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Courtois-Vanasch, rencontre au sommet: « J’arrêterai sûrement les Diables après 2024 ou 2026 »

Chaque semaine jusqu’à l’EURO, Sport/Foot Magazine se penche sur un Diable. Épisode 1: Thibaut Courtois, accompagné du légendaire gardien de hockey, Vincent Vanasch. Entretien croisé avec deux monuments.

La Belgique aime croire que c’est une tradition. Celle d’enfanter des enfants-chats. Des géants souples, capables de transformer des équipes moyennes en forteresses imprenables. Parce qu’avant de devenir des tauliers de leurs sports respectifs, Vincent Vanasch et Thibaut Courtois ont été des adolescents hyperactifs. Des écoliers devenus un peu trop familiers du bitume à force de s’y frotter. Avant le Bernabéu et les JO, il y a eu les pantalons troués et les genouillères recousues, les parents fatigués et les machines alourdies par ces kilos de boues chassés par les pelouses gorgées du Royaume pour l’un, par le poids d’un équipement devenu déguisement pour l’autre. Plus qu’une vocation, un art d’être différent. De se distinguer, mais à l’horizontale.

Il y a beaucoup de jeunes gardiens qui viennent me voir dépités quand ils ne sont pas repris. Je suis fier de leur expliquer que j’ai vécu la même chose jusqu’à mes 18 ans. »

Vincent Vanasch

On va se faire mousser un peu. On ne rassemble pas les deux meilleurs gardiens du monde par hasard. Ce rendez-vous, il a été rendu possible parce que vous le vouliez bien. Votre première rencontre, elle remonte à novembre 2019, c’est bien ça?

THIBAUT COURTOIS: C’est correct. J’avais invité Vincent à venir me voir pour un Real-PSG en Ligue des Champions. On avait pris l’habitude de se féliciter sur les réseaux sociaux après nos victoires. Je lui ai donc proposé de venir à Madrid pour voir un match.

VINCENT VANASCH: Pour moi, qui regarde quand même souvent le Real, c’était une occasion en or. Et qui montre combien Thibaut est resté accessible malgré son statut. Dans l’ensemble, je suis très fier des compatriotes belges qui jouent à l’étranger. Je regarde aussi bien Manchester City pour Kevin De Bruyne. Je suis patriote à 200%. Je suis fier de ma Belgique et de défendre nos couleurs. Je suis de ceux qui pensent qu’on n’est pas un petit pays. D’ailleurs, je déteste qu’on parle de petite Belgique. On est un grand pays de sport et on doit en être conscient. On est peut-être un petit pays en termes de nombre d’habitants, mais regardez le Portugal ou la Nouvelle-Zélande. Je ne crois pas que les All Blacks considèrent, qu’en tant que rugbymen, ils appartiennent à un « petit pays ».

Là-dessus, vous vous rejoignez, je pense. Thibaut, c’était un peu ton état d’esprit aussi après le Mondial. Tu n’étais pas de ceux qui se contentait de cette troisième place, on se trompe?

COURTOIS: Bien sûr, mais je n’étais pas le seul. Et si je vous dis que les joueurs, dans leur immense majorité, ne comprenaient pas pourquoi on devait faire un tour sur la Grand-Place, cela ne surprendra personne. Nous, on voulait la gagner cette Coupe du monde. C’était bien d’être troisièmes, mais notre objectif était de battre la France et de gagner la finale. On n’est pas un grand pays, mais comme Vincent l’a dit, sur le plan sportif, on est au-dessus de pas mal de monde. On domine dans beaucoup de sports, il n’y a pas que le foot et le hockey, il y aussi le cyclisme. On doit être content de ça. Se rendre compte qu’il y a des gens qui travaillent bien en Belgique.

Vincent Vanasch:
Vincent Vanasch: « Je suis fier de ma Belgique et de défendre nos couleurs. Je suis de ceux qui pensent qu’on n’est pas un petit pays. »© BELGAIMAGE

« On n’a jamais été sélectionnés dans les équipes de jeunes »

Vous étiez tous les deux aux premières loges pour assister à l’émergence d’une génération dorée dans vos sports respectifs. Ce qui signifie aussi que vous avez grandi sans vrai point de repère. C’était difficile de s’élever au sport de haut niveau dans les années 2000?

VANASCH: Je crois qu’on est conscient d’avoir sans doute dû travailler un peu plus que les autres pour y arriver. Pour voir les hockeyeurs devenir champions du monde, il faut réaliser qu’on a dû sacrifier toutes nos années d’études, des parcours scolaires parfois brillants, un avenir universitaire souvent. On a tout mis de côté par passion. Moi, je suis devenu kinésithérapeute en neuf ans alors que normalement, ça se fait en quatre ans. Ce sont des sacrifices importants. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas juste une génération dorée qui a du talent. C’est une génération qui s’est donné les moyens pour réussir.

COURTOIS: Individuellement, il faut aussi se rendre compte qu’appartenir à une génération dorée, cela signifie devoir en faire plus pour se démarquer. Plus jeune, quand j’étais à Genk, je n’étais pas le premier dans la hiérarchie. Le grand espoir, c’était principalement Koen Casteels. Devant moi, il y avait aussi Thomas Kaminski. On est tous les trois nés en 1992, mais c’était eux deux qui allaient avec l’équipe nationale pendant les trêves internationales, moi je restais tout seul à Genk, je n’étais même pas repris. La première fois, c’était avec les U18 quand Koen et Thomas ont été surclassés chez les U19 parce qu’ils n’avaient pas vraiment de bons gardiens dans cette génération-là. Ensuite, pour être repris chez les Diables, j’ai dû attendre une blessure de Silvio Proto. C’était il y a dix ans ( le 10 août 2011, sous Georges Leekens, ndlr). Et quand je suis arrivé là-bas, il y avait déjà Simon Mignolet qui était en place. Ce n’était pas un mauvais gardien que je pouvais remplacer facilement. Là aussi, j’ai dû me battre pour me faire ma place.

C’est un autre de vos points communs. Vous n’avez ni l’un ni l’autre été considérés rapidement comme des grands talents. Est-ce que selon vous, le fait de ne pas être trop vite vus comme les meilleurs à votre poste vous a forcés à travailler plus?

VANASCH: Oui, j’en suis persuadé. Comme Thibaut, je n’ai jamais été sélectionné dans les équipes de jeunes. En U18 et U21, j’étais deuxième gardien. J’ai dû travailler beaucoup plus que d’autres, qui avaient cette place de numéro 1 assurée. Ce genre de chose, ça forge le caractère. Moi, quand j’étais jeune, j’étais invité à faire des sélections dans les districts. Je recevais toujours la convocation, mais jamais le « Oui, OK, tu es le numéro 1 ». J’y retournais à chaque fois, mais ce n’était jamais la bonne. Il faut se dire que j’ai finalement été officiellement gardien numéro 1 des Red Lions qu en 2012, à 25 ans. Et que c’était il n’y a pas si longtemps.

‘Enfant, ce que j’aimais par-dessus tout, c’était de me déguiser. Quand j’enfilais mon casque, je me sentais quelqu’un d’autre, il y avait un côté kamikaze. »

Vincent Vanasch

COURTOIS: Le problème pour moi, c’est qu’on ne me calculait même pas. Si Thomas ou Koen étaient blessés, ils appelaient d’autres gardiens. Dans notre génération, il y avait aussi Matz Sels, qui est de 1992, comme nous. On est tous devenus internationaux, ce n’était donc pas toujours facile de sortir du lot, mais en effet, ça m’a poussé à me dépasser. Ça m’a surtout apporté une grosse force mentale. Tous les coups durs vécus quand j’étais jeune m’ont appris à encaisser. C’est un de mes points forts aujourd’hui. Sans ça, je ne suis pas sûr que j’aurais aussi bien vécu les événements qui ont entourés mes premiers mois à Madrid. Je crois même que j’aurais été bien dans la merde.

Thibaut Courtois:
Thibaut Courtois: « Tous les coups durs vécus quand j’étais jeune m’ont appris à encaisser. C’est un de mes points forts aujourd’hui. »© PHOTONEWS

VANASCH: Ce que tu as fait à Madrid, c’est juste énorme. Parce qu’arriver au sommet et confirmer que tu es le meilleur, c’est encore plus dur. Les gens voient quand on lève une coupe ou qu’on gagne un match, mais ils ne voient pas tout le travail qu’il y a derrière ou tout ce qu’on a vécu.

COURTOIS: C’était pareil à mon arrivée à l’Atlético ( en 2011, ndlr). Tout le monde parlait de moi en bien. Tout était nouveau et chouette. Je me suis vite rendu compte que le plus dur, ça allait être de maintenir ce niveau sur la durée. Parce qu’à chaque match, on attend que tu fasses des miracles. Un arrêt normal, ça devient presque banal. Et des gardiens capables de faire un bel arrêt ou un bon match, il y en a des tonnes. Ils ont de bonnes prédispositions, mais beaucoup jouent aujourd’hui en quatrième division. Parce qu’ils n’avaient pas le mental.

VANASCH: Aujourd’hui, dans mon académie, il y a beaucoup de jeunes gardiens que j’entraîne qui viennent me voir dépités quand ils ne sont pas repris. Je suis fier de leur expliquer que j’ai vécu la même chose jusqu’à mes 18 ans.

COURTOIS: Je fais partie de ceux qui pensent qu’on ne peut pas vraiment juger un jeune, à quatorze, quinze ou seize ans. Aujourd’hui, je suis un des meilleurs gardiens du monde alors qu’à quinze ans, on m’aurait peut-être viré de Genk. À l’époque, j’étais en pleine poussée de croissance. Pour le même prix, Genk me virait et je serais parti jouer au volley. Je n’aurais pas connu tout ça. Les Diables, Chelsea, le Real. Je crois vraiment qu’on ne doit pas juger des jeunes trop tôt. Parce qu’au final, ne pas être trop vite considéré comme un des meilleurs te pousse à travailler plus fort.

« Il faut savoir relativiser la critique »

Se remettre en question quand on est considéré comme une valeur sûre, ça reste un passage obligé?

COURTOIS: Oui, même si je crois qu’il faut savoir relativiser la critique. C’est important d’être conscient de ce que l’on fait bien aussi. Ça n’empêche pas l’autocritique, mais quand tu as vingt ans, je ne crois pas que tu doives systématiquement tout remettre en question à la moindre critique. Ce qui compte, c’est l’avis de l’entraîneur. Si je fais une erreur parce que je joue court au lieu de balancer en tribune et qu’on encaisse, la presse va me tuer, alors que c’est l’entraîneur qui me demande de jouer court. Au final, ce qui m’importe, c’est l’avis de mes coaches et de mes coéquipiers. Eux doivent te donner la confiance. Ce que dit la presse, je m’en fous. Je sais ce que je dois améliorer et ce que j’ai bien fait.

VANASCH: Si j’avais lu ce que la presse racontait durant la Coupe du monde 2018, peut-être que nous ne serions pas devenus champions du monde. Après coup, je me suis rendu compte que tout le monde nous avait descendus pendant la phase de poules. Alors que nous montions juste en puissance. C’est pour ça que j’essaie de ne pas lire la presse. Je garde certains articles pour mon père parce que lui découpe et classe tout ça, mais le contenu ne m’intéresse pas. Comme Thibaut dit, avec l’expérience tu sais ce que tu fais bien ou mal. C’est agréable d’avoir un feed-back de tes coéquipiers et de ton staff. Une autocritique personnelle, c’est aussi bon à faire. Moi, avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, je sais que j’ai chaque saison un petit coup de moins bien à un moment. Mais je sais aussi que ce n’est pas grave d’en avoir un, qu’il faut juste en être conscient. Et savoir comment remonter la pente.

Vincent Vanasch:
Vincent Vanasch: « Après Paris 2024, quand ma carrière internationale sera finie, j’aurai envie de partager mon expérience. »© PHOTONEWS

Vincent, quand Shane McLeod, l’ancien entraineur des Red Lions, vient te trouver avant une demi-finale de Coupe du monde pour te dire « enfile ce costume de super héros et va nous qualifier pour cette finale », il parait que c’est un discours qui te transcende. Ce côté seul contre tous, c’est ce qui fait la magie du poste de gardien?

VANASCH: Oui, ça vient de l’enfance ça. Moi, ce que j’aimais par-dessus tout, c’était de me déguiser. Quand j’enfilais mon casque, je me sentais quelqu’un d’autre, il y avait un côté kamikaze. On dit que les gardiens sont fous parce qu’ils se font allumer toute la journée et que c’est un rôle assez ingrat. C’est là que le discours de Shane m’a touché. C’est assez hallucinant parce que ce côté super héros dont il parle à ce moment-là, c’est ce qui me porte depuis tout petit. Et aujourd’hui, c’est pareil. Mon fils a deux ans et demi, mais la seule chose qu’il veut faire, c’est prendre son casque et le mettre sur sa tête.

J’arrêterai sûrement les Diables après 2024 ou 2026 et je verrai si, à 34 ans, je me sens encore bien pour continuer en club. »

Thibaut Courtois

COURTOIS: Qu’on le veuille ou non, nous sommes spéciaux. Déjà parce qu’il n’y a que trois gardiens dans un noyau. Aussi, on est souvent sous-estimés. Quand on parlait du meilleur belge à l’étranger et qu’on évoquait De Bruyne, Lukaku et moi, beaucoup de journalistes disaient qu’on ne pouvait pas me comparer à eux parce que je n’étais qu’un gardien. Je crois que les gardiens ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur. On parle surtout de nous quand on fait beaucoup d’arrêts. Moi, tout le monde se souvient de mon match contre le Brésil parce que ce jour-là, je fais dix arrêts. D’un coup, les gens mesurent soudainement mon importance. Beaucoup d’autres fois, on oublie l’importance que je peux avoir. Je crois que sans un bon gardien, on ne peut rien gagner.

VANASCH: Il a raison de dire ça. La presse dit souvent « C’était un match correct de sa part », sans réaliser à quel point c’est difficile de faire certains arrêts qui semblent faciles. Aujourd’hui, Thibaut a atteint un niveau tellement haut qu’on voudrait le voir tout le temps jouer comme il l’a fait contre le Brésil. Sauf que nos équipes respectives étant de plus en plus fortes, on ne touche peut-être plus que deux à trois balles par match. Mais elles peuvent arriver en toute fin de match et on doit être sûrs de les sortir parce que sinon, c’est la catastrophe. Les gens ne se rendent pas compte de la concentration que tu mets dans un match. Rester serein dans sa tête jusqu’au coup de sifflet final, c’est une des grandes qualités du gardien. On nous apprend ça depuis notre plus jeune âge.

Vous parliez spontanément de la folie des gardiens de but. Or, avec vous deux, on a l’impression d’avoir au contraire affaire à des personnalités très classiques. Vous parlez de sérénité, vous êtes tous les deux de grands cartésiens. Ce n’est pas très rock, comme approche…

VANASCH: Je regardais récemment une interview de Kobe Bryant sur sa  » Mamba mentalty« . Pour expliquer qu’en gros, sur le terrain, ton esprit switche et tu passes en mode guerrier. Moi, je peux être très sympa en dehors du terrain, mais dessus, je ne vais épargner personne. Je sais crier pour me faire entendre, placer mes joueurs là où je l’entends pour être le meilleur possible. On est sereins dans nos têtes, on n’est pas fous, mais quand on monte sur le terrain, on a ce regard qui veut dire beaucoup.

Thibaut Courtois:
Thibaut Courtois: « On ne peut pas vraiment juger un jeune, à quatorze ou quinze ans. Aujourd’hui, je suis un des meilleurs gardiens du monde alors qu’à quinze ans, on m’aurait peut-être viré de Genk. »© PHOTONEWS

COURTOIS: C’est exactement ça. On est des gardiens sereins. Certains gardiens aiment faire plus de show, moi je n’en ai pas besoin. Si tu te places très bien, que tu anticipes certains mouvements, tu peux sortir un ballon facilement sans avoir besoin de te jeter en l’air. Je sais qu’on parlera peut-être plus d’un gardien qui fait des arrêts spectaculaires, mais ce n’est pas mon problème. Vincent et moi, on est pareils. On n’est pas fous, mais on est des gardiens efficaces.

« Un gardien, ce n’est pas juste un mec qui attrape des ballons »

Depuis des années, le poste de gardien est entré en mutation. Chaque saison, votre rôle évolue et on vous en demande toujours plus. À quoi doit ressembler selon vous le gardien du futur?

COURTOIS: Si tu compares les gardiens d’avant, notamment Oliver Kahn, ce n’est plus le même poste, c’est vrai. Les gardiens d’aujourd’hui, on est limite des libéros, on doit savoir jouer avec les pieds et pouvoir sortir de la pression imposée par l’adversaire. Après, chaque gardien est différent, certains sont plus spectaculaires que d’autres. Mais oui, la constance, c’est que le poste demande d’être plus complet aujourd’hui qu’il y a trente ans. Avant, tu devais juste être fort sur ta ligne, mais aujourd’hui, tu dois sortir sur les coups francs, savoir bien jouer au foot, etc. Il y a beaucoup plus d’entraîneurs qui veulent jouer au pied de derrière sans dégager de longs ballons.

C’est ce qui se différencie le plus un gardien de hockey d’un gardien de football? Au hockey, le gardien ne participe pas au jeu et vous êtes vraiment conditionnés à faire des arrêts réflexes. Presque comme les gardiens de foot à l’époque?

VANASCH: C’est clair que c’est un peu différent. On est comme au foot, mais il y a 25 ans ( Rires). Après, un gardien, que ce soit au foot ou au hockey, ce n’est pas juste un mec qui attrape des ballons. Oui, un gardien doit savoir faire des arrêts, mais il doit aussi savoir coacher une défense ou lire le jeu pour se trouver au bon endroit au bon moment. Je fais des arrêts spectaculaires de temps en temps, mais parfois j’arrête des balles qui semblent faciles parce que je suis bien placé.

Est-ce qu’on devient gardien de but ou est-ce inné? Quand vous regardiez un match de vos sports respectifs étant petits, vous vous projetiez sur le rôle de gardien de but ou vous rêviez comme tous les jeunes enfants d’être attaquant?

VANASCH: C’est venu assez vite pour ma part. J’ai tout de suite été fasciné par cet équipement de gardien de hockey. Puis c’est devenu une vocation. Mais ma particularité, c’est que jusqu’à mes 18 ans, j’ai cumulé les postes de centre-avant et de gardien. C’est sûrement un peu inné, bien que mes parents n’étaient pas des gardiens de but. Par contre, j’ai eu la chance d’avoir des grands frères qui tiraient comme des malades sur moi dans le jardin. Ça m’a permis de ne pas avoir peur de la balle aujourd’hui ( Rires).

Il n’y a rien de plus beau que de jouer une Coupe du monde ou un EURO. Mais aller jouer au Kazakhstan ou en Islande, ça use.

Thibaut Courtois

COURTOIS: Moi, mon père jouait au volley, donc j’aimais bien plonger au sol. À huit ans, on avait des tournois et comme ça se savait que j’étais bon au goal, on m’a proposé le poste. Mais c’est vers dix-onze ans que j’ai vraiment commencé à aimer le rôle de gardien.

Vous êtes probablement aujourd’hui au pic de vos carrières respectives. Vous évoluez dans deux clubs de référence en Europe. Est-ce que malgré tout, vous vous projetez déjà sur l’après, sur un retour potentiel en Belgique?

VANASCH: On veut d’abord devenir la meilleure version de nous-mêmes. Je ne sais pas si je reviendrai en tant que joueur après mon périple à Cologne, mais je reviendrai sûrement en tant qu’entraîneur des gardiens. Et je rêve qu’un des gardiens que je coache sortent de l’académie que j’ai créée, devienne le numéro 1 belge et gagne une médaille aux Jeux. La boucle serait alors bouclée. Après Paris 2024, quand ma carrière internationale sera finie, j’aurai envie de partager mon expérience.

COURTOIS: Je suis un peu plus jeune, j’espère ne pas revenir tout de suite en Belgique, mais c’est toujours une bonne question au final. Je ferai peut-être ma dernière saison à Genk pour boucler la boucle. Pas nécessairement comme gardien titulaire, mais comme numéro 2 pour épauler un jeune. Mais bon, quand tu as la chance de jouer au Real Madrid, tu espères surtout y rester le plus longtemps possible. Mais si à 35-36 ans, j’ai envie de jouer encore un ou deux ans, j’irai peut-être à Genk, mais c’est encore loin. C’est dans presque dix ans…

Il y a cette peur de la date de péremption parfois? De ne plus être la référence mondiale à votre poste?

VANASCH: Les gardiens, c’est comme le bon vin! Avec l’âge, ça se bonifie ( Rires). J’espère juste que je saurai m’arrêter au bon moment. Et choisir de l’instant où je prendrai ma retraite. C’est un luxe que seul les meilleurs peuvent se permettre. Devoir arrêter parce qu’on ne me sélectionne plus, ça me ferait vraiment mal.

COURTOIS: C’est toujours la motivation et l’envie qui comptent. Ma soeur a arrêté le volley à 29 ans parce qu’elle n’avait jamais de vacances. Le sport de haut niveau, ce sont beaucoup de compétitions et beaucoup de voyages. Tu veux aussi avoir une vie. Au foot, avec les Diables, c’est pareil. Il y a beaucoup de matches. Cette année, je n’aurai pas de repos en juin par exemple. Il faut voir combien de temps tu as envie de vivre cette vie-là. Moi, ce qui est certain, c’est que je prendrai ma retraite internationale avant d’arrêter en club. J’arrêterai sûrement les Diables après 2024 ou 2026 et je verrai si, à 34 ans, je me sens encore bien pour continuer en club. Ce qui est sûr, c’est que si je continue à jouer jusqu’à 38 ou 39 ans, ce sera par envie et pas par obligation de prouver que je suis toujours le meilleur. Un peu comme un Davide Rebellin en cyclisme. J’aurai aussi la chance de ne pas devoir le faire pour les sous. Après, si à 36 ans, je veux aider des jeunes, être manager ou commencer une carrière dans le basket, je pourrais très bien arrêter le foot.

Courtois-Vanasch, rencontre au sommet:

Vous comprenez que quand un Romelu Lukaku annonce en 2018 qu’il pourrait arrêter les frais avec les Diables après l’EURO, ça puisse choquer le grand public?

COURTOIS: On adore tous jouer pour notre pays. Il n’y a rien de plus beau que de jouer une Coupe du monde ou un EURO. Mais aller jouer au Kazakhstan ou en Islande, faire des voyages, ça use. Cette année, le championnat se termine le 24 mai. Les années où il n’y a pas de compétition, on joue des matches qualificatifs jusqu’au 10 juin, donc au final, tu joues trois, quatre semaines en plus. Tu as juste trois semaines de repos, c’est dur pour ton corps. Ce sont des choix à prendre. Maintenant on a une équipe qui joue la gagne, mais si dans quatre ans, on sent qu’on n’a plus l’équipe favorite pour gagner un tournoi, je ne vais pas aller jouer trois-quatre semaines pour être éliminé en huitièmes de finale, ce n’est pas chouette. Je peux donc comprendre ce genre de décision.

Il y a une crainte de connaître le jour d’après? Eden Hazard ou Kevin De Bruyne chez les Diables, ou John-John Dohmen, Tom Boon chez les Red Lions, ne seront pas éternels. Il y a donc cette peur de vous retrouver à faire équipe avec des joueurs moyens?

VANASCH: C’est vrai que quand tu as une génération comme ça, il faut s’attendre à un creux à un moment. Ma crainte, c’est qu’on parte tous au même moment. S’il y a six joueurs qui s’en vont en une fois, le choc pour l’équipe serait énorme. J’espère que cette transition se fera en douceur et qu’on arrivera à fournir d’excellents jeunes qui pourront alors reprendre le flambeau.

COURTOIS: C’est pareil chez nous, même si nous sommes tous ramassés sur quelques années. Eden et Kevin ont un an de plus que moi et Romelu a seulement un an de moins, donc dans les faits, je pense qu’on s’arrêtera tous plus ou moins en même temps. Mais c’est une décision qui prendra du temps. De toute façon, je ne crois pas que Diables retomberont aussi bas qu’il y a dix ou quinze ans. Je crois qu’au niveau sportif chez les jeunes, il y a un bon travail qui est fait. Il y aura toujours de nouveaux talents. On n’aura peut-être plus des Hazard, des De Bruyne ou des Lukaku et des Courtois, et c’est logique, mais on peut espérer que la génération suivante soit à la hauteur. En tout cas, si on ne gagne pas l’EURO ou la Coupe du monde, je ne serai certainement pas le genre de mec à dire qu’aucune autre génération n’arrivera à faire mieux que nous. À l’inverse, j’espère que dans quelques années, une nouvelle génération pourra ramener la Coupe du monde.

« Le Belge est assez humble de nature »

Le foot est un sport  » populaire  » tandis que le hockey reste considéré comme un sport de  » bourges « . Ces étiquettes-là s’accompagnent souvent de préjugés sur la mentalité de footballeurs peu éduqués et d’hockeyeurs tout droit sortis de l’université. Ça vous ennuie d’être réduits à ça?

VINCENT VANASCH: J’essaie de me battre contre cette image. Le hockey se démocratise. Dans le passé, c’était considéré comme un sport de bourges élitistes parce que tout coûtait très cher. Aujourd’hui, les clubs sont de plus en plus armés et prêts à recevoir de nouveaux joueurs. Ils ont du matériel à disposition, aussi. Chaque joueur potentiel qui arrive dans un club peut recevoir un stick pour essayer. Ça se démocratise dans les quatre coins de la Belgique et il y a de plus en plus de terrains, donc de plus en plus de membres. Cette image de petit bourge commence peu à peu à s’effacer. Aujourd’hui, je vois plein de jeunes dans le bus avec des sticks en main.

THIBAUT COURTOIS: Le foot a cet avantage d’être un sport où, quand tu as deux ans, tu prends un ballon et tu joues dans le jardin. C’est plus facile d’accès que les autres sports. Tu peux ne pas être le plus intelligent, mais bien jouer au foot. Mais il y a évidemment de tout. Des joueurs qui vont loin sans avoir fait d’études, d’autres qui sortent aussi de l’unif. C’est comme ça partout. Chez les journalistes, c’est pareil. Tu vas en trouver certains plus malins que d’autres. Et puis, il y a de plus en plus de joueurs qui défendent des causes: Black Lives Matter, c’est mondial, Marcus Rashford qui aide les jeunes en Angleterre, c’est un symbole fort. On ne peut pas aider tout le monde, mais en tant qu’athlètes, on se doit de parler. De profiter de notre notoriété. J’ai plus de sept millions d’abonnés sur Instagram. Je sais que ce que je dis peut avoir un impact.

Vous êtes célèbres, unanimement reconnus comme étant parmi les meilleurs à votre poste, vous côtoyez les meilleurs joueurs du monde au quotidien à Madrid ou à Cologne. Est-ce que vous n’avez jamais peur de prendre la grosse tête?

VANASCH: De nature, je crois que le Belge est assez humble. Et en plus, on a heureusement tous les deux reçus une bonne éducation. On connaît notre valeur aujourd’hui, mais ça n’empêche pas les remises en question. Et c’est grâce à ça qu’on ne prend pas le gros cou. Thibaut a sept millions d’abonnés, et pourtant, je l’ai rencontré, on a mangé un bout ensemble et c’était un super moment. Ça reste quelqu’un de « normal ». Comme il dit, il y a de plus en plus d’athlètes qui osent parler et mettent leur notoriété en avant au profit de toute la société. C’est le plus important, c’est vers quoi il faut aller.

COURTOIS: J’essaie de vivre comme un mec normal alors que mon nom est tous les jours dans les journaux. Bien sûr que j’ai des avantages, mais si je rentre dans un restaurant, je n’aime pas qu’ils laissent tomber les autres clients pour m’accueillir. Si je dois attendre cinq minutes, j’attendrai cinq minutes, il n’y a pas de souci. Je ne me sens pas supérieur à une autre personne. Je regarde avec un égal plaisir la NFL, la NBA ou une course cycliste. Je ne crois pas vivre dans ma bulle de petit footeux.

« Ce n’est pas parce que tu t’appelles Vanasch ou Courtois que tu ne peux pas te retrouver sur le banc »

Vous êtes des numéro un indiscutables aussi bien en équipe nationale qu’en club. Comment gère-t-on sa relation avec les autres gardiens quand on part comme vous avec un coup d’avance?

VINCENT VANASCH: J’ai aussi ciré le banc, je sais à quel point c’est dur d’être deuxième gardien. À l’époque, le gardien numéro 1 ne m’entraînait pas vers le haut et ne me donnait pas de conseil. J’ai dû apprendre tout seul. Je me suis toujours juré que je ne referais pas les mêmes erreurs que les anciens ont fait avec moi. Gardien, c’est un poste merveilleux, mais il n’y a qu’une place. Certes, on le sait avant de commencer, mais ça ne doit pas nous empêcher de nous montrer respectueux entre nous. C’est aussi ce qui te permet de garder les pieds sur terre. Chaque jour, tu peux perdre ta place. Et ce n’est pas parce que tu t’appelles Vincent Vanasch ou Thibaut Courtois que ça change quelque chose.

THIBAUT COURTOIS: Ça n’a pas toujours été facile quand j’ai pris la place de Simon Mignolet chez les Diables. Pour lui, forcément, ce n’était pas gai. Il n’était pas mauvais, c’est un excellent gardien, c’était juste un choix du coach, donc au début, il y avait plus de rivalité. À l’époque, on s’est amusés à un peu mettre le feu, aussi bien lui que moi, en interview. C’était un peu tendu, mais on n’a jamais eu de mauvais geste à l’entraînement. Il y a du respect entre nous parce qu’au final, on est une petite équipe en tant que gardiens. On peut apprendre de chacun. C’est important que les autres gardiens soient prêts le jour où moi je ne joue pas. C’est ce que Simon a toujours fait. Il y a une bonne relation, on travaille bien. Il y a toujours un peu de rivalité, mais en tant que premier gardien, tu dois sentir qu’il y a un deuxième gardien qui te pousse et te force à bien t’entraîner pour démontrer que t’es le meilleur. Si tu sens que derrière tu n’as pas la pression, tu peux te relâcher. Si tu sens qu’un autre gardien est prêt à prendre ta place, tu sais que tu dois bien jouer. Ça sert à ça, la concurrence. Si tu sais gérer la pression, il n’y a rien de mieux que d’avoir un concurrent derrière toi qui te pousse à faire mieux.

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