© BELGAIMAGE

Comment Anderlecht a perdu son âme

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Kick and rush, parfois. Power-football, presque toujours. Pour évoquer les prestations d’Anderlecht, il faut désormais parler en anglais. C’est l’histoire d’un club qui a perdu sa poésie pour gagner des livres sterling. Un club qui ne sort plus le champagne du frigo que pour fêter des titres sans saveur.

We Are Anderlecht.

Le slogan est lancé. Herman Van Holsbeeck lui-même n’a pas hésité à l’entonner lors de la réception de Nouvel An des collaborateurs du Sporting, pour leur rappeler qu’il fallait se serrer les coudes à l’approche du sprint final. Mais pour le définir, il faut quitter les couloirs du stade Constant Vanden Stock et donner la parole à Jean Kindermans. La saison dernière, alors que le Sporting s’apprête à recevoir le grand Barça dans le cadre de la Youth League, le directeur du centre de formation anderlechtois prend la parole devant les hommes de Mo Ouahbi : « Ce soir, vous affrontez un adversaire prestigieux. Mais n’oubliez pas non plus ce que représente Anderlecht. N’oubliez pas l’histoire que ce club véhicule. We-are-Anderlecht. »

Mais finalement, c’est quoi « être Anderlecht ? » Attablé dans son bureau, où les plus grandes réussites de la formation mauve trônent en bonne place sur les murs, Kindermans explique que « la possession de balle, ça fait partie d’une culture. D’une philosophie. À Anderlecht, on essaie d’avoir 70% de possession de balle, avec la création d’occasions de but en nombre conséquent. »

1.600 mètres séparent le centre de formation de Neerpede et le stade Constant Vanden Stock. La route est simplissime. Et pourtant, c’est suffisant pour que la philosophie de jeu du Sporting se perde en chemin. Parce que la possession ne fait visiblement plus partie du langage d’un club qui a remporté cinq matches en Europa League cette saison sans jamais avoir le ballon. Les jeunes pousses de Neerpede sont obligés d’adapter leur façon de jouer dès qu’ils poussent les portes du vestiaire des grands. Comme s’ils avaient étudié de la poésie toute l’année, et que leur feuille d’examen contenait seulement une équation trigonométrique à résoudre.

L’EXEMPLE KARA

L’été dernier, le Sporting a compensé le départ de Chancel Mbemba par la signature du Sénégalais Kara. Un brin d’arrogance, une tonne de muscles et une présence aérienne redoutable, certes, mais une relance aléatoire. Un problème qui touche l’arrière-garde mauve depuis le départ de Nicolas Pareja pour l’Espanyol Barcelone, il y a sept ans déjà.

Mais Besnik Hasi ne voulait pas d’un architecte. Il voulait un mur. Herman Van Holsbeeck était d’ailleurs élogieux à l’égard de son défenseur sénégalais quand Sport/Foot Magazine l’a rencontré en début de saison. Avec un argument-massue : « Croyez-moi, Kara est déjà suivi par de nombreux clubs anglais qui adorent ce style de joueur. » Tant pis si l’ancien de Genk n’entre pas dans l’élégant smoking mauve. La tenue avait beau être taillée sur mesure pour Pareja, l’Argentin n’a rapporté que cinq millions d’euros à la trésorerie mauve. À l’inverse, le jeu athlétique de Chancel Mbemba a incité un club du ventre mou de la Premier League à allonger douze millions. Pour un Van Holsbeeck qui affirme qu’il n’a « jamais essayé d’être populaire auprès des fans alors que j’essaie de l’être auprès du conseil d’administration », le calcul est vite fait.

Dans sa volonté bien légitime de gérer le Sporting « en bon père de famille », Herman Van Holsbeeck s’est laissé embarquer dans l’engrenage de la Premier League. « Vendre un joueur vers l’Angleterre, c’est un peu comme gagner au Lotto », reconnaissait d’ailleurs le manager anderlechtois en début de saison. Les muscles de Kara, ou la puissance de Stefano Okaka symbolisent cette politique managériale résolument tournée vers les Iles. Les sirènes anglaises chantent tellement bien qu’elles ont même embarqué, sans doute inconsciemment, le Sporting dans une politique qui laisse surtout entrer à Neerpede les agents qui ont un pass no-limit pour traverser la Manche. « Je n’ouvre la porte qu’à ceux qui sont capables de vendre pour trois millions un joueur qui n’en vaut qu’un », confirme Van Holsbeeck. L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit est celui de Maxime Colin, revendu un million et demi (le triple de son prix d’achat) à Brentford après une saison majoritairement passée sur le banc grâce aux talents de revendeur de Mogi Bayat. Qui, à part ces Anglais abreuvés par des droits télévisés irrationnels, est prêt à payer un joueur au triple de sa valeur ?

Par Guillaume Gautier

Retrouvez l’intégralité de l’article consacré à Anderlecht dans la zone + et dans votre Sport/Foot Magazine

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire