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Danemark-Belgique: l’enfer, c’est les hôtes

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables à Copenhague en Ligue des Nations (0-2).

Le ton est donné dès le coup d’envoi, et balaie quelques certitudes de plus dans ces premiers instants internationaux du monde masqué. Le Danemark prend le ballon, et presse surtout avec une audace presque insolente pour le récupérer le plus près possible des filets protégés par Simon Mignolet. Comme si le numéro un mondial était un adversaire comme les autres. Le respect hiérarchique n’est visiblement pas dans les coutumes locales. Six siècles plus tôt, l’astrologue danois Tycho Brahe n’avait-il pas osé remettre en cause les lois millénaires d’Aristote? De quoi inspirer les hommes du nouveau sélectionneur Kasper Hjulmand, galvanisés par une invincibilité à domicile qui dure depuis le 11 octobre 2016.

La Belgique bégaie son football. Elle ne peut confier la lecture du jeu à l’élocution parfaite de Kevin De Bruyne, ni se réfugier dans les pieds d’Eden Hazard comme on chercherait ses mots dans les pages d’un dictionnaire. Et puisque Thibaut Courtois a décollé vers Madrid plutôt que Copenhague, les Diables montent sur la pelouse sans les trois cracks de la nation. Depuis les débuts internationaux du géant ganté, le 15 novembre 2011, le phénomène ne s’est produit qu’une seule fois, pour un partage en terres russes (3-3) aux premiers bourgeons du printemps 2017. Ce jour-là, Roberto Martinez avait confié les clés du jeu à Radja Nainggolan.

Aux portes de la Scandinavie, le Catalan offre le costume d’Eden Hazard au football de soliste de Yannick Carrasco, et confie le coeur du terrain à Youri Tielemans. De nouveaux repères, et des débuts aussi balbutiants que les premiers pas d’un nourrisson. La Belgique trébuche dans le piège danois: au cours du quart d’heure inaugural, plus d’une passe diabolique sur cinq termine dans les pieds adverses.

ZONE DE PRESSION

Les pions locaux sont parfaitement disposés. Avec le ballon, le maestro Christian Eriksen s’exile sur le côté droit, où Yussuf Poulsen et Daniel Wass monopolisent l’attention de Jan Vertonghen et Thorgan Hazard. Toujours jouable hors de la zone d’Axel Witsel, le numéro 10 installe le Danemark dans le camp belge. Sans la balle, c’est aussi lui qui dicte le tempo, en coupant avec Pierre-Emile Hojbjerg les lignes de passe entre la défense et le duo Witsel-Tielemans, souvent mal orientés pour poursuivre la possession assez vite afin de contrarier la pression danoise.

Contraints de rejouer sans cesse avec Mignolet (15 passes reçues en première mi-temps), les Diables s’exposent au plafond de verre qui avait renvoyé le Trudonnaire sur le banc de Liverpool. Son jeu au pied mi-long ne met jamais Thorgan Hazard ou Timothy Castagne dans de bonnes dispositions (15 ballons perdus dans le camp belge à eux deux), et ses premières hésitations manquent de faire sourire Kasper Dolberg, qui fait cafouiller les pieds de Big Si dès la cinquième minute.

Ce n’est pas la première fois qu’on presse la Belgique. C’est par contre rare qu’elle doive s’en sortir sans compter sur les meilleurs pieds de la nation. Habituellement, Vertonghen peut profiter du marquage au milieu pour alerter Hazard, le seul homme du pays capable d’amener face au jeu une passe sèche de trente mètres reçue sous pression. Quant à De Bruyne, il fait ce que ni Witsel, ni Tielemans ne semblent oser: sortir de sa zone pour ouvrir une nouvelle ligne de passe, et porter le ballon jusqu’à l’autre côté du rond central. Sans eux, les Diables ne trouvent pas la porte de sortie de cette moitié de terrain transformée en placard à balais par l’étouffante pression locale.

CARRASCO, PUIS LA BELGIQUE

Alors qu’on pouvait plutôt attendre un pic de personnalité de Dries Mertens, le Napolitain n’apparaît jamais entre les lignes. Ciro fait des appels d’attaquant, et c’est Yannick Carrasco qui doit sortir de son registre d’ailier pour plonger dans les zones d’Eden. Le Colchonero installe sa témérité et ses solos (4 dribbles réussis, meilleur total du match) pour transformer un ballon anodin en coup franc décalé, puis le coup franc en ballon piégé vers la lucarne de Kasper Schmeichel. Le corner qui suit part des pieds de Mertens, et finit dans ceux de Jason Denayer, libéré au premier poteau par une excellente course de Toby Alderweireld. La Belgique n’est pas encore dans le match, mais elle mène déjà 0-1.

Le score est belge, le match reste danois. Jusqu’à la pause, les locaux dominent les débats, mais seule une remise ratée de Thorgan Hazard vers Tielemans offre un tir cadré à Eriksen, bien claqué par Mignolet. La demi-heure n’est pas encore atteinte, et c’est pourtant déjà la dernière fois que les gants diaboliques seront mis à contribution. Les trois défenseurs font la loi dans la surface, bientôt épaulés par Castagne quand Martinez décide de ressortir des vestiaires avec une défense à quatre, autant pour améliorer la sortie de balle que pour verrouiller les zones offensives de Christian Eriksen, contraint de reculer pour continuer à exister.

Peu avant l’heure de jeu, alors que ses pieds sont toujours impliqués dans les reconversions offensives nationales, Carrasco est rappelé sur le banc. Dennis Praet amène ses appels de milieu de terrain sur la pelouse, et offre en cohérence collective ce que la Belgique a perdu en menace individuelle. Le pressing danois perd en intensité et en précision, quand les Diables s’installent dans ce qui ressemble de plus en plus à un 4-2-3-1.

UN BALLON POUR ROM, UN BUT POUR DRIES

Bien en place, le bloc belge intercepte la plupart des incursions danoises. Thorgan Hazard met Lukaku sur orbite à un quart d’heure du terme, et le Nerazzurro fait chauffer les jambes de Simon Kjaer et les gants de Schmeichel. Deux minutes plus tard, Big Rom’ reçoit son premier ballon dans la surface adverse et joue les pivots dans la raquette. Tielemans puis Mertens règnent au rebond, et le numéro 14 ponctue une prestation mi-insipide, mi-décisive, avec un but et un assist au milieu de nulle part.

Martinez fait remuer son banc de touche, et offre des baptêmes internationaux à Leandro Trossard et Jérémy Doku, officiellement Diable rouge et hors de portée des convoitises ghanéennes. Malmenés avec le ballon, les Belges ont dominé le marquoir sans vraiment trembler, ne concédant pas la moindre tentative cadrée dans la surface à leurs adversaires. Après s’en être éloignée plus que jamais, la Belgique semble avoir retrouvé ses vertus historiques pour les ajouter à son arsenal: défendre bas, mais sans souffrance. Individuellement, les Danois et leurs deux dribbles réussis n’ont pas fait le poids.

Les Diables ont fait tomber la forteresse de Copenhague, et donné une leçon d’hiérarchie aux audacieux locaux. Tout ça sans leurs trois atouts majeurs. Comme si Aristote avait planté un ciseau à pieds nus dans la lucarne de Tycho Brahe.

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