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Christian Benteke: « Pendant l’EURO, je me suis posé la question de mon utilité pour le groupe »

À l’assaut d’une neuvième saison de Premier League consécutive, Christian Benteke refuse de voir la routine s’installer. Chez les Diables, son rôle de troisième homme et un EURO traversé sur la pointe des pieds ont laissé quelques regrets. Confession d’un trentenaire.

Il fut un temps où Big Ben indiquait toujours l’heure juste. Mais l’horlogerie de précision est une affaire de spécialistes. Où le moindre petit accroc peut enrayer les rouages de la machine pour de bon. Immuable valeur sûre de Premier League entre son arrivée en Angleterre durant l’été 2012 et le début des doutes cinq ans plus tard, Christian Benteke est une métaphore compliquée. Celle d’un homme jamais aussi transparent dans ses propos que quand il est dans le dur sur le pré. Au sortir d’un EURO vexant, l’attaquant dont la dernière titularisation avec les Diables remonte à novembre 2019 rêve maintenant d’un entretien longue durée avec Roberto Martínez pour comprendre quel peut encore être son rôle dans la hiérarchie offensive des Diables. Interview avec un trentenaire toujours ambitieux.

Quand tu es dans le trou, personne ne s’attend à ce que tu remontes. Et ils sont même très peu à le souhaiter.

Christian Benteke

Tu sors d’une saison à dix buts en trente apparitions. Mieux, avec sept réalisations entre février et mai 2021, tu as mis plus de buts dans ce laps de temps que sur les trois saisons et demies précédentes. Quel a été le déclic?

CHRISTIAN BENTEKE: Il n’y a pas vraiment eu un déclic, je dirais que c’est la continuité d’un travail qui a fini par à nouveau porter ses fruits. Mentalement, je suis toujours resté fort. Ce qui m’a manqué à un certain moment, c’était de la consistance dans mes prestations sur la durée. Mais je ne me suis jamais laissé distraire par tout ce qu’il se disait autour de moi. J’ai d’ailleurs toujours été conscient de mon potentiel. En fait, je savais que ce que j’avais réalisé dans le passé, j’étais encore capable de le reproduire. De nature, je reste quelqu’un de positif, donc j’ai toujours voulu voir le bon côté des choses. Mais évidemment que c’est frustrant quand il y a des matches chaque week-end et que tu ne marques pas. Ça te rend impatient.

« Je peux encore réaliser des saisons à quinze buts en Premier League »

Est-ce que le plus irritant là-dedans en tant qu’attaquant, c’est de ne pas toujours pouvoir se reporter sur des explications rationnelles pour comprendre ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas?

BENTEKE: Le plus facile, quand tu es dans le dur, c’est de ne pas te relever. Quand ça ne va pas, tu as toujours mille raisons de baisser les bras. C’est confortable et c’est plus simple. Donc pour moi, à un moment, chercher des solutions à gauche ou à droite, c’était surtout une manière de se trouver des excuses. Et puis, ce qu’il faut savoir, c’est que quand tu es dans le trou, personne ne s’attend à ce que tu remontes. Et ils sont même très peu à le souhaiter. Du coup, beaucoup ne se relèvent pas. Par rapport à ça, je n’ai jamais voulu en faire trop. C’était grave ce qui m’arrivait, je ne marquais plus, mais ça restait strictement professionnel. Le foot, c’est mon sport, c’est mon travail, c’est ce que je fais de mieux, c’est vrai. Mais ce n’est pas parce que ça va moins bien que je vais tout remettre en cause. J’ai une vie, des enfants, ça m’a aidé à faire le part des choses.

Beaucoup de joueurs qui connaissent des moments de moins bien comme les tiens décident de changer d’horizon. Toi, depuis 2016, tu es toujours resté fidèle à Crystal Palace. Et le club t’a toujours conservé sa confiance. Ça a été important?

BENTEKE: Je n’ai jamais voulu aggraver la situation. Les pics de forme et de méforme sont souvent dictés par les réactions qu’on peut avoir en tant que joueur. Moi, ayant toujours gardé la confiance du club, je n’avais pas intérêt à tout faire pour le quitter. En janvier dernier s’est posé la question de mon départ. J’ai eu une longue discussion avec le coach. Il m’a bien dit qu’il ne pouvait pas me garantir nonante minutes à chaque match, mais il m’a aussi dit qu’il continuerait de me faire confiance. J’ai décidé de me battre et de bosser. Je suis content que ça ait fini par payer.

Si tu n’avais pas décidé de resigner un nouveau contrat de deux ans en mai dernier, tu te serais retrouvé libre au 1er juillet. À trente ans, ça ressemblait à ta dernière possibilité de t’envoler pour un nouveau challenge, pourquoi pas dans un autre grand championnat. Aucun regret?

BENTEKE: J’y ai pensé. Il y a eu des touches. Mais j’ai pris en compte tout un tas d’arguments. Le premier d’entre eux, indépendamment de la conversation que j’ai pu avoir avec le président, ça a été de me dire qu’à trente ans, je me sentais super bien physiquement. Aujourd’hui, ce n’est plus comme avant, où les clubs avaient peur de transférer des joueurs de 32-33 ans. Il existe tout un tas de machines qui permettent d’évaluer le niveau physique réel d’un joueur et de voir quel peut être encore son apport. Chacun de ces tests me rassurent sur la longévité qui pourrait être la mienne. J’ai la conviction que je peux encore réaliser des saisons à quinze buts en Premier League. Et puis d’un point de vue familial, mes enfants étant scolarisés depuis quelques années à Londres maintenant, j’étais content de conserver une certaine stabilité.

Dans quel état de fraîcheur physique et mentale es-tu sorti de l’EURO?

BENTEKE: Fatigué dans les deux cas. Mentalement, c’était difficile de voyager autant sans jouer et physiquement, c’était aussi très dur. Les gens pensent parfois que quand tu ne joues pas les matches, tu as la belle vie, tu profites. Mais nous, les réservistes, on se retrouvait à devoir s’entraîner à seulement huit ou neuf joueurs le lendemain des rencontres, parfois après des voyages très longs et souvent en étant frustrés. Ce n’étaient pas des petits entraînements en forme de décrassage. À chaque session, tu as le devoir de t’entraîner de manière assez intense au cas où il arriverait un pépin à un titulaire. Donc tu dois toujours être prêt, à l’affût.

Christian Benteke:
Christian Benteke: « Pendant l’EURO, je me suis posé la question de mon utilité pour le groupe. »© BELGAIMAGE

Par rapport à ça, le fait d’être 26 et plus 23 joueurs dans la sélection, est-ce que ça n’a pas accentué encore un peu plus l’impression d’être en marge de l’équipe des titulaires?

BENTEKE: On est tous des compétiteurs. Se retrouver en tribune, par exemple, c’est difficile à vivre sur le plan mental. Bien sûr, on connaît la hiérarchie, mais à chaque match, tu te dis qu’en fonction du contexte, de l’évolution du score ou du profil de l’adversaire, il est possible que le coach fasse appel à toi. Le fait que ça ne soit jamais le cas n’as pas été facile à vivre. Au point que parfois, je me sentais presque plus dans la peau d’un supporter. Je vivais l’instant avec un certain décalage. Je souhaitais le meilleur à l’équipe sans toujours avoir l’impression d’en faire partie.

« Cette rencontre que j’aurais voulu provoquer avec le coach n’a jamais eu lieu »

Tu crois que si la Belgique avait été championne d’Europe dans ces circonstances, tu ne te serais pas réellement senti champion d’Europe?

BENTEKE: Pas totalement, non. J’aurais eu la ligne sur mon palmarès, mais ça se serait arrêté là. Le sentiment aurait de toute façon été mitigé. En tant que compétiteur, je mentirais si je vous disais l’inverse. Je ne peux pas ressentir les mêmes émotions qu’un Jan Vertonghen ou un Thibaut Courtois si je ne suis pas avec eux sur le terrain, c’est logique.

Il y a cette fameuse histoire de ta non montée au jeu contre l’Italie dans les arrêts de jeu, alors que Roberto Martínez souhaitait te faire monter à la 97e, sans en avoir finalement le temps. Ça a été des moments vexants à vivre?

BENTEKE: J’aurais voulu monter au jeu donc oui, j’étais déçu. J’étais proche de pouvoir aider mes coéquipiers, de rejoindre cette bataille-là. Après, c’était évidemment beaucoup plus une déception collective qu’individuelle. Dans ces moments-là, j’ai presque envie de dire que l’individu ne compte pas.

En tout et pour tout, préparation de l’EURO comprise, tu n’auras eu droit qu’à six minutes de jeu, contre la Finlande, lors du troisième match de poule, pour te montrer cet été. À t’entendre, tu ne t’attendais pas à être si loin dans la hiérarchie offensive…

BENTEKE: Comme je le disais, vu que chaque match est différent, tu as toujours l’espoir qu’on fasse appel à toi. J’aurais voulu avoir une discussion avec le coach, mais à chaque fois, je repoussais l’échéance. Je me disais que peut-être, la situation allait évoluer en ma faveur. À la longue, c’est vrai que je me suis posé la question de mon utilité pour le groupe. Je me demandais si ça valait la peine d’aller trouver le coach pour savoir ce qu’il voulait faire de moi. Je me disais qu’au coeur d’un tournoi, ce n’était peut-être pas le bon moment. Finalement, cette rencontre que j’aurais voulu provoquer avec le sélectionneur national n’a jamais eu lieu. Je ne crois pas que ça soit trop tard et j’espère qu’on trouvera le temps de se parler lors de ce rassemblement.

La question en filigrane que tu voudrais lui poser, c’est de savoir si il y a une chance que ta situation évolue dans les prochains mois?

BENTEKE: Quand tu es repris en équipe nationale, je pars du principe que la finalité, c’est de représenter ton pays. À partir de là, je voudrais juste savoir ce qu’il attend encore de moi. Je ne souhaite rien d’autre qu’une discussion constructive entre un sélectionneur national et son joueur. Je ne voulais pas mettre mes intérêts personnels en évidence pendant le tournoi, mais là, je crois que ce serait plus sain pour tout le monde de pouvoir en discuter posément autour d’une table.

« Je ne me sens pas la nature d’un grand frère »

Avec Charles De Ketelaere qui va incorporer le groupe, il y pour la première fois depuis longtemps un quatrième attaquant repris par Roberto Martínez. Est-ce que petit à petit, tu te dis que ton rôle va aussi être celui d’un grand frère?

BENTEKE: Ça fait partie du jeu. J’ai été ce jeune là il y a dix ans. C’est le cycle du foot. Tous ces jeunes qui intègrent le groupe le méritent. Par contre, moi, et je m’exprime ici encore en tant que compétiteur, je ne me sens pas la nature d’un grand frère. Je ne suis pas là pour les encadrer, il y a des gens dans le staff pour ça. Et puis, je ne crois pas en avoir la légitimité non plus. Je ne fais pas partie du onze type. Du coup, je considère que comme eux, je suis surtout là pour me battre et pour gagner ma place , c’est tout. Je pense qu’on ne fonctionne pas en équipe nationale comme on fonctionne en club. Ici, chez les Diables, ce sont les meilleurs qui jouent. Si je n’en fais plus partie, il n’y a aucun problème, je laisserai ma place. Mais tant que je serai là, je me battrai pour jouer.

Tu as loupé le Mondial 2014 sur blessure et la Coupe du monde 2018 sur décision du sélectionneur. Est-ce que vivre de l’intérieur le Mondial 2022 avec les Diables, cela reste l’un de tes derniers objectifs majeurs en sélection?

BENTEKE: Bien sûr! Ce sera clairement l’un de mes moteurs pour continuer de travailler dur dans les prochains mois. Je rêve de vivre une Coupe du monde et je suis convaincu que ce groupe peut encore gagner quelque chose. J’ai suivi le Mondial 2018 en tant que supporter. Je peux vous dire que les matches contre le Japon et le Brésil, ce sont des moments que tout footballeur rêve de vivre dans une carrière. J’aurais aimé les vivre moi aussi, mais je dois reconnaître humblement qu’à l’époque, je n’avais pas ma place dans ce groupe.

En 2018, la Belgique avait conquis un large public grâce à un football chatoyant. Cet EURO a été beaucoup moins enthousiasmant pour les fans. Il y a eu une évolution dans le jeu ou tu penses que ce sont les circonstances qui ont dicté ce passage vers un football plus cynique?

BENTEKE: Je crois que c’est un tout. Ça a été un EURO compliqué, avec beaucoup de voyages, des joueurs qui sont arrivés sur les rotules, d’autres comme Axel ( Witsel, ndlr) qui revenaient tout juste de blessure. Ce sont plein de petits détails qui ne nous ont pas aidés. En 2018, tout était réuni, ici il y avait quelques grains de sable dans la machine.

Ton éternel rival, Romelu Lukaku, relève un nouveau défi en revenant en Premier League. Comment juges-tu son évolution sur les deux dernières saisons?

BENTEKE: Je respecte énormément son travail. Je crois que la carrière de Romelu prouve à quel point c’est important de pouvoir compter sur des coaches qui te font confiance. Je parle en connaissance de cause parce que mes meilleures saisons à moi aussi ont toujours été liées à des coaches référents. En tant qu’attaquant, l’important, c’est de marquer des buts. Souvent, on change les attaquants à la 80e minute, au moment où les défenseurs commencent à fatiguer, et ça profite à ceux qui les remplacent. Je crois que c’est important d’avoir un entraîneur qui te permette de profiter aussi de ces moments-là. Ce n’est que justice parce que c’est aussi toi en tant que titulaire qui fatigues l’adversaire. Mais plus globalement, je pense que pour n’importe quel joueur, si tu as un coach qui est vraiment derrière toi et qui te soutient en toutes circonstances, ça peut vraiment t’aider à faire de grandes choses.

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