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Comment Bastien s’est imposé au Standard

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le Namurois s’est installé comme pion incontournable dans le dispositif de Michel Preud’homme. Tout cela n’a rien d’étonnant, voici pourquoi.

« Il a été énorme.  » Quatre mots courts de Michel Preud’homme pour commenter la prestation de Samuel Bastien contre Eupen. En face, c’était un nain, mais Bastien est régulièrement énorme depuis le début de la saison. Le gamin est clairement entré dans une autre dimension. Son temps de jeu en championnat est peut-être le meilleur révélateur : 99,5 % !

Au Standard, aucun autre joueur de champ ne fait aussi bien. Il en est déjà à presque deux tiers de son temps de jeu total de la saison passée, quand il avait accumulé une douzaine de matches complets sur le banc et quelques montées au jeu pour quelques minutes. À côté de rencontres pour lesquelles il n’était même pas dans le groupe.

La métamorphose de Samuel Bastien porte un nom : Razvan Marin. Aujourd’hui, on peut conclure que le Roumain a freiné son évolution. Il était tellement bon qu’il était chaque semaine sur le terrain. À côté de lui, comme autre pare-chocs devant la défense, c’était souvent Gojko Cimirot. Un duo fort.

 » Quand Michel Preud’homme a essayé d’associer Marin, Cimirot et Bastien, c’était compliqué « , se souvient Jean-François Remy qui connaît très bien Bastien vu sa position d’entraîneur adjoint des Espoirs. Ils étaient ensemble au Championnat d’Europe en Italie l’été dernier. Aujourd’hui c’est fini pour le Namurois, il a atteint la limite d’âge.

 » C’était compliqué parce que dans ce triangle, il fallait qu’un des trois joueurs occupe une position plus avancée, plus proche d’un rôle de numéro 10. Mais aucun des trois n’a vraiment le profil.  »

Et pourtant… À Anderlecht, Samuel Bastien était un jeune très en vue. Un pilier de l’équipe qui a disputé deux éditions de la Youth League. Il était le grand pote de Dodi Lukebakio, Andy Kawaya et Aaron Leya Iseka. Coéquipier, aussi, de Mile Svilar, Wout Faes, Stéphane Omeonga et Leander Dendoncker. Presque toute cette génération a réussi à se faire une place en vue chez les pros mais ça a été tortueux pour presque tout le monde.

Les Espoirs l’ont remis dans le bon fauteuil.  » Jean-François Remy, adjoint de Johan Walem

 » Il n’a jamais aimé l’Italie  »

Pour revenir au profil footballistique de Bastien, il apparaît qu’il n’a pas toujours affiché uniquement des qualités de médian défensif. Mohamed Ouahbi, qui l’a eu sous ses ordres en U17 et en U21 à Anderlecht, qui l’a coaché en Youth League, se souvient par exemple d’un match européen à Arsenal :  » Lukebakio, Kawaya et Leya Iseka étaient absents. Alors, j’ai lancé Bastien en numéro 10. Il a été étincelant. Il avait toujours joué en 10 avant de venir à Anderlecht, mais j’avais tellement de bons joueurs pour jouer là en U17 que je l’avais transformé en ailier. Il avait une polyvalence que mes autres numéros 10 n’avaient pas.  »

L'ex-Anderlechtois a attendu patiemment son heure à Sclessin.
L’ex-Anderlechtois a attendu patiemment son heure à Sclessin.© BELGAIMAGE

Plus tard, au moment où il était susceptible d’entrer en équipe Première, il a dû se coltiner une autre concurrence XXL dans la zone des médians défensifs : Guillaume Gillet, Steven Defour, Leander Dendoncker, Youri Tielemans. Rien que ça. Barré en pion plus avancé, barré un peu plus en retrait, c’est une partie de l’explication du départ précoce de Samuel Bastien en Italie, à Avellino puis au Chievo Vérone.

 » Pour apprendre la rigueur tactique, l’Italie est une formidable école « , poursuit Jean-François Remy.  » Là-bas, il a aussi appris les entraînements de haut niveau et la culture de la gagne. C’est toujours mieux quand tu sais t’imposer en Belgique puis partir à l’étranger une fois que tu as acquis un haut niveau. Lui, il a fait un autre choix, peut-être obligé par les circonstances, et on voit aujourd’hui que ça marche aussi.  »

Mais trois années dans le Calcio, c’était bien suffisant pour lui.  » Il n’a jamais aimé l’Italie « , explique aujourd’hui son ex-agent, qui l’a amené en Italie puis rapatrié au Standard.  » Il n’a jamais vraiment accroché. Le football de ce pays a peut-être trop de contraintes tactiques pour le genre de joueur qu’il est, c’est trop fermé. Il préfère quand c’est plus spontané.  »

Il voulait quitter Vérone pour plusieurs raisons. Parce que ce n’est pas une région où le foot est une religion, parce que c’est un coin d’Italie où on n’épargne pas les gens de couleur, parce que la concurrence était parfois très dure à vivre, et donc aussi parce qu’il s’est rarement éclaté sur le terrain avec le Chievo, systématiquement condamné à ferrailler pour le maintien.

 » On lui demandait d’être patient  »

Lors d’une rencontre là-bas, quelques semaines avant de rentrer en Belgique, il nous avait confié son désarroi sur le plan du jeu :  » À Avellino, j’avais un rôle offensif assez libre. Plus question de ça ici. L’entraîneur me voyait dans un rôle beaucoup plus défensif. Je suis devenu un box-to-box mais je suis plus souvent près du box de derrière, si tu vois ce que je veux dire… Plus généralement, le jeu du Chievo est fort critiqué, les gens disent que ce n’est pas beau à voir, qu’on a une équipe très nulle. On court beaucoup et on n’a pas beaucoup le ballon.  »

Samuel Bastien est aujourd’hui à un tournant de sa vie. Il est occupé à vivre un moment dont il a longtemps rêvé. Percer avec le maillot du Standard. Un club qui n’a plus voulu de lui quand il était ado. Mais il est resté amoureux quand même. Quand il jouait les premiers rôles en Youth League avec Anderlecht et pouvait donc avoir bon espoir d’intégrer l’équipe Première, il continuait à dire à des coéquipiers que sa maison était à Sclessin, pas à Anderlecht.

Le Standard a fait des pieds et des mains pour le rapatrier durant l’été 2018.  » Le principal déclencheur de son retour, ce n’est pas Michel Preud’homme « , nous dit son agent de l’époque.  » Ce n’est pas non plus Emilio Ferrera. Ce n’est pas Bruno Venanzi. Mais c’est Olivier Renard, qui avait déjà tout fait pour le ramener en janvier de l’année dernière. Renard a par exemple réussi à convaincre Venanzi de l’accompagner à Louvain pour un match d’Espoirs dans lequel Bastien a été le meilleur homme sur le terrain.

Preud’homme savait ce qu’il faisait, il y a un peu plus d’un an. En disposant de Marin et Cimirot, il se doutait qu’il y aurait peu de temps de jeu pour Bastien. Mais à Liège, on s’attendait à un départ rapide du Roumain. Donc, Bastien a été transféré en prévision de cette saison. Il a calmement appris le boulot durant un an. Il a parfois mal vécu cette position de cinquième roue du carrosse. Sans jamais élever la voix ou manifester de la mauvaise humeur parce qu’il y a unanimité là-dessus : il a reçu la bonne éducation et il est plus timide qu’extraverti.

 » Ce n’est pas le genre de gars à se mettre en avant dans le groupe « , lâche Johan Walem.  » Quand il avait tendance à s’énerver un peu à cause de son temps de jeu très limité, on lui répétait d’être patient, on lui expliquait encore et encore qu’il était prédisposé à prendre la place de Marin quelques mois plus tard « , dit son agent de l’époque.

 » Il a bien travaillé pour être prêt  »

MPH a confirmé le planning dans la presse quotidienne :  » On l’a préparé la saison dernière, malgré ça il a joué plusieurs matches. Il a bien travaillé pour être prêt. Pendant l’été, tout le monde s’est étonné qu’on ne recrute pas un joueur dans ce secteur. Mais on savait que Bastien serait prêt. Et il y a aussi Merveille Bokadi.  »

Le Congolais était la première option quand le coach voulait faire souffler Cimirot ou Bastien. Jusqu’à sa grave blessure il y a quelques jours : on ne devrait plus le voir sur un terrain cette saison.

Jean-François Remy a lui aussi côtoyé un gamin qui était un peu dans le dur, en cours de saison passée. Puis, il l’a vu retrouver le moral en fin de saison.  » L’approche du Championnat d’Europe lui a rendu de la confiance, il était heureux de participer à un tournoi pareil. Au moment où notre préparation a commencé, il était très bien dans sa tête. Il avait été un acteur important de notre qualification, notamment en sortant l’un ou l’autre très gros match en fin de campagne, et ça le mettait en confiance. Pendant le tournoi, je dirais qu’il a été à l’image de l’équipe, il est monté en puissance au fil des matches. Je pense que notre équipe l’a remis dans la bonne dynamique, dans le bon fauteuil.  »

Et l’adjoint de Johan Walem a vu retourner un Sclessin un Samuel Bastien qui avait définitivement la pêche.  » Voir que le Standard ne faisait venir personne pour remplacer Razvan Marin, ça l’a boosté. Et puis ils ont cherché un vrai numéro 10, et ils l’ont trouvé avec Selim Amallah. Ce transfert clarifiait encore un peu mieux les choses. Il y a Cimirot et Bastien pour faire le travail défensif dans l’entrejeu, et il y a Amallah et d’autres pour jouer devant.

Bastien sait qu’il ne doit plus se préoccuper d’une éventuelle reconversion en 10, il peut se concentrer sur autre chose. Et c’est clairement ce qu’il fait de mieux. La saison dernière, je voyais qu’il n’était pas bien, qu’il n’avait pas les bonnes sensations quand il devait jouer dos au but. Il a besoin d’avoir le jeu devant lui, il est super efficace quand il s’agit de défendre vers l’avant, de faire une passe verticale et d’accompagner l’action. Je vois aussi qu’il est très affûté physiquement.  » Le T2 des Espoirs ne peut s’empêcher d’embrayer sur cette réflexion :  » Un jeune joueur belge talentueux devrait quand même pouvoir exister à Anderlecht…  »

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