Charleroi-Genk : retrouvailles au pays noir
De retour sur les terres qui l’ont révélé, Felice Mazzù peut savourer la hauteur de ce palier qu’il a enfin franchi après des années de flirts inaccomplis. Retour sur l’histoire d’un décollage qu’on n’attendait plus.
Quand la nuit s’apprêtera à poser son voile noir sur ce pays qui partage sa couleur, Felice Mazzù devra se concentrer. Comme un joggeur qui décide de s’aventurer sur un nouveau parcours après de longues années à suivre invariablement le même tracé. Au moment de sortir des vestiaires, quand les claquements du carrelage laissent place à l’odeur du gazon au sortir du tunnel, le coach devra tourner à droite, en direction d’un banc des visiteurs qu’il semblait ne jamais devoir fouler. De l’autre côté de la ligne médiane, à » sa place « , ce sera Karim Belhocine qui s’installera sur un banc où Mario Notaro, Philippe Simonin et Samba Diawara vivront forcément un moment spécial, après des années d’intense collaboration.
C’était une occasion unique pour moi de pouvoir toucher à la Ligue des Champions. » Felice Mazzù
Au fil des saisons qui passent, le scénario avait presque viré à l’utopie. La cote de Felice Mazzù avait beau grimper, jusqu’à un titre d’Entraîneur de l’année reçu lors du Gala du Soulier d’or au début du mois de février 2018, personne ne frappait suffisamment fort à la porte de Charleroi pour que Mehdi Bayat entrouvre la possibilité d’un départ.
L’opportunité ne s’était pas présentée à la fin de cette saison de la consécration, car tous les bancs du G5 étaient verrouillés : Bruges offrait la continuité à un Ivan Leko auréolé d’un titre de champion, Anderlecht poursuivait avec Hein Vanhaezebrouck, Genk croyait en son équipe ressuscitée par Philippe Clement, Yves Vanderhaeghe sauvait sa tête à Gand en décrochant l’Europe au bout d’une folle remontée, et le Standard planifiait son avenir en le plaçant entre les mains omnipotentes de Michel Preud’homme.
Mazzù, lui, entamait un sixième exercice à la tête des Zèbres. Une saison difficile, marquée par les départs de Kaveh Rezaei en août, puis de Cristian Benavente en janvier, privant une nouvelle fois le coach des hommes forts de sa division offensive.
AMBIANCE DE RUPTURE
Au sein du club, la crainte de la saison de trop pour Felice Mazzù à la tête des Zèbres commence alors à grandir. Le sursaut d’orgueil des play-offs 2, qui emmène Charleroi jusqu’aux portes de l’Europe, ne suffit pas à faire contrepoids face aux signes annonciateurs d’une forme de lassitude mutuelle, après tant d’années de travail commun. Mazzù semble avoir besoin de voir autre chose, et Charleroi aussi.
Par moments, le coach songe même à prendre une année sabbatique, imaginant sans doute qu’être sur le marché fera de lui une proie plus facile pour le premier grand club en difficulté la saison suivante. Tout d’abord, parce que cette décision lui permettrait de ne pas déserter Charleroi en cours de saison, ce qui a toujours paru contraire à ses principes depuis son époque au White Star, où il avait poliment décliné les avances de Roland Duchâtelet pour prendre les rênes du Standard après le licenciement de Ron Jans à l’automne 2012. Ensuite, parce qu’il aurait été libéré de ce contrat qui contenait une clause à payer au Sporting en cas de départ, chiffrée aux alentours de 500.000 euros.
Après une réflexion alimentée par une discussion avec Mehdi Bayat, Mazzù avait laissé de côté cette hypothèse, classée dans son esprit comme un » moment de fragilité » au cours de mois parfois difficiles. » Si on ne trouvait pas une solution et que Charleroi était toujours prêt à travailler avec moi, je serais resté. Je n’aurais pas lâché « , expliquait le nouveau coach de Genk lors de sa première interview chez les Limbourgeois.
GAND, LIÈGE, GENK
La nomination chez les champions en titre était inattendue. Quand l’avenir de Mazzù loin de Charleroi était évoquée, un futur sur le banc de la Ghelamco Arena semblait être l’hypothèse la plus probable. Lors de chaque visite chez les Buffalos, le coach sambrien s’enthousiasmait pour des installations modernes, et un cadre où il devait être agréable de travailler. L’admiration était visiblement réciproque, puisque les dirigeants gantois avaient, par l’intermédiaire d’un Roger Henrotay de plus en plus présent chez les Flandriens, sondé Mazzù suite au départ d’Yves Vanderhaeghe à l’automne dernier. L’affaire avait été classée sans suite au bout d’un échange téléphonique musclé entre Mehdi Bayat et Michel Louwagie, et les Buffalos s’étaient finalement rabattus sur Jess Thorup.
Une nouvelle fois, Mazzù ne passait pas le stade de la short-list. De contacts avec les dirigeants, il n’aura finalement été question qu’avec le Standard lors de son mandat carolo. Après le célèbre épisode des SMS au moment où les Rouches cherchaient le successeur de Guy Luzon, les Liégeois étaient encore revenus à la charge à l’été 2017. Bruno Venanzi et Olivier Renard voyaient chez l’Hennuyer toutes les qualités requises pour prendre le contrôle du banc de Sclessin, dont cette fameuse grinta que le duo voulait réinstaller en bord de Meuse.
Le dossier était toutefois rapidement classé sans suite, Mazzù désirant rester fidèle à son discours, affirmant qu’il ne rejoindrait jamais le Standard en droite ligne de Charleroi, par respect pour des supporters zébrés dont il a toujours été très proche. Ovationné lors de sa présentation au Mambour, alors qu’il n’avait pas encore coaché la moindre minute sur le banc du Sporting, Mazzù avait lié des liens étroits avec certains leaders des tribunes, avec qui il n’hésitait pas à partager de longues minutes après les rencontres, sous les projecteurs ou à l’abri des caméras, un mégaphone ou une cigarette à la main.
Pourtant, à l’instar d’un Robert Waseige pour lequel il n’a jamais caché son admiration, Mazzù a toujours trouvé excessive cette rivalité haineuse entre les deux clubs wallons. Comme il l’a déjà avoué à demi-mot au détour de l’une ou l’autre interview, il s’imagine bien un jour à la tête du Standard. Peut-être ce mariage probablement riche en étincelles arrivera-t-il le jour où Michel Preud’homme décidera de faire un pas de côté et aura la main pour désigner l’identité de son successeur ?
Au moment de son départ de Bruges, l’ancien gardien avait vanté les qualités du coach de Charleroi, aussi bien face à la presse qu’à l’oreille de ses dirigeants. L’estime entre les deux hommes est réciproque, et les liens forts qu’ils semblent cultiver seraient un premier pas vers une collaboration fructueuse.
DÉPART VERS LA CL
Si on l’imaginait également à l’Antwerp, là où une séparation avec Laszlo Bölöni avait été évoquée et où ses qualités tactiques et sa communication en français – critère indispensable pour les échanges fréquents que souhaite Lucien D’Onofrio avec son coach – ne laissaient pas indifférent, c’est donc finalement à Genk que Mazzù a poursuivi son aventure, loin des rives de la Sambre.
La décision n’a pas été aussi simple à prendre que prévu. Pourtant, les premiers échanges avec Dimitri de Condé font naître une attirance mutuelle entre les deux hommes. La prise de position des champions en titre peut sembler surprenante, au bout d’une saison qui avait vu pâlir l’étoile du coach hennuyer alors que Marc Brys et Bernd Storck semblaient avoir gagné suffisamment de galons en quelques mois pour revendiquer un banc de touche de renom. Mais là où les autres candidats avançaient prudemment, réclamant des garanties autour de la composition de l’effectif limbourgeois, Mazzù n’a affiché que de l’excitation face au défi qu’on lui proposait enfin de relever, après toutes ces années passées dans la salle d’attente du G5.
La partie la plus difficile de son choix, c’est hors du terrain que Felice a dû la poser. Opter pour le Limbourg, c’était passer une partie considérable de son temps à une heure et demie de » son » Charleroi, qu’il n’avait jamais vraiment quitté au détour de ses voyages sur les bancs des divisions inférieures, lors desquels il jonglait avec son boulot de professeur d’éducation physique dans le Pays Noir. Ses parents, sa femme, ses enfants et ses amis étaient autant de compagnons de sa vie zébrée dont il faudrait s’éloigner pour goûter à la Ligue des Champions.
Casanier et attaché viscéralement à sa famille et à sa ville, Mazzù devait faire un choix : » S’il y avait eu une certaine retenue de la part de ma famille, ça aurait été encore plus difficile de le faire. Mais ils m’ont aidé et poussé, parce qu’ils savent depuis un certain temps que je voulais franchir un palier. C’était une occasion unique pour moi de pouvoir toucher à la Ligue des Champions, qui est un objectif extraordinaire pour un entraîneur. Après de grosses discussions avec tout le monde, je me suis lancé. »
SOIRÉE DE MALHEUR
Au Mambour, les téléphones vibrent le jour de la reprise des entraînements. Felice distribue les bons voeux à ses anciens collaborateurs, qui ressentent le spleen de leur ancien coach. Quand il parvient à dégager quelques minutes, au cours de longues journées meublées par la préparation d’un nouveau défi où il se sait attendu au tournant, Mazzù pense inévitablement à Charleroi. Dès la sortie du calendrier, la date de son retour sur ses terres est entourée par médias et supporters.
Son départ avait chamboulé les coeurs chez les Storm Ultras, voix les plus bruyantes du kop carolo nichées au coeur de la T4. » Qu’est-ce que cette histoire va nous manquer « , avaient-ils conclu dans leur au revoir posé sur les réseaux sociaux. Tout en agrémentant la chute d’un : » Bonne chance… Sauf contre nous évidemment. »
Ce sera un vendredi 13. Une date où la chance joue forcément un rôle. L’augure d’une soirée de malheur ? L’équation ne semble pas pouvoir se résoudre autrement pour Felice Mazzù. Car quel que soit le résultat, une partie de lui gardera probablement un goût amer en jetant un coup d’oeil au tableau d’affichage, quand s’égrèneront les dernières secondes de la rencontre. Les chiffres scelleront des points perdus. Pour lui, ou pour son Charleroi.
Charleroi sans Felice
Si le défi de Felice Mazzù à Genk est considérable, succéder à celui qui était devenu un monument du Pays Noir est loin d’être une tâche plus confortable. Débarqué sur le banc des Carolos quelques heures avant la reprise des entraînements, Karim Belhocine a progressivement soigné la rupture de style avec un prédécesseur dont le nom est rarement cité en sa présence sur les terrains de Marcinelle.
Sur la pelouse, les nouveaux Zèbres présentent un visage plus conquérant, même si cela doit leur coûter des points, comme lors de leur prestation parfois naïve à Zulte Waregem. Le pressing est plus fréquent, et certains éléments offensifs comme Massimo Bruno semblent plus aiguisés à l’heure de s’exprimer dans la moitié de terrain adverse.
Certains joueurs soulignent également une autre rupture : celle d’avoir un coach au passé de joueur conséquent, même si ses lettres de noblesse ont été écrites dans un rôle peu spectaculaire de défenseur central. Belhocine démontre les exercices, laissant apercevoir une technique toujours affûtée, et séduisant des joueurs qui n’étaient pas habitués à ces méthodes.
» Le coach est vraiment dans l’explication, quitte à parfois couper pendant un exercice. C’est une autre méthode de travail que celle de Mazzù, qui nous montrait beaucoup de choses avec des vidéos « , confirme Marco Ilaimaharitra quelques jours après avoir fait connaissance après son nouveau coach. » Et puis, Belhocine a joué au haut niveau. Quand il démontre quelque chose, tu adhères automatiquement. Je ne dis pas que ce que disait Mazzù était faux, mais cela rajoute un plus du côté de Belhocine. »
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