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Comment Arnaud Bodart est devenu numéro 1 du Standard? Voici son histoire

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Sortir un gardien du centre de formation et le faire jouer en équipe Première : le Standard y est enfin parvenu. Histoire de l’ascension d’Arnaud Bodart, le gamin qu’on voit chaque week-end dans les cages de Sclessin, racontée par ceux qui l’ont amené là.

La scène se passe en 1998. André Duchêne, patron du Standard en duo avec Jean Wauters, donne une interview destinée au livre officiel du centenaire du club. Dans cet entretien accordé à Pierre Bilic, il évoque notamment la formation et les joueurs locaux.  » Le Standard doit montrer l’exemple en tant que porte-drapeau de la région.  » S’il avait su…

Cette année-là, sa fille Cécile, mariée à Vincent Bodart, met au monde un petit Arnaud. Si André Duchêne avait su que, 21 ans plus tard, son petit-fils serait le premier gardien du cru à s’imposer en équipe pro depuis l’éclosion de Gilbert Bodart, frère de Vincent. Gardien de but, c’est une fatalité dans la famille. Leur père, Jean, a fait une sacrée carrière dans les cages de Tilleur et du FC Liège. Gilbert est né pendant que son père jouait un match avec Tilleur. Et Jean est décédé pendant que Gilbert coachait un match de Tilleur…

Il a énormément souffert de sa relative petite taille et ça a plusieurs fois failli provoquer son départ forcé du Standard.  » Jean-François Lecomte, son préparateur des U15 aux U19

Philippe Vande Walle, dont on va comprendre toute l’importance dans la trajectoire d’Arnaud, se souvient de scènes d’entraînement.  » Au début, je l’appelais Gilbert, pour le chambrer. Mais j’ai vite compris que ça ne l’amusait pas trop. Je sentais bien qu’il n’était pas super fan… Je ne pense pas qu’ils vont en vacances ensemble… Il préférait clairement ne pas être associé. À la limite, s’il s’était appelé Dupont au lieu de Bodart, ça l’aurait bien arrangé.  » Tout ça parce que c’est zéro contact entre l’ancien héros de Sclessin et le nouveau titulaire dans le but rouche. Et ça peut se comprendre. Autant Gilbert est bling-bling et dérape, autant Arnaud est sobre et discret.

Son père travaille pour Marc Coucke

 » Je vais te résumer les choses comme ça : c’est un gars que n’importe quel entraîneur a envie d’entraîner.  » Ça sort de la bouche de José Jeunechamps. Il n’est pas dans le grand livre des coaches historiques du Standard, mais pendant son court passage en fin de saison 2016-2017, après le C4 remis à Aleksandar Jankovic, il a été le premier à donner une chance à Arnaud Bodart en D1. Dans deux bêtes matches de play-offs II, les derniers de la saison. Jeunechamps s’épanche donc sur la personnalité du gamin :  » Il est posé, équilibré, et puis il a la chance d’avoir un entourage très sain. Des parents qui ne lui montent pas la tête, un agent sensé. C’est un point commun qu’il partage avec deux autres jeunes du Standard : Zinho Vanheusden et Dimitri Lavalée. Ils n’ont pas tout à fait le profil des jeunes footballeurs d’aujourd’hui.  »

Vincent Bodart a été réserviste de son frère Gilbert au Standard à la fin des années 80 mais n’est jamais apparu dans un match de D1. Aujourd’hui, il bosse comme greenkeeper au golf de Durbuy et son employeur est… Marc Coucke. Affilier son fils chez les Rouches était une évidence. Arnaud y est arrivé dès l’âge de 8 ans. Mais tout n’a pas toujours été simple.

 » Il a énormément souffert de sa relative petite taille et ça a plusieurs fois failli provoquer son départ forcé du club « , se souvient Jean-François Lecomte. Pour les plus jeunes : ancien gardien de Liège, Saint-Trond, Charleroi et La Louvière. Il a aujourd’hui sa propre académie, liée au club de Juprelle. Il a joué un rôle clé dans la formation d’Arnaud Bodart en étant son entraîneur spécifique des U15 jusqu’aux U19.  » À l’époque, on parlait beaucoup du fameux critère de la taille. Comme si tous les gardiens de but devaient nécessairement être aussi grands que Thibaut Courtois. Le Standard faisait pratiquer une radio du poignet de ses jeunes pour connaître leur taille à l’âge adulte. Et donc Arnaud Bodart n’avait pas, entre guillemets, le bon profil. Il ne vivait pas bien ce problème physique, il avait en permanence l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de lui.  »

Avec 15 buts concédés, Arnaud Bodart fait partie des gardiens les plus performants de D1A.
Avec 15 buts concédés, Arnaud Bodart fait partie des gardiens les plus performants de D1A.© BELGAIMAGE

Aux évaluations d’hiver et de fin de saison, il y avait toujours des anti-Bodart. Chaque fois, Christophe Dessy et Jean-François Lecomte ont fait le forcing pour qu’il soit conservé.  » Personne ne pouvait contester qu’au niveau technique, il était la référence « , continue Lecomte.  » Et il montrait une intelligence tactique au-dessus de la moyenne. En plus, il travaillait comme un fou.  » Mais il y avait, dans le même noyau, trois gardiens prometteurs. Ça ne lui facilitait pas la tâche. Il devait se farcir la concurrence d’Antoine Lejoly (aujourd’hui au Beerschot) et de Lucas Alfieri (FC Liège). Sa période en U19 est particulièrement compliquée.

Au début, je l’appelais Gilbert, pour le chambrer. Mais j’ai vite compris que ça ne l’amusait pas trop. Je sentais bien qu’il n’était pas super fan…  » Philippe Vande Walle

 » Un autre gardien a reçu un petit contrat, lui pas « , se souvient Lecomte.  » Un jour, sa maman est venue nous voir, Christophe Dessy et moi. Elle n’était pas vraiment contente, si tu vois ce que je veux dire… Il y a deux choses qu’elle n’acceptait pas : le temps de jeu d’Arnaud et le fait qu’il ne gagne pas d’argent alors que le club en avait pour d’autres. On lui a expliqué calmement qu’il était à environ 50 % de temps de jeu, c’était déjà pas mal. Et on a enchaîné en lui expliquant que le fait d’être sous contrat n’était pas du tout une garantie d’être dans le but le week-end. On faisait nos choix en âme et conscience, on voulait toujours faire jouer celui qui nous semblait le meilleur sur le moment même, on ne donnait pas de privilèges, contrat ou pas. Et pour terminer, on lui a dit que si son fils était toujours au Standard, c’était surtout grâce à Christophe Dessy et moi, parce qu’il y avait suffisamment de gens dans le club qui ne croyaient pas en lui et auraient voulu le faire partir depuis un bon moment. Tous ces doutes et l’éternelle question de sa taille et de son gabarit, ça l’a endurci.  »

Les douilles de Vande Walle

À la même époque, Philippe Vande Walle entraîne les gardiens de l’équipe Première. Mais pas que.  » Je m’intéressais aussi à ce qu’il y avait derrière, j’allais voir des entraînements et des matches des jeunes. Un jour, en voyant Arnaud Bodart, j’ai voulu en savoir plus sur lui parce que je trouvais qu’il avait quelque chose. On m’a répondu que ce n’était pas vraiment un gars sur qui le Standard comptait. Il était trop petit, trop frêle, trop ci, trop ça. Clairement, il n’y avait pas beaucoup de commentaires positifs. Mais il y a beaucoup de choses que tu peux améliorer en bossant. Tu peux faire ce que tu veux, tu ne feras jamais 2 mètres si la nature a décidé que tu ferais 20 centimètres de moins. Par contre, tu peux prendre du muscle et t’élargir si tu travailles. Il était à un âge où on peut encore transformer son corps. J’ai proposé à Jankovic de le prendre en stage au mois de janvier à Marbella. Après ça, il n’a plus jamais quitté le noyau. Je ne l’épargnais pas, je lui faisais faire des entraînements de fou. Il savait à quoi il devait s’attendre quand je lui disais : Aujourd’hui, on se met une douille. C’était une fois par semaine, on allait au bout des choses ! Il mordait, il ne posait pas de questions, il en voulait.  »

Et c’est à la fin de cette saison-là qu’il fait ses débuts en D1. Quelques heures après avoir signé son premier contrat professionnel.  » Nos deux derniers matches de play-offs II étaient à Beveren et contre le Lierse. On n’avait plus grand-chose à gagner ou à perdre. J’ai dit à José Jeunechamps que ce serait bien de lancer Arnaud Bodart. Je l’ai tapé dans le goal, en fait… C’était Jean-François Gillet qui faisait les frais de l’affaire, mais quand je lui ai dit que j’avais envie de voir ce que le gamin avait dans le ventre, il m’a rassuré : Pas de problème. Dans ces deux matches-là, Bodart n’a pas dû faire de miracles, mais tout ce qu’il a fait, il l’a bien fait.  » À Beveren, le tout premier but pro qu’il a encaissé a été marqué par Zinho Gano, avec qui il était devenu pote parce qu’ils ont le même agent.

 » Pour lui, être gardien de but professionnel, ce n’est pas faire un métier du spectacle « , avance Philippe Vande Walle.© BELGAIMAGE

 » Le contexte était favorable, vu le peu d’enjeu « , se souvient José Jeunechamps.  » On n’était pas trop bien à ce moment-là, il ne pouvait pas nous arriver grand-chose de pire. Personne n’aurait crié au scandale si notre gardien était passé à côté de son match. Pour lui, c’était zéro pression, finalement. Ça n’a rien à voir avec le contexte d’aujourd’hui. On a un Standard qui joue la tête du classement et qui doit prester en Europa League. Il y a la pression du poste, parce que c’est le rôle le plus compliqué dans l’équipe. Il y a aussi la pression du club, du blason. Et la pression des supporters. On voit qu’à 21 ans, Arnaud Bodart gère ça très bien. Je ne suis pas surpris par son bon niveau de jeu. S’il y a quelque chose qui m’étonne dans son parcours, c’est la façon dont il arrive à mettre ses émotions de côté.  » Probablement parce qu’il a  » la boule bien sur les épaules « , copyright Philippe Vande Walle.

S’il y a quelque chose qui m’étonne dans son parcours, c’est la façon dont il arrive à mettre ses émotions de côté.  » José Jeunechamps, le coach qui l’a lancé en D1

Sa Pinto n’a pas osé

Pour confirmer qu’il n’a finalement pas grand-chose à voir avec son oncle, Arnaud Bodart fait dans la sobriété aussi bien sur le terrain qu’en dehors.  » Il cherche plus l’efficacité que le beau geste ou la parade pour la photo « , poursuit José Jeunechamps.  » Pour lui, être gardien de but professionnel, ce n’est pas faire un métier du spectacle.  » Vande Walle dit la même chose avec d’autres mots…  » Il est classique et raisonné, comme joueur de foot et comme homme dans la vie. Il ne va pas faire des trucs inutiles, il ne va pas prendre des risques si ça n’en vaut pas la peine, il laisse l’élément show sur le côté.  »

 » Je ne me souviens pas qu’il ait abordé une seule fois, avec moi, le passé de sa famille au Standard « , signale Jean-François Lecomte.  » Il se considérait comme un enfant du club, pas comme le neveu de Gilbert Bodart. On avait un but bien précis : sortir un gardien du centre de formation et le faire jouer en équipe Première. Le Standard n’a pas réussi à faire ça pendant des dizaines d’années. Il y a eu plusieurs joueurs de champ qui ont éclaté, mais ça ne marchait pas avec les gardiens.  »

Après ses deux matches de PO2 dans la lumière, Arnaud Bodart a dû retourner dans l’ombre. Pendant deux ans, il ne s’est plus produit en match officiel avec l’équipe pro. Mais au lieu de râler derrière Memo Ochoa, il a pris tout ce qu’il pouvait prendre du Mexicain. Ils étaient grands potes, ils le sont restés et continuent à communiquer, séparés par des milliers de kilomètres. Idem pour Jean-François Gillet, avec lequel la relation est excellente malgré l’écart de génération.  » Bodart aurait pu perdre patience, beaucoup de jeunes seraient tombés dans le piège « , tranche Jeunechamps.  » Mais non, il a continué à bosser et à apprendre pour être prêt quand on allait l’appeler.  » Philippe Vande Walle :  » Des gens vont être surpris si je dis qu’il aurait pu jouer à la place d’Ochoa. Parce qu’on garde en mémoire la deuxième saison d’Ochoa, dans la foulée de ses bons play-offs de la première saison. Mais il faut se souvenir qu’avant ça, pendant ses premiers mois au Standard, le gars n’était pas spécialement brillant. Il alternait les hauts et les bas. Donc, moi j’ai été surpris que Ricardo Sa Pinto n’essaie pas Bodart dans le but à des moments où Ochoa était moins bien. Ou alors il pouvait remettre Jean-François Gillet dans l’équipe.  »

Façonné comme un gardien moderne

On en arrive à ce fameux été 2019. Ochoa est rentré au pays. Gillet vit tranquillement sa dernière saison de joueur. Michel Preud’homme et son staff misent sur Vanja Milinkovic-Savic. Les derniers matches de préparation sont capitaux pour Arnaud Bodart. Et encore plus le tout dernier, le match de gala contre Nice. Preud’homme a prévu de l’aligner pendant tout le match. Mais à la mi-temps, il le prend à part :  » OK, j’en ai assez vu, tu peux te rhabiller.  » Traduction : le gamin sera titulaire pour le premier match de championnat.  » Quand je vois qu’on a fait jouer Milinkovic-Savic en Coupe d’Europe alors qu’il y a encore Gillet derrière, je me pose des questions « , continue Vande Walle.

Le Serbe devait jouer les rencontres de Coupe de Belgique et d’Europa League. Il a dû déclarer forfait pour le match contre Lommel, puis il a refait le coup avant la visite de Francfort. Comme pour offrir encore un peu plus de temps de jeu à Bodart. On entend dans les couloirs de Sclessin que la blessure de Milinkovic-Savic avant Francfort avait tous les contours d’un bobo diplomatique.  » Il a senti l’oignon, il a compris que Preud’homme allait plutôt faire confiance à Bodart, alors il a simulé une petite blessure. Pour ne pas perdre la face.  »

En ayant seulement 21 ans, Arnaud Bodart a grandi avec la génération de gardiens de but qui ont été obligés d’apprendre le jeu au pied.  » C’est un avantage « , signale Philippe Vande Walle.  » Le métier a fort évolué depuis six ou sept ans. Avant, on attendait d’un gardien qui soit bon sur sa ligne, qu’il ait une bonne détente, qu’il soit éventuellement bon dans ses sorties. Dany Verlinden était très bon sur sa ligne, moins dans le trafic aérien. Filip De Wilde maîtrisait bien le trafic aérien mais pas trop le jeu au pied. Ça ne les empêchait pas d’être considérés comme des très bons gardiens de but. Aujourd’hui, tu dois être complet. Tu dois avoir une bonne note dans tous les aspects classiques du métier, mais tu es aussi obligé d’être bon dans le jeu au pied. Sans ça, tu n’as plus aucune chance de faire une grande carrière. Le dégagement long disparaît de plus en plus, le dégagement au petit rectangle a aussi tendance à disparaître. Les gardiens sont devenus des joueurs de champ, ils doivent être aussi bons que leurs coéquipiers dans le jeu au pied et la lecture du match, si pas meilleurs. Ils doivent être des passeurs, des relanceurs, des décideurs. Arnaud Bodart a reçu une formation poussée là-dedans et ça se voit. Il a été élevé, façonné comme un gardien moderne.  »

Comment Arnaud Bodart est devenu numéro 1 du Standard? Voici son histoire

Ses petits secrets

PAS TOUS AU STADE

La maman d’Arnaud Bodart voit la plupart de ses matches au stade, elle est accompagnée de la petite amie du gardien, Anaïs. Son papa regarde certains matches à la télé.

FIDÉLITÉ

Arnaud Bodart a le même agent depuis cinq ans. Un agent qui fait partie du bureau gérant la carrière de Kevin De Bruyne notamment.

JACQUEMART

Matteo Jacquemart est un des meilleurs potes d’Arnaud Bodart dans le monde du foot. Il a suivi une partie de sa formation au Standard et il est aujourd’hui à Tilleur. Il est aussi le fils de Frédéric Jacquemart, qu’on a connu au Sporting de Charleroi dans les années 90.

HOMME À TOUT FAIRE

Arnaud Bodart, malgré son nouveau statut de titulaire, conserve une vieille habitude, après les entraînements : il ramasse les cônes et les ballons.

ESPOIR

Arnaud Bodart est dans le noyau des Espoirs de Johan Walem. Il était déjà sur la liste élargie pour l’EURO de l’été dernier, comme quatrième gardien et réserviste.

RAMASSEUR DE BALLES

Arnaud Bodart était ramasseur de balles derrière un but de Sclessin quand Sinan Bolat a marqué son but de la tête contre l’AZ en Ligue des Champions en 2009.

PSY

Arnaud Bodart est un des patients les plus assidus de Rudy Heylen, le coach mental mis à disposition des joueurs du Standard.

TENNIS

Le tennis est un des hobbies favoris d’Arnaud Bodart. Une passion qu’il partage avec une bonne partie de la génération 98 qu’il a côtoyée durant sa formation.

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