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Charleroi: les coulisses d’une saison canon

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Alors que beaucoup parlaient d’une saison de transition au coeur de l’été, les Zèbres ont validé leur billet pour les play-offs 1 à 360 minutes de la fin de la phase classique. Histoire d’une sensation XXL.

Dans les couloirs du Bosuil, là où les crampons claquent sur un carrelage encore récent, Charleroi a pris l’habitude de déambuler avec le coeur qui bat la chamade, au terme de rencontres riches en duels comme en émotions. Si Ali Gholizadeh aurait pu officialiser la chose dès l’après-midi, en ne s’emmêlant pas les chevilles au bout d’un centre de Mamadou Fall, les Zèbres ont finalement acté leur participation au grand bal de fin d’année grâce aux succès dominicaux du Standard et de Mouscron.

On a beaucoup de stabilité, on ne change pas souvent. Et c’est cet équilibre qui nous permet aussi de faire de bons résultats sportifs.  » Mehdi Bayat

Tout ça en quittant une pelouse où la construction de cette nouvelle saison avait commencé 266 jours plus tôt, au dernier coup de sifflet d’un match passé d’un rapide 0-2 pour les Zèbres à un succès du Great Old, porté par l’exclusion de Gjoko Zajkov et le festival de Dieumerci Mbokani.

L’atmosphère charriait des effluves de fin de cycle, quand Felice Mazzù démentait les rumeurs de négociations avec Genk face à une partie de la presse, comptant sur le soutien humoristique et précieux de Laszló Bölöni, pendant que Mehdi Bayat soignait son discours une porte plus loin :  » Felice était arrivé par la petite porte dans un petit club. S’il part, il quitte un club qui a pris une autre dimension. Et donc, l’entraîneur qui arrivera le fera dans un club d’une autre stature.  »

Dès cet instant, l’homme fort du Pays Noir rêve d’attirer Hein Vanhaezebrouck au Mambour. Avec un double objectif : profiter de la saison de transition qui s’annonce chez la plupart des membres du G5 pour frapper un grand coup en championnat, et faire de l’ancien coach à succès des Buffalos l’un des penseurs des nouvelles infrastructures (stade et centre d’entraînement) que l’administrateur-délégué des Zèbres prépare minutieusement afin d’enfin présenter son plan Horizon 2024 – initialement prévu jusqu’en 2023, mais décalé en même temps que sa date de naissance – à un public qui s’apprête à passer un été rempli d’interrogations.

L’OISEAU RARE

Flatté et intéressé au point de mener de longues discussions avec Mehdi Bayat, Vanhaezebrouck décline finalement, souhaitant rester fidèle à sa volonté initiale de ne pas reprendre un club en Belgique immédiatement après sa désillusion anderlechtoise. Il vante par contre les mérites de son ancien adjoint, Karim Belhocine, pourtant écarté de la liste des prétendants quelques mois plus tôt quand son nom avait filtré une première fois dans les travées hennuyères.

La nouvelle cible du dirigeant franco-iranien n’est pourtant pas encore son futur coach.  » À un moment, il n’avait plus que Luka à la bouche. Il en parlait énormément « , se souvient-on au sein du club. Luka, c’est Luka Elsner, coach à succès de l’Union Saint-Gilloise qu’il a menée en demi-finales de la Coupe de Belgique.

Le Franco-Slovène est le nouveau favori, mais Amiens scrute le marché belge attentivement – le club nordiste a sondé l’entourage d’Hein Vanhaezebrouck et rencontré Ivan Leko – et jette son dévolu sur Elsner, qui ne veut pas passer à côté de son rêve de coacher en Ligue 1. Le dossier du nouveau coach s’étire en longueur, et laisse le reste de l’ancien staff de Mazzù dans l’expectative. Ni Besnik Hasi ni Drazen Brncic, également rencontrés, n’endossent le costume de coach carolo.

Dans une ambiance qui tourne au doute, certains soupçonnant le patron des Zèbres de délaisser son club au profit de ses séances de lobbying pour remporter la présidence de l’Union Belge, c’est finalement Karim Belhocine qui est intronisé à quelques jours de la reprise des entraînements. Le Franco-Algérien est flanqué de Frank Defays, nouveau T2, et le coup de balai passé dans le staff envoie ailleurs l’entraîneur des gardiens Michel Iannacone et offre à l’iconique Mario Notaro un statut protocolaire de  » conseiller sportif « .

Performant avec les Zèbres, Marco Ilaimaharitra sera convoité lors du prochain mercato.
Performant avec les Zèbres, Marco Ilaimaharitra sera convoité lors du prochain mercato.© BELGAIMAGE

Seuls Samba Diawara (T3 et coach des U21) et Philippe Simonin (préparateur physique), les deux hommes que Mazzù souhaitait emmener à Genk, prolongent leur séjour dans le staff du Pays Noir. Un temps sondé pour devenir entraîneur des gardiens, Nicolas Penneteau finit par décliner pour jouer les prolongations de sa carrière de joueur, et Cédric Berthelin vient compléter le nouvel organigramme sportif carolo.

Si certains doutent de la loyauté d’un Defays passé par le costume de T1, l’ambiance au sein de la nouvelle équipe sportive tourne rapidement à l’alchimie générale, loin de l’atmosphère délétère qui était d’actualité quelques mois plus tôt, quand les échanges d’un groupe autrefois très uni se limitaient finalement à des relations froidement professionnelles. La rénovation du staff semblait, à Charleroi, presque plus importante que celle du noyau.

UN NOYAU PRESQUE INCHANGÉ

 » L’été ne sera pas aussi mouvementé que l’année dernière « , avait promis Mehdi Bayat dans l’ambiance printanière du Bosuil.  » Ce noyau a montré de bonnes choses, et on va revenir aux bases de Charleroi.  » En début de préparation, les Zèbres temporisent, préparant un noyau dont de nombreux membres devront finalement trouver leur bonheur ailleurs. Malgré les revendications toujours plus sonores et visuelles des supporters, taxant Mehdi Bayat de  » menteur, frimeur, baratineur « , les transferts sont rares. Dans un premier temps, seul Modou Diagne débarque, libre de tout contrat, pour pallier le départ de Javier Martos, au bout de négociations trop complexes pour prolonger le séjour hennuyer du très cher Gabriele Angella.

Par la suite, il y aura encore Shamar Nicholson, puis un retour de Kaveh Rezaei en fin de mercato pour compléter la réserve de titulaires potentiels. Une série de renforts qui aurait dû être complétée par Faïz Selemani, l’entourage de l’ailier ayant préparé le terrain pour une arrivée bon marché au bout du mois d’août dans le Pays Noir. Les ambitions démesurées d’un joueur qui rêve des plus grosses cylindrées de l’élite sans étape intermédiaire, et l’activation de la Loi de 78 par le Comorien en décident autrement.

C’est donc avec un noyau plus concurrentiel, mais qui semble toujours trop court pour jouer les premiers rôles, et un 8/15 initial que Karim Belhocine et son staff virent en septembre. Sans éloigner les doutes.  » On a eu de la chance de jouer l’Antwerp et Gand après leurs matches européens, mais je nous vois mal viser plus haut que la huitième place « , soupire-t-on alors depuis le vestiaire zébré. La suite va vous étonner.

Si les discours officiels parlent de saison de transition, il a bel et bien été question de conquérir le top 6 dans les bureaux. Mehdi Bayat mise sur l’appétit de Karim Belhocine, désireux de prouver qu’il méritait la chance reçue dans le Hainaut, mais aussi sur celui de joueurs revanchards. Indésirable un an plus tôt, considéré comme l’un des responsables indirects de l’effondrement de 2018 quand il avait dû pallier le départ de Dodi Lukebakio pour Watford, Mamadou Fall impose sa pointe de vitesse et son volume de jeu comme des atouts du Sporting version Belhocine.

L’histoire est encore plus folle pour Steeven Willems : sur une voie de garage quelques mois auparavant, au point de discuter de son avenir en catimini après la finale des play-offs 2 à Courtrai, le gaucher n’avait plus voix au chapitre depuis qu’il était considéré qu’il ne retrouverait plus son niveau d’antan, fauché par une blessure aux ligaments croisés lors du dernier titre d’Anderlecht. Appelé à suppléer Modou Diagne, le Nordiste s’est finalement imposé aux côtés de Dorian Dessoleil, responsabilisé par son nouveau brassard de capitaine.

Karim Belhocine félicite ses joueurs :
Karim Belhocine félicite ses joueurs :  » On veut montrer que, contre les équipes d’en haut, on arrive à faire le poids. « © BELGAIMAGE

SOUVENIRS DE 2018

Bâti sur les fondations érigées lors des saisons précédentes par Felice Mazzù, joignant à la stabilité du onze la fraîcheur d’une nouvelle approche sportive au quotidien, le groupe carolo s’affirme face à son ancien mentor, pour sa première sortie de septembre. Dans le vestiaire, Belhocine insiste sur les qualités de ses joueurs, et l’importance de montrer à leur ancien entraîneur qu’ils pouvaient être bons sans lui. Le message se convertit au marquoir, et offre au coach franco-algérien une victoire symbolique et une première ovation des Ultras.

Un mois plus tard, les Zèbres entament au Cercle une série inattendue de treize rencontres sans défaite. En un peu plus de trois mois, Nicolas Penneteau facture neuf clean-sheets, n’encaisse que cinq buts et porte son équipe de la neuvième à la deuxième place, quittée début février à Genk. Entre-temps, le mercato hivernal n’a pas fait les mêmes séquelles que deux ans plus tôt, quand les départs de Lukebakio et Clément Tainmont avaient bouleversé l’équilibre sacré du vestiaire zébré.

Connu pour apprendre très rapidement des erreurs du passé, Mehdi Bayat met un point d’honneur à conserver tous les joueurs impliqués dans le projet, et anticipe l’avenir (Nurio et Marco Ilaimaharitra feront partie des éléments les plus convoités de l’été prochain) en attirant Joris Kayembe et Lazare au Mambour.

Seul un départ de Maxime Busi, qui jouit d’une cote supérieure à son niveau réel et qui a surtout profité de l’inévitable déclin de Stergos Marinos (32 ans) pour s’installer dans l’équipe, a véritablement été envisagé quand Torino a frappé à la porte des Zèbres. Mais face à l’impossibilité de le remplacer par Dion Cools, finalement parti pour la Scandinavie, et aux doutes qui entouraient les qualités du plan B (Sandy Walsh), le Liégeois est finalement resté dans le Pays Noir.

 » On a beaucoup de stabilité, on ne change pas souvent. Et c’est cet équilibre qui nous permet aussi de faire de bons résultats sportifs « , argumente Mehdi Bayat sur le plateau de Super Sunday au moment de livrer la recette du succès carolo.

RÊVES DE PODIUM

Pour se relever de la fin de série d’invincibilité, survenue sur la pelouse de Genk à l’aube du mois de février, Mehdi Bayat joue les psychologues. L’administrateur-délégué sait que les deux matches à venir au Stade du Pays de Charleroi seront probablement un tournant dans la course au top 6, et rappelle qu’il manie le portefeuille comme personne. En cas de succès contre Zulte Waregem, puis Malines, l’homme fort de Charleroi promet à son vestiaire des primes multipliées par huit. Une carotte qui aide même à motiver les déçus, devenus abonnés au banc, mais supporters inconditionnels de leurs couleurs au point de sembler parfois plus heureux que les titulaires au coup de sifflet final.

 » Sans doute qu’on est en surrégime « , concède-t-on aux portes du vestiaire du Mambour.  » Mais tout ce qui ne tournait pas pour nous l’an dernier s’aligne maintenant en notre faveur. On ne va pas se plaindre d’avoir de la réussite.  » L’analyse de Felice Mazzù, livrée dans les colonnes de la DH, pointe d’autres facteurs :  » Moi, j’avais récupéré un Morioka qui ne jouait pas à Anderlecht, un Bruno qui ne jouait pas à Leipzig et un Gholizadeh qui découvrait le championnat belge. Maintenant, ils sont tous à 100% et ils sont les moteurs de l’équipe.  » Le Japonais, surtout, impressionne. Loin d’être le joueur favori de Karim Belhocine lors de leur séjour mauve commun, il est l’une des révélations du championnat depuis qu’il a reculé d’un cran pour pallier la longue absence de Cristophe Diandy.

Si certains joueurs soulignent que le changement de coach a réveillé une partie du vestiaire, pour qui la routine commençait à s’installer, l’appétit de Charleroi a accompagné l’ambition d’un Karim Belhocine qui n’a plus peur d’affirmer que les play-offs 1 ne sont  » pas une fin en soi « . Qualifiés plus tôt que jamais, les Zèbres pointent à trois points de la barre des 51, record établi il y a deux saisons et qui pourrait bien être effacé malgré un calendrier délicat.

 » On veut montrer que, contre les équipes d’en haut, on arrive à faire le poids « , concluait Karim Belhocine après le partage au Bosuil. Jamais survolé par ses concurrents en haut de tableau, Charleroi se met même à rêver de Coupe d’Europe. En coulisses, on s’avoue supporter de Bruges pour la finale de la Coupe, car un doublé brugeois offrirait au troisième du championnat un ticket direct pour les poules de l’Europa League. Et ce Charleroi-là se voit bien prolonger son séjour sur le podium jusqu’au bout du printemps.

La saison des zèbres en cinq chiffres

8

Depuis le 20 octobre, date du déplacement au Cercle, Nicolas Penneteau n’a encaissé que huit buts en dix-sept rencontres. C’est moins que lors des neuf premières sorties de la saison, lors desquelles le vétéran corse avait encaissé treize fois.

9

Preuve de l’aspect collectif de sa solidité défensive, Charleroi ne concède en moyenne que 9 tirs par rencontre, soit une frappe toutes les dix minutes. Un chiffre d’autant plus impressionnant que les Zèbres n’ont pas souvent la possession du ballon (46% de moyenne).

13

Spécialistes nationaux de la contre-attaque, grâce aux inspirations de Ryota Morioka et à la vitesse du quatuor offensif, les Carolos ont déjà marqué treize fois lors de reconversions rapides. Largement mieux que n’importe quel autre membre de l’élite.

72

Très conservateur, Karim Belhocine n’est pas du genre à faire des changements  » gratuits  » sur le terrain. Seul Francky Dury (67) a réalisé moins de changements que le coach franco-algérien cette saison.

76,9

Avec 76,9 duels défensifs disputés par match, les Zèbres sont l’équipe la plus accrocheuse de Jupiler Pro League. Le tout avec un taux de réussite élevé, puisqu’ils remportent 62% de leurs duels (seul Bruges fait mieux).

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