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Comment Genk est devenu un géant du championnat belge

En vingt ans, le Racing Genk est passé du statut de petit club provincial sympa à celui de grand. Il veut toutefois rester familial, tout en visant la performance.

À Genk, il y a des traditions qui ne changent pas. Quand les premières notes de la chanson Marina retentissent, tout le monde sait que la deuxième mi-temps va débuter. C’est le seul grand hit produit à Genk, par Rocco Granata, ex-joueur de Thor Waterschei en équipes d’âge.

D’autres choses ont changé, comme le nom du stade, qui a été commercialisé. On ne dit plus Luminus Arena, mais Cegeka Arena, du nom de l’entreprise IT limbourgeoise qui a acheté les droits pour dix ans. Avant cela, Genk a aussi conclu un deal avec l’entreprise locale de transports Essers. « Essers et Cegeka sont des entreprises limbourgeoises de niveau mondial », dit fièrement le directeur général Erik Gerits. « Nous démontrons ainsi vouloir conserver notre ADN tout en voyant plus loin que le Limbourg et la Belgique. »

Par le passé, Gerits a tout fait à Genk, tant au niveau sportif qu’au niveau financier. Il a été speaker, responsable de la presse ou directeur organisationnel. Lors de certaines fêtes, il a même été DJ. « À l’époque où je vendais des business-seats, je connaissais pratiquement le nom et le prénom de tout le monde au stade. »

Aujourd’hui encore, il assiste aux repas des clubs de supporters. « J’essaye de rester accessible. Il n’est pas nécessaire de prendre rendez-vous pour me parler. Ma porte est toujours ouverte. »

Il est arrivé à Genk en 1994-1995, pour un job d’étudiant. « Le club cherchait des gens pour améliorer l’animation. Au niveau administratif, il n’y avait que le secrétaire, Leopold Baeten, et le manager, Paul Heylen. Aujourd’hui, sans compter le département sportif et l’école des jeunes, nous sommes 49 employés au lieu de trois. » 19 personnes travaillent à la section commerciale et communication, 17 s’occupent de l’organisation au stade, sept sont en charge du département financier et juridique, six sont employées à la direction. « Si on ajoute les jeunes et le département sportif, nous employons 175 personnes à temps plein ou à temps partiel. »

Genk dispose d’un matelas financier de vingt millions d’euros.

En 2018, après une période en politique, Gerits est revenu à Genk, où il est le CEO d’un club qui, en 33 ans, prend part à sa dix-septième campagne européenne. Il ne veut pas parler de ses accomplissements personnels. « Mon leitmotiv, c’est: entourez-vous de gens qui ont les compétences que vous n’avez pas. » Ce dont il est le plus fier, c’est « que le club se soit relevé à chaque fois qu’il est tombé et qu’il continue à aller de l’avant. Le mérite de notre succès ne revient pas à une, deux ou trois personnes. Chaque président, chaque manager et chaque entraîneur nous a apporté quelque chose. »

« Avant notre première finale de Coupe de Belgique, face au Club Bruges, Aimé Anthuenis nous a appris quelque chose d’important: il voulait que tous les collaborateurs se retrouvent sur la photo. C’est quelque chose que je n’ai jamais oublié et, aujourd’hui, il en va toujours ainsi. »

En matière de confort, Genk a toujours été un précurseur. C’est le premier club belge qui a eu des business-seats et une pelouse chauffée. Il fut aussi le premier à placer ses jeunes joueurs dans des familles d’accueil, mais Gerits ne veut pas penser au passé. « Nous avons sans cesse mis la barre plus haut. Je suis aussi de plus en plus exigeant envers moi-même. Ici, on vise la performance. Si on demande cela aux joueurs, tout le club doit être capable d’en faire autant. » Y compris en équipes d’âge. « Nous investissons quatre millions d’euros par an dans notre académie. C’est beaucoup d’argent, mais nous exigeons de la qualité en retour. »

Voiture en feu

Le père de Roberto Destino est arrivé de Sicile pour travailler dans la mine. Lui-même y a bossé pendant 17 ans, jusqu’à la fermeture du charbonnage de Waterschei en 1988, quelques mois avant la fusion. Il a joué à Waterschei, mais a mis un terme à sa carrière à l’âge de 19 ans. L’année de la fusion, on lui a demandé de devenir délégué des Diablotins, où son fils jouait. Plus tard, il est devenu délégué des Espoirs et l’est resté pendant vingt ans, jusqu’à la saison dernière. En dehors du terrain, il s’occupait de tout, y compris des déplacements à Naples et Liverpool en Ligue des Champions. Il a eu Kevin De Bruyne dans son groupe. « On m’a dit que j’aurais des problèmes avec lui. J’ai répondu que celui avec lequel j’aurais un problème n’était pas encore né. En stage, je l’ai mis dans une chambre avec deux Italiens. Lors des entraînements physiques, je roulais à vélo derrière lui pour le motiver. Les premières semaines, il était sur le banc. Il faisait tellement chaud qu’il n’arrivait pas à suivre. Je me suis dit qu’on n’arriverait à rien avec lui. Jusqu’à ce qu’il entre au repos du match contre Zulte Waregem et inscrive cinq buts. Il était lancé. »

Vu son passé de mineur, il a pu prendre sa pension à 42 ans. À Genk, il donne encore un coup de main à la comptabilité et les jours de match. Par le passé, il faisait des visites guidées du stade et aidait à la vente des tickets. Il allait également chercher tous les étrangers qui arrivaient à Zaventem. Il avait un panneau avec leur nom et les ramenait au club dans sa voiture. « Jusqu’au jour où ma voiture a brûlé alors que je ramenais Justice Wamfor. À partir de là, le club a mis un véhicule à ma disposition. »

Avec l’arrivée d’ Enver Alisic, il a vu le professionnalisme s’installer. « À l’époque, nos jeunes joueurs n’avaient pas tous le même équipement. L’un avait un maillot de la Juve, un autre celui du Real et un troisième, celui d’Anderlecht. Alisic trouvait ça anormal. À partir de là, tous les jeunes ont eu la même tenue. »

Cinquante coups de téléphone

La première chose que l’on voit en entrant dans le tunnel des joueurs depuis l’entrée principale, c’est une grand photo d’anciennes vedettes du club. « Ce sont tous ceux qui, au cours des dix dernières années, ont été vendus à de grands clubs », dit Pierre Denier. « La liste est impressionnante, c’est la mine d’or de Genk. »

Denier va prendre sa retraite cette année après 48 ans au service du club. Il a d’abord joué à Winterslag puis à Genk avant d’être entraîneur-adjoint pendant 24 ans. Il a assuré quelques fois l’intérim et depuis le décès de Tony Greco, il y a six ans, il est le team manager. « Dans ce boulot, il faut penser pour tout le monde. Dans mon cas, c’est 28 joueurs. Mon bureau est un refuge. Et une journée au cours de laquelle je ne reçois que cinquante coups de téléphone est une journée calme. »

Il y a peu, il est parti en week-end avec sa femme et un couple d’amis. Ça avait été programmé longtemps à l’avance. Il était à peine sur son vélo que le téléphone sonnait déjà. Il a sonné toute la matinée. « Nos amis étaient étonnés. N’avais-je pas pris congé? »

Aujourd’hui, Genk a bien changé par rapport à l’époque où il était l’assistant d’Aimé Anthuenis, il y a plus de vingt ans. « À l’époque, le staff technique se composait d’Aimé, de Guy Martens et moi. Lors des entraînements physiques au bois, on accrochait une montre à un arbre et les joueurs devaient calculer eux-mêmes leur fréquence cardiaque, se reposer un peu puis la reprendre. Aimé faisait tout, il était sans cesse au téléphone. Il connaissait tous les joueurs de Belgique et on faisait tous un peu de scouting. Maintenant le club a une cellule très professionnelle pour cela. »

Aujourd’hui, l’équipe première compte sept entraîneurs, un préparateur physique, un médecin, trois kinés et un entraîneur pour la revalidation. L’ostéopathe passe plusieurs fois par semaine, les joueurs ont aussi droit à une diététicienne et un coach mental.

« Avant, à midi, les joueurs rentraient chez eux pour manger. Parfois, nous achetions des sandwiches et un jour, le patron du restaurant La Botte nous a amenés des spaghettis. Plus tard, on nous a confectionné des repas et un petit déjeuner sur base des recommandations individuelles de la diététicienne. On en avait marre de voir les joueurs avaler un croissant en sortant de leur voiture.

Ce qui surprend le plus Denier c’est que « en vingt ans, nous n’avons cessé de grandir et nous devons encore le faire. Genk ne doit plus sortir du top 4. La barre est placée plus haut pour tout le monde, à commencer par la direction. Erik Gerits est bien plus exigeant. Notre président, Peter Croonen, tente de garder encore un an des joueurs qu’on aurait déjà vendus plus tôt. »

Matelas financier

En 1995-96, Filip Aerden contrôlait les comptes du club. Aujourd’hui, il en est le directeur financier. « À l’époque, Genk était officiellement un club pro, mais dans les faits, c’était un club semi-professionnel. Parfois, on était encore en train de contrôler les comptes alors que l’arbitre sifflait le coup d’envoi du match. Aujourd’hui, sept personnes travaillent au département comptable et juridique. » Entre-temps, Genk a vécu quelques moments difficiles sur le plan financier. En 1999, il a fallu décider de transformer ou non le stade. « Pour pouvoir respecter le plan de remboursement, on devait se qualifier pour la Ligue des Champions. Heureusement, on a éliminé le Sparta Prague. »

L'ancien président Jos Vaessen est toujours un spectateur attentif au Racing.
L’ancien président Jos Vaessen est toujours un spectateur attentif au Racing.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Le nom de Jos Vaessen revient sans cesse. « Il nous a aidés à survivre grâce à des prêts que nous avons toujours remboursés dans les temps. » Lorsqu’Aerden a commencé, le budget était de 2,5 millions. Aujourd’hui, il est de trente millions, sans tenir compte des recettes européennes. Jusqu’en 2011, les revenus du championnat de Belgique suffisaient, mais les salaires ont alors considérablement augmenté. Sans l’Europe et sans transfert, le club aurait eu un déficit annuel de sept à huit millions. Maintenant, il serait de dix millions, mais personne ne s’en soucie car le matelas financier est de vingt millions. Aerden explique aussi que, par rapport à il y a cinq ans, l’aspect sportif prime désormais sur l’aspect financier. L’homme de chiffres a dû s’y habituer.  » Dimitri de Condé parvient à estimer la valeur d’un joueur. On peut désormais payer des salaires plus conséquents qu’avant. »

Talent limbourgeois

À la Jos Vaessen Academy, Roland Breugelmans, le directeur général, est là depuis le début. Cet ancien enseignant a commencé par s’occuper des scolaires provinciaux.

Par le passé, les jeunes talents limbourgeois devaient quitter rapidement la province en direction de Bruges ( René Vandereycken), du Standard ( Eric Gerets) ou de Waregem ( Manu Karagiannis, Vital Borkelmans, Patrick Teppers).

Depuis dix ans, Genk parvient non seulement à garder ses jeunes, mais aussi à aller en chercher ailleurs, comme le Gantois Kevin De Bruyne. Le mérite en revient à Jos Vaessen. « Ça lui faisait mal de voir nos joueurs dispersés entre Waterschei et Winterslag », dit Breugelmans. « Il a donc sorti un million et demi d’euros pour nous donner de meilleurs terrains. »

Les investissements et prêts de Vaessen ont été cruciaux pour l’évolution de Genk. C’est grâce à lui et à son académie que Genk est devenu, avec Anderlecht, le premier club du pays à miser sur les jeunes. « Ici, on n’entend jamais dire que c’est trop cher, mais on veut de la qualité. Plus le niveau de l’équipe première évolue, plus celui des jeunes doit le faire également. Le tout est de voir s’ils seront patients. Surtout leur entourage car peu d’entre eux sont prêts à 18 ans. Les résultats et les jeunes vont rarement de pair. » Ce qui surprend le plus Breugelmans, c’est que la philosophie n’a pas changé en vingt ans. « De Jos Vaessen à Peter Croonen, l’objectif est resté le même: avoir une dizaine de jeunes du cru dans le noyau A. »

L’académie se trouve aujourd’hui entre le stade et le futur centre d’entraînement de l’équipe première. Bientôt, un village de deux hectares verra le jour, ce sera un site unique en Belgique. Un nouveau stade y sera-t-il construit? La décision n’a pas encore été prise. Le club a déjà compté 21.500 abonnés. Aujourd’hui, ils sont 16.500. Un stade de 30.000 places, pour le moment, c’est insensé, mais l’an dernier, les business-seats ont été rénovés. À Genk, on ne dort jamais.

Le directeur général Erik Gerits parle avec Roland Breugelmans, directeur de la formation, et Koen Daerden, directeur technique des jeunes, dans les business-seats.
Le directeur général Erik Gerits parle avec Roland Breugelmans, directeur de la formation, et Koen Daerden, directeur technique des jeunes, dans les business-seats.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

ASBL ou SA?

Genk est le seul club de D1A encore structuré en ASBL. Erik Gerits ne voit pas de raison de changer. « Nous respectons toutes les conditions d’une ASBL, dont celle d’apporter quelque chose à la société. Nous voulons rester un club populaire, c’est dans notre ADN. Personne n’a d’actions du club, nous ne devons pas vendre les joueurs pour distribuer des dividendes aux actionnaires. Les membres du conseil d’administration payent encore leur cotisation. »

Filip Aerden confirme: « Cinquante membres élisent un Conseil d’administration, qui délègue la gestion quotidienne au management. S’il y a un trou, les administrateurs le comblent. Il n’y a pas de propriétaire, ça nous oblige à rester sains. Lors des années difficiles, Jos Vaessen aurait pu exiger de devenir propriétaire, mais il ne l’a pas fait et aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire. »

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