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Comment sauver la saison du foot provincial?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Des matches remis à la pelle, puis un championnat arrêté face à l’ampleur de la deuxième vague. Et au bout, une question: donner un sens sportif à cette saison est-il encore raisonnable?

Aux confins de la Wallonie, quand les tréfonds de l’automne ont pour coutume de martyriser des pelouses qui se transforment en surfaces boueuses et irrégulières, l’herbe est étonnamment verte. Parce qu’il n’y a plus de saison, et pas seulement au sens figuré. Le coup de sifflet final du dimanche 11 octobre dernier emmène les saisons provinciales vers une interruption à durée indéterminée. Et plus d’un mois plus tard, la brume ne s’est pas dissipée sur l’avenir des joueurs du dimanche.

Même l’ACFF, association des clubs francophones de football, avance à tâtons. Au sein des instances, on reconnaît calquer son agenda sur les recommandations venues du monde politique. Avec un credo solidement ancré: on rejouera dès qu’on ne nous interdit plus de jouer. Si la ministre des Sports ne prend pas une décision uniforme pour toutes les fédérations, le football continuera donc à avancer à sa guise. Dans le viseur, de nombreux clubs ont donc la date du 13 décembre prochain, jour théorique de la fin du deuxième confinement et coup d’envoi potentiel de la reprise des entraînements, devant mener à des championnats relancés dès les premiers week-ends du mois de janvier. Restera alors à mener une course contre-la-montre jusqu’au bout du mois de juin, à un rythme qui permettrait de se maintenir dans le sillage de Remco Evenepoel.

Devrait-on encore payer des cotisations à l’ACFF si la saison blanche était décrétée? » Bernard Bolly, vice-président du Royal Wavre-Limal

Dans le meilleur des cas, il reste vingt-cinq rencontres à jouer pour arriver au terme de la saison dans la plupart des séries provinciales. Pour les équipes les moins chanceuses avant l’interruption des compétitions, l’addition peut monter jusqu’à vingt-huit matches à disputer. Tout ça alors qu’il ne reste que vingt-quatre dimanches pour atteindre l’été. Pas besoin d’être mathématicien pour comprendre que la tâche s’annonce périlleuse. Trop gourmande, sans doute, pour un football des plus bas échelons qui n’a rien en commun avec les meilleures divisons amateurs du pays en termes d’investissement temporel et de volume physique, et qui n’a jamais traversé l’hiver sans connaître son lot de remises à cause des conditions climatiques.

LE FOOT AVANT LA SANTÉ?

« La saison est de toute façon tronquée », affirme Michael Desille, entraîneur de Loyers, en P1 namuroise, citant l’exemple de l’un de ses joueurs, athlète confirmé aujourd’hui incapable de courir un kilomètre suite à sa rencontre malencontreuse avec le Covid. Monté au créneau via un courrier adressé à l’ACFF, le coach du club namurois reçoit finalement une réponse dix-sept jours plus tard, et constate que la Fédération ne compte pas prendre de décisions plus fermes que celles posées par le monde politique. « Du coup, on navigue à vue », déplore Desille, avant tout inquiet pour la santé de ses joueurs. « L’ACFF dit qu’elle n’interdira rien de plus que ce que les décisions politiques interdisent, mais c’est un peu comme si on roulait quand même à 120 kilomètres à l’heure sur l’autoroute en plein brouillard, juste parce que ça reste la limite autorisée réglementairement… »

Comment sauver la saison du foot provincial?
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Tout comme un nombre croissant de T1, interrogés chaque jour dans la presse régionale, le coach de Loyers plaide désormais pour une saison blanche: « Sans même parler des remises, il ne faut pas commencer à croire que le Covid aura disparu en janvier. Et si l’enjeu sportif est présent, on peut craindre que certains jouent avec leur santé ou celle des autres pour s’offrir une montée ou éviter une descente. »

Le paramètre sanitaire est évidemment incontournable, dans cette saison si particulière. Dans les divisions provinciales régies par l’ACFF (sans prendre en compte les dernières divisions, où les séries sont souvent en nombre impair et tronqueraient le calcul), seuls 160 des 456 clubs engagés n’ont pas eu le moindre match remis lors des cinq journées inaugurales. 65% des clubs ont eu un match remis, au minimum. Au total, ce sont 20% des rencontres qui ont été remises dans les cinq provinces du sud du pays, depuis le coup d’envoi de la saison. Des matches qu’il faudra recaser dans un calendrier surchargé. À moins que la Fédération ne se réfugie derrière son tout nouveau règlement.

UNE SAISON À QUEL PRIX?

Échaudés par les nombreuses plaintes de l’été, les dirigeants du football francophone ont en effet préparé le terrain, en légiférant autour d’une saison qui pourrait être considérée comme valable une fois que 50% des rencontres auront été jouées dans le sud du pays. Tant pis si l’équité sportive en prendrait un sacré coup, entre pondération du nombre de matches joués et déplacements périlleux multipliés par certains et évités par d’autres. « L’ACFF fera tout pour que ce règlement soit suivi, parce que sa raison d’être, c’est d’organiser des compétitions », résume Bernard Bolly, vice-président du Royal Wavre-Limal, club de deuxième provinciale dans le Brabant Wallon.

Entre les lignes, on peut aussi déduire que sans compétition organisée, l’ACFF perdrait une bonne partie des raisons qui lui permettent de réclamer, chaque mois, d’importantes cotisations à ses membres. « Depuis le mois de juillet, j’ai fait les comptes et notre club, qui compte environ 350 membres, a déjà déboursé 1.250 euros pour l’ACFF », décompte Bernard Bolly. « Vu la situation actuelle, on se demande parfois pourquoi on paie. Et la question mérite d’être posée: devrait-on encore payer si la saison blanche était décrétée? »

Les adversaires d’une saison pour du beurre sont encore nombreux parmi les clubs. Preuve que quelle qu’elle soit, la décision finale de l’ACFF ne fera pas que des heureux. Parmi eux, il y a évidemment ceux qui ont mis les grands moyens pour franchir un palier au terme de la saison. Des investissements parfois importants, pas toujours légaux, mais qui restent monnaie courante dans de nombreux bastions de l’échelon provincial. Au sein de ces clubs, on craint de voir disparaître les joueurs si les matches sont amicaux et les primes inexistantes. « Au final, c’est peut-être le moment idéal pour le football provincial de se réinventer », espère Bernard Bolly. « Quand les clubs vont préparer la saison prochaine, beaucoup vont avoir du mal à joindre les deux bouts et pour couper dans les dépenses, le plus facile sera de s’attaquer aux primes des joueurs. »

De là à imaginer un football remanié au sortir de la crise sanitaire, il y a un pas que le président limalois n’ose pas franchir: « Tous les joueurs ne sont certainement pas prêts à faire une croix sur ce petit extra. Et tant que des clubs continueront à donner de l’argent, il restera des joueurs que ça attirera. »

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