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Comment Benjamin Nicaise gère la politique sportive du Standard

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

À l’heure de juger le mercato rouche, il est souvent placé sur le banc des accusés sans jamais venir à la barre pour se justifier. À sa manière et loin des projecteurs, Benjamin Nicaise travaille pourtant au renouveau de la gestion sportive du Standard. Passage en revue des dossiers méticuleusement classés de l’ancien gratteur de ballons de Sclessin.

Au commencement, il y a l’argent. Ou plutôt, celui qui n’est plus là. Est-ce cette réalité qui incite Michel Preud’homme à se mettre en retrait? Quelques jours avant une vidéo livrée par le club au sein de laquelle le coach double champion de Belgique annonce qu’il met un terme prématuré à son bail sur le banc liégeois, le président Bruno Venanzi raconte par le même biais que les folies de l’été 2019 ne seront plus d’actualité à Sclessin.

En plus de laisser vacant son siège d’entraîneur, Preud’homme délaisse aussi sa fonction de directeur sportif pour se contenter d’un rôle de conseiller. Il disparaît alors très vite dans l’ombre, malgré un discours interne promettant qu’il sera là pour jouer les paratonnerres au cas où l’orage s’abattrait trop fort sur Philippe Montanier. Pour le revoir régulièrement à Sclessin, il faudra pourtant attendre la nomination d’un Mbaye Leye qu’il adoube, par sa présence, comme « son homme ». Charge à Alexandre Grosjean et Benjamin Nicaise d’assumer en public l’échec automnal d’une décision pourtant collégiale. Histoire de placer des cibles sous l’entonnoir des critiques sur cette saison qui semble tourner au fiasco, Paul-José Mpoku sort le sniper sur Twitter au soir du 3 janvier: « Alex et Benja, arrêtons la mascarade. »

Plutôt qu’un salaire initial très élevé, l’idée du duo Nicaise-Grosjean est de mettre en place une série de primes variables en fonction de prestations bien précises.

Si Alexandre Grosjean se défendra publiquement dans la foulée, déclarant en marge de la présentation de Mbaye Leye ne pas souhaiter commenter « des considérations des Émirats arabes unis sur les réseaux sociaux », Benjamin Nicaise ne réagit pas. Les apparitions du Français face à un micro sont d’ailleurs plutôt rares, depuis qu’il est entré au Standard il y a quatre ans en endossant le costume de team manager. Presque paradoxal, pour celui qui portait avant cela la tenue de consultant pour la RTBF. Et dans un milieu où les protagonistes se bousculent devant les micros en public quand tout va bien, mais dénoncent subtilement en privé quand les choses tournent mal, sa posture le place souvent dans le rôle du coupable idéal.

DE SÁ PINTO À MONTANIER

Parce qu’il n’est pas de ceux qui font la publicité de leur travail, et que rares sont ceux qui sont enclins à la faire pour lui dans un milieu du football où il est plutôt solitaire, il faut laisser traîner les oreilles aux abords de Sclessin ou dans les couloirs de l’Académie pour saisir les missions relevées par Benjamin Nicaise au Standard. « Il était venu vers moi, à l’arrière du plateau de La Tribune, me précisant qu’il souhaitait rejoindre le club parce qu’il avait des projets et des choses à partager », dit à son sujet Alexandre Grosjean, sans doute son meilleur allié professionnel, dans les colonnes de la Dernière Heure.

Benjamin Nicaise et Alexandre Grosjean: un duo dont on dit qu'il aime se détacher du côté mystique de football pour tenter de penser de façon rationnelle.
Benjamin Nicaise et Alexandre Grosjean: un duo dont on dit qu’il aime se détacher du côté mystique de football pour tenter de penser de façon rationnelle.© BELGAIMAGE

D’abord lancé dans la fonction imprécise, donc ingrate de team manager, Nicaise est malmené d’emblée par Ricardo Sá Pinto, qui comprend sa fonction de relais entre le vestiaire et la direction comme celle d’une taupe. Les premiers mois se passent donc à l’écart, jusqu’à ce que les désaccords croissants entre Michel Preud’homme et Olivier Renard ne l’amènent progressivement vers la tête de la cellule de recrutement. Le Français y débarque en plein chantier: le mercato de l’été 2019, mené par Preud’homme, bat déjà son plein, et les méthodes d’Olivier Renard sont celles d’un franc-tireur, capable de viser la bonne cible, mais laissant peu de traces après son passage. Pas aussi bien introduit que son prédécesseur dans le milieu, le nouveau directeur du recrutement organise méthodiquement son département, tout en subissant les rumeurs qui en font un simple homme de paille pour dissimuler la mainmise de Mogi Bayat sur le marché liégeois.

Comme pour prouver l’absurdité de l’accusation, c’est sans passer par le moindre agent qu’il prend contact avec Philippe Montanier, peut-être le premier coup d’envergure à vraiment porter sa griffe dans le ciel rouche. Là aussi, les collaborations passées entre Henri Zambelli (l’agent du coach français) et Mogi laissent pourtant planer la rumeur, mais ce sont les relations de Nicaise au sein du RC Lens qui servent de premier intermédiaire avant une longue batterie d’entretiens avec le Normand. Parce qu’il coche de nombreuses cases, à la fois sportives (il sait organiser une défense et brille sur les phases arrêtées et les reconversions offensives), humaines (il parle français et a les épaules pour succéder à MPH) et financières (il accepte un contrat d’un an, loin des montants perçus par ses prédécesseurs), Montanier est préféré à des profils comme Brian Priske ou René Weiler, impayables et/ou entourés de plus franches incertitudes.

PAS DE BLÉ POUR L’ÉTÉ

Surtout, Montanier accepte la réalité d’un club qui doit faire des économies. L’une des missions prioritaires confiées à Benjamin Nicaise par sa direction est ainsi de diminuer la masse salariale du club, chiffrée à 38,9 millions d’euros au bilan du 30 juin dernier. L’heure est à l’épargne, et lui-même, directeur du recrutement désormais chargé de la direction sportive, en est finalement l’exemple. Un peu comme quand Patrick Asselman devient le T2 de Mbaye Leye tout en restant analyste vidéo, tout est bon pour faire des économies. Le premier grand marché de Nicaise se fera donc sans argent, et sans un ample réseau comme celui qu’ont pu tisser au fil des ans ou des relations internationales la plupart de ses concurrents.

Le premier coup d’envergure à vraiment porter la griffe Nicaise? C’est sans passer par le moindre agent qu’il prend contact avec Philippe Montanier.

Quelques mois plus tard, difficile de tirer un bilan positif d’un été qui a vu débarquer en Principauté Laurent Jans, Eddy Sylvestre et Jackson Muleka. Souvent raillé, le Luxembourgeois facture un but et trois passes décisives, mais n’a pas l’étoffe d’un titulaire. Sylvestre n’a rien coûté, mais rien rapporté non plus. Quant à Muleka, il n’a pas encore le rendement attendu malgré quelques buts, mais son adaptation au football européen peut prendre du temps et est compensée par l’arrivée en prêt de João Klauss cet hiver. Prêté pour dix-huit mois, avec une option d’achat plutôt élevée (on parle de six millions), le Brésilien avait déjà été conseillé par Renard dans la foulée de sa saison prolifique à Helsinki, sans succès. Quelques mercatos plus tard, Klauss a cette fois débarqué en Principauté.

Lors de la nomination de Nicaise au poste de directeur du recrutement, certains ne voyaient en lui que l'homme de paille de Mogi Bayat.
Lors de la nomination de Nicaise au poste de directeur du recrutement, certains ne voyaient en lui que l’homme de paille de Mogi Bayat.© BELGAIMAGE

Finalement, le marché majeur est sans doute interne. « Lorsque j’étais en charge du recrutement, il y a un peu plus d’un an, j’ai pris le temps de me poser la question de savoir pourquoi il y avait si peu de jeunes issus du centre de formation au sein de l’équipe première », explique ainsi Benjamin Nicaise en marge du déplacement européen à Lisbonne, au bout du mois d’octobre, lors de l’une de ses rares apparitions médiatiques. « Ensuite, on a réalisé un audit et on s’aperçoit qu’il y en a qui ont de la qualité. À partir de janvier, on en a sélectionné cinq à qui on a fait passer comme un test à l’embauche, comme si c’était des nouveaux joueurs. » Un an après le coup d’envoi du casting, le Standard affiche la sixième moyenne d’âge la plus basse de l’élite sur les pelouses belges, et la valeur cumulée de Nicolas Raskin, Michel-Ange Balikwisha, Abdoul Tapsoba, Damjan Pavlovic et Hugo Siquet avoisine désormais les dix millions d’euros selon Transfermarkt. Là aussi, si la politique du jeunisme semble avoir été dictée par les circonstances financières, cela faisait malgré tout une dizaine d’années que le club ne s’était pas tourné avec autant de confiance vers son Académie.

DU FIXE AUX PRIMES

En tant qu’ancien de la maison, même s’il n’a été qu’un second rôle dans la grande histoire du dernier Standard champion de Belgique, Benjamin Nicaise n’est pas étranger aux signes distinctifs de l’identité rouche. L’avis n’est pas partagé par certains anciens, qui lui reprochent d’être à la base de départs de vieilles gloires locales dont le niveau sportif n’était plus à la hauteur des émoluments salariaux. Il faut dire que sur le plan de la gestion de la masse salariale, le Français ne déroge pas à une ligne de conduite qui l’a souvent amené à bouleverser les habitudes du milieu.

« À partir du moment où un joueur coûte plus que ce qu’il rapporte, cela pose un problème. Avec Benjamin Nicaise, on a mis en place une méthodologie de travail qui est plus basée sur des facts and figures« , confirme Alexandre Grosjean dans les colonnes de la Dernière Heure. Concrètement, plutôt qu’un salaire initial très élevé, l’idée du duo est de mettre en place toute une série de primes variables en fonction de prestations bien précises. Dans les travées de Sclessin, on parle ainsi de primes supérieures si une victoire est acquise à l’extérieur, de la possibilité de récompenser toute l’équipe pour une clean sheet, ou de considérer qu’un point acquis à domicile contre une équipe de deuxième partie de tableau, avec le soutien d’un public réputé pour porter ses troupes, ne mérite pas de recevoir la prime habituellement prévue pour les matches nuls.

La formule, qui porte notamment ses fruits à Charleroi depuis plusieurs saisons, se rapproche de la logique des bonus à la performance qui sont courants dans le monde de l’entreprise. Pas étonnant pour un binôme dont on dit, à Liège, qu’il aime se détacher du côté mystique du football et des croyances véhiculées par le milieu pour tenter de penser de façon rationnelle. Une approche applaudie par certains, décriée par d’autres, qui considèrent alors que le manque de connaisseurs habitués aux rouages du monde du ballon rond devient le talon d’Achille des nouvelles idées rouches.

STANDARD EN CHANTIER

En même temps qu’il a confié sa destinée sportive à Benjamin Nicaise, le Standard est entré dans une nouvelle ère. Celle d’une période financière de vaches maigres, dont le directeur sportif français a hérité suite aux excès de son prédécesseur.

À court de moyens suite aux achats de l’été 2019 qui ont fait s’envoler le trésor de guerre constitué suite aux ventes de Razvan Marin, Moussa Djenepo et Christian Luyindama, Benjamin Nicaise avait le choix entre deux voies: recycler de vieilles histoires, en ramenant au bercail d’anciens Rouches qui connaissent la maison et ses exigences, ou promouvoir les jeunes de l’Académie pour qu’ils en écrivent de nouvelles. Actuellement, le Standard semble se diriger vers cette seconde option, forcément périlleuse à court terme au niveau des résultats. D’autant plus quand les rares recrues ne sont pas, à l’exception de João Klauss, de véritables renforts.

Sur la durée, par contre, le plan est ambitieux. Car en plaçant parfois cinq jeunes issus de l’Académie de concert sur la pelouse, le message ne s’adresse pas seulement à eux, mais aussi aux générations qui suivent, convoitées de plus en plus tôt par les sirènes de l’étranger. Les observateurs des catégories d’âge prédisent au Standard des lendemains radieux. Le tout est aussi de veiller à ce que le présent ne vire pas trop à l’orage. Avec cette question: pour se protéger d’une tempête, mieux vaut-il s’abriter derrière un réseau d’hommes de confiance, ou se couvrir d’une solide pile de dossiers?

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