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Comment Dimitri de Condé est devenu le meilleur directeur technique de Belgique

Huit ans après avoir mis un terme à sa carrière de joueur, Dimitri de Condé est sur le point de fêter le titre avec Genk. Retour sur le parcours d’un homme qui est passé du job d’entraîneur des jeunes à celui de meilleur directeur technique de Belgique.

Fin octobre 2010, le Damburgstadion de Bocholt tremble sur ses bases : Dimitri de Condé s’en va. Il ne s’entend plus avec l’entraîneur Frank Machiels, dont il fut l’équipier à Lommel au début des années ’90, et toute collaboration est désormais impossible. Les clubs s’arrachent l’élégant médian qui, un mois plus tard, se retrouve à Overpelt, en Promotion C.

Le transfert se fait par l’intermédiaire de Bart Peeters, gardien et capitaine d’Overpelt. Les deux hommes ont joué en juniors UEFA à Lommel et ils ont envie de partager une dernière fois un vestiaire. Début décembre, de Condé, alors âgé de 35 ans, s’entraîne pour la première fois au Dommelhof de Neerpelt. En janvier, il effectue ses débuts sous le maillot d’Overpelt.

Hormis quelques joueurs qui craignent de perdre leur place, tout le groupe soutient son arrivée. Il n’a pas grand-chose à gagner à jouer contre Zwarte Leeuw, Bourg-Léopold et Spouwen-Mopertingen mais on sent qu’il a envie de tout donner.

 » Dimitri était toujours aussi motivé, sans quoi il n’aurait pas opté pour une équipe qui luttait pour le maintien « , raconte son ex-équipier Jan Gielen.  » On avait pris un départ catastrophique – 5 points sur 30 – mais, grâce à Dimitri, on a entamé une solide remontée et assuré le maintien. Il prenait ses responsabilités sur le terrain et l’entraîneur, Michel Kenis, l’autorisait à donner l’échauffement de temps en temps.  »

Le 11 mars, à Lutlommel (0-3), de Condé inscrit son seul but sous le maillot d’Overpelt. Après dix matches, son aventure dans le nord du Limbourg s’arrête de façon abrupte : la direction revient sur sa promesse de prolonger automatiquement son contrat si le club se sauve.

Le gars coûte cher et d’aucuns se demandent s’il tiendra encore toute une saison. Il ne prend donc pas part aux deux derniers matches du championnat. Sans le savoir, il a mis un terme à sa carrière le 16 avril 2011, face à Heusden-Zolder. Après plus de 250 matches de D1, il quitte la scène par la petite porte. Pas de match d’adieu ou d’ovation.

 » Malheureusement, il n’a pas eu droit aux adieux qu’il aurait souhaités « , dit Bart Peeters.  » On aurait pu mieux gérer cette affaire. Je n’étais pas au courant. Je travaille à l’armée et, à l’époque, j’étais parti en Grèce pour une mission de huit semaines. Si j’avais été là, les choses se seraient peut-être passées autrement. En tant que capitaine, j’aurais pu contrecarrer les plans de la direction.  »

Baptême avec les U17

Après deux incidents du même type en six mois, de Condé n’a plus la tête au football. Il faudrait une proposition exceptionnelle pour le ramener à de meilleurs sentiments. Il avait déjà été très déçu huit ans plus tôt lorsque Lommel, le club avec lequel il avait percé en D1, avait été placé en liquidation. Un an auparavant, en 2002, il s’était déjà retrouvé à la rue après la faillite de l’Eendracht Alost. De quoi refroidir sa passion pour le football.

 » Je déconseillerai à mes enfants de devenir sportifs professionnels « , dit-il dans Het Nieuwsblad.  » Les études avant tout car on ne gagne plus beaucoup d’argent avec un ballon. De plus, la mentalité est pourrie et les nombreux étrangers prennent les places de nos jeunes. Mais malgré tout, je continue.  »

L’homme veut devenir entraîneur dans un club de division inférieure. Deux mois après son départ d’Overpelt, diplôme UEFA B en poche, il débarque à la Cristal Arena pour y reprendre les U17. Au départ, il n’a pas tellement envie d’entraîner une bande d’ados mais il ne résiste pas à l’appel de Genk.

Beaucoup de gens constatent qu’il assimile très vite son nouveau job. Il sait ce qu’il se passe dans la tête de ses joueurs et leur explique simplement des consignes tactiques difficiles. Il a aussi l’art d’amener son groupe à évoluer pour atteindre le sommet.

 » Dans le dug-out, il était très calme, il parvenait toujours à se contrôler « , dit Tom Custers, son adjoint de l’époque, qui entraîne aujourd’hui les U15.  » Dans son coaching, il allait droit au but. Il ne criait pas pour crier, même pas à la mi-temps. Il donnait toujours l’impression d’être calme, tout en parvenant à transmettre son énergie aux joueurs. C’était un entraîneur complet. Je me suis toujours dit qu’il pourrait entraîner en D1.  »

A la tête d’une génération dorée

Au cours de sa troisième saison à Genk, de Condé hérite d’une génération dorée avec Leon Bailey, Jordy Ekangamene, Holly Tshimanga, Bryan Heynen, Tyron Ivanof, Nordin Jackers et Dries Wouters. Ils forment l’épine dorsale de l’équipe championne en U16 et se mettent directement en évidence dans la catégorie supérieure.

Dimitri de Condé et Philippe Clement ont tous deux contribué, dans leur domaine, à la bonne saison de Genk.
Dimitri de Condé et Philippe Clement ont tous deux contribué, dans leur domaine, à la bonne saison de Genk.© BELGAIMAGE

Après quelques journées, ils balayent le Standard (6-1) avec, dans le rôle principal, le trio offensif Bailey-Ekangamene-Tshimanga. Mais le noyau est tellement étroit que de Condé est obligé d’aller chercher des joueurs dans une catégorie d’âge inférieure pour avoir assez d’éléments à sa disposition.

 » Lorsque Bailey est parti, on n’avait plus que deux attaquants « , dit Custers.  » Comme on ne pouvait plus jouer en 4-3-3, Dimitri a pensé jouer en 4-4-2 avec un losange rapproché dans l’entrejeu et des flancs très haut. Selon lui, cela permettait de faire beaucoup de choses. Je dois dire qu’il a fait preuve de beaucoup d’imagination.

Pour le reste, sa philosophie n’a pas changé : il fallait faire le jeu, presser haut et déterminer nous-mêmes à quel endroit on allait récupérer le ballon. Cette saison-là, on a dû laisser le titre à Anderlecht mais on développait presque chaque semaine un football de rêve. On n’a jamais été ridicule.  »

Mi-mars 2015, De Condé devient directeur technique. Il a gravi les échelons et connaît le club sous toutes ses coutures. Il sait l’importance du centre de formation et ne rate pratiquement aucun match des Espoirs. On aime le voir à la Jos Vaessen Talent Academy car on peut toujours lui parler et il écoute les questions ou les plaintes des entraîneurs de jeunes.

Ses relations avec les joueurs sont encore meilleures. Il veille à ce qu’ils soient bien dans leur tête et fait des heures supplémentaires afin de régler leurs problèmes familiaux. C’est grâce à lui que Bailey revient à Genk et que Sander Berge reste. Quand un nouveau débarque, il lui montre sur le tableau à quelle place il jouera.

Un détecteur de talents hors-pair

 » J’ai tout de suite senti la confiance de De Condé « , dit un joueur arrivé récemment.  » Je n’oublierai pas ce qu’il m’a dit : On connaît tes qualités et on sait ce que tu vaux. On va tout faire pour que tu réussisses à Genk.  »

Celui qui ne connaît pas De Condé peut penser qu’il est trop correct pour le monde du football.  » Trop gentil ? Je ne crois pas « , dit Peeters.  » Il est toujours aussi calme qu’avant mais ce n’est pas un béni-oui-oui. Il a tenu une filiale et a été représentant dans le commerce de pneus de son père : ça lui a appris beaucoup de choses. C’est là qu’il s’est fait les dents.  »

Mais si De Condé fait la différence par rapport à ses concurrents, c’est surtout parce qu’il a l’oeil pour dénicher des talents purs. Il a tout de suite vu les possibilités de croissance d’un Alejandro Pozuelo ou d’un Ruslan Malinovskyi. Et il a très rapidement suivi Elias Cobbaut, alors inconnu.

Le transfert ne s’est pas fait parce que Peter Maes ne pouvait pas lui garantir une place dans le noyau A après la préparation. À l’été 2018, De Condé est revenu frapper à la porte de Cobbaut car il cherchait un remplaçant à Omar Colley, parti à la Sampdoria, mais le joueur de Malines a préféré aller à Anderlecht.

 » À la fin de l’entretien avec Dimitri de Condé et Philippe Clement, je savais exactement où ils voulaient en venir avec Elias « , dit Alain Denil, agent de Cobbaut.  » Mais j’ai surtout été très agréablement surpris par la réaction de de Condé lorsque nous avons opté pour Anderlecht. Dans le milieu, beaucoup de gens auraient été amers ou fâchés. De Condé a eu la classe de ne jamais se montrer rancunier.  »

Du feeling dans l’affaire Pozuelo

Au cours des dernières années, Genk n’a pas toujours fait preuve de constance : en quatre ans, il a limogé Gunter Jacob, Alex McLeish, Peter Maes, Albert Stuivenberg et Patrick Janssens. Il a aussi perdu son président, Herbert Houben. Le seul élément stable de cette période, c’est de Condé. Mais son association prometteuse avec Janssens et Stuivenberg a échoué.

Ils s’étaient pourtant jurés de rester unis et un scénario existait au cas où les résultats ne suivraient pas. Stuivenberg a déclaré récemment qu’il avait reçu peu de soutien. C’est un fait que Pozuelo et Malinovskyi se sont souvent plaints de lui auprès de de Condé et que quelqu’un devait être sacrifié pour calmer le public.

Dans le vestiaire, on a apprécié l’intervention de de Condé dans l’affaire Pozuelo. Alors que de nombreux collaborateurs du club laissaient libre cours à leurs émotions, le Limbourgeois est resté calme. Il a d’abord défendu le point de vue de la direction, qui voulait que Pozuelo honore son contrat.

Mais il a changé d’avis lorsque le groupe des joueurs lui a fait comprendre que le calme dans le vestiaire ne reviendrait que si Pozuelo partait. Son discours au moment du départ de l’Espagnol a fait sensation.  » De Condé a minimisé l’impact du départ de Pozuelo et il nous a juré qu’il croyait en nos qualités « , dit un joueur ayant assisté au speech.

 » De Condé nous a dit que, contrairement à ce qui était écrit dans les médias, nous n’avions pas besoin de Pozuelo pour atteindre nos objectifs.  »

Graspop Festival

Il y a deux mois, l’ex-entraîneur de Genk Mario Been a recommandé de Condé à Feyenoord, qui cherche un nouveau directeur sportif. Michael Verschueren aurait également songé à lui avant la trêve hivernale pour remplacer LucDevroe. Il y a deux ans, déjà, Herman Van Holsbeeck le voulait.

 » Mais il faudrait déjà que Genk lui fasse un sale coup pour que Dimitri s’en aille « , dit Peeters.  » Quel club belge peut lui offrir une meilleure situation que Genk sur le plan sportif ?  »

Dimitri de Condé a été flatté par l’intérêt d’Anderlecht mais il n’avait pas envie d’aller à Bruxelles.  » J’ai déjà dû changer trop souvent de club lorsque j’étais joueur « , dit il dans Het Belang van Limburg.  » Je suis un casanier, je veux évoluer avec Genk. J’ai du sang bleu et je ne me vois pas travailler dans un autre club belge. Je suis trop supporter de Genk.  »

Pour séduire de Condé, il faut l’inviter au Graspop Festival ou à un show de ses groupes de heavy metal préférés : Life of Agony , Slipknot ou les Danois de Volbeat. Lorsqu’il jouait à Saint-Trond, il a un jour emmené son équipier Peter Delorge à un concert.

À l’époque, déjà, il utilisait son charisme et sa force de conviction pour entrer dans la tête de ses partenaires.

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De Condé – Schoofs, la paire d’as de Genk

Dirk Schoofs, responsable du scouting à la Luminus Arena depuis novembre 2016, est l’un de ceux qui, en coulisses, oeuvrent à la réussite actuelle de Genk. C’est lui qui, avec Dimitri de Condé, s’occupe de la gestion des transferts. Sur les conseils de Schoofs, la cellule de recrutement a subi une refonte en profondeur : le nombre de prospecteurs a été réduit à cinq et une nouvelle base de données a été créée. Schoofs veut à tout prix éviter que les agents s’arrogent trop de pouvoirs au Racing.

Le duo est inséparable et partage d’ailleurs le même bureau au stade. La répartition des tâches est claire : Schoofs épluche, avec son quintette, les plateformes de scouting comme Wyscout et quand un joueur fait l’unanimité, de Condé prend l’avion pour aller le voir sur place.

 » Je me focalise davantage sur les profils défensifs mais nos visions sont tellement similaires que nous sommes souvent sur la même longueur d’onde lorsque nous évaluons un joueur  » observe Dirk Schoofs.  » En tant que chef du département scouting, il est évidemment important qu’il y ait une unité de pensée entre Dimi et moi.  »

Dès que le duo est convaincu de la pertinence d’une acquisition, un rapport est établi et présenté à la commission du club qui valide les transferts.  » Contrairement à ce qui se passe dans d’autres clubs, les décisions concernant les transferts entrants sont, au Racing, du ressort d’un petit comité « , dit Kristof Vandersmissen, agent de Casper De Norre et Dries Wouters.  » Une structure où une seule personne décide de tout peut vite manquer de transparence.  »

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