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Comment Anderlecht a fait de Neerpede une marque à l’international

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Comment expliquer les montants dingues dépensés par des clubs étrangers pour les pépites formées à Anderlecht? Il y a des raisons évidentes. Et aussi une part de mystère.

 » François Pinault a fait le pari Jérémy Doku parce qu’il a les sous. Tout le monde n’est pas capable de claquer près de trente patates pour un gars de 18 ans qui n’a pas encore fait ses preuves. »

En octobre 2020, on est à Rennes pour les débuts de Doku en Ligue 1 à domicile. Et c’est un journaliste de France Football qui nous lâche ces deux phrases. Sous-entendu: si ce club n’était pas détenu par la cinquième fortune de France, il n’aurait jamais mis un montant pareil pour le dribbleur mauve. Si on devait résumer l’état d’esprit des gens lors de notre soirée en Bretagne, ça pourrait donner ceci: Rennes a payé beaucoup trop cher pour un joueur inconnu en France. Qu’importe: Jérémy Doku est désormais le transfert sortant le plus cher de l’histoire d’Anderlecht. À ce moment-là, il n’a pas quarante matches de D1A dans les jambes et il a juste fait deux apparitions en équipe nationale. Mais il rapporte plus de 25 millions.

À Anderlecht, il y a quelque chose d’attirant, un magnétisme. »

Daniel Striani, agent

La raison principale? Il a été formé à Neerpede. Et il faut croire que pour certains clubs étrangers, ça n’a pas de prix. Le transfert récent d’ Albert Sambi Lokonga à Arsenal, pour plus de 17 millions, obéit à la même logique. Ce joueur n’a rien gagné avec Anderlecht et n’avait jamais joué en Diable au moment du deal, mais voilà, c’est encore un produit made in Neerpede. Leander Dendoncker, Sebastiaan Bornauw, Alexis Saelemaekers: même raisonnement. Les deux derniers n’avaient même plus la confiance du staff au moment où ils sont partis, mais ils ont eux aussi rapporté pas mal d’argent.

Albert Sambi Lokonga (à gauche) et Jérémy Doku, deux joueurs made in Neerpede qui ont rapporté gros à Anderlecht.
Albert Sambi Lokonga (à gauche) et Jérémy Doku, deux joueurs made in Neerpede qui ont rapporté gros à Anderlecht.© BELGAIMAGE

« Anderlecht, c’est un peu le sexe faible, quelque chose d’attirant, il y a un magnétisme », résume l’agent Daniel Striani qui a autrefois fait sortir d’Anderlecht un produit maison auquel le département sportif ne croyait pas: Samuel Bastien. « Il y a toute la qualité du travail fourni là-bas qui intervient dans le prix des transferts sortants, mais pas que ça. Le club continue à profiter de sa réputation. Si un Jérémy Doku d’Anderlecht et un Ignace Van der Brempt de Bruges ont les mêmes qualités, le Sporting pourra empocher 25 millions, mais il y a peu de chances que le Club reçoive autant. Parce que Bruges n’est pas Anderlecht dans l’esprit des recruteurs et des décideurs. Quant Thomas Foket a quitté Gand pour Reims, ça ne s’est pas négocié à dix millions mais plutôt à trois ou quatre alors que le joueur avait montré beaucoup de bonnes choses ici et avait déjà goûté à l’équipe nationale. Parce qu’il était à La Gantoise et pas à Anderlecht, parce qu’il n’avait pas l’étiquette Neerpede. »

Une suprématie en danger?

JesseDePreter, l’agent de Roberto Martínez, confirme que ce fameux label permet à Anderlecht de vendre d’office plus cher. « Quand un club anglais m’appelle pour me demander si j’ai un bon joueur de quinze ou seize ans sous la main, si je réponds qu’il y un bon profil au Beerschot, ils seront beaucoup moins intéressés que si je leur parle d’un jeune d’Anderlecht. Le Beerschot a formé une partie de l’équipe nationale, mais ça ne représente pas grand-chose à l’étranger par rapport à la réputation d’Anderlecht. J’avoue que le montant du transfert d’Albert Sambi Lokonga m’a surpris. Il a quand même eu une blessure lourde et je trouve qu’il n’a pas encore retrouvé son niveau. Il y a un an, j’avais aussi été étonné en apprenant ce que Rennes déboursait pour Doku. Mais c’est Neerpede, donc ça fait monter les prix. Les autres clubs belges ne peuvent pas vendre aux mêmes conditions, et pourtant il y en a quelques-uns où on fait du super boulot avec les jeunes. C’est très bien organisé à Bruges, mais aussi dans un club comme Louvain, avec Henk Mariman qui est un des meilleurs formateurs du monde. Il a collaboré avec les plus grands clubs, il a été consultant pour Flamengo. Je vois aussi que d’autres clubs investissent de plus en plus, dans les infrastructures et dans l’humain. Notamment l’Antwerp. Pour moi, la suprématie de Neerpede, ce sera bientôt de l’histoire ancienne. Mais les clubs étrangers ne savent toujours pas que ça bouge ailleurs, ils voient surtout Anderlecht. »

Daniel Striani, lui, pointe plutôt La Gantoise comme next big thing de la formation en Belgique: « Gand ne joue pas dans la même pièce, mais met maintenant les petits plats dans les grands pour rattraper son retard. C’est pour ça qu’ils ont engagé Emilio Ferrera. C’est un surdoué qui peut donner une vraie identité au club. C’est sûr qu’il va sortir des joueurs capables de jouer très haut. Quand il entraînait la réserve d’Anderlecht, un gars comme Saelemaekers était dans l’obscurité totale. On a vu ce que ça a donné. »

Comment Anderlecht a fait de Neerpede une marque à l'international

Être formé à Neerpede, c’est emmagasiner un vrai package. Développement technique, flexibilité tactique, faculté de jouer sous pression (« Parce que le résultat est la seule chose qui compte », constate Jesse De Preter), mais aussi éducation de haut vol. « Quand tu prends un joueur qui a passé cinq ou six ans à Neerpede, tu réduis d’office le risque d’erreur », dit un agent. « Tu as la garantie qu’il a reçu une bonne formation, pas seulement au niveau du foot. Un jeune qui a des problèmes de comportement, il n’a aucune chance de durer là-bas. Ça aussi, les clubs étrangers le savent, c’est un constat qui circule depuis longtemps dans le milieu. »

Quand ce n’est pas le service de communication qui vante Neerpede sur les réseaux sociaux, c’est Lukaku qui s’y colle.

L’homme de confiance de Roberto Martínez insiste aussi sur les qualités de l’homme qui est à la tête de la pyramide anderlechtoise: « Le travail de Jean Kindermans est incomparable. Et puis il y a le fait que le terrain de recrutement du club soit bien plus vaste que celui des autres clubs. Parce que le Sporting attire toujours. Bruges, Anvers, Genk, Liège et Charleroi ne seront jamais considérés de la même manière. Ça pourrait un peu changer dans le futur, vu les investissements consentis par plusieurs grands clubs, mais en attendant, Anderlecht garde la main. Il n’y a toujours pas match. » Un autre intermédiaire embraie: « Un jeune prometteur et ses parents qui reçoivent plusieurs propositions, dont une d’Anderlecht, ont vite fait de voir que Vincent Kompany, Romelu Lukaku, Jérémy Doku, Albert Sambi Lokonga, Alexis Saelemaekers et plein d’autres se sont vite retrouvés très haut après avoir été formés à Neerpede. Ils constatent aussi que c’est un centre de formation qui mène à l’équipe nationale. » À propos des Diables… Sur les trois matches récents, cinq buts ont été mis au fond par d’anciens Anderlechtois (Lukaku, Saelemaekers, Dennis Praet). Et il y en a une dizaine qui gravitent dans le noyau actuel. Tous les précités mais aussi Hannes Delcroix et Dodi Lukébakio.

Comment Anderlecht a fait de Neerpede une marque à l'international

Hype

Le département communication du club sait y faire, aussi. Que ce soit sur Facebook, Instagram ou Twitter, les posts faisant référence à Neerpede se bousculent. Une façon d’entretenir la flamme, de taper en permanence sur le clou. « Ils ont l’art de mettre leurs jeunes et leurs anciens joueurs en avant », remarque Jesse De Preter. « Ils sont très actifs, et dans la société d’aujourd’hui, c’est fort utile de mettre ses réussites en avant sur les réseaux. » Le hashtag #MadeInNeerpede est une affaire qui roule. Quand Saelemaekers marque avec les Diables contre les Tchèques, sur un assist de Lukaku, l’équipe de com’ prend la balle au bond et poste: That Neerpede connection. Assist @RomeluLukaku9, goal Saelemaekers. Même chose quand l’attaquant de Chelsea fête son centième match en équipe nationale: Mr 100. Félicitations, Big Rom. On trouve aussi: Congrats @RomeluLukaku9. 50 goals in his last 50 games for the national team. One of the best strikers in the world #MadeInNeerpede. Une autre publication, bien amusante, après une large victoire des jeunes contre le Paris Saint-Germain (5-2) en août dernier, en amical: We don’t buy talent, we create it ourselves. What a win against PSG’ U17. Congrats to our boys. This is Anderlecht.

Et quand ce n’est pas le service communication du Sporting qui fait le job, c’est un ancien de la maison qui s’y colle. Romelu Lukaku est actif quand il s’agit de promouvoir l’école où il a appris à devenir un tueur. En décembre de l’année passée, il postait ceci sur Twitter: A day to remember! 11 years ago first goals in Europe at 16 for my beloved @rscanderlecht. Ce jour-là, les Mauves s’étaient imposés 1-3 sur la pelouse de l’Ajax et Lukaku avait mis deux buts. Il a aussi posté une photo d’entraînement des Diables, on l’y voyait avec Yari Verschaeren, Albert Sambi Lokonga, Jérémy Doku, Alexis Saelemaekers et Adnan Januzaj. Commentaire: Same academy @rscanderlecht.

Les inclassables de Neerpede

Quand Charly Musonda Jr a claqué la porte pour signer à Chelsea en 2012, à seize ans, il y a eu de l’incompréhension, de la déception, de la colère. Anderlecht a empoché 2,5 millions, mais ça paraissait une misère pour ce joueur que l’on dépeignait comme le plus doué de l’histoire du centre de formation. Près de dix ans plus tard, le constat est bien différent. Musonda s’est planté partout (Chelsea, Real Betis, Celtic, Vitesse) et ne valait donc peut-être même pas ce montant.

On peut appliquer le même raisonnement à Mile Svilar. Pour lui aussi, Anderlecht a perçu 2,5 millions de Benfica, en 2017. Alors qu’on parlait de lui comme du gardien le plus talentueux de Neerpede. Quatre ans plus tard, il rame pour se faire une place en équipe première là-bas.

Il y a par contre des départs qui font mal a posteriori. En 2016, Anderlecht ne voulait plus de Samuel Bastien. « Je l’ai d’abord placé en prêt à Avellino, en Serie B, il a fait une saison pleine », raconte Daniel Striani, son agent de l’époque. « À son retour, le Sporting ne voulait pas le lâcher pour moins de quatre millions. Dans les derniers jours du mois d’août, ils ont été obligés d’accepter l’offre du Chievo Vérone, moins d’un million plus des bonus. » Plus tard, les Italiens l’ont vendu au Standard pour trois millions, et à sa meilleure période avec les Rouches, sa valeur marchande a grimpé à sept briques.

Autre erreur de jugement: Wout Faes. Anderlecht n’y croyait pas et l’a largué à Ostende en 2018 pour 300.000 euros. Entre-temps, il est titulaire indiscutable avec Reims en Ligue 1 et il vaut sept millions. Orel Mangala est un autre cas qui fait mal. Anderlecht l’a laissé partir sans même lui avoir donné une chance en équipe A. Il a été vendu à Stuttgart pour 1,8 million. Aujourd’hui, il est estimé à 22 millions. Mike Trésor a dû faire des détours par les Pays-Bas pour rentrer par la grande porte à Genk. Et le dossier qui fait le plus mal est sans doute celui de Romeo Lavia. Il y a un an, il a refusé le premier contrat pro que lui proposait Anderlecht. Manchester City l’a obtenu pour des cacahuètes. Après avoir éclaboussé le championnat U23 en 2020-2021, il est maintenant dans le noyau A et inscrit sur la liste de Ligue des Champions.

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