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Comment Saido Berahino s’est retrouvé à Charleroi

Les bonnes relations entre Zulte Waregem et Charleroi ont abouti au prêt avec option d’achat de Saido Berahino au Mambourg, dans les dernières minutes du mercato. Zoom sur une transaction finalisée à la façon d’un jeu de dupes.

On ne sait pas si, comme la coutume l’exige pourtant, le prix de la mise en scène récompensera, in fine, le meilleur réalisateur de la compétition. Car on ne sait pas encore concrètement si l’arrivée de Saido Berahino dans le Pays Noir sera un jour à ranger dans la catégorie des transferts paniques ou des coups fumants. À Charleroi, on a de toute façon déjà trouvé la parade en présentant le dernier transfuge carolo comme « un coup correspondant à un besoin ». Un coup plus qu’un besoin, en vrai, mais un joli coup quand même pour Mehdi Bayat et les siens. Et pas forcément de ceux qu’on a l’habitude de voir débarquer chez les Zèbres. Persuadé sur le fil du bien fondé de signer un troisième attaquant en moins d’un mois et demi, l’administrateur délégué du Sporting de Charleroi se décide à délier les cordons de la bourse in extremis, presque sur un coup de tête. Un mouvement forcément moins rationnel que ceux habituellement ficelés dans les coulisses du Mambourg, mais qui doit traduire à moyen terme les ambitions nouvelles des Zèbres.

Le vendredi, à trois jours de la clôture du mercato, Saido devait encore signer en Turquie. »

Eddy Cordier, CEO de Zulte Waregem

Initialement, les trajectoires de Saido Berahino, l’enfant de Bujumbura, et de Charleroi n’étaient pourtant pas spécialement faites pour se croiser. D’abord parce qu’on a un temps pensé que le successeur de Romelu Lukaku à West Bromwich Albion connaîtrait la même success story que Big Rom’ en Premier League. Ensuite parce qu’il se disait que la défaite des Hennuyers contre le Lech Poznan en match de barrage pour l’accession aux poules de l’Europa League à cinq jours de la fermeture du mercato était de nature à mettre un frein aux aspirations de grandeurs carolos sur le marché des transferts.

« C’est en tout cas ce qui m’était revenu », clarifie d’entrée Damien Marcq, ancien du Sporting aujourd’hui à Zulte, et premier fusible activé par Mehdi Bayat mi-septembre pour tenter de sonder la faisabilité du deal. « Pour être franc, quelques jours avant Poznan, Mehdi m’a appelé pour me questionner sur Saido », continue le natif de Boulogne-Sur-Mer. « Et clairement, l’idée de Charleroi à ce moment-là, c’était de le prendre, mais uniquement en cas de qualification pour les poules de l’Europa. »

Un atlas au secours de Charleroi

Sauf que, convaincu par le discours flatteur de l’ancien milieu carolo sur son futur ex-coéquipier, Mehdi Bayat change finalement son fusil d’épaule dans les dernières minutes du mercato. « Pour vous dire, le vendredi, à trois jours de la clôture du marché, qui se terminait pour rappel le lundi 5 octobre à minuit, Saido devait encore signer en Turquie », rembobine Eddy Cordier, CEO de Zulte Waregem. Cela faisait plusieurs jours que j’avais des gens de Gaziantepspor qui me sonnaient vingt fois par jour. J’avais même convaincu Saido d’y aller. Mais alors que tout était en ordre pour signer, il a commencé à me parler de la localisation géographique du club, de sa frontière proche avec la Syrie. En 24 heures, il avait complètement changé d’avis. Clairement, je pense qu’il avait eu des gens de Charleroi en ligne et que ceux-ci avaient su lui exposer les bons arguments. »

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L’intérêt de Charleroi, Eddy Cordier sera pourtant le premier à le solliciter suite à la dérouillée subie par ses gars contre le Club Bruges le 20 septembre dernier (0-6). Un après-midi fondateur dans les velléités de départ du joueur, qui amène au premier contact par téléphone entre Eddy Cordier et un certain Mogi Bayat. « Ce jour-là, je lui ai dit que j’avais un problème avec Saido. Son agent et lui m’avaient signifié vouloir partir. On devait trouver une solution. »

Un mur qui tremble, une décision qui tombe

En effet, c’est habituellement la raison pour laquelle on passe par Mogi Bayat. Peu avant, à la mi-temps du match contre le Club, une altercation entre l’attaquant burundais et Davy De fauw, l’entraîneur adjoint du Essevee, avait mis le feu aux poudres dans le vestiaire. « Ils ont eu des mots avec le coach ( Francky Dury, ndlr) aussi à ce moment-là, mais qui n’en a pas quand vous êtes menés de quatre buts à la maison? », relativise Gianni Bruno. « Forcément, on était tous irrités et le ton est un peu monté entre Saido et le staff. Je crois que Davy lui reprochait son absence de marquage défensif sur l’un des buts. »

Un détail en forme de goutte d’eau au milieu d’un naufrage collectif, mais la confirmation pour l’ancien striker de Premier League qu’il n’a alors plus grand-chose à faire à Zulte, une équipe classée au soir de cette sixième journée de championnat à une triste quatorzième place. « Ne pensez pas que c’est à cause de ce qui s’est passé dans le vestiaire ce jour-là que Saido est parti », tient à clarifier Francky Dury. « Ce n’est pas ça qui est important. Je sais bien qu’on n’est pas le Bayern Munich et je n’en ai donc jamais voulu à mes joueurs pour les erreurs qu’ils peuvent commettre. Mais le fait est que Saido doit évoluer dans une équipe qui joue le haut du classement, qui joue dans le box adverse. Parce que dans la surface, il est très fort. Un des meilleurs en Belgique. Mais à Zulte, cette saison, on ne pouvait pas lui offrir ça, j’en étais bien conscient. »

Comment Saido Berahino s'est retrouvé à Charleroi
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Lucide sur les lacunes de son équipe, Dury ne mettra pas de bâtons dans les roues d’un joueur devenu dispensable pour ce Zulte-là ou, selon ses propres termes, « trop fort pour Zulte Waregem ». « Dès son premier jour de test chez nous, quand il est arrivé il y a un an, j’ai pu m’en rendre compte », avance-t-il encore. « Il est resté trois semaines en test, mais on avait vite compris qu’il était techniquement au-dessus du lot. Je veux donc qu’on retienne le positif. Saido à Zulte, c’est une bonne histoire. Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois et en un an chez moi, il a été top. On doit avoir eu quelque chose comme 120 entraînements l’an dernier, il n’en a pas raté un seul. Pas une blessure, rien. Je suis content de pouvoir dire qu’il a repris du plaisir chez nous. »

Saido, c’est un super joueur, à condition qu’il en ait envie. »

Damien Marcq

Poker menteur

En quatre matches et trois buts, l’ancien de WBA avait déjà convaincu tout le monde à Zulte, au moment de faire ses débuts en Pro League. À l’époque, ses réalisations contre Genk, Charleroi et l’Antwerp avaient d’ailleurs vite levé les doutes sur un attaquant devenu excédentaire à Stoke City, mais largement à niveau pour faire sensation dans notre championnat. « Saido, c’est un super joueur, à condition qu’il en ait envie », résume Damien Marcq. « Il est arrivé super motivé, mais je l’ai trouvé moins concerné après sa blessure et le stage à Marbella », appuie pour sa part Gianni Bruno. « Il n’avait plus la même mentalité après le Nouvel An et il a eu quelques retards à l’entraînement qui ont pu irriter certains. Je crois qu’il avait besoin de changer d’air. »

À 24 heures de la fin du mercato, Tony Beeuwsaert, actionnaire majoritaire de Zulte, met la pression pour empêcher le départ de sonplus beau joyau.

En championnat, le Burundais marquera autant de buts lors de ses trois premières semaines à Zulte que sur le reste de la saison. Un bilan chiffré insuffisant pour rêver à un retour express dans un grand championnat, mais un CV suffisamment excitant pour en faire l’un des transferts phare d’un Sporting de Charleroi désireux de taper fort après un début de saison canon. « Dix minutes après le coup de sifflet final du match nul de Charleroi à Mouscron ( 1-1, le dimanche 4 octobre, ndlr), j’avais donc un coup de fil de Mehdi », raconte Eddy Cordier. Inquiet de voir celui qu’il considère déjà comme son nouveau poulain avoir fêté ce qu’il pensait être sa dernière entrée au jeu par un but la veille au soir à Louvain, l’administrateur délégué du Sporting profite de ses bonnes relations avec le CEO de Zulte pour s’assurer que le dénouement du dossier n’en est pas moins proche.

À 24 heures de la fin du mercato, il lui revient pourtant ce qu’il craignait. Tony Beeuwsaert, actionnaire majoritaire de Zulte, mais mécène inquiet de voir son club se séparer de son plus beau joyau, met la pression pour empêcher le départ de celui qui est pourtant l’un des plus gros salaires d’un club en manque de liquidités. Mais aussi, selon lui, l’un des rares à pouvoir sublimer le jeu du Essevee cette saison.

S’en suivra une partie de poker menteur propre à ces fins de mercato délirantes. Où le bluffeur n’est pas toujours celui qu’on croit. Pour s’aligner sur l’offre venue de Gaziantep, en Turquie, il est non seulement demandé à Charleroi de prendre à sa charge l’entièreté du salaire du joueur, mais également une location dans un dossier finalement loin d’être gratuit. Offre initialement refusée par Mehdi Bayat, mais finalement validée après avoir tout de même fait planer la possibilité pour les Carolos de se retirer des négociations en dernière minute et de se satisfaire de la seule venue de Lukasz Teodorczyk, dont le transfert avait finement été annoncé en primeur du côté de Zulte à la façon d’un moyen de pression.

Il n’en sera finalement rien, et aux jeux des petits arrangements entre amis, il se dit forcément que tout le monde en serait ressorti gagnant. Zulte Waregem d’un côté, à sec financièrement et tout content de se débarrasser d’un salaire encombrant estimé à 700.000 euros annuels, en plus d’un joueur qui n’était plus impliqué dans la vie de groupe. Charleroi de l’autre, soudainement locataire d’une triplette (Kaveh Rezaei, Saido Berahino, Lukasz Teodorczyk) sans équivalent statistique dans le Royaume.

Reste Damien Marcq, un brin naïf sur le coup et sidéré de voir le transfert se conclure en toute fin de mercato. « Je l’ai appris via un message de Saido sur le WhatsApp du club. Naïvement, je pensais que Charleroi avait oublié le dossier suite à son élimination européenne. Avec le recul, je me dis que je n’aurais peut-être pas dû dire autant de bien de Saido à Mehdi ( rires)… » Au poker, on appelle ça se faire décaver.

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