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Comment Anderlecht veut retrouver le sommet

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Toujours irréguliers sur le terrain, les Mauves semblent avoir trouvé leur voie dans les bureaux. Un atout indispensable pour à nouveau gravir les sommets, parce qu’un parcours bien balisé est la meilleure façon de ne pas se perdre en chemin.

Les mines sont basses. Les regards tournés vers la pelouse, comme s’ils cherchaient à fuir le double mètre d’un Zinho Gano dont les déviations et le but ont scellé le sort d’une défaite inattendue. Pour la première fois de la saison, Anderlecht quitte son Lotto Park sans le moindre point supplémentaire au compteur. La course au top 4 fait du surplace. Face aux micros, Vincent Kompany semble pourtant moins dérangé par le résultat que par la manière. « Perdre 0-2 contre Courtrai, c’est toujours un problème pour Anderlecht. Mais il y a différentes manières de perdre 0-2. Si on perd, on doit perdre avec notre identité. »

Lors de son retour à Bruxelles, on racontait que Kompany avait été époustouflé par la qualité des joyaux de Neerpede, surestimant leur capacité à dominer la Pro League.

Dans les couloirs de Neerpede, où son futur de coach de haut niveau fait l’unanimité selon les échos qui résonnent dans différents bureaux, Kompany aime répéter l’un de ses mantras:  » Don’t believe the hype, don’t believe the drama. » En résumé, The Prince trace sa route footballistique en fixant la ligne d’horizon, sans verser dans une euphorie démesurée à la moindre victoire de renom, ou sombrer dans une déprime excessive les soirs de défaite.

Si le terme process est aujourd’hui banni de ses discours, parce qu’il a trop été tourné en dérision par les rivaux, et même par les fans mauves, Anderlecht continue à envisager son retour vers les sommets en balisant soigneusement son parcours vers les cimes. Parce qu’avant de commencer à sprinter, il faut savoir dans quelle direction marcher.

TROUVER LA DIRECTION

Quand il enfile son costume de CEO, aujourd’hui abandonné au profit de Jos Donvil, le très rigoureux Karel Van Eetvelt pose rapidement un diagnostic, partagé dans les colonnes du Soir au bout du printemps: « J’ai directement constaté qu’il manquait un leader. Il y avait plusieurs décideurs, mais on ne savait pas vraiment qui décidait. » En coulisses, alors que la saison connaît une fin prématurée, Anderlecht poursuit son renouveau en articulant son plan RSCA 2020-2025, et s’offre une vision à long terme. Presque une nouveauté du côté mauve de la capitale, là où on aime raconter en coulisses que les Purple Talents – lancés en 2007 par Peter Smeets, aujourd’hui conseiller de Youri Tielemans – étaient le dernier projet mis sur orbite par un club aveuglé dans son progrès par l’habitude des titres.

« La gestion de Roger Vanden Stock, Philippe Collin et Herman Van Holsbeeck n’était pas du tout mauvaise à l’époque, mais ils ne se sont pas renouvelés », confirme à sa manière Wouter Vandenhaute au Soir, à l’heure d’évoquer l’évolution du Sporting. En prenant les rênes du club, la nouvelle direction y a trouvé autant de trophées dans les armoires que de cadavres dans les placards. Et dans leur lutte pour rester au sommet, Marc Coucke et ses associés successifs ont ajouté plus de casseroles encombrantes que de lauriers. Perdus dans leur quête tous azimuts d’un retour vers des performances plus dignes de son rang, les Mauves empilent les transferts onéreux dans les bureaux comme sur la pelouse. Jusqu’à ce que ce nouveau plan serve de GPS au futur de la maison la plus titrée du pays.

Très vite, les nouveaux dirigeants constatent ainsi que l’incarnation la plus forte de ces voix dissonantes au sein du club se trouve sur leur banc de touche. Là, les idées pragmatiques de Frank Vercauteren se heurtent à l’idéal footballistique bruxellois de Kompany. Deux rencontres de championnat suffisent pour trancher le débat, avec un raisonnement qui est sans doute le résumé de la nouvelle politique mauve: Vercauteren incarne le présent, Kompany l’avenir. In Youth We Trust, jusque sur le banc de touche.

TROUVER DES TAULIERS

Lors de son retour à Bruxelles, d’aucuns racontaient que Kompany avait été époustouflé par la qualité des joyaux de Neerpede, surestimant leur capacité à dominer la Pro League qu’il ne suivait que de très loin depuis plus d’une décennie. Un an et demi plus tard, l’ancien Diable rouge continue à placer les teenagers au centre de son projet. Avec 23,4 ans de moyenne, Anderlecht est l’équipe la plus jeune du championnat. Impossible de passer à côté de l’info, tant le coach du Sporting l’a serinée au fil des contre-performances cette saison. Au point de parfois irriter les habituels pensionnaires de ses propres tribunes. « La jeunesse n’explique pas tout! Et si c’est vraiment la jeunesse, alors pourquoi se passer des rares joueurs expérimentés qui se trouvent dans le noyau? », s’interroge dans une lettre ouverte l’association francophone des supporters d’Anderlecht (AFSA) suite à la défaite contre Courtrai.

Pour Peter Verbeke, interrogé dans nos pages au coeur de l’automne, « on ne gagne pas un titre avec une équipe composée exclusivement de gars de dix-huit à vingt-et-un ans. » Le Head of Sports anderlechtois est d’ailleurs l’artisan des arrivées de Bogdan Mykhaylichenko (23 ans), Matt Miazga (25 ans) ou Josh Cullen (24 ans) dans la capitale l’été dernier. Là où la plupart des clubs orientent leur recrutement vers des profils de jeunes talents à haut potentiel, Anderlecht doit procéder différemment. D’une part parce que ses moyens financiers actuels l’empêchent de faire face à la concurrence dans la quête onéreuse des stars de demain. D’autre part parce que Neerpede est un vivier à talents qui semble inépuisable, comme le prouve encore l’intégration récente de cinq jeunes au noyau A jusqu’à la fin de la saison. Pour marcher sur les traces d’un Bruges qui a pris une avance considérable sur la concurrence, le Sporting doit donc trouver son Ruud Vormer ou son Clinton Mata, membres d’une colonne vertébrale immuable autour de laquelle peuvent venir se greffer des joueurs prometteurs.

Vincent Kompany avec Albert Sambi Lokonga et Josh Cullen. Malgré le récent revers contre Courtrai, Anderlecht est toujours en course pour l'Europe.
Vincent Kompany avec Albert Sambi Lokonga et Josh Cullen. Malgré le récent revers contre Courtrai, Anderlecht est toujours en course pour l’Europe.© BELGAIMAGE

En attendant d’atteindre cet équilibre dans le noyau, capital pour entrer dans la chasse aux trophées, les Mauves ont décidé de faire mûrir leurs jeunes talents. « Anderlecht est l’équipe du championnat qui a la plus grande marge de progression », explique dans nos colonnes Vincent Kompany lors de son interview accordée en décembre dernier. Pour accélérer ces progrès tout en faisant diminuer une masse salariale héritée en grande partie des excès du passé, le club envoie aux quatre coins de l’Europe Michel Vlap, Peter Zulj ou Landry Dimata. Si les buts marqués par chacun d’entre eux pour leurs débuts sous d’autres couleurs font forcément rire jaune dans un club où faire trembler les filets prend parfois des allures d’équation insoluble, le coach du Sporting est convaincu que libérer une place et donc du temps de jeu pour des joueurs comme Anouar Ait El Hadj est un investissement plus rentable à moyen terme. Puisque lutter pour le titre est impossible dans l’immédiat, Anderlecht préfère maximiser ses chances futures de se hisser à hauteur de Bruges.

Le recrutement est l’un des nombreux secteurs où Anderlecht a récemment changé d’ère, après de longues années à se contenter d’un fonctionnement à l’ancienne.

LA LONGUEUR DE LA ROUTE

La situation brugeoise, Peter Verbeke la connaît bien, puisqu’il a côtoyé Vincent Mannaert et Bart Verhaeghe entre 2013 et 2018 en tant que coordinateur du recrutement. « À Bruges, j’ai connu un projet qui s’étend sur plusieurs années, c’est un avantage », expliquait-il en novembre. Quelques semaines plus tôt, dans Le Soir, Wouter Vandenhaute rappelle d’ailleurs que « Mannaert et Verhaeghe ont eu besoin de cinq ans et demi avant de fêter leur premier titre, mais leur gestion était claire et ils ont fini par trouver leur chemin. »

Si Bruges n’avait jamais vraiment connu un creux semblable à celui des Bruxellois en termes de classement lors de sa longue période de vaches maigres, le Club boxait à l’époque naturellement une catégorie au-dessus de l’essentiel de la concurrence, alors que les évolutions récentes de la Pro League (transferts sortants très importants pour Genk et Gand, arrivées d’investisseurs étrangers ambitieux) ont rendu le niveau du championnat plus homogène, et donc l’accession aux meilleures places d’honneur plus ardue. L’été dernier, la santé financière plus que précaire d’Anderlecht a obligé le Sporting à limiter ses dépenses à un peu moins de cinq millions d’euros. Huit équipes ont déposé plus d’argent sur la table qu’Anderlecht pour des transferts cette saison, dont Eupen, le Cercle ou Saint-Trond.

Glissés dans la vidéo de présentation du projet RSCA 2020-2025, les mots de Vincent Kompany font écho aux raisonnements de Verbeke et Vandenhaute, comme un témoignage que toutes les têtes pensantes du projet bruxellois parlent désormais d’une seule et même voix: « Le club doit être en bonne santé financière, le rester, et suivre une trajectoire très claire au niveau sportif. Ensuite, ce ne sera qu’une question de temps. » Si une partie du public perd patience, Anderlecht reste dans les temps pour réaliser son objectif de retrouver la Coupe d’Europe la saison prochaine. Plus qu’au niveau financier, l’accomplissement serait un signal important pour parvenir à prolonger le séjour en prêt de certains joueurs dans la capitale, à commencer par un Lukas Nmecha dont les prestations ont récemment été saluées par une banderole des fans en bordure des pelouses de Neerpede.

LES PROFESSIONNELS

Si la stabilité est au bout du chemin, le prochain été pourrait d’ailleurs encore être riche en mouvements au Lotto Park. De nombreux prêts, indispensables pour se renforcer sans moyens financiers, arriveront à échéance et les négociations ardues entre les dirigeants et les actionnaires minoritaires ne garantissent pas que Peter Verbeke disposera d’une enveloppe largement supérieure à celle des derniers mercatos pour lever les options, ou pour renforcer le noyau à certains postes-clés, notamment sur ces flancs où personne ne semble parvenir à se rendre indiscutable.

Complètement négligée à l’époque d’Herman Van Holsbeeck, où la toute-puissance de Mogi Bayat – encore rappelée par les récentes révélations des Football Leaks – la rendait inutile, la cellule de scouting est désormais considérée comme l’une des pierres angulaires du futur des Mauves. Révolutionné avec une part plus importante accordée aux datas et au scouting vidéo, alors que l’essentiel du travail se faisait sur le terrain sous la direction précédente, le recrutement est l’un des nombreux secteurs où Anderlecht a récemment changé d’ère, après de longues années à se contenter d’un fonctionnement à l’ancienne où les trophées réguliers masquaient un besoin de plus en plus urgent de modernisation.

Pour améliorer son noyau, il n’y a pas que le recrutement que la nouvelle direction a décidé de renouveler. Du secteur médical à celui de la nutrition, le club bruxellois s’entoure de spécialistes qui doivent permettre d’obtenir ces marginal gains dont on parle plus souvent en cyclisme qu’en football. Notamment via des entraîneurs spécifiques, ou des séances de perfectionnement individuel pour les jeunes joueurs du centre de formation, qui sont ceux qui doivent permettre à Anderlecht de remonter la pente à moindre coût. Parce que très vite, les exigences de résultats dignes de la maison reviendront. Vincent Kompany en est évidemment conscient, lui qui avait déjà confié à Amir Murillo lors de son transfert l’hiver dernier que l’objectif était de ramener le Sporting en Ligue des Champions. La ligne d’arrivée n’est pas encore en point de mire, les Mauves commencent tout juste à appuyer sur l’accélérateur, mais cette fois, ils semblent au moins avoir trouvé dans quelle direction orienter leur volant.

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