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David-Depoitre-Yaremchuk: le trio gagnant des Buffalos

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Gand fait trembler toutes les défenses du pays, grâce à un tandem de géants avec un prodige sur le porte-bagages. Analyse des buts en série du trident gantois.

Ni les meilleurs Buffalos de Michel Preud’homme, ni les champions en titre d’ Hein Vanhaezebrouck n’avaient atteint de telles hauteurs. Jamais, dans leur histoire récente, les Gantois n’avaient franchi la barre des 50 buts au bout des 25 premières sorties de leur saison, atteignant à deux reprises les 45 réalisations en 2009 et en 2016. Des chiffres désormais ridiculisés par les hommes de Jess Thorup qui, à l’heure d’aborder la troisième trêve internationale de la saison, avaient déjà trouvé le chemin des filets à 57 reprises. Une statistique aux allures de référence, puisque le rival brugeois, même avec deux matches disputés en moins, a  » seulement  » marqué 46 fois depuis le coup d’envoi de l’ère Philippe Clement.

Laurent Depoitre n’a manifestement pas oublié ses bonnes habitudes tactiques, acquises lors de sa première aventure gantoise.

Les responsabilités de cette folie offensive qui traverse la Ghelamco Arena ces derniers mois sont principalement réparties entre trois paires de pieds. Il y a ceux de Laurent Depoitre, d’abord, revenu sur les terres de ses exploits nationaux et déjà buteur à 11 reprises depuis son retour ; ceux de Jonathan David, ensuite, jeune prodige canadien qui a fait trembler 13 fois les filets depuis le mois de juillet ; et ceux de Roman Yaremchuk, enfin, qui a déjà battu son record belge alors que l’hiver n’a pas encore pointé le bout de ses flocons. L’Ukrainien a déjà marqué 16 buts, mieux que les 12 inscrits sur l’ensemble de la saison dernière, quand il avait surtout fait parler de lui pour sa maladresse face aux gardiens.

Le trident le plus prolifique du Royaume est l’atout majeur de ces Buffalos qui se profilent comme des challengers intéressants pour Bruges. À eux trois, ils ont mis un pied (but ou passe décisive) dans 44 des 60 buts inscrits par Gand cette saison. Soit 73% des buts. Un chiffre qui grimpe même à 86% d’implication directe si on ne prend en compte que les rencontres de championnat et de Coupe d’Europe disputées depuis le match face à Larnaka, au début du mois d’août.

NOUVEAU ROMAN

Il y a forcément une part d’irrationnel dans cette nouvelle réussite gantoise. Comment expliquer que l’équipe qui avait péniblement atteint la barre des 10 buts marqués en autant de rencontres lors des derniers play-offs 1 se soit muée en véritable machine à marquer ? Incapable de trouver le chemin des filets dans ce sprint final, en panne de buts depuis le 17 mars au moment d’entamer la saison, Roman Yaremchuk est l’exemple le plus frappant de ce changement de dynamique.

L’an dernier, l’Ukrainien n’avait marqué que huit fois en championnat, alors que les statistiques quant à la qualité de ses tirs auraient dû lui permettre de boucler la saison avec 14 buts. Depuis la reprise, il est en surrégime (10 buts  » prévus « , mais 14 effectivement marqués avant la double confrontation face à l’Antwerp). Pourtant, il tire moins souvent au but et touche moins de ballons dans le rectangle que la saison dernière. Une période faste qu’il avait envisagée dans nos colonnes, reconnaissant qu’il avait  » raté beaucoup d’occasions  » lors du dernier exercice et que  » cette saison, je veux marquer 20 buts. Et si j’ai autant d’occasions que l’an dernier, ça devrait aller.  »

David-Depoitre-Yaremchuk: le trio gagnant des Buffalos
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Jamais vraiment à l’aise quand il évoluait en pointe unique du dispositif gantois, à cause d’un gabarit trompeur qui le faisait passer pour un pivot robuste malgré un style de jeu plus axé sur les courses en profondeur que sur les duels aériens, Yaremchuk avait trouvé un épanouissement provisoire sur le flanc gauche, là où Yves Vanderhaeghe l’avait replacé, dans un rôle semblable à celui que Mario Mandzukic a parfois endossé à la Juventus.

Là, l’Ukrainien pouvait dominer les arrières latéraux adverses dans les duels aériens, et exploiter ses qualités dans les courses. Aujourd’hui encore, c’est lui qui occupe le côté gauche de l’attaque gantoise, n’hésitant pas à faire des appels vers le flanc ou à combiner avec ses coéquipiers le long de la ligne de touche avant de rentrer dans le jeu.

Le principal déclic a cependant été mental, les séances répétées avec la coach mentale Eva Maenhout initiées à la demande d’Yves Vanderhaeghe ayant visiblement enfin porté leurs fruits pour combattre la fragilité psychologique qui semblait frapper le joueur une fois arrivé dans la surface.

LE RETOUR DE LA BÊTE

À ses côtés, Laurent Depoitre n’a pas encore retrouvé la plénitude de ses moyens et cherche encore certains automatismes avec Yaremchuk, mais The Beast n’a pas oublié ses bonnes habitudes tactiques, acquises sous les ordres de Vanhaezebrouck lors de sa première aventure gantoise.

Très présent dans le rectangle, à la réception de centres généralement venus de la droite – à eux deux, les latéraux droitiers Mikael Lustig et Alessio Castro-Montes accumulent déjà huit passes décisives depuis le début de saison – Lolo aime également aller chercher le ballon en profondeur dans le couloir droit, là où il s’excentrait déjà souvent dans le 3-4-2-1 de Vanhaezebrouck pour laisser l’axe du terrain à Danijel Milicevic.

Aussi doué pour percuter balle au pied que pour protéger la possession et combiner avec Vadis Odjidja sur le côté droit, Depoitre brille toujours autant par la qualité de ses courses et l’intelligence de ses déplacements. Quand Jonathan David emmène une contre-attaque balle au pied, c’est d’ailleurs souvent lui, plutôt que Yaremchuk, qui parvient à se démarquer au bon moment pour être servi par le Canadien et conclure l’opportunité.

Sa frappe croisée depuis l’axe droit du but a déjà trouvé la cible à plusieurs reprises. Rares sont ses tentatives qui manquent leur objectif. Avec 68% de tirs cadrés, il est même la référence du championnat en la matière.

Contrairement à son acolyte ukrainien, dont il partage pourtant la taille (un mètre 91), le Hennuyer sait utiliser son gabarit. Moins souvent alerté dans le jeu court, il permet à Gand de respirer dans les airs quand la possession est contrariée. Avec 57% de duels aériens gagnés, Depoitre fait bien mieux que Yaremchuk (36%) dans le domaine. Et peut souvent compter sur la présence de David et d’Odjidja dans ses parages pour chasser le ballon à la retombée du duel.

LE FLAIR DE DAVID

Derrière deux attaquants dont la complicité est encore perfeptible, David est probablement celui grâce auquel l’engrenage gantois tourne à plein régime. Sans doute, aussi, parce qu’il est la pièce qui bénéficie le plus du 4-4-2 avec un milieu de terrain en losange installé par Thorup pour faire jouer tous ses éléments offensifs.

 » Plus il y a de joueurs avec de la vista dans la partie offensive du terrain, mieux c’est « , se justifie d’ailleurs le Danois quand on l’interroge sur la cohabitation de ses artificiers avec Odjidja ou Sven Kums, positionnés derrière eux.  » Parce que c’est la partie du terrain où il est le plus difficile de jouer.  »

La difficulté ne semble pas faire partie du vocabulaire de Jonathan David.  » On jouait des infériorités numériques énormes, des trois contre huit, et sur les dix ballons qu’il recevait, il parvenait à en mettre trois au fond « , raconte Bart Van Renterghem, son coach chez les U21 des Buffalos. Trop doué pour être laissé devant, le Canadien s’installe en numéro 10, avec Vanderhaeghe qui souligne sa qualité pour  » choisir ses moments pour s’infiltrer entre les lignes « , puis sous les ordres de Thorup, qui voit en lui  » un joueur qui court entre les lignes et arrive dans la surface plutôt qu’un attaquant qui garde la balle dos au but.  »

Brillant dans ses courses verticales, qu’elles soient avec ou sans ballon, Jonathan David ne semble jamais perturbé par la présence de la balle. Tout se réalise avec une facilité insolente, même quand les espaces disparaissent dans la surface adverse. En surrégime statistique depuis plus d’un an, le Canadien semble appartenir à ceux qui défient les lois du jeu plutôt qu’à la catégorie des attaquants bénéficiant d’une bonne forme provisoire.

Déjà auteur de 12 buts l’an dernier (pour 8 buts  » attendus  » selon les statistiques de qualité de position de tir), il récidive cette saison avec des chiffres en tous points identiques. À l’unique différence qu’ils sont pris sur un temps de passage après 25 matches, et pas sur la ligne d’arrivée de la saison.

LES CLÉS DU LOSANGE

Au vu de son impact majeur sur le jeu offensif de Gand, tout semble être mis en oeuvre pour faire briller le Canadien au maximum. Au sein du trio offensif des Buffalos, il est celui qui reçoit le plus souvent le ballon (29 passes reçues par match, contre 17 pour Yaremchuk et 14 pour Depoître), celui qui dribble le plus, celui qui frappe le plus souvent au but, et même celui qui touche le plus fréquemment le ballon dans le rectangle.

 » Le coach m’a confié un rôle libre, je peux aller partout où je veux sur le terrain. J’aime cette liberté, je reçois beaucoup de ballons et j’arrive plusieurs fois par match en position de tir « , confirme l’homme fort du jeu gantois.

Pour lui nettoyer les espaces entre les lignes, Depoitre et Yaremchuk ont pris l’habitude de se positionner dans le dos des défenseurs centraux. Une attitude qui fait inévitablement reculer la charnière adverse, et qui augmente par la même occasion l’écart entre la ligne défensive et le milieu de terrain, zone où David aime briller par ses percussions balle au pied.

Avec leurs appels de balle généralement orientés vers les flancs, les deux attaquants ouvrent également de l’espace dans le couloir central du terrain. Leurs deux mouvements principaux en possession du ballon permettent donc d’élargir, en longueur ou en largeur, la zone de prédilection de leur teenager canadien. Des faveurs que David leur rend bien, puisqu’ il a déjà délivré six passes décisives depuis le coup d’envoi de la saison. Tout ça en plus de ses douze buts, tous inscrits depuis l’intérieur de la surface, dans laquelle il parvient systématiquement à se libérer du marquage adverse en s’y infiltrant au moment idéal. Le sang-froid impressionnant de celui que John Herdman, le sélectionneur du Canada, a surnommé The Iceman fait le reste.  » Il marque facilement, c’est un don « , applaudit Bart Van Renterghem.

Un talent que les Gantois parviennent actuellement à exploiter pleinement, en l’installant dans des conditions idéales pour étaler ses qualités sur le terrain. Le tout avec la signature d’un Jess Thorup qui se régale de cet athlète raffiné et plein de flair installé à un poste où brillaient autrefois les numéros 10 à l’ancienne. Avec un système et une philosophie qui favorisent les matches où il se passe énormément de choses.

 » Ce style de jeu, c’est toujours agréable pour un attaquant « , approuve Laurent Depoitre. Le Danois donne du plaisir à son trio offensif. Le trident remercie avec des buts.

David-Depoitre-Yaremchuk: le trio gagnant des Buffalos
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La touche odjidja

Buteur à quatre reprises la saison dernière, Vadis Odjidja n’a pas encore trouvé le chemin des filets depuis le coup d’envoi de l’exercice 2019-2020. Un moindre mal, vu la réussite des trois hommes installés devant lui sur le terrain. Face aux qualités de finisseurs affichées par son trident, l’ancien Diable rouge s’est donc mué en passeur décisif. Onze buts sont déjà nés de ses pieds, sur les 57 inscrits par les Gantois lors de leurs 25 premières sorties.

Impressionnant balle au pied entre les lignes, Odjidja profite du losange installé par Jess Thorup pour trouver de l’espace sur le côté droit. C’est à partir de là, sur le flanc ou dans une position intermédiaire, qu’il a délivré la majorité de ses passes décisives de plein jeu, brillant aussi sur les phases arrêtées grâce à un pied droit capable de déposer le ballon sur le front des colosses gantois que sont Laurent Depoitre, Igor Plastun ou Michael Ngadeu.

Son chef-d’oeuvre reste néanmoins ce ballon lifté déposé dans la course de Depoitre, livré seul face au but d’ Hendrik Van Crombrugge sous les yeux d’un stade anderlechtois qui regrette sans doute toujours de ne pas avoir vu le pied droit d’Odjidja étaler du caviar sur sa pelouse voici quelques années.

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