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Butez: « Avec mon jeu au pied, c’est normal qu’Anderlecht s’intéresse à moi »

Attendu dans un club du top 5 en Belgique, Jean Butez est l’une des grosses cotes du mercato et un gardien amoureux de l’évolution de son poste. Interview avec un homme qui ne prend pas de gants.

Pas forcément impatient, Jean Butez sait sans doute que le temps court pour lui. Citoyen modèle, le gardien de l’Excel, jardine et bricole en attendant des jours meilleurs. Ceux-ci ne devraient plus tarder à arriver. Neuf mois après avoir vu son transfert vers Bruges capoter à cause de la gourmandise de la direction hurlu, plus rien ne retiendra bientôt le Lillois à Mouscron, où son contrat se termine en juin 2021. Surtout pas les ennuis financiers de l’Excel, ultime facilitateur à un départ devenu inéluctable.

Jean, tu as porté par le passé un regard assez critique sur les centres de formation à la française, à commencer évidemment par celui du LOSC, à Luchin, que tu as côtoyé pendant tes années de formation. Pour toi, ceux-ci seraient trop axés sur le foot, pas assez sur l’humain, c’est ça?

Butez: Je le pense d’autant plus aujourd’hui que nous avons l’occasion de réfléchir sur ce que nous sommes, nous footballeurs, sans le foot. Il y a une vie à côté de tout ça et c’est clair que moi, en n’ayant rien d’autres que mon BAC, parfois ça m’inquiète. Je ne vais pas cracher dans la soupe, on apprend beaucoup de choses dans les centres de formation. Et si ça n’a pas toujours été simple, je sais que je reste un privilégié d’avoir eu accès à cette éducation-là. Des centaines de gamins rêvent de ça. Et il y a d’ailleurs eu des moments extraordinaires dans mon écolage. Mais ce que je veux dire, c’est qu’à côté de ça, il faut accepter de mettre de côté sa vie sociale et certaines chances de pouvoir réussir dans la vie autrement que par le foot de côté. En formation, tout est mis en place pour qu’on obtienne le BAC, mais après ça, c’est le vide. C’est ce qui m’a dérangé. Moi, j’aurais bien fait des études, j’ai d’ailleurs essayé, mais en France si tu n’as pas un certain nombre de matches de Ligue 1 dans les jambes ou un statut d’international, tu n’as pas accès aux facilitations prévues pour les sportifs de haut niveau…

Où que j’aille, ce sera pour être numéro 1.

Tu gardes aussi un souvenir amer de ta formation comme footballeur?

Butez: Ce que je retiens, c’est que c’est plus dur de réussir dans ton club formateur qu’ailleurs. Parce que chez toi, tu seras toujours vu comme le gamin du club. Et paradoxalement, on donnait moins de crédit à ceux-là à Lille à l’époque. Je ne suis pas le seul exemple. Martin Terrier ou Benjamin Pavard ont aussi dû s’expatrier du cocon lillois pour réussir. Comme eux, je n’ai pas eu l’impression d’avoir été perçu à ma juste valeur. À talent et âge égal, on allait toujours privilégier mon concurrent qui n’était pas issu de la formation.

Tu as eu l’opportunité d’aller à Monaco cet hiver, cela ne s’est pas fait. Malgré tout, est-ce que t’imposer un jour en Ligue 1, ça reste une priorité?

Butez: Comme tout Français, j’ai envie d’un jour être reconnu chez moi. Après, à court terme, je mettrai surtout un point d’honneur à partir pour jouer. Où que j’aille, ce sera pour y être numéro 1. Si un club de Ligue 1 est prêt à me faire confiance, ce serait magnifique, mais si c’est dans un top club belge, ce sera très bien aussi. Je pourrais faire toute ma carrière en Belgique sans que ce soit un problème.

Avoir une valeur marchande, se retrouver associé à un club différent tous les jours dans les journaux, c’est étrange. Il faut pouvoir s’y faire.

On sait que le mercato a pris un peu d’avance suite à l’arrêt prématuré du championnat. Il y a des touches concrètes à l’heure où l’on se parle?

Butez: Le téléphone de mon agent a un peu sonné ces derniers jours, mais je le laisse gérer ça. Je suis beaucoup plus serein par rapport à tout ça que l’année dernière, où je découvrais tout ça avec de grands yeux. Avoir une valeur marchande, se retrouver associé à un club différent chaque jour dans les journaux, c’est étrange. Il faut pouvoir s’y faire. Cette fois-ci, je prends plus ça comme un jeu.

Tu as mal vécu tout le ramdam autour de ton transfert avorté à Bruges l’été dernier?

Butez: J’en ai surtout voulu à Mouscron. C’était flatteur de voir qu’on me citait à Anvers, à Liège, à Bruges, mais c’est vrai que j’ai mal pris que Mouscron se montre si gourmand sur le coup. D’autant plus quand on voit dans quelle situation le club se trouve aujourd’hui… On peut se demander dans quelle mesure l’argent que leur proposait Bruges à l’époque n’aurait pas résolu bien des problèmes. Après, la situation est aplanie depuis un bout de temps. J’ai eu des discussions avec le directeur sportif qui s’est engagé à faciliter mon transfert cet été.

Le dernier club en date à t’avoir fait les yeux doux, ce serait Anderlecht. Un club dont on sait l’intérêt qu’il porte aux gardiens capable de relancer proprement au pied…

Butez: Je sais qu’Anderlecht a contacté mon agent, mais pour l’instant ça se limite à une prise de contact, sans plus. La presse s’emballe vite quand on parle d’Anderlecht, mais de toute façon Van Crombrugge est toujours là pour l’instant, donc il n’y a pas de raison de s’enflammer.

Je me rends compte que mon jeu au pied peut être intéressant pour une équipe qui cherche à repartir de derrière.

Tu parlais de vouloir être numéro 1. Tu sais aussi que les garanties n’existent pas dans le foot…

Butez: Oui oui, bien sûr. Mais ce que je veux entendre, c’est un discours et un projet qui me conviennent. Je me souviens, quand je suis arrivé à Mouscron, on faisait un amical contre Auxerre au Touquet et je discute avec Jérémie Janot, entraineur des gardiens à l’AJA. Je lui raconte que je suis un peu inquiet parce que le club vient de signer Logan Bailly. J’ai eu une discussion sympa avec Jérémie à l’époque, qui m’a fait prendre conscience qu’au début d’une saison il n’y avait jamais de n°1 et de n°2, mais qu’à la fin, il y avait un titulaire et un battu. Et qu’à chaque match ou presque, les cartes étaient redistribuées. Ce que Bernd Storck a prouvé quand il est arrivé à Mouscron et qu’il m’a préféré à Olivier Werner et Logan Bailly. Si c’est un discours qu’on me tient en me spécifiant que je pourrai me battre à armes égales, alors je n’hésiterai pas parce que j’ai confiance en mes qualités.

Pour revenir à ton jeu au pied, c’est une de tes vraies qualités, non?

Butez: Sans me vendre et sans être arrogant, je me considère comme un très bon gardien au pied, oui. Aujourd’hui, tout le monde sait faire une passe mi-longue à 25-30 mètres de son bon pied. Mais un gardien qui parvient à être une pièce maitresse du jeu, à trouver des solutions, à casser des lignes, c’est plus rare. Et sans doute que c’est pour ça qu’Anderlecht s’intéresse à moi. Clairement, je me rends compte que mon jeu au pied peut être intéressant pour une équipe qui cherche à repartir de derrière. Et ce sera clairement quelque chose qui va peser dans ma décision finale. J’ai envie de rejoindre un club avec une philosophie de jeu parce que c’est hyper important pour moi de prendre du plaisir sur le terrain. À l’entrainement comme en match, ce serait hyper cool qu’on me demande de jouer sur ces qualités-là parce que ça fait des années que je bosse là-dessus.

Ce que fait un ter Stegen, pied droit, pied gauche, c’est exceptionnel. Il pose la balle, il se place au milieu face au ballon, et tu ne sais jamais si ça va partir pied gauche ou pied droit. Ca perturbe l’adversaire.

Il y a eu un déclic dans ta formation qui t’a poussé à mettre le paquet sur cet aspect-là de ton jeu?

Butez: J’ai toujours été attiré par le jeu à proprement parler. Quand j’ai été recruté à Lille, on m’a fait passer les tests comme gardien et comme joueur de champ. J’ai été pris comme gardien, mais clairement je me débrouillais bien dans le jeu aussi. Et puis, par après, j’ai eu la chance de travailler énormément avec Karim Boukrouh, un entraineur de jeunes à Lille à l’époque qui insistait beaucoup sur l’anticipation, le fait d’oser jouer haut. Un entraineur hyper moderne qui m’a fait prendre conscience de plein de choses. Avec lui, j’ai paramétré mon jeu différemment. Je n’ai pas toujours eu l’occasion de le monter avec Mouscron, où on me demandait surtout de jouer sur mon jeu long. Ça ne m’a jamais empêché de mettre un crochet de temps en temps, de feinter. Rien d’exceptionnel hein, juste des choses qu’un gardien complet doit savoir faire à mon sens.

Quand tu regardes un match de foot, tu t’inspires de certains gardiens?

Butez: Je me souviens du recruteur qui m’a amené à Lille, Maxime Tyteca. Il m’avait demandé ce que je regardais quand j’étais devant un match de foot… Je n’avais pas trop su quoi répondre à l’époque. Dans la foulée, il m’a fait comprendre qu’il fallait que j’apprenne quelque chose à chaque fois. Depuis, j’ai pris le pli de faire le focus sur les gardiens de but. Aujourd’hui, je sélectionne mes matchs en fonction des gardiens concernés. Mais je ne regarde pas forcément leurs arrêts, je m’intéresse plus à leur footwork on va dire. Ce qui m’intéresse, par exemple, c’est un Marc-André ter Stegen. Lui, pied droit, pied gauche, c’est exceptionnel. Il sait te faire un six mètres en mi-long des deux pieds. Il est le seul à pouvoir faire ça. Il pose la balle aux 5,50 m, il se place au milieu, en face de son ballon et tu ne sais jamais si ça va partir pied gauche ou pied droit. Ça perturbe toute l’équipe adverse parce que tu ne sais pas où ça va arriver, forcément. Ça, je m’exerce pour le faire à l’entrainement. Un Neuer, par exemple, ce n’est pas inné. Il avait sans doute le sens du jeu, mais c’est Guardiola qui l’a rendu si fort. Un entraineur qui te donne la confiance, ça peut faire beaucoup.

Quand on voit City, quand on voit Anderlecht, c’est beau à voir jouer.

Quand tu vois parfois les bêtes buts pris par Anderlecht ou certaines erreurs de City en défense cette saison, tu ne te dis pas que ça va parfois trop loin?

Butez: Si tout le monde va dans le même sens, c’est exceptionnel. Quand on voit City, quand on voit Anderlecht, c’est beau à voir jouer. Si tu arrives à marquer un but en étant parti de ton gardien et en ayant pratiquement vu le ballon passer par tous les joueurs de ton équipe, c’est le plus beau football possible. Il y en aura toujours pour dire que c’est ridicule et que ce sera plus sûr de balancer un long ballon pour être plus vite plus haut sur le terrain. Mais je crois qu’il y a une statistique qui dit que sur toutes les relances longues sur six mètres, 3 ou 4 fois sur 5, ce sont des ballons perdus. Après, il y a un juste milieu à avoir bien sûr. Kompany a amené une philosophie intéressante, Vercauteren l’a rendue plus pragmatique. L’équilibre d’ensemble est intéressant et force est de constater qu’en Europe, il y a très peu de clubs qui osent faire ça.

Le jeu au pied, ce n’est pas trop une spécialité française, si?

Butez: Non, pas forcément. Mais c’est plus une question de génération aussi. À Lille, pendant tout un temps, on m’a menacé de ne pas avancer de catégorie parce que j’étais trop petit. On privilégie encore beaucoup la taille dans la formation française. Si un gardien est epetite, mais qu’il est intéressant, on va souvent lui préférer un grand moins doué. C’est souvent une question de sécurité pour un entraineur. À qualités égales, à 16 ans, on va toujours mettre le gars qui fait 1,90m plutôt qu’un gardien à maturité tardive d’1,70m. C’est comme ça que certains supers bons gardiens passent à la trappe. Uniquement à cause de leur taille.

C’est encore possible de s’imposer au plus haut niveau en faisant 1,88m?

Butez: Je crois qu’Hugo Lloris fait la même taille que moi, mais clairement, en Premier League, c’est une exception. Il a un bon jeu long, peut-être pas un super jeu court au pied, mais c’est un félin. Clairement, quand tu es plus petit, tu dois te différencier sur un aspect spécifique de ton jeu. Regarde Gautier Larsonneur (gardien du Stade Brestois, ndlr) en Ligue 1. Il fait 1,80, mais c’est l’un des meilleurs cette saison en France.

Mbaye Leye me le disait souvent à Mouscron: Mais Jean, arrête, mets un pétard devant et puis c’est tout! C’est vrai que parfois, j’ai tellement envie de jouer que je me perds. Je considère que c’est le risque à payer.

Dans le dernier top 100 de la rédaction, tu figurais en bonne place (50e) et avec l’étiquette officieuse de quatrième meilleure portier du championnat derrière Mignolet, Van Crombrugge et Bolat. À ta place?

Butez: Non, j’étais déçu de ne pas être plus haut (rires). Non, sincèrement, en étant à Mouscron, je n’espérais pas mieux. Même si je ne pense pas que je sois intrinsèquement moins doué qu’un Bolat ou qu’un Van Crombrugge, mais je comprends qu’ils soient plus mis en lumière à partir du moment où ils jouent dans des clubs plus importants.

On a aussi l’impression qu’un Van Crombrugge ou un Bolat se mettent plus facilement en évidence par des arrêts réflexes parfois étourdissant à même la ligne. Alors qu’un gars comme toi cherche plus à anticiper le danger pour limiter la probabilité de se retrouver à devoir faire ce type d’arrêt. Ce n’est pas frustrant de voir que ce travail de l’ombre là n’est pas toujours reconnu?

Butez: Ah si terriblement, et j’apprécie quand on le souligne (il éclate de rire). C’est une part importante du jeu parce que si tu sors pour bloquer un centre, d’un côté, tu empêches une occasion de se créer, d’un autre, tu te prives d’une occasion de te mettre en évidence d’une manière un peu plus spectaculaire. Il y a des gardiens qui ont moins le sens de l’anticipation et qui font obligatoirement plus d’arrêts. C’est bien pour les statistiques individuelles, plus rarement pour les collectives. D’un autre côté, avec mon jeu, je m’expose d’une autre manière. J’ai pris quelques lobs en jeunes et en CFA à Lille, j’en ai encore pris un l’an dernier avec Mouscron en pro. De manière générale, quand tu joues haut, neuf fois sur dix, tu vas pouvoir intercepter le ballon qui va être mis en profondeur et empêcher un face-à-face. On va trouver ça normal. Et la fois sur dix où tu vas te trouer et prendre l’homme, on va dire que c’est une erreur. Mbaye Leye me le disait encore à Mouscron l’an dernier: « Mais Jean arrête ! Mets un pétard devant et puis c’est tout! » Même à l’entrainement il me disait ça. C’est vrai que parfois, j’ai tellement envie de jouer que je me perds à vouloir trop en faire. Je considère que c’est le risque à payer, mais je suis convaincu que le gardien moderne sera de plus en plus amené à participer au jeu.

Propos recueillis par Maurice Brun

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