Olivier El Khoury

Changement, ref’

Olivier El Khoury Ecrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4.

On se demande si Guardiola et Tuchel n’anticipent pas déjà la fatigue liée au futur EURO, et qu’ils préservent leurs joueurs en vue de la saison prochaine.

Pour ne pas trop me défamiliariser avec les sensations des dimanches après-midi qui sonnaient souvent comme des dimanches matin, je me suis imposé d’aller courir à l’heure de la messe, tous les jours du Seigneur. Disons que c’est ma prière, ou la croix que je porte en attendant la réouverture de nos prés bosselés. En décuve de ma soirée clandestine de la veille, les yeux encore rouges d’alcool, l’odeur de tabac froid et l’estomac en vrac, je recrée à l’identique les conditions de mon arrivée dans le vestiaire un jour de match. Et je vais arpenter les rues de la ville en asphyxiant tout citoyen qui croiserait mon chemin de près.

Beaucoup de joueurs vous diront qu’ils jouent mieux avec un petit gramme de bière dans le sang qui n’a pas eu le temps de s’évaporer, car il leur permet de jouer plus librement. Ce qu’ils oublient c’est qu’à la septantième, ils sont contraints de faire tourner leur index au-dessus de la tête pour demander le changement. Keke, pour ça, c’était le plus malin, il prenait les devants. Quand il voyait que le vestiaire saturait de volutes d’ivresse, il disait au coach dès la mi-temps qu’il était encore bon dix minutes mais pas plus, grillant ainsi la politesse à tous ceux qui devraient alors finir le match en marchant plutôt que, comme Keke, une mousse bien fraîche à la main, appuyé sur la rambarde.

On se demande si Guardiola et Tuchel n’anticipent pas déjà la fatigue liée au futur EURO, et qu’ils préservent leurs joueurs en vue de la saison prochaine.

Dans le Journal d’Adam de Mark Twain, l’auteur écrit avec ironie: « Je crois que je commence à comprendre à quoi sert la semaine: à donner le temps nécessaire pour récupérer des grandes fatigues du dimanche ». Si Adam parlait d’ Eve qui était venue déranger sa paix en babelant jusqu’à l’en fatiguer, tout footeux connaît la douleur du réveil du lundi, quand le corps est un sarcophage, les membres semblant se décrocher les uns des autres, depuis les hanches jusqu’aux orteils. Puis aller bosser si pas en boitant, en arquant la démarche comme si les genoux n’étaient qu’un fantasme.

Les pros, en ce moment, n’ont plus vraiment le loisir de se « reposer » la semaine. Kevin De Bruyne se plaignait de l’allure folle, un match tous les trois jours. Le pauvre, j’ai cru qu’il faisait un burn-out, sans blague. Ça a peut-être été un déclic pour son coach. En Angleterre, les équipes du moment sont celles qui parviennent à faire tourner leur effectif, City en tête. La composition est chaque fois une surprise et surtout, le noyau permet ce genre de rotation. Dans une moindre mesure, le rival United profite de quelques pépites pour reposer certains joueurs. Mais l’autre équipe en forme, c’est Chelsea. Thomas Tuchel bénéficie du riche noyau concocté par Frank Lampard et est en train de faire des Blues une machine à gagner, ou au moins à ne pas perdre. Et tout comme Pep Guardiola, il a réussi à instaurer un système, un schéma qui est aussi fort que les joueurs qui le composent. Ce qui fait que même sans ses gros noms, la machine continue à tourner. Au point qu’on se demande si ces deux coaches n’anticipent pas déjà la fatigue liée au futur EURO, et que, déjà aujourd’hui, ils préservent leurs joueurs en vue de la saison prochaine.

À l’inverse, les joueurs de Liverpool semblent à bout, l’équipe en perdition, car ses cadres n’assurent plus après plusieurs saisons sans faire tourner l’effectif. C’est dur aussi pour les Spurs de José Mourinho, dont la profondeur de noyau ne rivalise pas en qualité.

Pourtant, la tournante, c’est aussi un bon moyen de garder tout le monde concerné. Je me souviens d’un entraîneur qui me faisait bien cirer le banc, mais qui me titularisait à l’occasion, quand on jouait contre des clinches. Je n’étais pas dupe, mais au moins, j’avais le plaisir de commencer ma semaine en boitant. Et devant les collègues, va-t-en savoir pourquoi, on est toujours un peu fiers de cette démarche à la con.

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