettre sa routine en question pour partir à l’assaut de la Premier League à 25 ans. Telle est la trajectoire d’un homme qu’on a pris l’habitude de mettre à toutes les sauces, mais qui n’a lui jamais perdu le goût. Une force en 2020, accompagné d’un parfum de nostalgie. Parce que Dennis Praet raconte un football parfois différent. Celui d’un numéro 10 qui s’est toujours éclaté en taclant, d’un ancien enfant star qui a appris, avec le temps, à vivre dans l’ombre. Sans jamais craindre de se faire oublier. À la Samp, le Louvaniste a révisé ses classiques dans l’anonymat du ventre mou du Calcio. Loin de l’agitation de la Premier League, loin des Diables aussi, souvent, malgré des prestations sérieuses. En signant à Leicester, le diamant révélé par John van den Brom dans une autre vie savait qu’il retrouverait la lumière. Il ne savait pas, par contre, qu’elle lui avait tant manqué.

Le Calcio a vraiment fait de moi un meilleur joueur de football, mais la Premier League me rend plus heureux.  »

Dennis Praet

Dennis, on te retrouve, et ce n’est peut-être pas un hasard, à un moment où tout semble aller pour le mieux pour toi. Qu’est-ce que signifie pour toi ce bon début de saison?

DENNIS PRAET : Je vais bien personnellement, mais c’est toute l’équipe de Leicester qui a bien commencé la saison. Malheureusement, moi, j’ai eu cette petite blessure pendant trois semaines juste après le match contre Manchester City ( victoire des Foxes 2-5, le 27 septembre, ndlr), ce qui m’a empêché d’être à 100% lors du dernier rassemblement des Diables en octobre. Je dirais que c’est le seul point noir de ce début de saison parce que je pense que j’aurais pu recevoir une chance à l’occasion de ces trois matches-là. Mais bon, cela ne m’a pas empêché de faire partie du groupe. Même si j’ai passé plus de temps entre les mains du physio qu’à l’entraînement…

La dernière fois que l’on t’a rencontré, tu étais encore à la Samp. C’était à Louvain, et tu nous disais vouloir un jour évoluer dans un grand club. Leicester, c’est le grand club dont tu rêvais?

PRAET : C’est en tout cas le club qui m’a permis d’encore franchir un cap. Quand j’ai eu la possibilité de venir, je n’ai pas beaucoup réfléchi. Leicester est devenu un grand club de Premier League ces dernières années, et quand un club comme ça, en pleine ascension, avec un centre d’entraînement tout neuf et des ambitions réelles, décide de te mettre le grappin dessus, tu n’as de toute façon pas trop besoin de peser le pour et le contre.

 » Réussir à me faire une place dans cette équipe-là, c’est une des raisons qui m’a poussé à signer à Leicester  »

Qu’est-ce qui change concrètement par rapport à tes trois années passées en Italie, à la Sampdoria?

PRAET : Hormis le fait de ne plus me réveiller tous les matins à la mer et d’avoir l’impression d’être en vacances toute l’année, vous voulez dire? Non, plus sérieusement, les deux championnats sont vraiment totalement différents, c’est ça le plus sidérant. En Italie, c’était avant tout tactique, très centré sur l’organisation et ici il y a beaucoup plus de tempo dans les matches, ça va d’un côté à l’autre, ça ne s’arrête jamais. Même aux entraînements, on fait beaucoup plus de matches, il y a beaucoup plus de rythme. À Leicester, je ne passe plus deux ou trois jours par semaine en intérieur à me concentrer sur la tactique de l’adversaire, par exemple. Clairement, je ne vais pas vous mentir, c’est plus amusant, c’est plus chouette, au sens propre du terme, d’évoluer en Premier League plutôt que dans le Calcio. Parce qu’on est plus dans le plaisir, dans le jeu, moins dans la réflexion. Là où en Italie, tout est analysé, décortiqué. En fait, je crois qu’avoir connu le Calcio fait vraiment de moi un meilleur joueur de football, mais que la Premier League me rend plus heureux.

Dennis Praet (à droite) contre Luhansk:
Dennis Praet (à droite) contre Luhansk: « Leicester est devenu un grand club de Premier League. »© belgaimage

Tu as entamé six des sept premiers matches de Premier League dans la peau d’un titulaire suite, initialement, à la blessure de James Maddison. L’objectif, à moyen terme, c’est de prouver à Brendan Rodgers que tu peux être plus qu’un plan B?

PRAET : Je devrai être à mon meilleur niveau à chaque match pour garder cette place dans le onze, je le sais. Mais je savais aussi avant d’arriver que me faire une place dans un triangle au milieu déjà composé de Wilfred Ndidi, James Maddison et Youri Tielemans ne serait pas chose aisée. Je m’attendais d’ailleurs à ne pas trop jouer au début ( il a facturé 33% de temps de jeu l’an dernier pour sa première saison, ndlr), mais j’ai toujours bien aimé les défis. Par rapport à ça, je suis content de ma première saison. De réussir à me faire une place dans cette équipe-là, c’est une des raisons qui m’a poussé à signer ici. C’est un peu la même histoire qu’en 2016. Certains avaient été surpris que je parte en Italie. Et il n’y a pas tellement de gens qui pensaient que j’allais m’y imposer aussi franchement. C’est un peu la même histoire qui est en train de se produire ici.

Ta position sur le terrain n’est pas la même que l’an dernier. Tu as beaucoup voyagé, mais on t’a notamment vu dans certains matches aligné comme milieu offensif droit dans le 3-4-3 de Brendan Rodgers. On ne t’avait plus vu aussi haut sur l’échiquier depuis bien longtemps…

PRAET : J’ai commencé la saison en numéro 10, un peu à la place à laquelle j’évoluais beaucoup en Belgique, à mes débuts. Forcément, ça m’a rappelé de bons souvenirs, même si ça faisait du coup longtemps que je n’avais plus joué là et qu’il me manquait encore quelques repères. Plus récemment, et vu que le coach aime bien changer de système régulièrement, j’ai joué deux ou trois matches en tant qu’attaquant droit dans un 3-4-3, qui est en fait le même dispositif que celui utilisé par Roberto Martinez avec les Diables. Un peu comme si je jouais à la place de Dries Mertens, donc ( rires). Même si contre Arsenal et City, étant donné qu’on joue avec un bloc bas, c’est une position où l’on me demande aussi de beaucoup défendre. Il y a eu d’autres variantes. Lors du match contre Aston Villa ( défaite 0-1, le 18 octobre, ndlr), par exemple, c’était un 4-3-3 normal, mais contre Luhansk, en Europa League ( victoire 3-0 le 22 octobre, ndlr), on jouait avec un milieu à quatre en losange. Bref, on change souvent de système et moi de position, mais le fait est que je joue en tout cas plus haut qu’en Italie, même si je ne serai jamais un vrai flanc droit. Je reste en cela convaincu que je suis plus à l’aise dans l’axe. En 8 ou en 10, c’est là que je crois être le plus utile. Avec le ballon pour trouver les espaces et sans le ballon pour le récupérer au plus vite.

Je ne crois pas que Roberto Martinez ait ses chouchous. Je ne suis pas d’accord avec les gens qui pensent cela  »

Dennis Praet

 » La Premier League est plus dans la spontanéité  »

En Italie, tu expliquais toucher en moyenne 45 ballons par match, ce qui est beaucoup. À la fin, tu nous disais ainsi être arrivé à un stade où tu jouais presque en mode  » pilote automatique « . Tout étant devenu presque robotisé. En jouant un cran plus haut à l’heure actuelle, tu dois désormais parvenir à faire la différence en un éclair. Est-ce que c’est cette transition-là qui est la plus difficile à digérer pour l’instant?

PRAET : Oui, et ça en revient à ce que je disais un peu plus tôt. La Premier League est plus dans la spontanéité. Et mon placement plus haut sur le terrain accentue encore cela. Les schémas de jeu ne sont pas figés ici. Forcément, dans le milieu, en 6 ou en 8, tu touches plus de ballons que comme attaquant droit ou numéro 10. C’est d’autant plus vrai qu’on évolue souvent avec un bloc assez bas. Je dois donc parvenir à être juste sur le peu de bons ballons de buts que je vais avoir à négocier. Et quand tu joues contre City ou Arsenal, tu sais d’avance qu’ils ne seront pas nombreux…

Un autre qui a entamé la saison dans la peau d’un titulaire, c’est Timothy Castagne. Tu as été surpris par son adaptation si rapide à la Premier League?

PRAET : Tous les joueurs qui réussissent en Italie ne feront pas systématiquement des bons joueurs de Premier League. Et l’inverse est tout aussi vrai. Mais dans son cas, Timothy était vraiment fait pour la Premier League. Pour lui, la transition a vraiment été facilitée parce qu’il a une condition physique au-dessus de la moyenne. Il peut courir pendant nonante minutes sans s’arrêter, c’est une machine. Du coup, c’est un championnat et une position, celle de piston droit, taillée pour lui parce qu’il peut faire l’essuie-glace sur son côté droit. Il adore ça, il est fait pour ça.

Roberto Martinez en pense en tout cas beaucoup de bien. Ce n’est pas le seul joueur qui a récemment tapé dans l’oeil du sélectionneur national. On dit d’ailleurs de plus en plus que le sélectionneur aurait ses chouchous. Jérémy Doku et Yari Verschaeren aujourd’hui. Youri Tielemans hier. Qu’est-ce qu’il faut que toi tu fasses pour convaincre à ton tour le sélectionneur de te laisser une vraie chance?

PRAET : Je ne crois pas que Roberto Martinez ait ses chouchous. Je ne suis pas d’accord avec les gens qui pensent cela. La preuve, c’est que quand Yari et Jérémy sont arrivés chez nous, ils ont tout de suite montré à l’entraînement ce qu’ils savaient faire. À l’entraînement, puis en match. En règle générale, je crois que le sélectionneur est toujours très correct. Il regarde les prestations en club, comment on s’y entraîne, dans quel système on évolue et il fait ses choix. Bien sûr, certains joueurs s’adaptent mieux à son système, mais c’est normal. Et surtout, les résultats plaident pour lui. Je ne vois pas en quoi cela nécessiterait de polémiquer. Mais cela ne m’empêche pas de pester de ne pas avoir plus de temps de jeu, mais ça aussi, c’est normal dans une équipe du rang de la Belgique aujourd’hui. Personnellement, je sais que le coach me donnera encore des occasions, ce sera alors à moi de prouver qu’il ne s’est pas trompé.

Dennis Praet:
Dennis Praet:  » Tous les joueurs qui réussissent en Italie ne feront pas systématiquement des bons joueurs de Premier League. Mais Timothy était vraiment fait pour la Premier League. « © belgaimage

Reste à savoir à quelle place. Dans le système de Roberto Martinez, tu penses que ta meilleure position se situe où?

PRAET : À l’une des deux places du milieu, naturellement. Comme numéro 8 en somme, peu importe la personne qui m’accompagne, même si je connais évidemment mieux Youri. Mais il faut être réaliste: pour le moment, je ne suis pas dans le onze de base. J’espère peut-être recevoir du temps de jeu à certaines occasions. Et pourquoi pas dès le triptyque de novembre contre la Suisse ( ce mercredi 11 novembre, ndlr) où le sélectionneur pourrait offrir des minutes à certains joueurs qui en ont habituellement un peu moins.

 » Tant que la génération Brésil est encore là, les vrais patrons, ce sont eux  »

Il y a souvent beaucoup d’appelés avec Roberto Martinez dans ses différentes sélections. 33 en octobre, 32 cette fois-ci. Pourtant, à l’EURO, dans sept mois, il n’y aura que 23 élus. C’est un sujet de discussions, voire de tensions récurrentes entre vous?

PRAET : Non, chacun travail pour y être, c’est tout. On sait bien qu’on a choisi un métier basé sur la compétitivité, donc c’est normal qu’il y ait des déçus. À moi de travailler pour ne pas en être. Et concrètement, je crois que cela dépendra surtout de comment je vais jouer dans les prochains mois avec Leicester.

Ta première sélection remonte au 12 novembre 2014, sous Marc Wilmots, contre l’Islande, en amical. Il y a presque six ans jour pour jour. Tu te considères comme un ancien dans ce groupe? Comme l’un de ses leaders?

PRAET : Non, parce que je sais que je n’ai pas assez de vécu en match pour avoir ce statut-là. Il te faut beaucoup plus de sélections ( il en compte sept, ndlr) pour prétendre être un leader. Et puis, tant que la génération qui était déjà présente au Brésil est encore là, on sait que les vrais patrons, ce sont eux. On profite d’autant plus de leur expérience qu’on sait qu’un jour, ce sera, en effet, à nous d’assumer ce statut-là. C’est aussi à ça que travaille Roberto Martinez en appelant régulièrement des jeunes joueurs dans le groupe.

Les Diables de Martinez, est-ce que ce ne serait pas finalement, dans l’idée, une fusion entre les dogmes de la Premier League et les réalités du Calcio?

PRAET : Je crois qu’on sait que l’esprit du coach a été influencé par la Premier League. Ceci dit, il nous demande de jouer avec beaucoup de tempo dans l’équipe, mais il insiste aussi beaucoup pour garder l’organisation. Il est partisan d’un pressing haut, mais en contrôle. Au bon moment, avec la bonne organisation. Ce qui me fait penser que oui, c’est peut-être bien un mix de ce que j’ai connu en Premier League et en Italie.

 » Je me reconnais en Yari « 

Tu disais cette saison avoir redécouvert la position de numéro 10 qui t’avait révélé à Anderlecht. Celle où s’est aussi d’abord fait connaître un joueur comme Yari Verschaeren, toujours actif chez les Mauves. Il y a un peu de Dennis Praet dans ce joueur-là?

DENNIS PRAET : Oui, quand j’étais jeune, je crois que je lui ressemblais un petit peu. Un joueur de ballon, mais qui aime bien plonger dans les espaces, qui est très mobile, avec un centre de gravité assez bas. Moi, avec le temps, je suis devenu un peu plus costaud, un peu plus défensif, mais à son âge, j’avais un peu la même manière de jouer. À l’exception que moi, j’ai toujours bien aimé tacler. C’est un geste qui m’a toujours plu. Un beau tacle, je trouvais que ça avait du style. Je me rappelle à 17 ou 18 ans, j’étais assez maigre, je n’en menais pas large sur le terrain, mais j’étais le numéro 10 d’Anderlecht. Celui par qui le danger devait arriver. Celui qui devait produire du beau jeu aussi. Du coup, mes adversaires étaient souvent surpris de me voir tacler. Mes coéquipiers aussi, en fait ( rires).

L’autre point commun avec un Yari Verschaeren, c’est qu’à toi, comme à lui, à un moment, on vous a demandé de porter le jeu offensif d’Anderlecht sur vos jeunes épaules. Alors que vous n’étiez visiblement pas encore prêts à assumer cette pression-là?

PRAET : Moi, ma chance, c’est qu’on a encore été champions deux ou trois fois à mon époque ( techniquement, il a même été quatre fois champion de Belgique avec Anderlecht en 2012, 2013, 2014, et même 2017, malgré son départ en tout début de saison, ndlr). Donc j’ai beaucoup de bons souvenirs parce que quand on est champion, tout va bien à Anderlecht. Pourtant, même dans ces moments-là, il y a des passages plus difficiles. Alors aujourd’hui, je veux bien croire que cela ne doit pas être facile pour un gars comme Yari. D’autant qu’en tant que jeune, si tu lis trop les journaux, ça peut vite devenir dur. En cela, je me reconnais en lui. Je ne crois pas qu’il en souffre parce que c’est un gars qui a la tête sur les épaules. Parfois, je lis qu’on dit de lui que c’est un super joueur, parfois ce sont des commentaires moins positifs. Mais en soi, je crois que c’est une bonne école parce que si tu veux prétendre jouer un jour dans un grand club, tu devras t’habituer à faire avec ce que les gens peuvent penser de toi. En bien ou en mal.’

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