De Lagos au top de la Pro League: retour sur la trajectoire de Paul Onuachu
Paul Onuachu a appris le football dans les rues de Lagos, a été formé au FC Ebedei et est devenu professionnel au FC Midtjylland. Retour sur une période de sa carrière où il a dû convaincre les sceptiques.
Chez les Shooting Stars, on doit encore se demander, neuf ans plus tard, comment on a bien pu passer à côté de Paul Onuachu. Nous sommes fin 2011 et ce club d’Ibadan, parmi les plus populaires du Nigeria, affronte le FC Ebedei en match amical. Les supporters des Oluyole Warriors ont les yeux rivés sur un grand gaillard de 17 ans qui mesure 201 centimètres sous la toise. Ça et là, on se moque même de lui. Les cris ne s’interrompent que lorsqu’Onuachu trompe le gardien des Shooting Stars. L’incompréhension et le doute s’emparent alors des spectateurs. Et tout le monde se pose alors la même question: qui est ce type? « Onuachu était alors très mince, et c’est un euphémisme. Nous lui donnions beaucoup à manger, mais rien n’y faisait », rigole Churchill Oliseh, le frère de Sunday Oliseh, qui était aux commandes du FC Ebedei et a sorti Onuachu de l’ombre. « Il avait l’air fragile, mais il jouait avec un coeur de lion. Sur un terrain de football, il n’avait peur de personne. »
Onuachu est proposé à Anderlecht, mais les mails de Churchill Oliseh restent lettre morte pendant des semaines.
Claus Steinlein et Jens Ørgaard, respectivement directeur de l’académie des jeunes et directeur sportif du FC Midtjylland, assistent au match amical entre les deux clubs. Ils sont sans doute les premiers Européens à avoir pu admirer Onuachu en direct. La présence des deux Danois à Ibadan n’est pas le fruit du hasard: le FC Midtjylland est alors à la recherche d’un attaquant grand et costaud, et le nom d’Onuachu leur a été soufflé par leur club partenaire, le FC Ebedei. Anderlecht a aussi l’info, mais les mails d’Oliseh restent lettre morte pendant des semaines. Le profil d’Onuachu – svelte, immense, peu musclé – attire davantage l’attention des décideurs de Midtjylland, qui sont autant convaincus par la prestation d’Onuachu ce jour-là que par son potentiel. Oliseh n’est donc pas surpris lorsqu’à 18 ans, le Nigérian est l’un des trois joueurs invités au Danemark pour un essai de quelques mois. « Paul a joué deux saisons dans la Nigeria Nationwide League, la troisième division du pays, et il éprouvait des difficultés lorsqu’il affrontait des défenseurs adultes. D’autant qu’il jouait encore avec cette mentalité typiquement nigériane: enjoy the game. J’ai parfois l’impression qu’ici, les joueurs préfèrent réaliser un joli dribble ou un beau contrôle de la poitrine, que marquer. Lorsque Paul a compris que sa mission essentielle était d’inscrire des buts, il était mûr pour franchir une étape supplémentaire dans sa carrière. »
LE MESSI NIGÉRIAN
Lorsqu’Onuachu prend l’avion pour le Danemark, en mai 2012, il pense qu’il séjournera au milieu des gratte-ciels, dans une ville à la vie trépidante. Quelle n’est pas sa surprise de découvrir Ikast, une commune rurale où seule l’église de style roman se dresse au milieu des champs. Comme ses compagnons nigérians, le géant de Lagos dispose d’un petit appartement, mais il est aussi mis en relation avec une famille danoise à laquelle il peut faire appel chaque fois qu’il en éprouve le besoin. Et il ne faut pas attendre longtemps avant qu’Onuachu ne rejoigne la famille Larsen, dont le patriarche, lui aussi prénommé Paul, fut nageur professionnel dans une autre vie. Onuachu se familiarise avec la culture danoise, et le vendredi, il prend l’habitude de dévorer des bandes dessinées avec le fils de la maison.
Au FC Midtjylland, les avis sont partagés à son propos. Beaucoup le trouvent trop grand et trop maigre pour jouer au football, et pensent que son ami Musefiu Asheru – également arrivé du FC Ebedei – a plus de chances de percer dans la Superliga danoise. Svend Graversen, le director of football du FC Midtjylland, fait aussi partie des sceptiques de la première heure. Il assiste au premier match d’Onuachu avec les U19 depuis la touche et constate qu’avec ses grandes jambes, Paul se prend pour Lionel Messi et essaie d’imiter les dribbles de l’Argentin. Graversen: « Je me suis dit: qu’est-ce que c’est que ce type? C’est une blague, ou quoi? Paul jouait vraiment comme Messi. Un dribble par ci, un petit pont par là… Je ne comprenais pas pourquoi mes collègues avaient jeté leur dévolu sur ce gars-là lorsqu’ils avaient été envoyés au Nigeria. Il y a toujours beaucoup de travail avec les jeunes joueurs qui arrivent directement d’Afrique, mais Paul avait encore un très long chemin à parcourir. Il était convaincu qu’il était meilleur des pieds que de la tête. Paul a une énorme confiance en lui, mais cette confiance est aussi sa pire ennemie. Lorsqu’il évalue ses qualités, il est souvent loin de la réalité. Nous lui avons souvent dit: Tu as de bons pieds, mais dans les airs, tu peux devenir un monstre. Il n’a pas apprécié cette remarque, mais après quatre ans, il était devenu le meilleur joueur de tête du championnat danois. »
Glen Riddersholm, qui a officié successivement comme entraîneur de jeunes, assistant-coach et coach principal du FC Midtjylland entre 1999 et 2015, est le premier entraîneur à avoir offert une chance à Onuachu. Riddersholm avertit ses patrons que l’avant possède un profil atypique, mais qu’il peut devenir le meilleur transfert sortant du club. Mais, simultanément, il doit faire comprendre au Nigérian qu’il n’est pas la vedette de l’équipe et qu’il doit se retrousser les manches s’il veut atteindre le sommet. « Physiquement, il n’était pas au point, et il ne se donnait pas assez de mal à l’entraînement », se souvient Riddersholm. « Durant l’été 2013, il a pu accompagner l’équipe en stage d’entraînement en Suède. Un match amical contre Djurgardens figurait au programme. Il est monté au jeu et il avait tellement à coeur de se mettre en évidence qu’il s’est précipité sur chaque ballon. Au bout de dix minutes, il s’est écroulé de fatigue, ses poumons ne pouvaient pas suivre. J’ai demandé à Paul s’il était mort. Il m’a répondu qu’il ne sentait plus ses jambes. J’ai haussé la voix: Lève-toi! Si tu veux jouer, tu dois être capable de tenir plus de dix minutes! Il a répondu: OK. Et il s’est levé. Pendant un an, il s’est entraîné à la course pour rattraper le retard qu’il avait sur ses partenaires. »
ÇA COLLE AVEC THORUP
À l’entraînement, Onuachu est un cauchemar pour ses opposants. Lorsque l’entraîneur forme des binômes pour des petits matches en un-contre-un ou deux-contre-deux, chacun attend avec une certaine anxiété de voir avec qui Onuachu va tomber. Les joueurs savent qu’ils peuvent s’attendre à un coup de coude, car leur équipier est beaucoup plus grand que la moyenne. Dans le pire des cas, la victime quitte le terrain avec le nez en sang. Mais malgré sa stature imposante, Onuachu se fait trop rapidement déposséder du ballon. « Je devais faire de Paul un homme. Raison pour laquelle l’entraîneur m’associait souvent à lui », raconte Erik Sviatchenko, qui à l’exception de deux années au Celtic, a toujours joué au FC Midtjylland depuis 2006. « Paul a progressivement appris comment il devait contenir ses défenseurs. Mais, durant les premières années surtout, il nous a parfois énervés. Sa finition était catastrophique. Il expédiait souvent le ballon dans les nuages ou au point de corner. En fait, le ballon pouvait atterrir n’importe où… »
S’il existe un fil rouge dans l’histoire du Nigérian, c’est que personne n’aime jouer contre lui.
Les consultants danois se montrent parfois très critiques dans leurs commentaires à propos d’Onuachu, tandis que d’autres observateurs se posent des questions sur la manière dont le club est géré. « Durant ses premières années au FC Midtjylland, Paul était la plupart du temps réserviste », se souvient Jørn Kristensen du journal Herning Folkeblad. « Il était ensuite envoyé au front en cours de match, pour voir comment l’adversaire réagirait. Il ne marquait jamais, son jeu de tête était très mauvais malgré sa grande taille, et il ne parvenait pas à contrôler un ballon. Jess Thorup n’est pas le premier entraîneur qui a cru en lui, mais il est le premier qui lui a confié un rôle important. Ce n’était pas toujours du goût des supporters, qui se demandaient pourquoi Onuachu bénéficiait d’autant de faveurs de la part de Thorup. Depuis, les faits lui ont donné raison et Onuachu a démontré qu’il était aussi capable de briller avec d’autres entraîneurs. »
Le 20 juillet 2014, sous la direction de Riddersholm, Onuachu inscrit son premier but en première division danoise, contre Brøndby. Il le fête avec un salto complètement raté. Riddersholm veut éviter que l’on se moque de lui et lui conseille d’apprendre comment retomber sur ses pieds. La réponse d’Onuachu est significative: « J’ai vu quelqu’un réaliser ce geste à la télévision et j’ai voulu l’imiter. C’était plus fort que moi. »
Ce jour-là, Klebér Saarenpää, alors coach de Vejle, apprend à connaître Onuachu. Sept mois plus tard, le Nigérian est prêté à Vejle pour une demi-saison. En 2015, Riddersholm peut offrir un premier titre de champion au FC Midtjylland et préfère miser sur Martin Pusic et Morten Rasmussen. Saarenpää: « Paul est arrivé à Vejle au milieu de la saison et je n’avais pas l’intention d’adapter mon système en fonction de lui. Je lui ai demandé d’arrêter de dribbler, car ce style ne correspondait pas à sa morphologie. J’attendais de lui qu’il conserve le ballon, qu’il le cède ensuite à un partenaire et qu’il aille se positionner dans le rectangle. »
Il avait l’air très imposant, mais il n’était physiquement pas au point. Il n’était encore que l’ombre du joueur qu’il est aujourd’hui.
Kevin Van Dessel, coach des Espoirs de Genk
En juillet, la direction de Midtjylland est confrontée à un dilemme: prêter une deuxième fois Onuachu? Ou demander à l’entraîneur de travailler avec lui? La première option est privilégiée par le management, mais aucun club ne semble intéressé. « Durant l’automne 2015, la direction a décidé de jouer la carte Onuachu à fond, et en janvier 2016, elle a vendu son meilleur buteur Rasmussen à Aarhus », se souvient Kristensen. « La plupart des gens se sont demandés quelle mouche avait piqué la direction. Mais Rasmussen était déjà trentenaire, avait des problèmes de dos et n’était plus très rapide. Onuachu constituait une meilleure alternative. »
INTÉRÊT DES CLUBS ÉTRANGERS
À ce moment-là, Onuachu a déjà inscrit son premier but européen contre Bruges, et en février 2016, il marque le but décisif lors de la victoire historique contre Manchester United (2-1). C’est à cette période que Lars Knudsen rejoint le staff technique de Thorup comme entraîneur des attaquants. « Paul était le type d’attaquant qui attend les ballons dans le rectangle. Je lui ai appris à se déplacer au bon moment et à choisir la bonne position pour réceptionner un centre expédié entre le gardien et la défense. »
Knudsen apprend aussi les ficelles du métier à Onuachu, même s’il demande à son attaquant de ne jamais dépasser les limites. « Paul est un joueur fair-play. Au Danemark, il n’était pas protégé par les arbitres. Au contraire. Les défenseurs se plaignaient toujours parce qu’il jouait des coudes, et les arbitres tombaient dans le panneau. Paul ne pouvait quand même pas jouer avec les bras le long du corps? »
À partir du printemps 2019, alors qu’il a inscrit 22 buts en quarante matches, l’intérêt pour Onuachu devient concret. Mais pas question d’être transféré ailleurs au Danemark. Le FC Midtjylland met un point d’honneur à ne pas le céder à l’un de ses deux principaux rivaux, le FC Copenhague et Brøndby . Mais à un club étranger, pourquoi pas? Genk verse la somme de six millions d’euros et Onuachu est une première fois titularisé lors d’un match avec les Espoirs contre Anderlecht. « Je ne savais pas à quel genre de footballeur j’avais affaire, car je n’avais pas eu le temps de regarder des images de lui sur Wyscout ou une autre plateforme de scouting », se souvient Kevin Van Dessel, qui est alors sur le banc des Espoirs du Racing. « Il avait l’air très imposant, mais il n’était physiquement pas au point. Il n’était encore que l’ombre du joueur qu’il est aujourd’hui. Comme il était très grand, j’avais demandé aux autres joueurs de balancer des ballons dans le rectangle, en leur disant que Paul se chargerait du reste. »
Lors des premiers entraînements, Onuachu a parfois du mal à maîtriser le ballon, mais il brille à la finition, Felice Mazzù et ses adjoints se rendent immédiatement compte qu’ils tiennent en lui un vrai buteur. Mais il a un sérieux concurrent en la personne d’ Aly Samatta et il doit attendre la fin décembre pour réellement devenir titulaire. « Onuachu se relève toujours », dit Graversen.
S’il existe un fil rouge dans l’histoire du Nigérian, c’est que personne n’aime jouer contre lui. « Il y a eu des incidents, lorsqu’il a trébuché sur sa propre jambe après une feinte », se souvient son ancien équipier Sviatchenko. « C’est dans la nature des footballeurs de se moquer lorsqu’un joueur a un style un peu spécial. Mais, dans le cas de Paul, rira bien qui rira le dernier. »
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