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Canesin nous raconte sa vie ostendaise, pleine d’anectodes poignantes

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le petit format brésilien raconte sa longue vie ostendaise. C’est plein d’anecdotes poignantes et c’est savoureux.

Depuis le centre d’entraînement d’Ostende, Fernando Canesin aperçoit sa maison.  » Quand il fait beau, je viens parfois à pied. Ou en trottinette.  » Le Brésilien de poche est un meuble du club, le plus ancien joueur du noyau, celui qui a joué le plus de matches en D1 dans l’histoire du KVO. Arrivée : août 2013. Et donc sa septième saison face à la mer.

Pour le même prix, il ne serait plus ostendais aujourd’hui. Pour un retour au pays, le coup est passé très près.  » C’était juste au moment où le championnat a commencé. J’ai reçu une offre de l’Athletico Paranaense, qui se préparait à jouer contre Boca Juniors en Copa Libertadores. C’est la Ligue des Champions en Amérique du Sud, donc pas n’importe quel club. Ils me proposaient un contrat de trois ans alors qu’il ne me reste qu’une saison à Ostende et qu’on n’a pas parlé de prolonger. L’Athletico monte en puissance, ma femme avait envie de rentrer. Donc, c’était tentant, dans ma tête j’étais presque parti. Mais ça a coincé sur l’indemnité de transfert. Pas de souci, je me suis vite remobilisé.  »

Après mon tir au but raté en finale de la Coupe, je n’ai fait que chialer pendant deux jours. Ma femme a eu du boulot pour me relever.  » – Fernando Canesin

Il a tout connu avec ce club. L’arrivée d’un milliardaire, les play-offs 1, une finale de Coupe, l’Europe, la galère de la lutte pour le maintien, le départ du même milliardaire,… Interview bilan avec accent sur ses grands moments. Bonne humeur et sourire compris.

Moment 1 : Coucke in

Quitter Anderlecht pour un club qui venait de monter en D1, c’était un choc ?

FERNANDO CANESIN : Un choc, mais en même temps, j’arrivais dans un contexte très particulier et positif. Marc Coucke venait de reprendre Ostende et il a directement fait venir du lourd : Jordan Lukaku, Frank Berrier. Maintenant, je ne vais pas dire que c’était mon premier choix. Cet été-là, je ne pensais pas quitter Anderlecht. J’avais eu des touches ailleurs mais John van den Brom avait exigé que je reste. Puis, subitement, au moment où le marché allait se fermer, Herman Van Holsbeeck a dit à mon agent que je devais m’en aller. Si je restais, j’aurais très peu de temps de jeu. Je me suis retrouvé ici parce que Fred Vanderbiest m’aimait bien.

Fernando Canesin a du répondant. Et pas seulement sur un terrain.
Fernando Canesin a du répondant. Et pas seulement sur un terrain.© BELGAIMAGE

Oui, ça a été un choc quand j’ai découvert les installations. Il n’y avait que deux terrains d’entraînement, et un bâtiment tellement petit qu’on prenait le petit-déjeuner dans le vestiaire qui n’était vraiment pas grand. J’étais aussi choqué en voyant la différence d’état d’esprit. À Anderlecht, on vivait dans une ambiance de pression permanente, il fallait gagner chaque week-end. Ici, on cherchait à se maintenir et c’était une famille qui montait sur le terrain. On ne se prenait pas la tête. On s’est maintenus sans problème et on est arrivés en demi-finale de la Coupe. Marc Coucke venait régulièrement dans le vestiaire, je n’avais jamais connu ça avec Roger Vanden Stock. Il parlait d’être dans le Top 6 dans les deux ou trois ans, ça nous faisait un peu rigoler, on n’y croyait pas trop.

Moment 2 : Transfert définitif

Un an plus tard, tu es transféré définitivement et tu n’as donc plus de lien avec Anderlecht. Tu es soulagé ? Triste ? Nostalgique ?

CANESIN : Sur le coup, j’ai d’abord vu l’aspect financier, on ne parlait plus de la même chose. Mais je me sentais bien ici. Vanderbiest a tout fait pour me convaincre : Reste avec nous, tu vas voir, le club va continuer à grandir. Je jouais beaucoup, je prenais du plaisir et Coucke m’offrait un contrat sur plusieurs années, donc je n’ai pas hésité longtemps.

Ma mère a essayé de me persuader de retourner à Anderlecht. Mais moi, je gardais le souvenir de ma dernière saison là-bas. Je jouais en Réserve, je ne sais même pas si Van den Brom venait voir nos matches, en tout cas il n’y avait jamais de suite. Je m’étais éclaté la saison d’avant, j’avais la confiance d’Ariel Jacobs, j’avais beaucoup joué et on avait été champions. Mais avec Van den Brom, j’ai dégusté. Il ne me parlait pas. Je ne voulais pas prendre le risque de revivre ça.

Ce qui est drôle, c’est que j’ai signé mon contrat avec Ostende dans les bureaux d’Anderlecht à Neerpede. Luc Devroe devait aller là-bas pour un autre dossier, il m’a dit de l’accompagner pour tout faire en une fois. Juste avant de rentrer dans le bureau, j’ai croisé Besnik Hasi et il m’a demandé de rester. Mais ma décision était prise et il l’a comprise.

Moment 3 : Décollage

Pendant ta troisième saison ici, vous faites des cartons à domicile, vous battez Anderlecht, le Standard, Genk et Gand qui est champion en titre. Et vous vous qualifiez pour les play-offs 1. Une surprise totale ou simplement le respect du timing de Marc Coucke ?

CANESIN : Les deux premières saisons, il visait le maintien. Avant la troisième, il a dit clairement qu’il ambitionnait le Top 6. Et il a libéré les moyens pour y arriver. Gohi Bi Cyriac, Joseph Akpala, Jordan Lukaku, Frank Berrier, Yassine El Ghanassy, c’était costaud quand même. Et Yves Vanderhaeghe sur le banc. Point de vue chiffres, ça a été ma meilleure saison, 7 buts et 10 assists. Berrier et moi, on se trouvait les yeux fermés. Et puis, oui, on arrivait enfin à battre les grands. Le club a clairement passé un cap. Avec Vanderbiest, c’était la grinta, plus que l’organisation. Avec Vanderhaeghe, c’était un mix de tout ça.

Fernando Canesin a vécu du bon temps avec son
Fernando Canesin a vécu du bon temps avec son  » papa  » belge : Fred Vanderbiest.© BELGAIMAGE

Ça vous a pénalisés de jouer vos matches de play-offs à Roulers plutôt que chez vous ?

CANESIN : Oui, je pense. On s’entraînait là-bas pendant la semaine mais on avait nos repères chez nous. Enfin bon, on a quand même mis une raclée à Anderlecht… Un match particulier. Des supporters du Sporting étaient montés sur le terrain pour montrer leur colère parce que l’équipe ne jouait pas bien, certains s’étaient battus entre eux dans la tribune.

Moment 4 : Bruges dans les cordes

La saison suivante, Ostende bat Bruges, ici, pour la première fois de son histoire. Tu as toujours senti une rivalité particulière, vu la proximité ?

CANESIN : Clairement. Bruges, c’est le rival historique. Le mien aussi… Vu mon passé à Anderlecht, les supporters du Club m’ont toujours considéré comme un Anderlechtois, j’ai gardé cette étiquette pour eux. Chaque fois, ils me chambrent. Ce qu’ils chantent sur moi… je ne te fais pas un dessin. J’ai gardé un souvenir fort de ce match. Je monte pour le dernier quart d’heure, Silvio Proto dégage, je reçois le ballon, je le passe à Sébastien Siani puis El Ghanassy finit le boulot. C’est 1-0, tout ça dans les arrêts de jeu.

Vous finissez la saison à la quatrième place, c’est encore une étape dans la progression du club.

CANESIN : On est quatrièmes, on joue le barrage pour l’Europe contre Genk et on le gagne. Plusieurs joueurs pensaient partir mais ils sont restés parce qu’il y avait cette qualification pour l’Europa League.

Moment 5 : Heysel

La même saison, il y a votre finale de Coupe et la défaite aux tirs au but. Un gros coup dur parce que vous étiez plus forts que Zulte Waregem sur le papier, non ?

CANESIN : Oui, c’est malheureux de tomber contre Zulte Waregem après avoir fait le plus dur en éliminant notamment Gand et Genk. Landry Dimata était intenable en finale mais ça n’a pas suffi. Je pensais être titulaire mais ma situation a basculé la veille. On faisait un match d’entraînement sur la pelouse du Heysel, la place se jouait entre Kevin Vandendriessche et moi. J’ai mis deux buts en quelques minutes. Vanderhaghe m’a appelé, le match était toujours en cours, il m’a dit qu’il pensait me titulariser mais que Vandendriessche défendait plus que moi. Je l’ai rassuré : Pas de problème, je serai là si tu as besoin de moi.

Le derby flandrien contre le Club, c'est toujours un moment spécial.
Le derby flandrien contre le Club, c’est toujours un moment spécial.© BELGAIMAGE

Je suis monté à vingt minutes de la fin, puis il y a eu les prolongations. Et les tirs au but. Vanderhaeghe a demandé qui se sentait capable de tirer. Tout le monde a commencé à regarder dans le vague, j’ai dit que je me sentais bien. Et j’ai loupé. Là, tu as plus de 30.000 personnes autour de toi mais tu te sens seul au monde. Mes coéquipiers m’ont dit que ce n’était pas grave. Mais si, c’était super grave ! Tu as beau dire que ce n’est que du foot, c’est grave. En revenant vers le rond central, puis au moment de retourner aux vestiaires, je n’ai pas voulu avoir la tête basse. Mais j’étais anéanti. À la maison, ma femme a eu du boulot pour me relever ! J’ai été KO pendant une semaine. Les deux jours qui ont suivi, je n’ai fait que chialer. On était passés à côté d’un moment historique pour le club.

Moment 6 : Marseille

Votre réaction quand vous tirez Marseille en tours préliminaires ?

CANESIN : Les Français sont hyper contents. Pour Kevin Vandendriessche, Frank Berrier et William Dutoit, c’est le tirage idéal. Les autres joueurs auraient voulu une équipe moins forte pour avoir une chance de se qualifier pour la phase de poules. On a trop encaissé là-bas au match aller. 4-2, c’était difficile à récupérer. Et je retiens un goût de trop peu sur un plan personnel. J’ai joué deux fois un petit quart d’heure parce que Vanderhaeghe a préféré mettre Ramin Rezaeian. Ce n’était pourtant pas sa place. Il y a d’autres choix qu’on n’a pas compris, comme le fait de ne pas faire jouer Kevin Vandendriessche. Mais j’avais vécu tellement de bons moments avec ce coach que je n’ai pas bronché. Quelques semaines plus tard, il a été viré. 1 point sur 21, on ne résiste pas à ça.

L'angoisse du tireur au moment du penalty, Fernando l'a vécu.
L’angoisse du tireur au moment du penalty, Fernando l’a vécu.© BELGAIMAGE

Moment 7 : Coucke out

Quand on vous annonce le départ de Marc Coucke vers Anderlecht, vous vivez ça comme un tremblement de terre ?

CANESIN : On l’a appris via WhatsApp, la direction nous a envoyé un message sur le groupe. Le lendemain, quand on est arrivés pour l’entraînement, tout le monde posait plein de questions. On ne savait pas ce que le club allait devenir, ce qu’on allait devenir. On entendait des gens de l’extérieur dire qu’un an plus tard, Ostende serait en faillite. Mais les responsables du club nous ont rassurés en nous expliquant que Coucke ne remettrait pas le club à n’importe qui. Ils nous ont dit : Surtout, restez calmes, on va continuer le projet. Montrez sur le terrain de quoi vous êtes capables.

Le projet a continué mais le train de vie a directement diminué.

CANESIN : Normal. Si tu analyses les choses de façon rationnelle, tu comprends que des joueurs comme Cyriac, Akpala, Berrier et Proto n’étaient pas, sur le papier, des gars pour un club comme Ostende. Aujourd’hui, il n’y a plus de contrats de folie. Ceux qui sont arrivés après la reprise gagnent grosso modo la même chose. Ce n’est pas plus mal, c’est aussi ce qui fait la force d’un groupe. Ce qui a changé aussi, c’est qu’on ne parle plus d’un projet avec des échéances précises comme avec Coucke qui parlait de maintien dans un premier temps et de play-offs 1 ensuite. Maintenant, on vit surtout au jour le jour.

Canesin nous raconte sa vie ostendaise, pleine d'anectodes poignantes
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Et toc !

 » J’en suis à mon cinquième entraîneur en sept ans, mais au Brésil, la durée de vie d’un coach, c’est peut-être trois mois.  »

 » Fred Vanderbiest restera pour toujours mon papa belge.  »

 » Adnan Custovic était autant mon ami que mon entraîneur. On allait parfois au resto, avec AntonioMilic et Zarko Tomasevic.  »

 » Avant de signer, Gert Verheyen m’a appelé et m’a dit : Je vais faire mon équipe autour de toi.  »

 » Kare Ingebrigtsen a des discours incroyables avant les matches, dans le vestiaire, entre l’échauffement et le coup d’envoi. Il nous donne des frissons. Chaque fois, il nous dit des trucs différents. C’est bien réfléchi et ça nous touche beaucoup.  »

 » J’ai parfois essayé de me mettre à la place de Nicolas Lombaerts. Il arrive du Zenit où il avait, devant lui, Igor Denisov, Axel Witsel, Hulk. Ils avaient la meilleure défense et la meilleure attaque en Russie. Ici, il se retrouve dans une équipe qui a du mal à marquer et qui encaisse beaucoup. Mais quel gentleman ! Humainement, ça a été une rencontre fantastique. Il parle de la même façon à un gamin de 15 ans et à un gars de son âge.  »

 » Je ne sais pas si je retournerai m’installer au Brésil. Il y a plusieurs choses qui me dérangent. Les soins de santé ne sont pas à la hauteur, tu paies très cher pour une mutuelle et on te fait poireauter des heures quand tu as un rendez-vous à l’hôpital. Le niveau des études est aussi un gros souci. Et puis, il y a l’insécurité. J’aimerais que mes enfants grandissent là-bas comme ma femme et moi on l’a fait. Je pouvais jouer au foot dans la rue jusqu’à une heure du matin, on ne risquait rien. C’est fini, tout ça. Aujourd’hui, au Brésil, on te tue pour un téléphone. Et même pas un Iphone hein, mais un bête téléphone. Tu n’oses plus te promener avec des belles fringues, des chaussures de marque ou une montre chère. Tu dois tout cacher et prier pour qu’on ne t’attaque pas. Le nouveau président, le gars qui enlève de l’argent de l’éducation pour le mettre dans d’autres trucs, autorise maintenant tout le monde à porter une arme. Ça peut marcher. Mais ça peut aussi ne pas marcher. On mettra tout ça dans la balance quand on devra choisir un pays après ma carrière.  »

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Un blocage sur la tombe de son père

La conversation dévie et quitte complètement la sphère du foot quand on aborde avec FernandoCanesin les tatouages qui recouvrent complètement son bras droit et son épaule. Il a fait graver, à côté d’un lion ( » Parce que je suis un guerrier « ), d’étoiles et de motifs religieux, le nom et la date de naissance de son père.

 » Il est mort il y a dix ans. Je jouais avec les U17 des Corinthians, mon parrain a débarqué sans prévenir, il m’a annoncé que mon père avait fait un malaise, qu’il était à l’hôpital. On est rentrés dare-dare, il est mort quelques jours plus tard d’un anévrisme. Dès ce moment-là, j’ai décidé de changer de club, de rentrer près de ma mère, ma soeur et mon frère. Je ne pouvais plus m’éloigner.  »

Six mois plus tard, Anderlecht l’a contacté. Dilemme.  » On a tous pleuré à la maison. Est-ce que je devais rester ou partir ? Ma mère m’a dit que je devais saisir ma chance. Jouer en Europe, c’était mon rêve de gosse. Je suis resté deux mois en test en Belgique, puis j’ai dû rentrer parce que mon visa allait expirer. Quelques mois plus tard, je suis revenu et Johan Walem a donné son accord pour que je reçoive un contrat. C’est lui qui m’a donné le premier oui alors que j’avais eu pas mal de non dans des grands clubs brésiliens. Autant j’étais heureux et fier de signer en Europe, autant j’étais triste que mon père ne voie pas ça.  »

Aller sur la tombe de son géniteur pour lui annoncer la bonne nouvelle avant de prendre l’avion… pas pour lui !  » Je pense que je suis juste allé deux fois sur sa tombe. Je n’aime pas, je n’y arrive pas. Je me sens vraiment mature par rapport à sa mort, je réussis à parler de lui sans pleurer, alors que ma mère n’y arrive pas. Mais le cimetière, non. Pas possible. Mon père avait le même problème, il ne pouvait pas aller sur la tombe du sien. Chaque année, ma mère va lui déposer des fleurs le week-end de la fête des pères et elle m’envoie une photo. Quand je rentre au Brésil, je me dis chaque fois que je vais y aller puis j’annule au dernier moment. Le jour de son enterrement, il y avait vraiment trop de monde dans ce cimetière, notamment mes potes du foot et de l’école. Des ouvriers qui y travaillaient ce jour-là ont demandé si on enterrait une star. Mais moi, la seule image que je retiens de cette journée, c’est la descente de son cercueil dans le caveau. Et ça me bloque.  »

Droit au but face à l'OM !
Droit au but face à l’OM !© BELGAIMAGE

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