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C’est la fin pour Steven Defour: « La conséquence d’un talent précoce, ça donne des joueurs qui travaillent moins que les autres »

International à 18 ans, capitaine du Standard à 19 et Soulier d’Or la même année, Steven Defour a d’abord été un ovni très précoce. Aujourd’hui blessé, abîmé, cassé, son corps ne reverra plus jamais les cimes. La preuve qu’on ne doit pas toujours attendre ses 33 ans pour avoir le sort sportif d’une rock star sur le déclin.

Pour dire vrai, il y avait déjà eu quelques indices. Et ça ressemblait fort à un jubilé. À une carrière qui s’achève comme une fin de soirée sans musique. Quand la police débarque et vous force à rentrer chez vous. Le 15 octobre dernier, pourtant, Steven Defour réalisait un rêve de gosse en même temps qu’il repoussait sa date de péremption. Sans qu’aucun d’argument d’autorité ne puisse alors venir contrecarrer les plans maison. Au sortir d’un été sans club et d’une saison pas franchement convaincante du côté de l’Antwerp, l’ancien Diable s’offrait un contrat « basé sur la performance » à Malines, son club de coeur, après avoir eu pour seuls contacts estivaux des touches à Mouscron et en Turquie. L’équivalent du néant pour un joueur encore crédible aux yeux de la Premier League il y a deux ans, et de Roberto Martínez en novembre 2017. Pour comprendre comment Steven Defour a grillé toutes ses cartouches avant d’avoir 33 ans, il faut aimer la vie autant que le football.

La conséquence d’un talent précoce, c’est que ça donne des joueurs qui travaillent un peu moins que les autres. »

Un joueur de Pro League

Formé à Malines sans y avoir jamais joué en équipe première, Steven Defour avait quitté le club de ses débuts pour s’engager avec Genk en 2004, et y signer un premier contrat pro pour rapidement dessiner les contours d’une carrière menée au même rythme que les contradictions qui l’accompagnent. En février 2006, il donne le ton et déclare qu’il ne quittera jamais Genk pour un autre club de Pro League. « Par respect pour Genk. » Le tout avant de rejoindre le Standard cinq mois plus tard. En 2011, le même homme nous confiait qu’aller à Anderlecht serait impossible pour lui. « Je ne faisais qu’un avec les supporters du Standard. J’ai trop grandi avec ce club pour rejoindre Anderlecht… » Trois ans plus tard, Defour devenait pourtant le gadget le plus cher de l’histoire des Mauves.

Connaître son rôle

C’est aussi ça, Steven Defour. Un homme entier dans le privé, jamais à l’abri de se défausser avec la presse. Ses amis, et il en a beaucoup, diront que c’était sa manière à lui de se protéger. « Pour moi aussi, c’est un ami », raconte d’ailleurs tout de go Olivier Renard, coéquipier à ses débuts en Rouche. « Mais je peux aussi vous en parler en tant que directeur sportif. Avoir un Steven Defour sur ton banc, ça apporte énormément. Il n’y a pas que ce que tu vois sur le terrain, il y a ce qu’il se passe en dehors. Steven, c’est un leader. »

Steven Defour, blessé, devant abandonner ses partenaires en cours de match: une image trop fréquente dans la carrière de l'ancien Diable.
Steven Defour, blessé, devant abandonner ses partenaires en cours de match: une image trop fréquente dans la carrière de l’ancien Diable.© BELGAIMAGE

Si on en arrive si vite à débattre sur l’apport indirect de l’ancien Diable dans un vestiaire, c’est parce que la dernière titularisation de Steven Defour en championnat remonte au 6 novembre 2020 contre Charleroi. C’était au temps où Malines ne gagnait pas. C’était au temps où Wouter Vrancken alignait de concert Aster Vranckx, Issa Kaboré, Igor De Camargo et Steven Defour. Un peu plus rarement déjà Onur Kaya. C’était donc avant que le KaVé ne devienne le banc le plus sexy de Pro League. Le plus cher (avec Kaboré et Vranckx, déjà vendus respectivement à Manchester City et Wolfsburg pour une somme globale de 12,5 millions d’euros) et le plus expérimenté (près de 1600 rencontres professionnelles en carrière pour la triplette De Camargo-Kaya-Defour).

« C’est abusé, on se le dit souvent, d’avoir autant de grands joueurs sur notre banc », s’étonnerait presque Thibaut Peyre, tout heureux lui de se retrouver titulaire. « En fait, je trouve ça surtout très courageux de la part du coach. Parce que ça ne doit pas être facile de poser des choix comme ça. Dans le sens où si tu te trompes, si tu enchaînes quelques mauvais matches, ça devient vite délicat parce que ces joueurs-là, ce sont aussi des hommes d’influence dans un vestiaire. »

Heureusement, à 32 ans et plus proche de la quille que jamais, Steven Defour n’en est plus à savonner la planche de ses coéquipiers. « Il ne s’offusque pas de son statut, il connaît son rôle », certifie d’ailleurs son coéquipier de toujours Igor De Camargo. « Je pense qu’il veut toujours jouer, mais qu’il connaît aussi son corps. Cela n’empêche que tout le monde connaît son CV, tout le monde le respecte pour ça, mais lui ne se positionne pas au-dessus de la mêlée pour autant. Et de toute façon, un CV, ça ne protège malheureusement pas des petits pépins physiques. Pas plus de la concurrence. »

Et celle dans l’entrejeu malinois fait rage. De Joachim Van Damme à Rob Schoofs, en passant par Aster Vranckx. Suffisant pour encore parler top 4 à la fin février. Plus pour offrir une dernière pige florissante à un jeune trentenaire sur le retour. « On ne va pas tourner autour du pot plus longtemps », coupe court Onur Kaya. « Si Steven est à Malines aujourd’hui, c’est à cause de ses blessures. Et s’il ne joue pas à Malines, c’est aussi à cause de ses blessures. Sans ça, un tel joueur ne vient jamais ici. »

Dur, mais juste pour un joueur qui, s’il a encore atteint brièvement les sommets avec Burnley, doit remonter près de cinq ans en arrière pour trouver trace d’une dernière saison pleine. En 2015-2016 à Anderlecht, Steven Defour faisait même encore la pluie et le beau temps avec les Mauves de Besnik Hasi. Quand, à la même époque, un Faris Haroun, ancien compagnon de famille d’accueil à l’adolescence dans le Limbourg, assurait lui un travail de sape moins tape-à-l’oeil dans le Cercle de Fred Vanderbiest, en plein ventre mou de la D1B. Mais le même Faris Haroun poussera gentiment Steven Defour vers le petit banc anversois l’an dernier. « Et pourtant, il y a quelques années, quand il s’agissait de faire le point sur la génération des JO 2008, on écrivait des articles dans le journal pour dire que j’étais fini. C’est l’histoire du foot, ça: des mains tendues, des portes qui se ferment et une petite dose de chance. »

La mauvaise réputation

Une chance que n’a pas eue Steven Defour ces dernières années, mais qui ne peut pas tout expliquer non plus. Se replonger dans ses jeunes années liégeoises, puis portugaises, est une piste un peu plus concrète. « Il parait qu’il traînait une réputation de sorteur avant », resitue Thibaut Peyre. « Moi, je n’en sais rien, je ne le connaissais pas à l’époque. Après, bien sûr, j’ai entendu des histoires sur son rythme de vie, mais là, quand je lui demande ce qu’il a fait hier, il me dit qu’il est resté chez lui, tranquille. Je crois qu’il s’est vraiment posé. »

« C’est vrai, je crois qu’il ne fait plus la bringue, mais par contre, c’est aujourd’hui que son corps lui rappelle qu’il a fait la bringue », nous dit un autre trentenaire de Pro League. Comme si on ne se défaisait pas si facilement d’une mauvaise réputation. Ou comme s’il y avait toujours quelqu’un pour vous remettre la tête dans vos errements du passé. « Lors de son transfert à Porto, on avait rendez-vous avec les dirigeants portugais à 19 heures » , rejouait avec emphase et un peu d’amertume Paul Stefani, son ancien agent, dans le magazine sportif Eddy, au début du mois de septembre. « Steven est arrivé saoul à 20h30. Il avait prétexté qu’il avait dû se rendre chez un sponsor, ce qui était faux, évidemment. Un autre jour, je reçois un coup de téléphone du patron d’un bar à Ninove, où beaucoup de joueurs d’Anderlecht se rendaient. On a trouvé votre joueur sur une table en train de faire l’amour dans mon café et tout a été filmé. Il menaçait de balancer sur internet s’il ne recevait pas une belle somme d’argent en échange. Finalement, grâce à une connexion en commun, la diffusion n’a pas eu lieu. Un autre jour, en vue d’un futur transfert, je me retrouve en Arabie saoudite avec lui. Le cheikh sur place lui avait trouvé une fille. Il m’a directement dit: Paul, je veux absolument venir ici, c’est le paradis. Le soleil, les femmes, l’argent… C’est pour ce genre d’histoires que Steven a raté sa carrière. Il était tout le temps hors forme. »

D’autres ont moins d’imagination et posent un jugement moins à charge. Et mettent surtout en avant un talent hors normes et précoce pour justifier les aléas d’un corps qui, passé la trentaine, a définitivement rendu les armes. « Un autre bon exemple, c’est Eden Hazard« , pense notre jeune trentenaire de Pro League. « Lui, il n’a peut-être pas fait la bringue, mais comme Steven, il a été encensé dès le plus jeune âge. La conséquence d’un talent précoce, c’est que ça donne des joueurs qui travaillent un peu moins que les autres. Et malheureusement, ce sont souvent ceux qui ont le plus de qualités qui sont les moins assidus. Et il y a un âge ou physiquement, tu le payes. »

C'est la fin pour Steven Defour:
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Steven Defour en serait-il à s’acquitter aujourd’hui de son Soulier d’Or de fin d’adolescence? Ce serait oublier un peu vite que derrière le talent brut d’un joueur unanimement décrit à l’époque comme hyper-complet, il y avait aussi un soldat capable de faire déjouer beaucoup d’individualités en un contre un. « Je ne pense d’ailleurs pas qu’on puisse résumer la carrière de Steven Defour en ne parlant que d’aisance technique », confirme Faris Haroun. « Steven, sans le ballon, ça a aussi toujours été ce pitbull qui rentrait dans le lard. Il a toujours misé sur les deux: physique et technique. Alors, forcément, quand tu te donnes à 250%, il y a un moment où la machine s’enraye. »

Blessures à la chaîne

Et cette question devenue lancinante depuis de trop nombreux mois: quel aurait été le vrai sommet de la carrière de l’homme aux 52 sélections en équipe nationale sans ses déchirures musculaires, ses problèmes à la cuisse, ses blessures à l’épaule, à la malléole, les claquages tendineux et les tensions aux mollets. Mais surtout une fracture d’un métatarsien encourue le 12 septembre 2009… contre Malines. « Avant ce match, je n’avais jamais été blessé », justifiait presque pour sa défense le principal intéressé dans le journal Le Soir du 5 décembre, « Je n’avais d’ailleurs pas l’étiquette de « joueur fragile ». Et peut-être que sans cette fracture au pied, ma carrière aurait été différente. (…) En hiver, quand il fait froid, j’ai encore souvent mal au pied. Avant cette fracture, j’allais directement sur le terrain pour m’entraîner. Depuis, une heure avant l’entraînement, je dois m’astreindre à des exercices si je veux que mon corps fonctionne correctement. Maintenant, ma blessure au genou à Burnley m’a aussi coupé dans mon élan alors que j’étais en route pour la Coupe du monde en Russie. Ça a été un sale coup à digérer. » Près de trois mois plus tard, mi-février, dans nos colonnes, l’ancien golden boy du mitan des années 2000 se veut toujours aussi transparent au moment de se confier. « La seule vérité de toute façon, c’est que je suis un joueur d’impact et que j’ai un corps qui a énormément souffert. Et que quand on te coupe deux fois dans le genou, deux fois dans les mollets, ton corps ne te dit pas merci. En pleine forme physique, tout le monde peut jouer jusque 37-38 ans, mais ce ne sera pas mon cas. À cause de mes pépins, j’ai été amené à faire des choix plus vite que prévu. Je devrai encore en faire d’autres bientôt… »

Énigmatique, avant de se montrer transparent ce dimanche 5 avril, au moment d’annoncer sa retraite définitive en fin de saison. Moins qu’un noctambule, l’homme serait donc surtout un joyau fragile et désormais en bout de course. « À un moment donné, je crois que les blessures, c’est toi et ta chance », rejoue Onur Kaya. « Moi aussi, je n’étais pas un grand bosseur quand j’étais jeune. Je me souviens, aux Pays-Bas, à l’entraînement, je n’étais pas le plus assidu. Mais je n’ai jamais été si peu blessé que passé mes trente ans. Je crois qu’il n’y a pas toujours de règles. »

Ou alors celles qu’on se donne…

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